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Nouvelles confirmées : Rorschach psychédélique
Publié par Donaldo75 le 24-10-2015 15:27:22 ( 1002 lectures ) Articles du même auteur



Rorschach psychédélique


Nick projeta l’encre noire sur la feuille de papier immaculée. Le test de Rorschach demandait plus de rigueur scientifique mais il s’en foutait comme de son premier pétard jamaïcain. Tout ce qu’il voulait, c’était un trip dantesque, un mélange de psychédélisme, de psychanalyse et de rock psycho. Il avait même réussi à convaincre son pote Danny de l’assister. Mieux encore, il avait invité la reine du bal, la capitaine des majorettes, la belle et lisse Jenny sous le prétexte d’une séance inoubliable avec le rebelle du lycée. Fin du fin, il avait concocté des boissons lysergiques dignes des meilleurs alchimistes. Résultat des courses : les trois adolescents côtoyaient désormais la stratosphère de leurs cerveaux embrumés.

Nick laissa sécher la feuille de papier. Il en profita pour initialiser la session et impressionner ses ouailles. Autant Danny le suiveur était un garçon parfaitement acquis à sa cause, le lycéen lambda en manque de reconnaissance, prêt à la première connerie pour exister, autant Jenny le canon n’allait pas avaler ses boniments sans objecter.
— Le principe du Rorschach est simple : évaluer qui vous êtes à travers une lecture interprétative d’un simple motif, celui dessiné par la projection de quelques gouttes d’encre sur un support physique, dit le docteur Nick, le maître de cérémonie.
— Ce n’est pas aussi simple que ça, répliqua Jenny, fidèle à son rôle de jolie chieuse.
— Je sais, Jenny. Oublie les conventions, la théorie et Wikipédia ! J’ai adapté ce test. Il est désormais psychédélique. C’est d’ailleurs la raison des cocktails présents sur la table et de la musique tournant sur mon lecteur MP3.
— Je me disais bien, commença Jenny. Ta mixture avait un drôle de gout. Qu’as-tu mis dedans ?
— C’est un secret Jenny. Considère-la comme un accélérateur de conscience, à l’instar du LSD utilisé par Aldous Huxley dans « les portes de la perception ».
— On n’aurait pu se fumer quelques pipes à eau, fit remarquer Danny, voulant montrer ainsi son côté affranchi aux yeux de la beauté de service.
— Certes, Danny, mais mon nectar est conçu spécialement pour cette session, répondit Nick. D’ailleurs, je pense qu’il est temps de s’en verser une bonne rasade avant de démarrer la première interprétation.

Nick servit un grand verre de liquide bleu-vert à chacun. Déjà bien entamé, Danny l’avala d’un trait tandis que Jenny, plus gourmet que gourmande, le dégusta par petites gorgées.
— Nous allons commencer par Danny, déclara Nick. Que vois-tu dans ce Rorschach ?
Danny plissa les yeux, cherchant à distinguer la moindre molécule de papier.
— Tu es concentré, dis donc Danny. On dirait quand tu essaies de me copier dessus en cours de sciences, ironisa Jenny.
— C’est ma première fois, Jenny. Je fais de mon mieux.
— Décontracte-toi, Danny, conseilla Nick. Le test ne sert pas à mesurer tes connaissances ou ton intelligence. Vas-y à l’intuition !
Sur ces mots, Nick versa une nouvelle tournée de nectar lysergique à ses deux patients. Danny goba le contenu de son verre cul-sec. Jenny lécha le bord de sa coupe, lentement, suavement. « Elle est gravement attaquée du bulbe, la poupée des stades ! » se dit Nick en riant intérieurement.

Danny reprit son observation du Rorschach. Il souffla un bon coup, signe indubitable de sa bonne volonté, puis se lança dans l’interprétation.
— Je vois un gros avec de longs cheveux bouclés, du genre hippie californien. Il me regarde avec des yeux ronds, énormes, pleins de questions.
— Qui c’est ce gars ? Dis-nous en plus, insista Nick.
— C’est moi. Un gras du bide largué par la société, ses copains, le lycée, la famille.
— Mais tu n’es pas si gros, dit Jenny. Juste un peu enrobé. Les filles aiment bien les gars dans ton genre, ça les rassure.
— Tu es gentille, Jenny. Je grossis de jour en jour. Je le sais. Je m’enfile des barres de chocolat, des bonbons, des sodas, un tas de saloperies bourrées de sucres et de matières grasses.

Nick sentit le bon coup venir. Comme tous les frustrés de son espèce, Danny avait besoin du regard d’une Jenny pour flatter son ego, transformer ses complexes en complaisance envers sa propre médiocrité.
— Jenny a raison, Danny. Les gars musclés, au ventre plat, c’est bien dans les magazines de mode mais les filles attendent plus qu’une gravure de mode, qu’un mannequin de papier glacé. Tes poignées d’amour, ta bedaine naissante, ton teint de motte de beurre te rendent vraiment humain.
— Tu sortirais avec un bedonnant de mon acabit, Jenny ?
— Ma grand-mère me dit toujours : « On ne sait jamais de quoi demain sera fait. »
— C’est donc non ?
— Tu n’écoutes pas, Danny.
— Tu sortirais avec un gros sac comme moi, Jenny ? C’est ça la question ! Je te demande si tu t’afficherais avec moi, devant tes copines majorettes, les play-boys de l’équipe de football, de huit heures du matin à six heures du soir, en cours et à la cantine.
— En théorie, oui.
— Revenons au Rorschach, proposa Nick.
— Je vois un grassouillet amoureux d’une princesse blonde, continua Danny. Il n’ose pas lui avouer ses sentiments parce qu’il se trouve trop vilain, insignifiant, sans saveur. Elle ne le remarque jamais. Au mieux, c’est un crapaud perdu sur le bord de la route, espérant qu’elle l’écrase avec son carrosse.

Jenny regarda fixement Danny. L’ambiance commença à se charger d’électrons, entre orage magnétique et tempête tropicale. Nick s’attendit au pire. Soudain, Jenny éclata de rire.
— Mon pauvre Danny, tu en pinces pour moi, c’est ça ?
— Je ne savais pas comment te le dire.
— Comme c’est mignon. Si je n’étais pas moi, je te prendrais dans mes bras et te cajolerais tel mon doudou favori.
— Tu as encore des doudous ?
— C’est une image, Danny, expliqua Nick.
— Enlace-moi ! Fais-moi rêver, Jenny, demanda Danny.
— Même pas en rêve mon gros !

Nick sentit la descente d’acide, le moment tant redouté par les adeptes des paradis artificiels. En déchirant ainsi le sentimentalisme de Danny, la reine du lycée risquait de décliner le Rorschach en mode cauchemar. Il fallait donc réagir. Vite et bien.
— Ton temps est écoulé, Danny. Au tour de Jenny.
— Je n’ai plus envie de jouer maintenant, bouda Danny.
— Ne fais pas ton crapaud mort d’amour, ironisa Jenny. Je n’allais pas te mentir, te déclarer une supposée flamme pour un gras du bide comme toi.
— Et si je me mettais au régime ? Je le sais, j’ai pris du poids, je rentre dans mes fringues au chausse-pied, je pète les boutons de mes chemises dès que je décontracte mes boyaux.
— On peut oublier ta balance cinq minutes ? Je te rappelle que ce n’est pas l’objet du test, objecta Nick.
— Vous vous en foutez de prendre du poids ? Pas moi. C’est même devenu une obsession ces derniers temps, avoua Danny.
— Des gros, il y en a toujours eu, philosopha Jenny. Tu n’es pas le premier. Je soupçonne d’ailleurs ton ancêtre de venir d’une longue lignée de brontosaures.

Sur ces gentillesses, la chef des majorettes rigola de nouveau, sans masquer son mépris pour son amoureux transi. L’acide commençait réellement à lui monter à la tête, décuplant son euphorie et sa cruauté. Nick sacrifia l’ego de Danny pour l’expérience scientifique appelée Jenny la shootée.
— Nous t’écoutons, Jenny. Que vois-tu dans le Rorschach ?
— Une grosse tache !

Danny se mit à rire à son tour. La réponse de Jenny désarçonna un instant Nick.
— Peux-tu préciser ?
— Je suis une grosse tache, Nick. Ce crétin de Danny me prend pour Barbie ou n’importe quelle princesse à la noix. Tu m’invites chez toi pour m’ajouter à ta longue liste de dévergondées. Je viens parce que j’en pince pour toi, pour tes airs de rebelle des beaux quartiers, pour ta légende de croqueuse de gourdes, pour le plaisir de te mettre un râteau et de pouvoir m’en vanter devant tout le lycée.
— En quoi cela fait-il de toi une grosse tache, Jenny ?
— Je suis comme ce Rorschach : un artifice, un simulacre destiné à provoquer des réactions sur les patients. J’excite des batraciens comme Danny, au point de les voir chaque matin polluer mon air par leurs phrases elliptiques, leur humour à deux balles et leurs rires abrutis. J’énerve les équivalents féminins de Danny, les cagettes au physique ingrat, les obsédées de la balance et du coton tige. Je provoque la drague ringarde des Casanova locaux, des complexés déguisés en dandys, des mecs de ton genre, Nick.
— Tu as le beau rôle, remarqua Danny.
— Je remplis une fonction dans le monde lycéen. Dans dix ans, au bal des anciens, on se rappellera de Jenny la majorette, l’évaporée aux grands yeux bleus et aux longs cheveux dorés.
— Cela te rend malheureuse, dit Nick.
— Non, pas du tout. Je suis ce que vous voyez si tel est votre bon plaisir. En fait, je vous emmerde tous, du crétin enamouré au prétentieux révolté. C’est pour ça que je vois une grosse tache dans ce Rorschach. La réalité nue. Vous êtes cons, je suis conne, nous jouons un pauvre rôle dans une misérable pièce de théâtre écrite il y a longtemps par un barbu alcoolique le cul sur son nuage.

Nick reçut la diatribe en pleine face. Il ne s’attendait pas à une telle répartie de la part de Jenny, une beauté inoffensive, à la langue bien pendue pour tailler des costards aux ballots de service ou aux vilaines de sa classe mais pas pour éclater en plein vol une séance de Rorschach.
— Et toi Nick, que vois-tu ?
Danny avait posé la question sans penser à mal, juste pour suivre la procédure scientifique de ce test. Jenny sourit, apaisant ainsi l’atmosphère devenue orageuse. Nick servit une nouvelle tournée de cocktail lysergique.
— Je vois une fleur sombre, aux pétales dispersés dans toutes les dimensions de l’espace physique. Elle grandit pendant dix mois jusqu’à atteindre une taille critique, au début de l’été, et de mourir dans une explosion feutrée, donnant naissance à une autre version d’elle-même à l’automne suivant.
— Une telle poésie ne m’étonne pas de ta part, ironisa Jenny. Tu joues un rôle ou quoi ? Je croyais qu’on se disait tout lors de cette séance. On devait rester authentique.
— Je suis sincère, Jenny.
— Mon cul, Nick. Tu es en bois. Ton Rorschach aussi. C’est du vent tout ça, un truc pour te faire mousser, épater ton pote le crapaud et me mettre dans ton lit. Tes boissons à l’acide, ta musique de chevelu, ton cérémonial de pacotille te servent de décor pour ton mauvais spectacle.
— J’espère que Jenny se trompe, dit Danny. Je crois en toi, Nick. J’ai accepté de me prêter au jeu parce que j’ai confiance en toi.
— Tu peux, Danny. La fleur sombre m’apparait clairement dans ce Rorschach. Elle est complexe et polymorphe. Je ne sais pas à quoi elle correspond dans ma propre existence. Elle est là. C’est tout.

Danny allait dire quelque chose quand il tomba d’un coup sur le sol. Jenny venait de lui fracasser le crâne d’un coup de carafe. Nick se sentit soudain mal. « J’ai forcé sur la dose d’acide ! » se dit-il avant d’encaisser à son tour un revers de Jenny, avec le club de golf paternel, un souvenir de vacances accroché à son mur. La moquette se rapprocha dangereusement de son nez, dans un atterrissage de fortune. Il eut à peine le temps d’entendre les derniers mots de Jenny la golfeuse. « Salut les perdants, je vous laisse à vos petits dessins, bande de taches ! » sonna comme une épitaphe dans les vapeurs ensanglantées de ses derniers instants.

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Auteur Commentaire en débat
Nijinski
Posté le: 25-10-2015 21:33  Mis à jour: 25-10-2015 21:33
Débutant
Inscrit le: 25-10-2015
De:
Contributions: 5
 Re: Rorschach psychédélique
C'est dingue mais... je m'attendais pas à ça. Le premier paragraphe est très... je sais pas, adolescent en prépa littéraire, "trip dantesque", j'avais vraiment l'impression d'entendre un khâgneux qui divaguait en mode beat generation. Enfin, je dis ça comme un compliment. Et puis après j'ai été plus déstabilisé avec la pseudo déclaration du typé rondouillard qui s'éprend de la majorette populaire, je trouvais ça tout de suite beaucoup plus classique même si le ton était assez satirique.
Cependant, peu à peu, l'ironie se transforme et je me suis trouvé un peu oppressé par l'atmosphère, on sent le malaise qui se dégage, chaque personnage est très inconfortable dans sa position et j'ai trouvé que tu retranscrivais très bien ça en peu de dialogue.
Après le petit défaut c'est que tu brises le quatrième mur un peu trop facilement avec ce "Vous êtes cons, je suis conne, nous jouons un pauvre rôle dans une misérable pièce de théâtre écrite il y a longtemps par un barbu alcoolique le cul sur son nuage.". Peut-être que ce n'était pas nécessaire de le faire aussi brusquement parce que même sans cette phrase on devine ce que tu dessines.

Après sur la conclusion, je pense personnellement qu'il est en plein trip, mais j'avoue que l'idée qu'elle les ai vraiment tué à quelque chose de très... bien. Pas moralement bien, mais dans le cynisme et le terme "vapeurs ensanglantés" renvoyait à la fois à leur mort mais aussi à la drogue et j'ai trouvé ça très bien trouvé.

Enfin bref, j'ai été très agréablement surpris tout au long de ma lecture !
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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