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Re: Le Défi du Samedi.
Plume d'Or
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@Couscous.
Comme toujours tu es un trésor de lecteur. Gentille comme tout. Merci. Je t'adore.
Et comme toujours tu vas faire encore plus fort.
Bises.

Posté le : 28/02/2015 16:29
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Le Défi du Samedi.
Plume d'Or
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Bonjour à tous. Voici le défi que je vous ai réservé.

"Que se passerait-il si nos idées prenaient subitement forme, et devenues libres, se retournaient contre nous?"

J'ai écrit un texte que je vous propose pour vous donner une idée. Brrrrr!! Quelle horreur!!!

L'Ennemi de Valdo Mercier
.

« C'est pour bientôt.
- Quand ?
- Bientôt.
- Tous sont d'accord ?
- Tous.
- Alors, à bas l'oppresseur !
- Vive la liberté !
- Il nous a assez torturés.
- Nous vendre et nous acheter ; nous prêter et nous rendre ; nous échanger comme une vulgaire marchandise.
- Nous garder en cellule, sans bouger, nous mépriser, nous museler, nous réprimer…
- Ne nous nourrir que de produits chimiques mal digérés…
- Nous…
- Chut ! Silence ! Ne nous faisons pas remarquer.
- Il va certainement chez le Dr Zorloff.
- Certainement.
- Notre revanche sera terrible.
- Terrible ! »

Le docteur Vadim Zorloff était un homme âgé, mais on ne pouvait pas dire qu'il fût un vieillard. Les années avaient stratifié en lui une sagesse dont les couches en s'entassant, avaient renforcé sa charpente et consolidé son port de tête. Son intelligence se réfléchissait dans toute sa personne, et, en résonance avec l'amplitude de sa sagesse, l'éclairait d'une lueur qui lui transformait le visage. Une ombre, ici, diminuait l'empâtement du nez ; un jour, là, augmentait la grandeur des yeux ; un nuage sur le front effaçait quelques rides ; un reflet sur la lèvre raffermissait la bouche. Touche par touche, ton par ton, photon par photon, cette réverbération retouchait le vieux portrait du docteur.
« Que se passe-t-il, Valdo ? demanda-t-il, en voyant entrer dans son bureau, Valdo Mercier le directeur de la prison de Malville.
Notre revanche sera terrible !
« Eh bien, reprit le Dr Zorloff, que se passe-t-il ?
- C'est ma migraine, docteur.
- Avez-vous pris les cachets que je vous ai prescrits ?
- Oui. Ça ne me fait aucun effet. »
Le Dr Zorloff observa un instant son visiteur. On eût dit, à voir ses pupilles dilatées, qu'il était revenu de l'enfer. Il semblait avoir subi une poussée de croissance anormale qui lui avait fait apparaître beaucoup de cheveux, de front, de nez et de dents. Il présentait subitement, un aspect excessif et une âme déchirée. Sa large poitrine se soulevait de façon saccadée, ses narines frissonnaient et ses yeux étaient farouches et effrayés. Une telle animation ne pouvait s'expliquer par une simple migraine. Zorloff murmura enfin :
« Doublez la dose.
- Je vous dis que ces maudits cachets ne font rien que me ronger l'estomac ! Et puis…
- Et puis quoi ?… »
Notre revanche sera terrible !
« Comment ? fit Valdo.
- Vous avez dit : et puis…. Alors je vous dis : et puis quoi ? »
Le redoutable geôlier semblait avoir perdu le fil de la conversation. Il parut se concentrer sur ces derniers mots comme sur une énigme profonde. Finalement, avec hésitation, il continua, suivant, dans son esprit, d'autres pensées.
« Docteur, je sens… ou plutôt, je me sens… je me sens observé…
- Évidemment que vous vous sentez observé, vous êtes entouré de prisonniers qui vous détestent !…
- Non ! Non, Docteur. Les mauvaises têtes n'ont rien à voir avec celle-là ! reprit Valdo Mercier, en se frappant le front. C'est dans cette tête-là que ça se passe ! Là-dedans que ça m'observe ! C'est dans ma tête que l'ennemi se cache ! Dans ma tête, vous m'entendez !? C'est comme qui dirait, de l'intérieur, qu'il m'envahit ! D'ailleurs, je l'entends…
- Moi aussi, je l'entends ! Ce sont tous vos prisonniers qui crient dans leurs cellules …
- Je vous dis que ces animaux n'ont rien à voir avec cet ennemi invisible ! Les taulards, c'est mon métier ! Ils ne me font pas peur ! C'est moi qui leur fous la trouille. Les autres, les revanchards, les fantômes, les lâches qui ne me lâchent pas, c'est ceux-là que j'entends…
- Ah ! Et qu'entendez-vous ?
- Des voix ! L'ennemi est nombreux… Il menace ! Il complote ! Il s'organise ! Il se prépare ! »
A bas l'oppresseur !
Le vieux médecin regarda Valdo dans les yeux afin d'y lire un symptôme. Il n'y vit que du feu.
« C'est votre migraine qui vous déprime, fit-il.
- Non.
- Si ce n'est pas la migraine, que pensez-vous que ça soit ? »
Bientôt. Bientôt. Bientôt. Bientôt…
« Eh bien ? Je vous parle ! Que pense-vous que ça soit ? »
Valdo se taisait toujours. Le docteur se demanda si l'étrange affliction du directeur de la prison n'était pas liée au remords. Mais, cet homme était-il seulement capable d'éprouver un tel sentiment ? Cela n'eût pourtant pas été surprenant. Les criminels finissaient parfois par entendre la voix de la conscience. Pourquoi pas Valdo ? Bah ! Impossible ! Le Dr Zorloff se dit qu'il devait lui-même perdre la raison. S'il n'y faisait pas attention, dans un instant il allait, lui aussi, entendre des voix ! Il eut un geste brusque, comme pour éliminer les possibilités improbables qui roulaient dans son esprit.
« Valdo, écoutez-moi. Je vais vous parler franchement. En tant qu'homme, je n'ai pas beaucoup de sympathie pour vous. Vous êtes une brute. Vous abusez de votre autorité. Vous torturez les prisonniers sans raison. Je ne sais pas qui vous protège et fait disparaître mes rapports médicaux, mais je le saurai, et un jour…. Bon. En tout cas, je n'ai pas peur de vous ! Je vous déteste et ma foi, votre mort serait un bienfait pour tout le monde. Seulement, voilà, je suis aussi médecin. Et en tant que médecin, je dois vous aider. Mais si vous ne pouvez pas m'expliquer votre problème, je n'insiste pas. »
Le Dr Zorloff se leva.
« Où allez-vous ? cria Valdo. »
Le docteur ne répondit pas. Il se dirigea vers la pharmacie, installée contre un mur du bureau. Il en ouvrit un des battants vitrés et s'empara sur une étagère en verre d'un tube de comprimés.
« Tenez, dit-il à son directeur. Ces cachets sont plus fort que ceux que vous utilisez. Prenez-en deux toutes les quatre heures. Cela devrait calmer votre céphalée. Quand vous irez mieux nous reparlerons de l'autre problème, à moins qu'il ne disparaisse entretemps.
- Merci. Je voulais vous dire que…»
Revanche ! A bas l'oppresseur !
- Quoi ?…
- Non. Rien, docteur. Merci. Bonsoir. »
Valdo Mercier, le maître de la prison de Malville, sortit du cabinet du docteur Zorloff d'un pas lourd. Cet homme qui, encore récemment, aurait pu, d'une seule contraction de ses muscles abdominaux, voltiger dans les airs, se traînait maintenant avec difficulté. Au passage, son ombre titanesque recouvrait comme un nuage pestilentiel, les lueurs tamisées des lanternes grillagées fixées aux murs du couloir. La tête lui pesait. Il éprouvait des élancements qui, à chaque coup, le faisait vaciller. Les tiraillements de son cerveau étaient devenus si forts qu'il les ressentait comme les coups d'une aiguille qui creusaient la matière. Les constrictions au niveau des os temporaux, lui provoquaient une douleur d'une violence inouïe.
Valdo se demandait ce qui lui arrivait. Lui, qui avait maté tant de révoltes acharnées, se trouvait soudain, l'otage d'un ennemi qu'il ne pouvait combattre. La brusque maladie qui l'accablait, en plus de la souffrance qu'elle lui infligeait, le répugnait par la faiblesse dans laquelle elle le plongeait. Il avait toujours haï la faiblesse humaine. Il avait toujours dédaigné l'amitié, la pitié et le pardon. On disait qu'il n'avait pas de conscience. On disait vrai ! On disait aussi que c'était une brute, un psychopathe, un monstre laissé en liberté entre les murs de cette prison, et autorisé à donner libre cours à ses instincts insanes. On disait vrai ! Et le jour où il avait songé à changer, à se transformer, il avait immédiatement supprimé ces idées. Quel besoin avait-il de se métamorphoser ou de se déguiser ? On l'avait choisi pour sa force peu commune et sa laideur, non pas pour encourager des idées roses. On l'avait nommé directeur de cet établissement, enfermé dans cette cage comme un hideux reptile entouré d'une nourriture vivante pour qu'il la consommât quand l'envie lui en prendrait. Il n'avait rien à se reprocher. Il était là pour ça. Il était payé pour ça. Qui était fautif ? Lui ? Une demi-bête à demi-pensante ? Ou la société qui pensait à tout et pour tous ? … Une douleur atroce lui traversa le front d'une tempe à l'autre. Il dut s'arrêter un instant. Il ouvrit d'une main tremblante le tube de comprimés et en croqua quelques-uns sans compter. L'horrible goût lui fit du bien. Il reprit sa marche…

« Tout le monde est prêt !
- Alors ça y est ?
- Oui.
- Qui donnera le signal ?
- Quand il priera Dieu, nous attaquerons.
- Où est-il ?
- Il s'est allongé sur son lit.
- Alors, ce signal ?
- T'excites pas. Tiens-toi prêt. Il ne va pas tarder.
- Je suis prêt ! Ça fait longtemps que je suis prêt. Les autre le sont-ils ?
- Puisque j'te dis !
- Bon. Bon.
- Chut ! Tais-toi ! T'entends pas ?
- Quoi ?
- Il a crié !
- Il a crié ?
- Bein, t'es sourd ?
- J'ai pas fait attention. Ah ! Si ! J'entends ! Il crie fort, le cochon !
- Le signal ne va pas tarder !
- Il crie vachement maintenant !
- Ça n'est que le commencement.
- La revanche sera terrible !
- Ça y est ! Le signal ! C'est le signal !… »

Valdo était allongé dans l'obscurité. Il ne pouvait supporter cette saleté de lumière ! Sur son lit, il se tenait la tête à deux mains.
« Seigneur Dieu ! Je souffre trop ! Je vous en prie, Seigneur ! Tuez-moi ! Oui, tuez-moi ! Faites cesser ce martyr ! »
Après que les élancements eurent atteint un niveau d'acuité insupportable au niveau des tempes, ils avaient été suivis par des coups furieux en plusieurs régions du crâne. Valdo avait finalement avalé tous les comprimés que lui avait donnés le Dr Zorloff sans obtenir une seule minute de soulagement. Il n'avait pas la force de se lever du lit pour aller lui téléphoner. Les coups devinrent subitement si violents que ses doigts qui serraient sa tête meurtrie, sentirent le mouvement des os qui tremblaient sous la brutalité des chocs. Il ne pouvait plus s'agir d'une migraine mais d'une attaque pure et simple. Une attaque mystérieuse. Une armée invisible et puissante, soulevée quelque part dans son cerveau, venait le frapper. Ah ! Un coup fut si terrible, qu'une longue protubérance osseuse menaça de trouer l'épiderme. Il l'aplatit d'un coup de poing qu'il avait lancé contre la douleur atroce qui lui était causée.
Valdo sentit un fluide chaud courir le long de ses joues. Dans un réflexe, il enfouit son visage dans ses mains. Le débordement filtrait entre ses doigts. Malgré sa douleur, il fit un bond. Il tourna l'interrupteur et courut sur sa droite, jusqu'au miroir du petit buffet. Quand il se regarda dans la glace, son visage était ensanglanté. Son front avait craqué. De longues fissures se dessinaient, partant du crâne. Les bords de ces crevasses, à chaque coup de marteau qu'il recevait dans la tête, s'écartaient, laissant couler un filet de sang. Ses os luttaient pour ne pas rompre complètement sous la pression de cette lave organique qui voulait s'échapper. Ses jambes l'abandonnèrent. Il s'écroula sur le sol en poussant un cri inhumain.
La vengeance sera terrible ! La vengeance sera terrible !
Les lèvres de Valdo, incapables de formuler un son, mimaient une prière.
« Seigneur ! Pitié ! Quelle mort avez-vous choisie pour moi ? »
Une rafale de coups d'une intensité accrue fit sauter un morceau d'os sur son front, comme le ciseau d'un sculpteur, fait éclater la pierre. Valdo sursauta. Dans un dernier effort il voulut téléphoner à l'infirmerie. Il allongea le bras. L'appareil était trop loin. Durant cette tentative inutile, une brèche s'était formée sur chaque tempe. Le sang y coulait à profusion, entraînant en son flot des éléments blanchâtres qui durcissaient au contact de l'atmosphère.
Vive la liberté ! Vive la liberté ! Vive la liberté !
Les coups maintenant redoublaient. Pas un endroit n'était épargné. Les brèches se faisaient plus nombreuses. Valdo expirait. Sa tête était fêlée. Sa chute avait accéléré le processus de destruction qui l'avait frappé.
Revanche ! Revanche ! Revanche !

********************

Le dernier cri de Valdo fut entendu par le Dr Zorloff. Il se précipita immédiatement vers l'appartement du directeur. La porte était ouverte. Le spectacle était si effrayant que le docteur dut se tenir au chambranle.
Valdo Mercier gisait sur le sol. Sa tête avait éclaté. Sur son corps parmi des milliers de petits os, les fragments de son cerveau s'agitaient de tous côtés. Ils couraient dans toutes les directions, et le frappaient de leur matière blanche, laissant derrière eux, une traînée de lettres sanglantes.
Dr Zorloff murmura :
« Pauvre Valdo ! Voilà donc l'ennemi intérieur qui le terrorisait : ses idées se sont enfin révoltées ! »
Revanche ! Revanche ! Revanche !


FIN

Posté le : 28/02/2015 02:11
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Re: Un événement historique à éviter
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@ Arielle,
Oui. Je comprends ta reaction. Pourtant, il me semble que tu as très bien compris l'histoire. L'obsession d'un homme pour recommancer sa vie. (Ah! Si je pouvais aussi revivre ma vie!)
J'ai surtout travaillé l'ambiance. Il se peut que le fond soit un peu trop dense.

L'important c'est, je l'espère, que tu aies pasé un bon moment.
Merci de m'avoir lu.

Posté le : 25/02/2015 18:11
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Re: Un événement historique à éviter
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@Couscous,
Merci Couscous, tu fais toujours très fort. Ce coup-ci, comme les autres tu réussiras. Je t'aimerai toujours de deux façons : ton talent et ta générosité. Et ton gout : j'adore le couscous. (MDR mais c'est vrai : je l'aime.)
Bises.

Posté le : 22/02/2015 16:53
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Re: Un événement historique à éviter
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@Istenozot,
merci pour ton commentaire- dont je ne me lasse jamais' J'ai appris l'espagnol à l'école. J'ai choisi le nom "Ademas" pour demeurer dans le ton avec le titre : "Plus!". Ensuite le prénom m'est venu :Ademar qui semble être avec _ Ademas- une repetition de sons, c'est à dire, encore une fois : "PLUS!
Merci d'avoir touché au Coeur des travaux dans l'ombre des auteurs.
Bises. Moi aussi.

Posté le : 22/02/2015 16:46
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Re: Un événement historique à éviter
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Voici l'histoire d'un homme qui voulait PLUS ! de la vie. Ainsi, il voulut revenir en arrière pour la revivre, différemment. Voici donc ma contribution au d♠fi de notre cher Istenozot.





Plus !



Ainsi ! J’ai résolu de tout révéler…
Étant de santé fragile, le temps me fait défaut. Et ce jour passant va de nouveau tenter de s’emparer de mes dernières forces. Dès lors, je n’ai qu’un but : me hâter de dévoiler les faits, actes et conséquences, et toutes les circonstances qui m’ont conduit à découvrir un mystère tel qu’en en relatant les détails, je crains d’avance de le voir s’enliser dans les sables mouvants de l’incrédulité humaine. Mais pardon ! Quel droit aurais-je d’accuser le douteur de douter quand pour ma part, l’instinct, ni la raison, ne sut me faire accepter la vérité avant de recevoir la lettre… Un document y était joint me fournissant certaines informations, preuves irréfutables d’une réalité si bouleversante qu’elle ne cesse de me hanter depuis. Mais, faire débuter mon récit par « la lettre » serait commencer par la fin, ou plutôt – ce qui serait pire !- par le début car dans cette histoire ces deux extrémités se confondent trop bien !...Je me contenterai donc de commencer par le commencement…

Il n’y a pas longtemps encore, après avoir pris ma retraite, je me souviens que je m’ennuyais. Étant vieux célibataire, mes jours libérés de la routine de mon travail, devenaient si longs qu’ils se prolongeaient dans la nuit sans que je ne pusse trouver pour me tirer de la monotonie de ma solitude, d’autre occupation que celle d’aller me mettre au lit pour « compter des moutons »…
Il existe dans le treizième arrondissement, un bar, à l’angle d’une petite rue s’échappant dans un vieux quartier de Paris. Par une après-midi déjà brûlante de juin, je me promenais dans ce coin dont le calme ne faisait guère détonner celui dans lequel se déroulait mon existence paisible. Poussé par je ne sais quelle tentation nouvelle, moi qui ne fréquentais que très rarement les lieux publics, je n’eus aucune hésitation à pénétrer dans ce café après l’avoir remarqué sur mon chemin.
L’établissement était minuscule. Le comptoir en occupait la partie droite, et quatre tables suffisaient pour en encombrer la partie gauche ; face à l’entrée, un passage étroit permettait aux clients qui le désiraient de siroter leur boisson au bar à condition de se serrer les coudes sur le zinc. Derrière le comptoir, un large miroir réfléchissait la salle sans pour autant créer l’illusion d’un Grand Café. La seule chose en cet endroit qui eût des dimensions remarquables était le patron, un balaise au cou rouge d’environ quarante ans. Il avait une figure sans expression, surmontée de cheveux fins et gominés. Il était seul à servir les clients et ceux qui étaient attablés devaient se lever pour aller lui commander directement leurs consommations.
Je pénétrai dans ce lieu -qui m’eût d’habitude fait fuir- ignorant que le destin me conduisait là pour y rencontrer Adémar Adémas.
« Tenez ! Asseyez-vous à ma table ! »
Je me retournai, surpris d’être interpellé de cette façon cordiale que je trouvai familière ! Toutefois, en apercevant celui qui m’avait invité je ne pus m’empêcher de me sentir à mon aise et même attiré par l’intelligence magnétique de son visage qui rayonnait comme un millésime prestigieux sur l’étiquette d’une vieille bouteille.
« Asseyez-vous donc ! Je m’appelle Adémar Adémas. »
J’obéis mollement, l’assurant tout en m’installant en face de lui que je ne désirais pas l’importuner.
« Allons donc ! Voyez, vous-même ! Il y a de la place pour deux ! Et même du vin pour autant ! Je commande toujours deux ballons à la fois pour ne pas avoir à me lever souvent et ainsi pouvoir demeurer sur mon banc. Vous pouvez le constater, ce maudit mastroquet est si étriqué qu’au comptoir il y a toujours foule et qu’il faut constamment lutter contre ces bougres d’assoiffés pour se ravitailler… Goûtez-moi ce Beaujolais ! Vous m’en direz des nouvelles… »
J’y goûtais, à ce Beaujolais ! Et j’y goûtais encore. Et j’y goûtais les jours suivants, les semaines d’après, et même des mois plus tard… Adémar Adémas et moi, devînmes amis. Si j’étais célibataire, lui n’avait personne. J’étais à la retraite, lui ne travaillait pas. Rien ne s’opposait en goûtant le vieux Beaujolais à ce que je déguste la compagnie de cet ami nouveau.
Il était plus vieux que moi d’un an. Mais il y avait en lui, une volonté de ne pas céder à la vieillesse qui faisait mon admiration au point d’en être effrayé. Cette vaillance face aux ans était devenue chez lui une obsession. Un jour, il me dit à brûle-pourpoint :
« Pensez-vous, mon cher ami, que nous puissions nous aimer ? »
Je le fixai pour tenter de lui transmettre par la force de mon regard l’affection que j’avais pour lui. Je baissai cependant rapidement les yeux craignant qu’il n’aperçût dans mes prunelles les petites lueurs dévoilant sous leurs clartés l’étonnement que sa question imprévue m’avait causé. Je crus ainsi avoir réussi à lui donner la preuve de mon amitié tout en lui cachant l’intime sentiment de crainte que pût me causer l’excès d’une telle sympathie poussée au point où il voulait que nous ne vinssions. Il parut sinon convaincu, du moins satisfait. Quoi qu’il en fût, il continua comme si je n’avais aucune part dans notre conversation.
« Il nous faut nous aimer ! Vous comprenez ?! Il nous faut nous aimer !... »
Il répéta cette phrase une fois encore et ce fut tout pour ce jour-là.
Le lendemain, je me rendis au café où nous nous étions donné rendez-vous avant de nous quitter. Je l’y trouvai dans un état lamentable. Il n’était que deux heures de l’après-midi et déjà sur la table les empreintes encore humides des ballons de Beaujolais qu’il avait vidés formaient un entrelacs récent et complexe. Je le priai de cesser de boire et de venir avec moi faire une promenade. Il n’eut pas la force de me tenir tête, et après avoir réglé son addition je l’entraînai au dehors.
L’air sembla lui faire du bien et je notai à sa mine qu’il se sentait mieux. Nous traversâmes le parc que nous avions pris l’habitude de fréquenter. Je lui proposai alors de nous y reposer un instant. Il acquiesça sans rechigner. Il marcha jusqu’à l’ombre d’un grand chêne et là, il se laissa tomber sur un banc fraîchement peint en vert. Il ferma les yeux et appuyant ses poings sur ses tempes, il répéta la phrase -qui m’avait déjà intrigué, sur un ton si intense que cela ajoutait à ses mots déjà compromettants, une nuance malsaine. Je posai la main sur son épaule.
« Si quelque chose vous tourmente, mon ami, quelle qu’en soit la nature je suis la personne en qui vous pouvez vous confier… »
Il me regarda comme s’il réalisait enfin que j’existais.
« Que voulez-vous savoir ?
- Mais ! Ce qui vous ronge et vous fait mal ! Ce qui semble vous plonger dans le désespoir…
- Pourquoi ?
- Pour vous aider, naturellement !
- Comment le pourriez-vous ?
- Je ne sais pas… Cela dépend… En tout cas, soyez sûr que mon amitié pour vous me poussera à tout faire, à tout tenter pour vous obliger. »
Il eut de nouveau cet air surpris ; étonné par ma présence ou par celle de la réalité qu’il découvrait en lui-même. Je le sentais traqué comme un fugitif pris entre « lui et moi ! ». Soudain, dans ses yeux, je captai une lueur de résignation qui fit pleuvoir en moi une pluie de remords. Il était brisé. J’avais accouru à son secours, certes, mais ce noble dessein perdait à mes yeux sa valeur devant le spectacle de mon ami ainsi abattu. J’étais confus. Je regrettai de l’avoir pressé de questions et écrasé de bonnes intentions. Je voulus faire marche arrière. L’empêcher de parler ! Refuser de l’écouter ! Me boucher les oreilles ! Me sauver ! Il était hélas, trop tard. Déjà, Adémar Adémas se confiait à moi, et cela s’avéra être le début d’une succession d’événements qui devait me conduire à découvrir plus tard la fantastique vérité se cachant aux tournants du chemin que le sort avait tracé devant moi.
« Je suis un raté ! Et le pire ! C’est que je suis vieux ! »
Ainsi donc ! C’était cela ! Ce n’était que cela ! Ses craintes métaphysiques le reprenaient. J’étais au courant de cet aspect de sa personnalité mais j’ignorais qu’il en fût si fortement affecté ! Si profondément infecté. Je tâchai de lui répondre simplement de façon à réduire ses inquiétudes à des dimensions plus humaines.
« Le jugement que vous portez sur vous-même me semble injuste et totalement injustifié ; quant au fait d’être devenu vieux, je pourrais en dire autant !
- Pardonnez-moi, cher ami. Je ne voulais pas vous froisser…
- Je ne le suis pas ! La vieillesse n’est pas une maladie honteuse ! Vieillir est un processus inévitable, heureusement progressif, qui nous permet de nous approcher de la mort avant que celle-ci ne nous ait atteints.
- Justement ! Je suis devenu vieux d'un seul coup ! Sans jamais y avoir été préparé. Je n'ai pas eu le temps de voir le temps passer. Les ans sont tombés sur moi par surprise, sans me permettre d'apprendre les horribles manières des vieillards, ni de m'entraîner à mimer leurs tiques dégoûtants, ni à cultiver leur stupide béatitude…
- Comme vous y allez ! Vous allez finir par me froisser.
- Oh ! Pardon ! Il ne me viendrait jamais à l’esprit de vous offenser…
- Je sais ! Je sais ! Calmez-vous. Mais vous n’êtes pas un vieillard ! Et tout chargé d'années –selon vos propres dires-, vous n'êtes pas fané. Vous avez même conservé une allure dont vous pouvez être fier. Allons ! Vous pensez trop et ne vivez pas assez ! Que Diable ! Il faut vivre !
- Vivre !! Mais, vivre, c’est mourir plus vite !! N’est-il pas suffisant d’être condamné à mourir pour qu’il nous faille en plus, nous dépêcher ?!
- Mais qui vous parle de mourir ?! Je vous parle de la vie !
- La vie ! La vie ! La voilà la vie : une dizaine d'années ! Une poignée de sable et je serai mort ! Plus d’Adémar Adémas !
- Qu’est-ce que vous en savez ?...
- C’est de la statistique. C'est ce que vous appelez la vie… Eh bien, non ! Je refuse d’accepter cela !
- Nous partageons tous le même sort.
- Je refuse de partager quoi que ce soit et surtout je refuse la mort !
- D’autres l'appellent.
- Je les observe depuis longtemps, ceux-là ! Ceux qui l’appellent ! Appuyés sur leurs canes, perchés sur leurs béquilles, suant et grognant ! Ils désirent en finir. Je les ai vus au square, les jambes branlantes, s'asseyant en s'aidant de leurs mains tremblantes. Une fois assis, ils se décrivent leur solitude avec des toussotements et des crachotements, puis ils parlent de leur foie, leur rhumatisme, leur asthme. Ils se racontent leurs cauchemars et bien d'autres fantasmes. Ils se repaissent de leurs maux jusqu'à la tombée du soir. Alors, ils annoncent interminablement leur départ. Enfin, un à un et peu à peu, ils se lèvent, surpris et fiers d'avoir réussi à se mettre debout. Ah ! Ils peuvent bien l’appeler au secours, la mort ! Ils l’ont bien méritée. Moi, je la méprise ! Je la hais ! Je la refuse !
- Je crains, hélas, que vous n’ayez nullement le choix en cette matière…
- Si ! Si ! Je l’ai !
- Allons donc !
- Je trouverai le moyen !
- Impossible !
- Vous verrez ! Je ne me laisserai pas faire ! »
La tournure de la conversation me déplaisait. Bien que je n’eusse rien épargné pour aider mon ami, son attitude intransigeante, presque arrogante, me gênait. Plutôt que de me buter à ses arguments ridicules qui ne lui étaient dictés que par son entêtement, je changeai de sujet le moment venu, et je le raccompagnai chez lui…
Quelques jours se passèrent sans que je visse Adémar Adémas. Au début, je l’avoue, c’était moi qui n’avais pas recherché sa compagnie. J’étais de mauvaise humeur et las de ses jérémiades. Mais lorsque je me rendis à « notre » café, il n’y était pas. On ne l’avait plus vu. Je le cherchai en tous lieux où je croyais avoir une chance de l’y trouver. Mes efforts furent vains. Il n’était nulle part. Je me blâmais, évidemment pour sa disparition que je mettais sur le compte de mon manque de compréhension et de compassion envers celui que j’avais osé appeler un ami. Je n’avais guère été sensible à sa détresse. J’avais méprisé sa douleur dont il ne m’avait précisément révélé la cause que sur ma promesse de l’aider à s’en débarrasser. Au lieu de lui offrir un réconfort je l’avais rabroué. J’avais jugé son mal imaginaire et je n’avais été bon qu’à augmenter son trouble. En un mot, je l’avais trahi.
Je commençai par m’inquiéter à son sujet. Puis, mon inquiétude s’épaissit, se transformant en une étrange peur, une angoisse poisseuse qui sous sa forme molle et collante s’était insinuée en moi, me faisant craindre le pire. Ce ‘pire’, malgré moi, je l’imaginai sous toutes ses formes les plus virulentes et cruelles, et j’épuisai mes forces à deviner un malheur sans jamais soupçonner que la disparition d’Adémar Adémas n’était encore qu’un pas de plus le long de cette dimension de l’univers invisible à l’homme, le guidant néanmoins, comme une longue canne blanche dans la nuit, à avancer vers d’effrayantes découvertes.
J’en étais là de mon anxiété et de mes réflexions, lorsqu’à ma plus grande joie, Adémar Adémas fit subitement sa réapparition au Café.
J’étais assis à la table que nous occupions habituellement, espérant depuis une semaine, son retour. Et soudain, il se trouvait devant moi ! Méconnaissable. Si je ne l’avais pas tant attendu je ne l’aurais pas reconnu. Il donnait l’impression d’avoir passé ces derniers jours sous un pont.
« Pardonnez-moi, me dit-il. J’aurais voulu aller chez moi pour me raser et me changer, mais je n’ai pas voulu vous faire attendre… »
Ah ! Le lascar ! Il n’avait pas voulu me faire attendre !! Que croyait-il que j’eusse donc fait depuis huit jours, sinon attendre ? Je me gardai pourtant de lui en faire la remarque. J’étais soulagé de constater qu’en dépit de sa pauvre allure, et son misérable état de propreté, il ne montrait aucun signe de maladie, ni trace d’accident. Je le serrai dans mes bras, puis l’invitai à s’asseoir.
« Mon vieux ! Ah ! Mon vieux ! J’étais inquiet ! »
Ceci dit, je me précipitai au comptoir afin de commander pour lui deux ballons de rouge que je plaçai sur la table en tremblant. Il avala le premier verre d’un coup. Je lui demandai alors, où il était passé.
« À la recherche d’une solution, me répondit-il.
- Une solution ? Mais à quoi ?
- À ma vie.
- Vous n’êtes pas heureux ?
- Là n’est pas la question.
- Quelle est donc la question ?
- Je vous l’ai déjà dit : la mort ! »
Je craignis de le voir retomber dans ses lamentations métaphysiques qui le vieillissaient plus que l’approche de cette mort qu’il redoutait. Je laissai tomber froidement :
« En effet. »
J’étais déçu, mais j’étais si heureux d’avoir retrouvé mon ami que je ne voulais pas risquer de le contrarier. Je levai mon verre avec une sincère bonne humeur que je voulus lui communiquer en disant :
« Buvons à votre santé ! »
Nous trinquâmes. Nous bûmes encore. À la troisième brinde, je compris qu’il me fallait l’aider à se soulager de ce qu’il brûlait de me confier avec une telle ardeur qu’il me semblait presque voir de la fumée s’échapper de ses oreilles. Je me calai sur ma chaise et une fois dans une position confortable, je lui lançai :
« Maintenant, je vous écoute !... »
Son visage s’éclaira.
« Vraiment ! Vous voulez bien ? Je ne vous embête pas ?! Il me semble que la dernière fois… »
Ma conduite au square ne lui avait pas échappé. Il croyait m’avoir ennuyé et il en était toujours soucieux. Le ton de sa voix avait changé. Il paraissait être à la fois, plus sûr de lui, et moins absolu. Sous ses vêtements sales il arborait un nouvel amour propre. Une transformation s’était opérée en lui durant son étrange absence et j’étais curieux d’en apprendre la cause. Je le rassurai donc.
« Cela ne se reproduira plus. Offrez-moi une seconde chance ! Juste pour vous prouver que je suis toujours digne de votre amitié.
- Une seconde chance ! Vous ne croyez pas si bien dire ! Une seconde chance ! C’est cela ! C’est justement cela dont il s’agit ! Savez-vous mon ami que deux êtres qui se rencontrent dans l’au-delà et tombent amoureux l’un de l’autre, s’aimant dans ce Néant comme ils n’avaient jamais aimé de leur vivant, eh bien, ces êtres ont droit à une autre chance ?! Oui ! Une autre chance ! Selon l’article 149 du Code de… Enfin… de là-Haut… »
Je sursautai ! Ne pouvant m’empêcher de m’écrier :
« Là-Haut ?
- Oui. Là-Haut. Enfin, c’est une façon de parler ! Les morts après avoir été mis sous terre, remontent et demeurent sur terre.
- Sur terre ! Mais où, sur terre ?
- Partout sur terre. Même ici ! Dans ce café, peut-être ! Oui. Là. Dans ce mastroquet circulent des morts ! Seulement vous et moi ne les voyons pas ! Parce qu’ils sont morts. Ils ont leur règles, leurs instructions, leurs lois et décrets ! Ils sont tous enregistrés dans un grand livre tenu par l’Employé de la Réception….Après l‘enregistrement, les morts sont libres d’aller où bon leur semble… Ils ont leur ‘vie’. Leur vie à eux. Leur vie de morts. Comprenez-vous ? Là-Haut, c’est en-Bas ! »
L’esprit de mon ami s’était égaré ! J’étais affolé au point d’en avoir perdu la parole. Je le regardais muet d’émotion. Adémar Adémas était-il fou ?! Sur le moment, je ne pouvais plus en douter. Il n’y avait qu’à le regarder dans ses nippes poussiéreuses pour en être persuadé. Son visage était hirsute, sa moustache tordue, et l’humeur glauque de ses yeux était encore emplie de je ne savais quelles images, quels rêves, quels poisons dont elle s’était imprégnée. Dans ma première joie de l’avoir retrouvé, j’avais omis d’interpréter ces signes qui ne trompent pas mais qui m’avaient trompé. Que lui était-il arrivé ? Ses mouvements devenaient erratiques comme si un tic nerveux les eût déclenchés Où et comment avait-il contracté cette mystérieuse affliction qui lui avait si rapidement ôté la raison ? Je ne pouvais évidemment pas lui en poser directement la question. Je me demandai alors s’il ne se réveillait pas d’un coma ? D’un coma ou de toute autre condition cliniquement semblable durant laquelle il aurait été soumis à des visions indélébiles qui avaient détraqué son cerveau ? Je ne voyais pas d’autre explication que l’une de ces lointaines possibilités. Mais aussi lointaines qu’elles fusent, il y en avait une autre encore plus lointaine, plus stupéfiante et plus incroyable, qui, l’eussé-je découverte en cet instant précis, qu’elle m’eût permis d’apprendre plus tôt le Secret d’Adémar Adémas. Hélas, le destin en avait décidé autrement et je continuai de m’empêtrer dans des spéculations relatives à son état mental jusqu’ à en arriver moi-même aux portes de l’insanité.
Soudain !... Mon ami explosa d’un grand rire qui fit se retourner quelques clients, et me confirma dans mon opinion toute première.
« Allons ! Ne faites pas cette tête-là, me lança-t-il, toujours secoué par son rire interminable. Vous me prenez pour un fou ? Je vous rassure tout de suite ! Je ne suis pas dingo.
- Allons donc ! Qu’allez-vous imaginer ?
- C’est vous qui vous imaginez des choses ! Vous me demandiez de vous raconter ce que j’ai fait ces derniers jours, et j’essayais de vous l’expliquer… Et voilà que je vous vois déjà prêt à me passer une camisole de force…
- Mais ce ‘là-Haut’ et ce ‘là-Bas’, et cet article 149… Ces morts qui marchent sur terre… Enfin toute cette histoire !...
- Ce n’est qu’une histoire ! Tenez ! Vous souvenez-vous de cette phrase que je vous ai si souvent répétée?
- ‘Il nous faut nous aimer’ ! C’est cela ?
- Oui. C’est cela. Subitement, je ne savais plus où je l’avais lue… Après l’avoir tant citée, j’en avais oublié la source. Alors, j’ai voulu savoir… Je voulus savoir parce que je m’étais soudain mis à penser que cette phrase cachait la Solution de mon problème ! Pour en avoir le cœur net je suis allé me balader sur les quais. Je découvris à l’étalage d’un bouquiniste, un vieux livre sous cellophane intitulé : ‘Plus !’ ! Ce livre fut écrit par un philosophe qui a beaucoup écrit sur l’amour.
- Vous croyez en l’amour ?
- Bien sûr que j’y crois ! Le problème, n’est pas l’amour mais… l’Amour !
- Un mot profond ! Ironisai-je, mais j’aimerais comprendre avant de peut-être ne le trouver qu’habile.
- Ce que je veux dire c’est que le tout n’est pas d’aimer ou de savoir aimer ! Nous en sommes tous capables. En dépit de cela, l’Amour nous échappe tôt ou tard. L’Amour est inaccessible sur terre ! Certes ! Il est possible de le découvrir - où à défaut, de ‘le faire’- mais on ne le possède jamais ! Il est possible de capturer son image en une autre personne mais dès qu’on essaye de s’en saisir, il disparait ! Il s’évapore !
- Pourtant, vous dites qu’on peut réussir à s’aimer. Quelle différence faites-vous entre le fait de s’aimer et l’Amour ?
- Aucune ! Mais « s’aimer » est un état temporaire, toujours en déséquilibre, toujours tendant vers l’Amour sans jamais l’atteindre. L’Amour, lui, demeure libre. Dans cette poursuite, je dirais presque : ce combat, « l’Amour triomphe» ! Mais évidemment pas au sens où on l’entend communément. Il est vainqueur parce qu’il nous défait ! Tenez ! Ces amants dont je vous ai parlé ! Ceux qui s’aiment là-Haut… Ceux qui ont droit à une seconde chance… Dès qu’ils reviennent sur terre, en règle générale, ils ont beau s’aimer, ou se leurrer en le prétendant, leur Amour a disparu. Ils l’ont laissé là-Haut ! Sur terre, il s’étouffe ! Notre atmosphère lui est hostile. Notre haleine le repousse, notre respiration l’empoisonne, notre souffle le chasse. Il vole en poussière. »
La théorie de mon ami était originale mais baroque. Je ne désirais pas entrer avec lui dans une conversation sur l’amour, un sujet sur lequel, je dois l’avouer, je n’avais pas grande expérience. Les quelques aventures que j’avais vécues dans ma vie ne pouvaient d’ailleurs qu’avoir tendance à me pousser à voir son point de vue d’un œil ouvert.
Je n’aspirais qu’à comprendre ce qui lui été arrivé durant sa disparition afin de le réconforter. Je voulais le revoir et le ravoir tel que je l’avais aimé le premier jour de notre rencontre au Café, heureux et joyeux comme un gamin. Hélas, je continuais de penser que s’il n’était pas devenu fou, il n’allait pas tarder à le devenir s’il s’entêtait dans cette poursuite effrénée de je ne savais quoi. Sa tristesse pesait toujours sur ma conscience et en dépit de tout ce dont il m’avait parlé, il ne m’avait rien dit. Je m’arrangeai donc pour détourner la conversation.
« Je n’appartiens pas à la catégorie des hommes qui croient passionnément en l’amour. Je me contente pleinement de notre amitié. Au nom de celle-ci, je vous en prie, dites-moi ce qui vous est arrivé ! »
Adémar Adémas fronça les sourcils. C’était là -je le savais pour l’avoir souvent constaté chez-lui, sa façon de se concentrer. Ce signe encourageant fut suivi par un relâchement de ses muscles dont l’interprétation – dans mon impatience- indiquait un affaiblissement de sa volonté allant malheureusement à l’encontre de mon espérance. Il émit ensuite un soupir, qui, bien que suffisamment faible, lui fit tout de même baisser les épaules comme un homme vaincu. Il posa soudain la main sur mon bras tendu, voulant s’y accrocher pour me parler.
« Mon ami, je ne sais pas ce qui s’est passé ! »
Je sursautai sous l’effet de ses paroles, lui retirant mon bras dans ma réaction involontaire. Cependant, avant que je pusse ouvrir la bouche pour lui exprimer la déception que me causait, dans son attitude, ce qui me semblait être de sa part un manque de confiance en moi, il s’écria :
« Attendez ! Laissez-moi vous expliquer ! Je vous ai dit la vérité ! Écoutez-moi ! J’étais désespéré ! Je me souviens de cela ! Vous rappelez-vous de notre dernière conversation, la dernière fois… au parc… Je voulais à tout prix me battre avec la mort !...
- Ah ! Encore ! Mon cher ami ! Si vous continuez, la mort finira par vous tuer !!
- Oui. En effet. Je crois que c’est déjà fait… »
À ces derniers mots, ma colère tomba. Je le fixai avec insistance pour m’assurer que ce que j’avais entendu était bien écrit sur son visage. Ce que j’y vis m’effraya. Il avait l’air malade. Et je crois que ce fut en cet instant précis que pour la première fois je soupçonnai qu’un grand mystère l’entourait et le tenait prisonnier dans sa propre dépouille.
« Voyons ! Ne faites pas cette tête-là, me dit-il. Souriez. Je vous ai assez agacé avec mes histoires…
- Ne soyez pas méchant ! Vous savez très bien que je ne suis motivé que par mon désir de vous être agréable. Rien ne me fait plus plaisir que de vous rendre service. Vous ne vous sentez pas bien ? Que vous est-il arrivé tout d’un coup ? Vous n’êtes plus le même depuis votre disparition. Que s’est-il passé ?
- Je voulais une seconde chance… Pouvoir recommencer ma vie…
- Dans quel but ?
- Celui de la réussir au ‘second tour’. Hélas, je ne savais pas que… Je ne savais pas que… »
Je voulus le presser de questions afin qu’il s’expliquât plus, ou mieux, sur ce qu’il disait, mais Adémar Adémas ne m’écoutait plus. Il continuait de parler comme s’il s’adressait à un être invisible. Il demeurait immobile, comme un aveugle, qui, me sachant à son côté, fixerait néanmoins l’espace vide en face de lui. Et il parlait… Il parlait… Personne ne pouvait plus l’arrêter.
« On dit que la vie est un théâtre, et que nous en sommes les acteurs. Je crois, non ! Je suis sûr que ce n’est pas vrai ! Au théâtre, quand se lève le rideau, les acteurs ont auparavant étudié leurs rôles. Ils ont fait plusieurs répétitions. Ils entrent en scène, préparés et capables de se mettre dans la peau de leurs personnages. Si la vie est un théâtre, ses acteurs ont droit à une répétition ! J’ai le droit de répéter le héros dont je dois jouer le rôle, ce ‘Moi’ dont je ne sais rien et que je dois interpréter devant ‘les autres’. Paulette… Savez-vous qui est Paulette ? Non ! Évidemment. Comment le pourriez-vous ? Paulette fut le premier amour de ma vie de théâtre ! Ou plutôt du théâtre de ma vie ! La première jeune première ! La première que j’ai vue nue et qui se donnait à moi, si petite et si chaude sous mes innocentes caresses… Pourquoi ne l’ai-je pas possédée ? Parce que je n’ai pas su ! Je n’ai pas su ! J’ai eu beau essayer de comprendre… D’apprendre ! De deviner ! Je n’ai pas su ! Je me posais sur son ventre, en croix comme le Christ ! Je me crucifiai sur elle, incapable de m’y clouer ! N’est-ce pas drôle ?! Est-ce possible pour un enfant d’être si naïf ? Car j’étais un enfant moi-même ! Est-ce là une scène de théâtre ? Non. Une comédie… La comédie de la vie sans répétition. Sans instruction ! Revivre ma vie eût signifié pour moi, posséder Paulette et ainsi, je ne me serais pas fait dépuceler par une putain. Parce que c’est exactement ce qui est arrivé plus tard. Je me suis donné à une putain… Bof ! Ce n’était pas de sa faute… Personne ne me fit répéter la scène du dépucelage. Je la vécus. Je l’endurai ! Mais aujourd’hui, je l’imagine. Si différente de la réalité ! Une scène pleine d’une gauche tendresse. Une scène où l’on prend son temps, on est aimé, attendu, voulu ! Et la grande scène du grand amour !? Combien de fois n’en ai-je pas rêvée ?... N’ai-je pas imaginée cette scène que je n’ai jamais jouée, ni même vécue. Et puis… l’amour… Bof ! L’amour ce n’est pas tout ! Dans mon renouveau, le regain de ma vie que j’espérais, je voulais tout revoir, tout dénoncer, tout refaire. Pas seulement l’amour. Mais tout ! Tout. J’eusse été mon seul maître. Connaissant déjà la chanson, j’aurais pu la chanter, la chanter mieux, la chanter tout seul, sans chœur ni orchestre. Au courant des questions et des réponses, je n’aurais pas eu à surmonter mes craintes et mes hésitations pour oser ! Oser penser ! Oser parler ! Oser questionner ! Oser agir ! Oser défier ! Ne pas prendre de la vérité pour la vérité. Ainsi en vieillissant, je n’aurais rien regretté ! Que mon métier d’acteur dans ce théâtre de la vie n’eût pas été un succès, cela ne m’eût pas fait questionner la vie, sinon seulement mon talent d’acteur… Et maintenant, mon cher André, je vais mourir. Je meurs. Mais n’ayez point de crainte, n’ayez point de chagrin, n’ayez pas de remords ! Maintenant, je sais ! Je sais tout ! Cette mort ! Ma mort ! Je saurais lui donner la réplique ! Demain, je ne serai plus ! Et ce sera sans regrets parce que je détiens la vérité.
- Comme vous êtes pale, mon ami ! Oublions tout ceci ! Désirez-vous rentrer ?
- Non ! Vous me demandez ce qui m’est arrivé ? Je vous le dis ! Devant l’étalage du bouquiniste, je vis soudain un homme qui me ressemblait comme si j’étais lui ! Nous nous sommes regardés. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Mais moi je devinai en un éclair. Je revenais ! Je revenais vers lui ! Je revenais à lui. Je revenais à moi ! Moi ! Cet homme que j’avais quitté sur ce quai pour recommencer. Qu’avais-je accompli ? Rien ! Vous me demandez ce qui m’est arrivé ? Rien ! J’ai revécu ma vie pour en arriver à rien ! Au même point. Je suis passé de la fin au début et du début à la fin, et dans ce processus, je n’ai pas bougé. Je me suis retrouvé devant le bouquiniste tenant un bouquin dans la main, intitulé « Plus ! ». Plus ! On en veut toujours plus ! Plus dans la vie et plus de la vie ! Mais ‘plus’ n’ajoute rien ! On reste au même point. Tout ce que j’avais fait, je le refis comme si j’en avais été ‘désinstruit’… Croyez-moi… La vie est remise à zéro avant de démarrer. Quand on croit en avoir plus, on ne l’a déjà plus ! … »

J’étais complètement affolé. J’en étais arrivé à espérer que mon ami fût devenu fou ! La folie se soigne. La mort est irréversible. Surtout sa mort ! Il l’avait tant méprisée, insultée, défiée, que… Je n’osai y penser…
Je ne me souviens pas du moment où Adémar Adémas se tut. En fait, je crois entendre encore ses paroles, et je les entendrais jusqu’au moment de fermer les yeux…
Ma raison convaincue qu’il avait perdu la sienne, s’efforçait de me suggérer des remèdes afin de le soulager de la douleur qui avait dû le pousser dans l’abîme où la sagesse ne s’exprime plus que par des maux. Toute l’histoire qu’il m’avait contée résonnait en moi comme un glas qui me déchirait…

Posté le : 21/02/2015 21:50
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Re: Notre ami Baccchus
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Bacchus, je viens seulement de me rendre compte de ce qui t'arrive. Mes voeux t'accompagnent. Nous espérons tous te revoir ici avec ta bonne humeur et ton talent.
Grosse Bise.
exem

Posté le : 04/01/2015 16:24
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Re: Rétrospective sur l'année 2014
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Une retrospective qui nous démontre que le monde n'est pas si petit.
Bonne Année à Tous! Au monde entire.


Posté le : 31/12/2014 17:38
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Re: Défi du 20/12 au 26/12
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@Couscous,
Merci. Je suis très fier de ce que tu me dis.
Bises. Et UNE MERVEILLEUSE ANNÉE.

Posté le : 24/12/2014 00:49
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Re: Défi du 20/12 au 26/12
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Voici ma contribution. Bonjour à tous.


« S'il ne vous donne pas le message ou si vous jugez que celui qu'il vous remettra n'est pas « catholique », tuez-le. »
Walter Marcott avait dit cela d'une voix aussi anodine que s'il avait dit : « Offrez-lui un verre. ». Mais n'était-ce pas de cela qu'il s'agissait en effet ? Ôter la vie comme on paye une tournée. La vie qui, dans le Bureau, n'était qu'une autre monnaie d'échange
Derek Stevens se tenait silencieux. Il observait son chef, debout devant lui.
« Tuez-le de quelle que façon que vous jugerez préférable.
- Entendu, répondit enfin Derek Stevens, sur ton las.
- Que se passe-t-il, Derek ? Je vous trouve bizarre. »
Marcott en prononçant ces mots fixait Derek Stevens, son meilleur agent. Un super-spy, comme on l'appelait ici.
« Cette mission ne me plait guère.
- Depuis quand faut-il que votre boulot vous plaise ?
- Justement, ce n'est pas mon boulot ! Pour simplement recevoir un message, vous n'avez pas besoin de moi. N'importe quel bleu ferait l'affaire.
- Ce n'est pas moi qui ai choisi.
- Vous mentez, marcott ! Derrière votre barbe, je vous vois rougir.
- Disons, que je vous ai recommandé, précisa Marcott, en allant s'asseoir dans son fauteuil.
- Pourquoi ?
- Si je vous le dis, me promettez-vous de n'en rien dire à personne ?
- Ah ! Elle est bien bonne, celle-là ! Cela fait vingt ans que je risque mes fesses pour vous et notre beau pays et vous me demandez de vous faire des promesses !?
- Ne vous emballez pas, Derek ! C'est un secret.
- Des secrets j'en ai plein les poches. Si je voulais les déballer, je ferais transpirer tout le service, vous, y compris…. »
- Je vous en prie ! lança Marcott en s'agitant sur son fauteuil. C'est bien ! Je vais tout vous dire. »
Marcott pestait en lui-même contre Stevens. Il s'en voulait aussi de ne l'avoir jamais compris. Comment l'aurait-il pu ? Son agent numéro un avait toujours été caché par le brouillard dans lequel il passait sa vie à la poursuite des ennemis invisibles du pays. Maintenant, soumis à son regard magnétique, il sentait qu'il fallait lui confier, sinon la vérité, du moins, une partie. Ainsi, il prononça, avec un air important :
« Je ne vous en avais jamais parlé mais, puisque nous en avons l'occasion aujourd'hui… eh bien voilà ! Le mur de Berlin va tomber ! »
Stevens avait compris depuis longtemps le jeu de son chef et il était heureux parfois de s'y prêter. Il répondait sans avoir l'air de rien, sachant que toutes les occasions étaient bonnes pour satisfaire son besoin de s'instruire. Durant leurs entretiens, il l'écoutait disserter ou mentir sur tous les sujets de sa voix lente et monotone, sans jamais se démunir de son flegme. Cett fois-ci, il éclata de rire.
« C'est ça votre secret ? fit-il. Tout le monde s'y attendait. En tout cas, moi, je le savais. Il vous faut faire mieux que cela, Marcott, pour me convaincre.
- Cette mission sera votre dernière mission de ce genre.
- Vous ne m'avez toujours pas répondu. Pourquoi moi ?
- Le message est d'une importance vitale. C'est le dernier message ! Vous comprenez ? Avant que le mur ne tombe, il nous faut ce message ! »
- Qu'y a-t-il dans ce message ?
- Une liste. Une liste de noms. Je ne peux vous en dire plus. »
Stevens n'avait plus aucune envie de se battre avec Marcott. Il avait fini par croire que l'ordre venait de plus haut. La défaite de son chef n'eût servi à rien. Il soupira et concéda :
« C'est bon ! Vous gagnez ! »
Walter Marcott eut alors un geste comme s'il avait oublié quelque chose. Il mis la main dans la poche de sa veste et en retira une enveloppe. Il la contempla un instant avant de la tendre à Stevens.
« Tenez ! Ceci contient ce que vous remettrez à Petrof Ostrofsky en échange de la Liste. Ne l'ouvrez pas. Laissez-le en prendre connaissance lui-même.Tout est arrangé avec Igor Malin, son supérieur. S'il s'aperçoit que l'enveloppe a été manipulée, il se méfiera. C'est tout. Bonne chance. »
Les mots de son chef firent soudain réaliser à Stevens l'étrange et imprévisible vie qu'il menait. Une vie dans laquelle ne pouvait que se préciser la certitude du désastre. Cette révélation tardive eut pour effet de faire naître en lui la nécessité de se mettre au travail à la minute-même. Il sortit du bureau sans daigner jeter un regard sur son chef, toujours assis à sa place.
**
Stevens remonta la quarante-cinquième rue, jusqu'à la deuxième avenue. Il héla un taxi qui vint comme une fusée s'arrêter devant lui.
« Ôu ça, Patron ? lui demanda le chauffeur, un homme sympathique à l'accent de Brooklyn.
- Kennedy Airport.
- Quel vol ? »
Stevens ne répondit pas.
« Pas de bagage ?
- Démarre ! lui signifia sèchement, Stevens.
- Bien Patron. »
Le chauffeur sans discuter, embraya. Il fit tourner son taxi dans la première rue à gauche, pour rejoindre l'entrée de l'autoroute, en direction de l'aéroport international.
Stevens songea qu'il en avait au moins pour quarante-cinq minutes avant d'arriver à l'aéroport Kennedy. Demain matin il serait à Paris. A quatre heure, après midi, il contacterait Petrof Ostrofsky. Le vieux Petrof ! Stevens se surprit à espérer que ce vieil ennemi lui apportât ce qu'il désirait. Il serait au regret de le supprimer… Bah ! Tout cela n'avait guère d'importance ! Petrof, tout comme lui, n'était plus depuis longtemps, ce qu'on appelle un homme. Ils étaient devenus des machines humaines. Ils analysaient tout. Ils traitaient tout, y compris les sentiments, comme une information numérique. La vie et la mort, n'étaient qu'un chiffre binaire….
« Patron ! On arrive ! lui lança le chauffeur.
- Arrêtez-moi devant « Air-France-Départs »
- Bien Patron ! »
Stevens lui donna un billet de 50 dollars.
« Garde la monnaie. »
Le chauffeur le remercia avec passion.
« Voulez-vous que je passe vous reprendre quand vous reviendrez ? »
Stevens ne répondit pas. Il se rendit directement à la loge des premières pour y prendre un whisky, puis attendit patiemment l'heure du départ en lisant le New York Times.
Une fois dans l'avion, Stevens répéta mentalement tout ce qu'il devait faire en arrivant à Paris. Les missions les plus simples ne l'empêchaient jamais d'en réviser à l'avance les moindres détails.
Quatre heures de l'après-midi au café de la Paix. Une table à la terrasse, du côté opéra. Petrof devait arriver le premier ; cinq minutes à l'avance. Quant à lui, il arriverait avant Petrof, mais uniquement pour vérifier de loin, que ce dernier était là. Ensuite, Stevens irait s'asseoir à sa table. Il était entendu que dès l'arrivée de l'américain, Petrof commanderait deux whiskeys. Il était aussi entendu, en signe de reconnaissance de la mission spéciale, que les deux espions ne devaient toucher à leur boisson qu'après « l'échange ».
Stevens allongea les jambes sous le siège devant lui et attendit la fin du voyage.
***

Lorsque Stevens traversa la place de l'opéra, ses soupçons soudain refirent surface. Il s'arrêta sur place. De nouveau la question : « Pourquoi Marcott l'avait-il choisi, lui, une super-spy pour une mission aussi simple ? » revenait le harrasser. Évidemment la Liste avait une valeur importante mais… Il y avait quelque chose de louche… On était en temps de détente. Reagan et Gorbachev s'entendaient bien. Alors, pourquoi, lui ? Le temps d'un éclair il eut envie d'avorter la mission mais une pensée l'en empêcha. Petrof était également une super-spy ! Si on l'avait aussi choisi pour cette mission, c'est qu'elle devait être plus importante qu'elle ne le paraissait. Cette idée le rassura. Stevens se dit qu'il devrait lire le message avec attention. Peut-être serait-il capable d'en deviner l'importance. Il continua son chemin.
Stevens alla directement à la table de Petrof. Il s'y assit tranquillement. Regardant droit devant lui, il murmura :
« Salut Petrof.
- Salut camarade. »
Stevens se retourna brusquement et le regarda dans les yeux. Il ne put s'empêcher de sourire. Ce vieux Petrof ! Toujours aussi sérieux ! Il avait passé depuis longtemps la quarantaine mais il y avait encore en lui cette petite flamme qui brûlait. Il y croyait encore ! Bof ! Allons-y, se dit-il. Finissons-en ! J'espère ne pas avoir à le détruire.
« Garçon ! lança immédiatement Petrof !
- Oui, monsieur ?
- Deux whiskeys ! »
Le garçon s'inclina et s'en alla avec empressement s'occuper de la commande. Il revint aussitôt avec les boissons et retourna dans son coin, ce coin discret où un vrai garçon de café sait se tenir afin de tout voir, tout entendre et ne se souvenir de rien.
Comme il en avait été instruit, Stevens ne toucha pas à son verre. Il attendit que son compagnon sortît le document dont il était porteur. Mais à sa surprise, ce dernier lui dit :
« Je suis venu parce que c'est vous !
- C'est gentil.
- C'est prudent.
- Écoutez, Petrof ! Finissons-en ! Moi aussi, je suis venu parce que c'est vous ! Alors, allons-y ! »
Stevens sortit l'enveloppe de sa poche et la posa sur la table. Petrof l'imita sans rien dire. Les deux hommes contemplèrent une seconde les deux enveloppes qu'ils avaient sous les yeux. En même temps, ils se saisirent de celle qui leur revenait et l'ouvrirent calmement.
Stevens en sortit la feuille de papier que contenait son enveloppe. Elle était blanche. Il la referma sans rien laisser paraître. Il jeta un coup d'œil à Petrof. Celui-ci paraissait satisfait.
« Pouvons-nous trinquer, maintenant ? dit Petrof. Tenez ! Faites signe au garçon, j'ai besoin de glaçons.
- Moi aussi. »
Le garçon finalement les ayant aperçus s'agiter pour l'appeler, vint à leur secours et leur apporta ce qu'ils désiraient dans un petit sceau en argent.
« A la vôtre ! lança Petrof en levant son verre.
- A la vôtre ! »
Les deus espions reposèrent leurs verres vides sur la table.
Trente secondes plus tard Petrof s'effondra sur la table. Stevens le retint. Discrètement, il redressa le corps du mort sur sa chaise. Il jeta un billet sur la table et s'en alla.
En traversant la place de l'opéra ressentit la première douleur qui le fit se tordre. Il eut juste le temps de comprendre ce qui s'était passé, avant de tomber mort sur le sol.


****

« Allo ! Allo ! Walter ! Igor Malin à l'appareil !
- Oui, c'est moi ! Bonjour Igor !
- Le mur de Berlin est tombé !
- Bravo !
- Dommage que Petrof et Stevens ne verront pas cet événement si important pour nos deux pays.
- Le monde n'a plus besoin de gens comme eux !
- Adieu Walter.
- Good bye, Igor.

FIN

Posté le : 22/12/2014 17:19
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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