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Nouvelles confirmées : Sous l'acacia
Publié par abdelvetah le 22-12-2012 03:24:12 ( 1310 lectures ) Articles du même auteur
Nouvelles confirmées



A perte de vue, les acacias alternent avec les dunes . Aux premières lueurs du soleil, les acacias, de leurs exsudations résineuses, chatoient sur les yeux de l’homme. De l’homme qui avance. Là, suivi de son chameau. Il marche d’un pas vif de jeune homme, et le chameau marche aussi, le quadrupède suit le bipède, tous deux associés dans la même cadence énergique, quasi joyeuse.

Les dunes semblent vouloir s’allier au vent, en cette heure matinale. Une trêve que le vent pourrait gâcher d’un instant à l’autre. La vue s’arrête sur les dunes. Et sur les acacias. Qui se répètent. Dunes et acacias. Au-delà, d’autres dunes. D’autres acacias. Au-delà encore, le puits. Le puits auquel s’abreuve le campement. Le campement, encore lointain, où transhume, momentanément, la famille d’Assia.

L’homme avance. Serein. Seul. Accompagné de son chameau, qui le suit, maintenu à distance par sa bride. Derrière l’homme et sa monture, les traces de leurs pas les suivent. Les imitent. Celles de l’homme s’enchâssent toujours harmonieusement dans les traces des quatre pattes du chameau. Six traces, en tout, s’enfoncent, quelquefois profondément dans le sable ; paraissent, de loin, tels de petits trous dans le désert. Elles se lisent nettement sur les dunes mortes.
Le soleil se lève un peu. Les ombres s’allongent derrière les deux marcheurs. La tête de l’homme recouverte d’un turban se dessine entre les pattes de la bête. L’ombre du chameau se refait en perspective, en arrière, s’étire pour couvrir des portions du néant jamais couvertes. La petite expédition donne à ces contrées un semblant de vie, l’instant d’un passage. Des ombres transitoires. Des traces de pas qui s’effacent au premier souffle du vent pour ne laisser, peut-être, que des présomptions de cicatrices difficilement perceptibles sur le sol.
L’homme fait baraquer son chameau. S’installe sur la selle dressée au dos du dromadaire. Le chamelier continue son chemin à travers les acacias et les dunes. Les acacias s’excitent, en cette saison. Ils fleurissent, produisent gousses pour les animaux et gommes pour les hommes. L’exhalaison des fleurs attire la monture. L’esprit de l’homme chasse d’une pensée irréductible l’invite à la cueillette de la gomme arabique. La gomme qui brille, aguichante, çà et là, sur les troncs et branches des acacias.

Pas d’hésitation, ni atermoiement, l’homme demeure ferme, inébranlable. Il continue sa marche. Sa monture, quoique attirée par le parfum des acacias, se ravise chaque fois où l’homme la ramène à la raison du voyage. Tu te régaleras, mon cher, sous peu. Attends l’acacia du régal. De ton régal. Du mien surtout, soliloque le jeune homme. Des acacias, il est le plus généreux de sa résine, le plus fleuri, le plus ombrageux. Il fut plus que cela mon chameau. Il fut l’acacia que broutait, il y a longtemps, la chamelle d’Assia. La chamelle que lui avait offerte son père à sa naissance. De sa gomme, mon cher chameau, nous concoctions les encres de nos encriers. De son bois brûlé nous donnions la couleur à nos encres.

Les ombres se rétrécissent. Reviennent aux pattes de la bête. Le soleil est au zénith.
-L’acacia ! Là. Il est là, mon chameau, toujours ce géant qui se dresse sur notre chemin.

Il est assez touffu pour assouvir les ardeurs gourmandes du camélidé, et assez ombragé pour offrir au chamelier une aire de repos. L’homme attache sa monture au tronc de l’acacia et la laisse brouter dans la touffe pleine de gousses.

Du gros sac en peau de vache, accroché derrière la selle, il extrait une jarre, une théière, deux verres, du sucre, du thé, des arachides, des biscuits et du charbon de bois enroulé dans un morceau de tissu. Puis, après avoir défait quelques nœuds, il tire du flanc de la bête une petite natte. Ensuite, il remplit la jarre avec l’eau de l’outre attachée en ceinture sous le ventre de la bête.

Il étale la natte, s’assied dessus, sous l’arbre, donnant son dos au tronc. Il tend sa main vers le pied du tronc ; en tire quelques brindilles sèches. Creuse un petit fossé, y met le charbon, la paille. Frotte une allumette, et la flamme transforme progressivement le charbon en braise. Il verse l’eau dans la minuscule théière, la pose sur le feu.

En attendant que son premier verre soit prêt, il ôte son turban, arrange les plis de son boubou, s’allonge, s’alanguit… L’une des nombreuses gousses de fleurs jaunes, détachée de l’acacia géant à la suite du tumulte suscité par le chameau, vient atterrir sur une saillie de cendre, à quelques empans de la natte. La cendre d’un feu ancien, qui couve encore et resurgit, avec ses flammes brûlantes, dans les entrailles de Moctar. Tout se convoque, prend feu autour de cette fleur tombante. Le feu sur lequel, la marmite, la marmite de la famille d’Assia bouillait. Et les traces des pas d’Assia qui venait de passer par-là, et de jeter quelques grains de sel dans la casserole. Moctar s’enflamme de ce feu antique, sans toucher aux arachides ni aux biscuits. Le chameau, rassasié, s’accroupit sous l’ombre de l’acacia qui protège leur sommeil des ardeurs du soleil de l’après-midi.
Moctar se réveille, remet chaque objet à sa place. Il monte sur la selle et d’’un geste du bâton, il oblige le chameau à allonger son allure. L’ombre commence à s’étendre, longue devant eux.
Alors que le soleil décline, l’homme aperçoit enfin des traces de chèvres. Entend un âne qui brait. Puis un autre. Ensuite, un cri. Suivi d’un rire. Le chameau escalade la dune, haute. Parvenu à sa crête, l’homme voit, à la verticale ou presque, le puits. Il descend et marche devant le chameau.

Un vieil ami le reconnaît. Un ami d’enfance, Mbareck.
-Le voilà, dit-il, d’un air enjoué. Voilà, le Saint-Lousien, l’immigré, revenu, après combien d’années déjà, je ne sais même plus ?
-Sept ans. C’est raisonnable, n’est-ce pas, cher ami ?
-Depuis quand tu es revenu ?
-Deux jours, seulement.
-Deux jours, seulement, et tu quittes déjà tes parents pour nous. Nous, les gens de ces contrées, insiste Mbareck allusivement, en faisant un geste dans les airs, clignant de l’œil à l’adresse de son vieil ami.
Le Saint-Louisien sourit. Mbarck, s’approche de son ami :
-Ce n’est pas loin. Nous y serons très bientôt, cher ami. Et, rassure-toi, personne du campement n’apprendra ton arrivée. Ni ton départ. C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ?
-C’est à peu-près cela.
-Moi, je connais mon ami. Toujours, le même. Les Saint-Louisiens ne comprennent rien.
Les deux hommes se dirigent vers le campement. Ils y arrivent, sans même s’en apercevoir, tout absorbés par leurs souvenirs communs, les histoires des campements, les dernières transhumances. Ils contournent tout le campement et accèdent à la tente de Mbareck sans que personne ne les voie.

Salma, l’épouse de Mbareck est là. Elle attendait, depuis le crépuscule, l’arrivée de son mari, le berger du campement. Mbareck vient auprès d’elle pour la mettre dans le secret de l’hôte. Pour Salma, les choses sont claires. Il faut d’abord qu’on s’occupe du vieil ami de son époux. Lui préparer où dormir. Et, le matin, après le lever de soleil, Assia sort de la tente pour laver sa tablette sous le grand acacia, là-bas. D’ici-même, on pourrait la voir, marcher et revenir sans que cela n’éveille aucun soupçon. Mbareck fait confiance, toujours, à sa femme. Il sait que son stratagème sera imparable.
Après le dîner, Moctar se couche sur une peau de vache que Salma a étalée sur la natte. Non loin d’ici, le chameau de Moctar rumine. Il rumine une journée de broutage. Moctar rumine, lui aussi, avant que le sommeil ne le saisisse. C’est un peu plus d’une journée de rumination. C’est une décennie. Ou presque. Les réminiscences de son enfance déferlent en flots de sensations et d’images. Assia et lui, enfants, qui jouaient entre les tentes. Qui s’essayaient, à leur âge, aux joutes poétiques. Aux devinettes sur les compagnons du Prophète, paix et salut sur Lui. Sur les poètes antéislamiques et leurs œuvres. Depuis lors, Assia est devenue majeure. Après son premier ramadan, il ne l’a jamais revue de si près. Il l’a aperçue, une fois, alors que cet hivernage-là, leurs familles avaient choisi le même espace pour installer le campement. Il s’en souvient comme si c’était hier. Il a vu sa main. Sa main droite. Elle portait une calebasse. La calebasse était pleine de lait. Et le lait se déversait de temps à autre sur sa main. C’est quand elle posa la calebasse, qu’il a vu vraiment sa main. C’était fort. Indescriptible. Elle faisait remuer sa main pour faire tomber les gouttelettes de lait. A chaque goutte qui tombait, tombait avec elle une partie de Moctar. C’était la dernière fois. Cette main qui s’agitait, sous une tente en laine. Et, s’agitait, à quelques pas de là, le cœur de Moctar.
La nuit étale son voile sur le petit campement. Moctar est enfin absorbé par le sommeil. Son chameau, attaché sous un arbre, continue de ruminer les fruits de l’acacia géant de la journée précédente.
Le jour se lève. Moctar accomplit sa prière sous la tente. Et s’enturbanne de crainte d’être reconnu. Salma s’assied devant la tente et observe celle des parents d’Assia. Elle sirote calmement le thé que lui sert son mari de l’intérieur de la tente. Prend sa pipe qu’elle remplit du bon tabac saint-louisien que lui a apporté Moctar. Puis, elle tire une bouffée qu’elle rejette en volutes de fumée dans les airs. Elle revient à l’intérieur de la tente, fait signe à Moctar de s’approcher d’elle, à côté du rideau de tissu qui sert de pourtour à la tente. Elle l’installe en face d’une déchirure dans le rideau. De cette déchirure, on peut voir tout celui qui sort et rentre dans la famille d’Assia.

-Tu t’assieds, je retourne devant la tente, je te ferai signe au moment opportun.

Salma revient à sa position. Et observe. Puis, elle fait un signe en direction de Moctar. De la fente, Moctar contemple cette créature qui sort. Qui marche lentement. Innocente, portant, entre ses mains sa tablette. Il la voit de dos. Elle s’arrête en face de l’acacia. Adosse sa tablette sur le bas du tronc. Puis d’un récipient à sa droite, elle verse un peu d’eau dans sa main qu’elle disperse sur la face de la tablette. Toutes les écritures s’effacent. La face lavée de la tablette peut bien maintenant accueillir d’autres écritures, d’autres versets. Assia se lève. Ramène avec elle sa tablette. Toujours maintenue jalousement par ses deux mains contre sa poitrine, contre son cœur. Moctar, la contemple. Il la voit avancer. Elle avance jusqu’à l’épieu dressé devant la tente familiale. Sur lequel, elle adosse la tablette, en mettant la face lavée en direction du soleil levant pour l’assécher. Pour écrire plus tard d’autres écritures. D’autres leçons. Puis enfin, elle se lève. Scrute la tente des bergers. Son regard balaie tout le rideau. Et toutes les fentes qui s’y trouvent. Avant de pénétrer dans la tente de ses parents.

Moctar s’enturbanne. Ne laisse entrevoir aucune portion de son visage. Fait signe à son vieil ami de lui amener sa monture. Le chameau est là. Sous la tente ou presque. Mbareck tout en aidant son ami à s’installer sur la selle, murmure, s’essayant à pasticher un poète fameux :

Qui n’a pas vu sous l’acacia

Assia laver sa tablette

N’a jamais vu Assia.

Un sourire, et Moctar serre la main de son hôte. Il fait lever sa monture d’un mouvement de bâton. Un autre geste, et le chameau reprend le chemin du retour à grandes enjambées.

Abdelvetah Ould Mohamed

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Auteur Commentaire en débat
abdelvetah
Posté le: 26-12-2012 11:35  Mis à jour: 26-12-2012 11:35
Plume d'Argent
Inscrit le: 03-03-2012
De: Nouakchott
Contributions: 9
 Re: Sous l'acacia
Il faut voir dans les eaux, ou les sables, plutôt, de la fin du 19ème siècle...
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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