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Nouvelles confirmées : Léo "Huguette"
Publié par malhaire le 10-07-2015 08:42:11 ( 1198 lectures ) Articles du même auteur



"Les années qui ont suivi m’ont apportées beaucoup de joie. J’étais un père attentif et heureux. Chaque jour, j’apprenais de mes filles. Très souvent je leur préparais à manger ou leur donnais le bain. Je passais des soirées à leur raconter des histoires et très souvent toujours les mêmes. Le weekend nous nous promenions fréquemment en famille, dans la grande forêt de hêtres, juste derrière la maison. Nous contemplions les fleurs ou les animaux, ramassions les champignons et parfois, allions jouer dans la neige.
Occasionnellement nous faisions des gâteaux ou des confitures, ou quelques fois, de la peinture. Nous nous émerveillions de tout, et durant ce temps-là, peu à peu, je remaillais sans le prétendre quelques liens de ma propre enfance.
Au début, je crois que l’idée prégnante de ne rien reproduire de mon passé ou plutôt de mon enfance, me guidait déraisonnablement au détriment de toute spontanéité. Sans doute n’avais-je à l’esprit de n’être qu’un papa présent pour mes enfants, attentionné et irréprochable. Probablement aussi, avais-je mécaniquement enfilé ce costume de père qui au début me conduisait à faire les choses parce que je considérais simplement qu’il était bon et nécessaire de les accomplir. Lorsque j’ai su reconnaître avec certitude que rien de menaçant pour mes enfants ne croupissait au fond de moi, alors seulement, j’ai pu me laisser guider par de profonds affects.
Naturellement, par la suite, l’authenticité m’a peu à peu mené vers une plus grande sérénité et donc, vers un amour sans faille.
Le temps est alors passé très vite. Il en est souvent ainsi quand on est heureux.

Pour mes trente ans, j’ai repris mes études. Il s’agissait d’une formation de trois ans qui promettait à son issue, l’obtention d’un diplôme d’éducateur. Les semaines qui suivirent me ballotèrent entre mon travail à Vernon et l’Institut du Développement Social (I.D.S) de Canteleu, en Seine-Maritime. Mon emploi du temps surchargé s’articulait autour de mes filles encore en bas-âge, de mes nouvelles études, de mon travail, mais aussi, de périodes que j’accordais toujours, mais de moins en moins, à la caserne des pompiers de Lyons-la-Forêt.
Je remplissais ma vie de mille occupations, moi, qui finalement détestais le silence et craignais plus que tout le vide et le néant. Parfois, il m’arrivait de chercher à découvrir quelles pouvaient-être les failles, qu’espèrent incorrigiblement cacher, les gens qui continuellement s’agitent ou s’épuisent, et en définitive, ne prennent quasiment pas le temps de vivre vraiment ou de se retrouver eux-mêmes. N’étais-je pas à mon tour, par le biais de toute cette agitation en train de tenter de fuir ou d’endormir quelque chose de moi ?
Je m’étais souvent interrogé sur ma légitimité à suivre cette formation d’éducateur. N’étais-je pas au fond trop fragile ? A bien y regarder, mon enfance ressemblait beaucoup à celles de certains gamins dont je m’occupais. Cette formation que les différents intervenants annonçaient comme remuante allait-elle me bouleverser de fond en comble, ou peut-être même, me faire chavirer et perdre totalement pied ?
Je l’ignorais.
Je me souviens particulièrement d’une question que posa assez naïvement l’une de mes camarades à la psychologue qui intervenait ce jour-là à l’I.D.S.
— Madame, pensez-vous que l’on puisse devenir un bon éducateur, si l’on a soi-même beaucoup souffert ?
J’avais été comme soufflé par la question, qui brutalement, je trouvais, nous avait mis tous à nu. Je ne sus me concentrer sur l’intégralité de la réponse apportée par l’intervenante, mais je me souviens parfaitement en avoir saisi quelques mots.

— Je crois qu’il ne suffit pas d’avoir souffert pour pouvoir prendre soin de ceux qui souffrent ou ont souffert, mais possiblement qu’être quelque peu incomplet soi-même peut permettre à celui que vous aidez de s’emplir un peu plus. Parfois, cela peut être un sacré avantage de connaître foncièrement ce de quoi l’autre nous parle…
D’une certaine manière, ces quelques mots me guérirent.
Je pus ainsi continuer ma formation de manière plus paisible.

Puis, un dimanche printanier de l’année 2007 est arrivé. C’était un jour de repos, sans rien de particulier à faire. J’étais étendu sur le lit, en train de bouquiner quand soudain, le téléphone sonna.
Je décrochai.
— Bonjour, tu es bien Léo, articula une voix de femme.
— Oui, avais-je répondu très surpris, ne reconnaissant pas la voix.
— Voilà, je ne sais pas si tu vas te souvenir de moi, je suis Huguette, la fille du frère de ton grand-père Roger. Georges était mon père et Roger mon oncle, m’annonça-t-elle sur un ton mécanique.
Je me suis brutalement assis sur le canapé, et c’est alors que j’ai senti à la fois l’espace et le temps se soustraire à ma conscience. La fille du frère de mon grand-père, me répétais-je à voix basse… Je n’arrivais plus à retrouver la moindre parcelle de lucidité. Et puis je me suis souvenu de Georges et de la scierie à Melun. C’est là qu’il habitait avec sa femme.
— Euh… oui, je me souviens de votre père et j’en garde par ailleurs un souvenir très touchant, m’étais-je alors empressé de répondre.
Je me souvenais de Georges en effet, sur son lit à l’hôpital, quelques jours avant sa mort. Roger et Germaine m’y avait emmené alors que j’avais peut-être cinq ou six ans. Mon souvenir était précis. Le bonhomme n’avait pas voulu manger sa compote à l’abricot et me l’avait offerte.
Au fil de la discussion, je finis par réaliser que la fameuse Huguette qui ne cessait de parler n’était autre que la cousine de ma mère biologique.
— Si cela ne te dérange pas, peut-être pourrions-nous nous rencontrer me lança-t-elle. Je pense que nous avons plus d’un million de choses à nous raconter et tant de temps à rattraper…
A l’intérieur de moi, je savais n’avoir que du silence à partager. Et pour ce temps, soit disant à rattraper, comme pour mes lointains souvenirs, il y avait bien longtemps que je les avais laissés s’enfuir et que je n’en attendais plus rien.
Je compris alors que cet appel téléphonique, en apparence anodin, ne serait pour moi que le prélude de la lente résurgence de mes chemins sinueux, sur lesquels, j’avais jeté loin mon passé…

•••

Huguette et son mari Manuel, sont venus une première fois nous rendre visite à la maison. Elle était une femme corpulente mais coquette. Manuel était un homme de taille moyenne, visiblement usé par le métier de maçon qu’il avait exercé durement depuis son plus jeune âge. Ils sont arrivés les bras chargés de cadeaux pour tout le monde. Les filles, un peu timides, étaient ravies et bien évidemment, indifférentes aux supposées retrouvailles. La forte dame s’est alors comme effondrée dans mes bras, en larmes. Son émotion que je ne compris pas, avait bien malgré tout, failli me toucher un instant. Après plus de vingt-cinq années, elle retrouvait un petit cousin, dont elle connaissait la sombre histoire, certainement bien mieux que lui-même ne la savait.
— Comme tu as grandi, ne cessait-elle de répéter, en tentant de s’agripper à mes joues.
Elle n’avait pas tort, ce quart de siècle m’avait laissé le temps de pousser jusqu’à quasiment un mètre quatre-vingt-dix.
Toutefois, je campais sur mes gardes.
Pourquoi cette femme pleurait-elle à présent ? Cette vive émotion ne pouvait pas être induite que par la simple joie de me retrouver, sinon, pourquoi avait-elle attendue si longtemps pour entreprendre ses démarches et provoquer cette rencontre.
Pleurait-elle alors en repensant à ma petite enfance ou à ce que j’étais devenu ?
Ou bien, était-elle rongée par les remords et la culpabilité de n’avoir rien dit ou fait, lorsque je suppose, comme tant d’autres, elle avait deviné qu’un petit enfant de deux ans était livré à la folie et à la brutalité de sa propre mère ?
Je n’ai rien osé demander.
Nous nous sommes livrés à un véritable repas de famille, où en définitive, rien de sincère ne se dit jamais vraiment. Nous avons parlé de la région, du beau temps, de la maison et du jardin, du chien, des fleurs et des enfants. Huguette a évoqué ma jolie vie, malgré tout, ma douce et gentille femme, mon adorable petite famille, ma force et mon prétendu courage pour m’être relevé ainsi. Manuel parlait peu, mais souriait beaucoup. Sophie restait à la fois radieuse mais distante.
Nous n’avons pas parlé de ma mère, ni de mon plus jeune frère d’ailleurs, dont je ne connaissais que l’existence.
Ce n’est que deux mois plus tard, qu’Huguette et Manuel sont revenus pour un déjeuner dominical à la maison. Un barbecue. Alors seulement, et après quelques verres de vin, les langues se sont enfin doucement déliées.
— Je dois t’avouer Léo, qu’aujourd’hui encore, je suis très proche de ta mère. Nous nous fréquentons assez souvent. Je lui ai aussi dit que je te revoyais depuis quelques temps. Elle en meurt de chagrin. Elle voudrait te revoir.
Je crois qu’un mélange de colère et d’émotions a retenu toutes mes larmes.
— Après ce qu’elle m’a fait, elle n’a vraiment pas honte, avais-je alors répondu froidement. Je ne veux plus jamais avoir à faire à cette femme !
— Tu sais Léo, enchérit Huguette, je ne peux pas savoir qui détient la vérité, mais Marie m’a toujours jurée de ne jamais t’avoir fait le moindre mal. Elle me semble sincère, alors je suis perdue…
— Ah oui, avais-je répondu. Et les cicatrices de brûlures sur mes cuisses et mon crâne, je ne les ai pas inventées ! Les hématomes non plus ! Tous ces renseignements figurent encore sur mon carnet de santé. Je n’ai jamais pu le jeter. J’ai voulu le garder pour être sûr de ne rien oublier. Et puis, il m’arrive encore de faire des cauchemars. Bien sûr, je ne me souviens pas des visages, mais les scènes de violences que je ressasse encore parfois sont intactes. J’ai subi des choses tellement abominables ou inimaginables que je ne les ai jamais révélées à qui que ce soit, pas même à ma propre femme. Je ne veux faire souffrir personne…
— Je suis désolée. Je ne sais pas quoi te dire Léo, me répondit Huguette qui à présent pleurait. Marie m’a toujours dit qu’elle t’avait abandonné pour te protéger de son compagnon qui vous brutalisait…Elle était désespérée je crois.
A mon tour, mes yeux s’emplir d’eau, mais, sans doute grâce à une prétendue force qui parfois semble me caractériser, aucune larme ne s’est écoulée à ce moment précis.
Huguette venait pourtant de faire vaciller mes ultimes certitudes.
Mille fois j’avais rejoué les différentes scènes de violence dans ma tête, et pourtant, je ne me souvenais d’aucun visage.
Et si ma mère ne m’avait jamais maltraité ?
C’était impossible. Ma tante Bleuette, depuis tout ce temps m’aurait dit la vérité. Elle n’aurait pu laisser planer cet horrible doute. Et ma mère adoptive, Hélène, durant toute mon enfance n’avait cessé de répéter ; « Mais quelle mère peut bien faire cela à son enfant ?! ».
Au fond, qu’en savait-elle vraiment ? N’avait-elle fait que supposer ?
Puis il y a ce souvenir, presque précis, mais toujours sans visage. Je me souviens hurler sous la douche. L’eau est brûlante. Quelqu’un m’y repousse incessamment. Je crois voir de longs cheveux bruns. Je hurle de douleur. Je n’ai peut-être que deux ans et je ne peux pas me défendre. Je suis presque sûr qu’il s’agissait d’une femme…
Et si ma mémoire avait déraillé pour je ne sais quelle raison ?
Et si mon subconscient avait voulu me protéger ou alors me jouer un tour ?

— Que devient-elle, avais-je alors demandé pour rebondir et relancer la discussion ?
— Marie est à la retraite aujourd’hui. Elle était gardienne d’immeuble. Elle vit à présent dans un petit appartement à Paris, avec son compagnon, me répondit Huguette visiblement très affectée.
— Ha, c’est bien… avais-je alors soupiré, tentant d’étouffer mes rancœurs…Tu sais Huguette, lorsque j’avais deux ans ou peut-être bientôt trois, je crois me souvenir qu’il y avait un autre bébé, un petit garçon... Vit-il toujours avec ma mère ? Après tout, lui, n’est pas responsable de cette histoire sordide, m’étais-je alors risqué avec un petit sourire nacré d’espoir ?
Huguette saisit alors nerveusement son paquet de mouchoirs en papier et le froissa juste avant de boire machinalement une gorgée de café à peine chaud.
— Tu parles de Lionel, ton demi-frère. Marie l’a mis au monde l’année qui a suivi ta naissance. Le père de Lionel était celui qui t’a fait tant de mal… Huguette laissa échapper un profond sanglot. La pauvre femme était totalement éprouvée. Elle continua. Je suis tellement désolée Léo… Ton petit frère n’a pas survécu à cette horrible tragédie. Il s’est… il s’est suicidé, l’année de ses quinze ans…
Un coup de masse sur la tête ne m’aurait pas fait plus mal.
J’ai subitement baissé mon regard et serré fort mon mazagran de café entre mes mains et ne pus ajouter un seul mot.
Les yeux rougis, je fis semblant de prendre un air dégagé, une gorgée de café, presque indifférent.
Heureusement, soudainement, un peu comme par magie, Fanny et Lola sont arrivées, réjouies et parées de leurs nouveaux déguisements de princesses ou de fées.
Pressentant peut-être les remous qui s’agitaient au fond de moi, mes deux petites fées se sont alors jetées sur moi pour me voler quelques baisers. Elles étaient magnifiques et joviales. C’était pour ainsi dire une très belle journée de printemps.
Alors je pris mes deux filles sur mes genoux, un peu comme un rempart. Je leur ai souri avec des larmes plein les yeux et j’ai reproposé à mes convives un morceau de gâteau…

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Auteur Commentaire en débat
malhaire
Posté le: 12-07-2015 23:28  Mis à jour: 12-07-2015 23:28
Plume d'Or
Inscrit le: 20-05-2012
De:
Contributions: 345
 Re: Léo "Huguette"
Merci beaucoup. A bientôt.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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