Plume d'Or
Inscrit: 23/10/2013 18:00
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Chers amis,
Voici venu le moment de vous fournir la conclusion du texte que je vous ai proposé. Je le fais un peu tôt car je dois m'absenter à la fin de la semaine. Elle trouve sa place parmi celles que vous avez écrites bourrées de talent. Alors voilà .
L’hacienda de Don Alejandro n'était plus loin, mais le brouillard s'était épaissi. Les voitures se faisaient rares sur la route. La visibilité avait tant diminué que les obstacles ne pouvaient être aperçus qu'au dernier moment. El Rico se riait du péril. Dans l'arène les cornes des toros le frôlaient d'habitude de si près que la foule, sur pied, fermait les yeux lorsque d'un coup de rein, il les évitait. Tout, dans son art, n'était basé que sur des millimètres et des millisecondes. En comparaison, le brouillard lui offrait des distances et des longueurs de temps infinies. La Porsche ne ralentissait pas. La route, en certains endroits, redevenait pierreuse. Les pneus perdaient leur prise. Le volant tournait avec plus de facilité, et moins de contrôle. Fédérico ne voulait pas ralentir. Ses prunelles dilatées, à défaut de voir, « captaient », la présence des obstacles qu'il évitait. Une dissociation psychique s'était opérée en lui. Son esprit, projeté hors de la matière, plongeait dans l'éclairage des phares et lui renvoyait des fantômes irisés. Il commençait à se sentir dans un état second. Il lui semblait ne plus se connaître, ne plus se reconnaître. L'homme au volant de ce bolide lui était étranger. Qui était-il ? Que faisait-il là , au milieu de ce cirage, de ce bled pourri, de ces montagnes sauvages ? Isabella ! Pourquoi devait-il courir prononcer devant elle, le seul mot qu'elle ne voulût accepter : accepter ! Pourquoi était-il si pressé de lui annoncer qu'il consentait au marché maudit ? La main à laquelle il prétendait n'était-elle pas celle qui allait l'humilier ? En le poussant à renoncer au combat, n'allait-elle pas, non seulement, lui dérober la vie, mais le priver d'une digne mort ?! Isabella avait évidemment, plus d'affection pour El Diablo que pour lui. Elle avait réussi à sauver ce maudit animal. Elle pleurait la bête, sans une larme pour le torero qui se faisait encorner. Combien de mères, Fédérico n'avait-il pas vues s'arracher la figure devant le cadavre de leur enfant éventré ! Combien d'enfants n'avait-il pas vus se vider de leur sang en se tenant les intestins ! Oui ! Le toro était l'ennemi véritable ! Il l'avait été dans l'arène, il l'allait être encore sur le chemin de son bonheur…. Subitement, le brouillard devint rouge. El Rico se passa la main sur le front. Il ne reconnaissait plus la route. Il était perdu. Dios Mio ! Isabella ! Il fit encore une prière. Seigneur ! Faites que je la revoie ! Que je la revoie !… Le sang et le brouillard se mélangeait sur la longue palette qui s'étalait devant lui. Une sorte de boue rouge l'aveuglait. La Porsche ne ralentissait pas. À un tournant, l'instinct d'El Rico le mit en garde. Il commençait à percevoir en lui-même, projetée sur un écran diaphane, une image mouvante et floue. C'était une apparition dont la substantialité allait en augmentant. Peu à peu, il reconnut dans le flottement qui distrayait ses yeux, la robe de mousseline blanche d'Isabella. La silhouette de cette vision fantasmagorique était celle de sa fiancée. La Porsche ne ralentissait pas. Fédérico prit le tournant à toute vitesse. Dans la ligne droite qui suivit, l'apparition se rapprochait de plus en plus vite. Sa matérialisation s'intensifiait et bientôt, le visage d'Isabella lui apparut distinctement. Ses cheveux blonds brillaient dans la lumière des phares. Fédérico voyait maintenant clairement ses traits. Ses lèvres se mouvaient comme si elles épelaient un nom. Il voulut comprendre. Quel était ce nom qu'elle prononçait ? La Porsche ne ralentissait pas. A cette distance, se rapprocher d'Isabella, c'était, ensuite, dans la seconde qui suivrait, la heurter de front et de plein fouet. Mais, pour El Rico, savoir, lui était devenu vital ! Toute sa vie venait de se cristalliser en cette seule nécessité. La boue rouge, faite de sang et de brouillard, l'anesthésiait. Il se sentait presque heureux. Et soudain ! Il comprit. Isabella prononçait le nom de son toro. El Diablo ! La Porsche n'avait jamais ralenti. El Rico donna un coup de volant…
Communiqué spécial La circulation sur la route qui va de Madrid à Mérida a été bloquée par, tenez-vous bien ! Un toro. Ce toro, nommé El Diablo, appartient à l'éleveur bien connu Alejandro de la Peña. La bête se serait échappée, la veille, de l’hacienda de son propriétaire. Assise au milieu de la route, elle refuse de bouger. La Guardia Civil ayant alerté Don Alejandro, ce dernier se trouve en ce moment sur les lieux, accompagné de sa fille Isabella. D'autre part, au moment où l'on écrit ces lignes, le célèbre torero, idole des foules, El Rico, a été retrouvé mort au volant de sa voiture qui s'est écrasée au fond du ravin, au niveau de l'endroit où, El Diablo refuse toujours de bouger. On spécule dans certains milieux dont on voudra bien nous excuser de taire le nom, que El Rico se serait précipité dans l'abîme pour ne pas percuter l'animal égaré. El Rico devait affronter le toro d'Isabella de la Peña dans l'arène de Madrid. Ceci laisse penser que ces nouvelles gloires de la tauromachie, portent aujourd'hui l'honneur à un niveau jamais auparavant constaté, un niveau où le sang et le brouillard s'unissent pour tisser l'étoffe des grands héros. Qu'il nous soit permis d'ajouter, en conclusion de ce triste événement, qu’El Rico, délibérément, et, pour sauver El Diablo, n'a pas seulement accepté la mort, mais, s'il est possible de faire une telle distinction sans craindre de tomber dans une morbide lapalissade, il a renoncé à la vie. Dans ce cas, le brave torero aurait prouvé que renoncer est la plus noble façon d'accepter…
Madrid le …. FIN
Posté le : 01/12/2014 16:20
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