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De Montpellier
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Le 31 juillet 1914 meurt, à 54 ans Jean Jaurès
homme politique français, né à Castres Tarn le 3 septembre 1859 et mort assassiné par Raoul Villain à Paris. Orateur et parlementaire socialiste, Député du Tarn du 1er juin 1902 jusqu'à sa mort le 31 juillet 1914 soit durant 12 ans 1 mois et 30 jours et précédemment du 8 janvier 1893 au 1er juin 1898 pendant 4 ans 9 mois et 24 jours, son Prédécesseur et Successeur est Jérôme de Solages. Il est le 1er directeur de L'Humanité du 18 avril 1904 au 31 juillet 1914 au 10 ans 3 mois et 13 jour, son successeur est Pierre Renaudel. Puis il sera 1er président du Parti socialiste français de 1902 à 1905 il s'est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Parti politique, Parti opportuniste, Socialistes indépendants, Parti socialiste français, Section française de l'Internationale ouvrière. Il est marié à Louise Bois avec qui il a deux enfants, Madeleine Jaurès, e Louis Paul Jaurès. Il est Diplômé de ENS Paris, Professeur agrégé, Maître de conférences, Journaliste.
En bref
Issu d'une famille de la petite bourgeoisie et brillant élève, il parviendra à l’École Normale Supérieure et à l'agrégation de philosophie, avant de commencer une carrière politique comme député républicain. Dès 1885, année où il devient le plus jeune député de France, il prend le parti des ouvriers et propose un projet de retraites ouvrières en guise de premier pas sur la voie de ce socialisme vers quoi tout nous achemine, et il se distinguera par son soutien pour le peuple, notamment durant la grande grève des mineurs de Carmaux. Il s'opposera aux lois scélérates3 et dénoncera avec véhémence la collusion des intérêts économiques avec la politique et la presse. Durant l'affaire Dreyfus, il prend la défense du capitaine et pointe l'antisémitisme dont celui-ci est victime. En 1905, il est un des rédacteurs de la loi de séparation des Églises et de l'État5. La même année, il participe à la création de la Section française de l'Internationale ouvrière SFIO, dont il est l'acteur principal, unifiant ainsi le mouvement socialiste français. Ses positions réformistes lui valent toutefois l'opposition d'une partie de la gauche révolutionnaire. Il consacre les dernières années de sa vie à empêcher, en vain, le déclenchement de la Première Guerre mondiale, et se lie aux autres partis de l'Internationale ouvrière, faisant planer la menace de grève générale au niveau européen7. Ces positions pacifistes lui valent d'être assassiné par le nationaliste Raoul Villain à la veille du conflit. Cet événement entraîne paradoxalement le ralliement de la gauche à l'Union sacrée. En 1924, sa dépouille est transférée au Panthéon.
Sa vie
Jean Jaurès, de son nom d'état civil Auguste Marie Joseph Jean Léon Jaurès, est né à Castres en 1859 dans une famille de la petite bourgeoisie du Tarn dont sont issues quelques brillantes carrières comme celle de Benjamin Jaurès, amiral et ministre de la marine en 1889. Son père, Jules Jaurès 1819-1882, possède une petite expl itation agricole de 6 ha ferme du domaine de La Fédial près de Castres dans laquelle son fils passe son enfance et son adolescence jusqu'à l'âge de 17 ans. C'est une époque où il connaît, non pas la misère, mais peut-être une certaine gêne qui lui fait toucher du doigt les difficultés du peuple10. Sa mère, Adélaïde Barbaza 1822-1906, issue d'une famille d'industriels du textile, s'occupe de l'éducation des deux enfants du couple : Jean, l'aîné, et Louis 1860-1937, qui devint amiral et député républicain-socialiste. Brillant élève au collège de Castres, il y est remarqué par un inspecteur général, Félix Deltour, qui convainc ses parents de lui faire poursuive ses études dans les écoles de l'élitisme républicain, alors qu'ils le destinaient à l'administration des postes. Il est lauréat du concours général en latin. L'inspecteur lui obtient une bourse qui lui permet de préparer à Paris l'École normale supérieure, au collège Sainte-Barbe puis au lycée Louis-le-Grand. En 1878, il est reçu premier à l'École normale supérieure en philosophie, devant Henri Bergson. En 1881, il termine troisième à l'agrégation de philosophie, derrière Paul Lesbazeilles et Henri Bergson. Devenu professeur, Jaurès enseigne tout d'abord au lycée Lapérouse d'Albi, puis rejoint Toulouse en 1882 pour exercer comme maître de conférences à la faculté des lettres. Il donne également un cours de psychologie au lycée de jeunes filles de cette même ville. Il se marie le 29 juin 1886 avec Louise Bois 1867-1931, rencontrée au château de Loirac, fille d'un marchand de fromages en gros d'Albi, avec qui il a deux enfants : Madeleine Jaurès, née le 19 septembre 1889, décédée en 1951, mère de Jean-Jacques Delaporte 1910-1931 ; Louis Paul Jaurès, né le 27 août 1898 à Nontron Dordogne. Engagé volontaire en 1915 à 18 ans, au 7e régiment de dragons, il passe aspirant au 10e bataillon de chasseurs à pied. Il est tué le 3 juin 1918 à Pernant Aisne, village où l'armée allemande est arrêtée lors de la seconde bataille de la Marne, et déclaré mort pour la France. Une stèle, surmontée du buste de son père, est inaugurée à quelques kilomètres du lieu de sa mort, à Chaudun, le 15 novembre 1936, en présence de Léon Blum, qui prononce un discours. Il figure au Tableau d'honneur de la Grande Guerre, sous le prénom Paul Dans le contrat de mariage, la famille Bois offre au jeune couple le domaine de Bessoulet près de Villefranche-d'Albigeois où il s'installe rapidement.
1885-1898 : La progressive adhésion au socialisme
L'entrée en politique comme républicain
Jean Jaurès entre en politique à 26 ans comme candidat républicain dans le Tarn aux élections législatives de 1885. Il est élu et siège à l'assemblée nationale parmi les républicains opportunistes et soutient le plus souvent Jules Ferry. En 1889, il n'est pas réélu.
La découverte du socialisme
Privé de son mandat de député, Jaurès reprend son enseignement à la faculté de Toulouse. Il est reçu docteur ès lettres en 1892. Sa thèse principale a pour titre De la réalité du monde sensible, sa thèse secondaire (en latin, selon l'usage de l'époque De primis socialismi germanici lineamentis apud Lutherum, Kant, Fichte et Hegel. Les deux ont paru en 1891. Il continue également son activité politique. À partir de 1887, il collabore au quotidien de tendance radicale La Dépêche de Toulouse la future Dépêche du Midi. Il devient conseiller municipal sur les listes radicales-socialistes, puis maire adjoint à l'instruction publique de Toulouse 1890-1893. Ses travaux intellectuels, son expérience d'élu local, sa découverte des milieux ouvriers et des militants socialistes l'orientent vers le socialisme. Cette évolution s'achève avec la grève des mineurs de Carmaux.
La grève des mineurs de Carmaux :
l'adhésion définitive au socialisme 1892
En 1892, quand éclate la grande grève des mineurs de Carmaux, Jean Jaurès est à l'écart de la vie politique nationale. L'origine du conflit est le licenciement de Jean-Baptiste Calvignac - ouvrier mineur, leader syndical et socialiste qui venait d'être élu maire de Carmaux le 15 mai 1892 - par la Compagnie des mines que dirigent le baron René Reille, président du conseil d'administration l'homme fort de la droite tarnaise et son gendre Jérôme Ludovic de Solages, membre de ce même conseil député de la circonscription depuis septembre 1889, propriétaire de mines et de verreries. Le prétexte motivant le licenciement se trouve dans les absences de Jean-Baptiste Calvignac causées par ses obligations d'élu municipal. Ce licenciement est considéré par les mineurs comme une remise en cause du suffrage universel et des droits réels de la classe ouvrière à s'exprimer en politique. Les ouvriers se mettent en grève pour défendre leur maire. Le président Sadi Carnot envoie l'armée 1 500 soldats au nom de la liberté du travail. En plein scandale de Panama, la République semble ainsi prendre le parti du patronat contre les grévistes. Dans ses articles à la Dépêche, Jean Jaurès soutient, aux côtés de Georges Clemenceau, la grève. Il accuse la République d'être aux mains de députés et ministres capitalistes favorisant la finance et l'industrie aux dépens du respect des personnes. Durant cette grève, il fait l'apprentissage de la lutte des classes et du socialisme. Arrivé intellectuel bourgeois, républicain social, Jean Jaurès sort de la grève de Carmaux acquis au socialisme. Sous la pression de la grève et de Jaurès, le gouvernement arbitre le différend Société des mines de Carmaux-Calvignac au profit de ce dernier en lui donnant un congé illimité pour qu'il exerce ses fonctions de maire. Solages démissionne de son siège de député et provoque l'élection anticipée de janvier 1893. Jaurès est alors désigné par les ouvriers du bassin pour les représenter à la Chambre. Il est élu le 8 janvier 1893 comme socialiste indépendant malgré les votes ruraux de la circonscription.
Le premier mandat comme député socialiste de Jaurès 1893-1898
Désormais, Jean Jaurès représente à la chambre des députés les mineurs de Carmaux. Il milite avec ardeur contre les lois scélérates. Surtout, Jaurès se lance dans une incessante et résolue défense des ouvriers en lutte. Il défend les verriers d'Albi, renvoyés par leur patron Rességuier. Ce qui lui vaut l'ouverture d'une information judiciaire pour entrave à la liberté de travail, abandonnée fin 1895. C'est aussi à l'occasion de la découverte de fonds venant de hauts lieux chez un anarchiste de retour de Carmaux pas clair qu'il se lance dans un discours à la Chambre, le 30 avril 1894, dans lequel il dénonce la politique répressive du gouvernement, la censure du Père Peinard, consacré presque tout entier à injurier les députés socialistes, le deux poids deux mesures avec, d'un côté, la censure des journaux et députés socialistes, de l'autre la tolérance de discours également contestataires de certains catholiques Albert de Mun, l'article La Bombe dans La Croix de Morlay, les articles de La Croix ou l'article du Père Marie-Antoine publié dans L'Univers puis dans L'En-dehors et titré Le Christ et la Dynamite, qui évoquait la propagande par le fait) et enfin l'usage des agents provocateurs : C’est ainsi que vous êtes obligés de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime, dans la misère de quoi surveiller la misère et dans l’anarchie de quoi surveiller l’anarchie. Interruptions au centre. — Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche. Et il arrive inévitablement que ces anarchistes de police, subventionnés par vos fonds, se transforment parfois — comme il s’en est produit de douloureux exemples que la Chambre n’a pas pu oublier — en agents provocateurs. Et d'évoquer un certain Tournadre, actif lors des grèves de 1892, qui avait proposé aux ouvriers de Carmaux des fonds pour acheter de la dynamite et éventuellement de s'enfuir ensuite en Angleterre : or, selon Jaurès, alors que Tournadre avait répondu aux ouvriers qu'il avait des amis capitalistes à Paris, les perquisitions menées chez Tournadre à Carmaux avaient conduit à la découverte de deux lettres, l'une du baron de Rothschild, l'autre de la duchesse d'Uzès. Malgré ce discours, la Chambre vota dans une large majorité la confiance au gouvernement. Dans le sillage de la grève des mineurs de Carmaux, il participe, en 1895, à celle des verriers de la ville, déclenchée par le licenciement de deux syndicalistes par le patron de la verrerie, Eugène Rességuier. Cette grève aboutira à la fondation de la Verrerie ouvrière d'Albi, premier grand exemple d'entreprise autogérée. Durant ce mandant Jean Jaurès dénonça l'indifférence européenne et française aux massacres des Arméniens en Asie mineure organisés par le Sultan, dans un discours devant l'Assemblée nationale le 3 novembre 1896, particulièrement visionnaire dix-neuf ans avant le génocide dit de 1915. Dans le Languedoc viticole, il visite les Les Vignerons Libres de Maraussan qui créent la première cave coopérative. Aux élections de 1898, il est battu par le marquis Jérôme de Solages, héritier du fondateur de la Compagnie de Carmaux.
1898-1914 : Jaurès, le leader socialiste français
L'affaire Dreyfus
Au début de l'affaire Dreyfus, Jaurès est convaincu de la culpabilité du capitaine Dreyfus. Il utilise même la sentence de déportation, qu'il juge clémente, pour dénoncer l'incohérence de la justice militaire dans un discours à l'assemblée, le 24 décembre 1894 où il déclare que le capitaine Dreyfus, convaincu de trahison par un jugement unanime, n'a pas été condamné à mort, et le pays voit qu'on fusille sans pitié de simples soldats coupables d'une minute d'égarement, de violences ». Selon les termes de l'historien Michel Dreyfus, « Jaurès estime au début de l'Affaire] que si Dreyfus n'est pas condamné à mort, c'est parce que l'"immense effort juif" fait en sa faveur n'a pas été tout à fait "stérile" et qu'il a bénéficié du "prodigieux déploiement de la puissance juive". Face à la campagne de révision, Jaurès reste donc au départ en retrait. Par la suite, il s'engage véritablement comme défenseur de Dreyfus. En définitive, la haine de l'antisémitisme ne semble pas avoir joué un rôle "déterminant" dans son engagement en faveur de Dreyfus : c'est bien davantage sa vision de la démocratie, ainsi que sa volonté de rallier la jeunesse qui l'auraient poussé en ce sens. Dès lors, le combat de Jaurès en faveur de Dreyfus devient décisif. Le J'accuse de Zola ne paraît pas avoir été l'élément déclencheur : il refuse encore de s'engager, le 20 janvier 1898, entre les "cléricaux" qui voudraient utiliser l'Affaire contre les Juifs, les protestants ainsi que les libres penseurs, et les "capitalistes juifs" qui, discrédités par de nombreux "scandales", cherchent à se réhabiliter puis évoque encore en juin la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, qui manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d'extorsion. L'évènement décisif est la révélation, fin août 1898, du faux commis par le commandant Henry29 : Jaurès s'engage alors avec passion dans la défense de Dreyfus. Pour lui, l'affaire est non seulement un problème de justice individuelle, mais surtout de respect de l'humanité elle-même. En effet, elle pose le problème du mensonge et de l'arbitraire des grandes institutions, notamment de l'armée qui entend avoir une « justice » séparée. En outre, elle est utilisée par les droites catholique et nationaliste pour renverser la République. Il s'oppose alors à certains autres socialistes, dont Jules Guesde pour qui Dreyfus est un officier bourgeois dont la défense ne serait pas prioritaire le souvenir de la répression sanglante de la Commune de Paris, et d'autres révoltes ouvrières, est pour beaucoup dans la défiance de militants ouvriers envers la cause d'un officier. Jaurès, dans un ouvrage dreyfusard, Les Preuves, écrit : Si Dreyfus a été illégalement condamné et si, en effet, comme je le démontrerai bientôt, il est innocent, il n'est plus ni un officier ni un bourgeois : il est dépouillé, par l'excès même du malheur, de tout caractère de classe; il n'est plus que l'humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir qu'on puisse imaginer. ... Nous pouvons, sans contredire nos principes et sans manquer à la lutte des classes, écouter le cri de notre pitié; nous pouvons dans le combat révolutionnaire garder des entrailles humaines; nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l'humanité. Mais pour Jaurès, l'accablement de malheurs et d'injustices dont Dreyfus est victime font de lui un homme qui souffre des persécutions de la caste militaire, qui est le gardien armé du Capital, et donc l'ennemi du prolétariat. Avec l'affaire Dreyfus, Jaurès devient un homme politique à l'influence nationale.
Le socialiste, soutien de la République 1898-1904
Battu aux élections de 1898 l'installation de la Verrerie ouvrière à Albi et son ardente défense de Dreyfus ont provoqué sa défaite, Jaurès se consacre au journalisme et devient codirecteur de La Petite République, un journal socialiste républicain. C'est dans les colonnes de ce journal qu'il publie Les preuves relatives à l'affaire Dreyfus. Par ses articles, il soutient le gouvernement Waldeck Rousseau de Défense républicaine, qui associe à son action, pour la première fois dans l'histoire de la République, un socialiste, Alexandre Millerand, nommé au commerce et à l'industrie. Parallèlement, il dirige une Histoire socialiste de la France contemporaine Éditions Rouff pour laquelle il rédige les volumes consacrés à la Révolution française 1901-1908. En 1902, Jean Jaurès participe à la fondation du Parti socialiste français. La même année, il parvient à reconquérir le siège de député de Carmaux qu'il conserve d'ailleurs jusqu'à sa mort réélu en 1906, 1910 et 1914. Son talent d'orateur lui permet de devenir le porte-parole du petit groupe socialiste de l'Assemblée nationale. Jaurès et son Parti socialiste français s'engagent nettement en faveur du Bloc des gauches et du gouvernement Combes 1902-1905. Jaurès participe à la rédaction de la loi de séparation des Églises et de l'État décembre 1905. Cependant, Jaurès et les autres socialistes sont déçus par la lenteur des réformes sociales. Le dynamisme du Bloc des gauches s'épuise. Jaurès, vice-président de la Chambre en 1902, n'est pas réélu à cette fonction en 1904. Le rapprochement politique avec un gouvernement « bourgeois » allant jusqu'à la participation gouvernementale est, de plus, condamné par l'Internationale Socialiste.
La création de l'Humanité et l'unification du mouvement socialiste
En 1904, Jaurès fonde le quotidien L'Humanité qu'il dirige jusqu'à sa mort. L’équipe qui lance le journal avec Jaurès n’est pas composée de journalistes en titre, mais d’intellectuels qui ont vécu aux côtés du député socialiste trois combats victorieux : le droit ouvrier à la politique, bafoué à Carmaux par le marquis de Solages, et qui s’impose en 1892 ; la justice rendue au capitaine Dreyfus ; la liberté de conscience, objet d’un débat qui fait rage en 1904, et qui sera inscrite, dans la loi de séparation des Églises et de l’État. De grandes plumes s’associent au projet : Anatole France, Octave Mirbeau, Jules Renard. Jaurès sous-titre son journal quotidien socialiste et l'utilise pour accélérer l'unité socialiste. Celle-ci est réalisée sous la pression de la Deuxième Internationale au Congrès du Globe avril 1905 avec la création de la Section française de l'Internationale ouvrière SFIO, unifiant les différentes sensibilités socialistes de France. Jaurès partage la direction de la SFIO avec le marxiste Jules Guesde. La SFIO fait sien le constat de la lutte des classes, et s'affirme clairement internationaliste. Pour l'unité, Jaurès a accepté l'abandon du soutien au gouvernement. Mais, il a obtenu des guesdistes l'insertion de la SFIO dans la démocratie parlementaire. Dirigeant politique important, il engage le dialogue avec les syndicalistes révolutionnaires de la CGT. En 1914, la SFIO rassemble 17 % des voix et obtient 101 sièges de députés.
Le pacifisme
Jaurès lutte contre la venue de la guerre les dix dernières années de sa vie. Il est très préoccupé et inquiet face à la montée du nationalisme et aux rivalités entre les grandes puissances surtout pendant les guerres balkaniques en 1912-1913. En 1910, il rédige une proposition de loi consacrée à l’armée nouvelle, dans laquelle il préconise une organisation de la Défense nationale fondée sur la préparation militaire de l’ensemble de la nation. Il s'inspire alors du livre de 1905 L'Armée nouvelle, ce qu'elle pense, ce qu'elle veut du capitaine Mordacq, qui deviendra un des principaux collaborateurs de Georges Clemenceau à la fin de la Grande Guerre. Jaurès est un cas singulier : pacifiste, mais passionné par la défense, par la stratégie militaire, et qui inspirera, au titre de la nation armée, le Vietnamien Ho Chi Minh ! Ainsi, dans le livre à l’origine de sa proposition de loi, il préconise la constitution d’une armée défensive, de milices, entraînée dans le monde civil, liée à la nation, le contraire de l'armée de caserne. Ses adversaires ont beau jeu de lui objecter qu’une armée de milices, ne pouvant assurer une discipline et un entraînement comparables à l'armée classique, se débanderait rapidement face à la machine de guerre allemande, la plus puissante du monde à l'époque. De fait, c'est bien l'armée d'active qui jouera le rôle décisif à la bataille de la Marne, les divisions de réserve nécessitant de longues semaines pour s'aguerrir. Jaurès mène une vigoureuse campagne contre la Loi des trois ans de service militaire, défendue ardemment par le député Émile Driant. La loi est votée en 1913, malgré le rassemblement du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913, où Jaurès fait un discours devant 150 000 personnes. L'année 1914 semble relancer les espoirs de paix : la guerre dans les Balkans est finie, les élections en France sont un succès pour les socialistes. Mais l'attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 et l'ultimatum autrichien à la Serbie du 23 juillet 1914 relancent les tensions entre les grandes puissances. Jaurès tente d'infléchir, dans un sens favorable à la paix, la politique gouvernementale. Il rappelle le mot d'ordre de grève générale décidé par l'Internationale ouvrière en cas de déclenchement de la guerre.
Assassinat du 31 juillet 1914
Le pacifisme de Jaurès le fait haïr des nationalistes. Pendant la journée du vendredi 31 juillet 19148, il tente, d'abord à la Chambre des Députés, puis au ministère des Affaires étrangères, de stopper le déclenchement des hostilités. En fin d'après-midi, il se rend à son journal L'Humanité pour rédiger un article, qu'il conçoit comme un nouveau J'accuse. Avant la nuit de travail qui s'annonce, il descend avec ses collaborateurs pour dîner au Café du Croissant, rue Montmartre. Vers 21 h 40, un étudiant nationaliste déséquilibré, Raoul Villain, tire deux coups de feu par la fenêtre ouverte du café et abat Jaurès à bout portant. Cet assassinat facilite le ralliement de la gauche, y compris de beaucoup de socialistes qui hésitaient, à l'« Union sacrée. La grève générale n'est pas déclarée. Le 29 mars 1919, le meurtrier de Jaurès est acquitté, dans un contexte de fort nationalisme. La veuve de Jaurès est condamnée aux dépens paiement des frais du procès.
Les idées socialistes de Jaurès : le jaurésisme
Jules Guesde, Paul Lafargue, Léon Blum, Léon Gambetta, Jules Ferry, Édouard Vaillant et Jean Allemane.
Le socialisme de Jean Jaurès mêle le marxisme aux traditions révolutionnaires et républicaines françaises. Le socialisme de Jaurès est souvent qualifié d'« humaniste », avec ses références constantes à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à la Révolution française, dont il fut l'historien. Jaurès retient du marxisme l'idée du danger de la concentration capitaliste, la théorie de la valeur et la nécessité de l'unité du prolétariat. Jaurès est évidemment favorable à des lois de protection sociale. Il souhaite aussi une collectivisation volontaire et partielle. Il veut la démocratisation de la propriété privée, et non sa destruction, et il est attentif aux mouvements coopératifs verrerie ouvrière d'Albi. Socialiste, Jaurès dénonce le contraste entre l’énorme misère du prolétariat industriel et l’insensibilité sociale de la bourgeoisie. Pendant une longue époque du xixe siècle, la défense égoïste de ses privilèges a poussé la bourgeoisie à vouloir imposer le silence au prolétariat en lui interdisant le droit de grève et le droit syndical qui ne sera reconnu qu'en 1884. Dans son livre intitulé Jean Jaurès, un combat pour L'Humanité, Pascal Melka montre en quels termes Jaurès dénonce cette situation dans sa plaidoirie au procès qui a opposé en 1894 le journaliste Gérault-Richard au président de la République Jean Casimir-Périer : Et vous vous étonnez de la véhémence de nos paroles, de la force de nos accusations ! Mais songez donc que nous parlons au nom d’un siècle de silence ! Songez donc qu’il y a cent ans il y avait dans ces ateliers et dans ces mines des hommes qui souffraient, qui mouraient sans avoir le droit d’ouvrir la bouche et de laisser passer, en guise de protestation, même leur souffle de misère : ils se taisaient. Puis un commencement de liberté républicaine est venu. Alors nous parlons pour eux, et tous leurs gémissements étouffés, et toutes les révoltes muettes qui ont crié tout bas dans leur poitrine comprimée vibrent en nous, et éclatent par nous en un cri de colère qui a trop attendu et que vous ne comprimerez pas toujours. Jaurès conçoit, par ailleurs, le passage au socialisme dans le cadre de la République parlementaire. Attaché aux traditions républicaines françaises, il n'est cependant pas centralisateur comme le montrent ses idées sur l'enseignement des langues régionales. L'historien Michel Winock rappelle : Ce qui est remarquable, c'est qu'il rend hommage à tous les camps. Ce n'est pas un sectaire. Par exemple, à propos des droits de l’homme et du citoyen, les marxistes disent que ce sont des droits formels, un masque qui rejette dans l'ombre les vraies motivations, c'est-à -dire la défense des intérêts de la bourgeoisie. Ce n'est pas du tout l'avis de Jaurès. Lors de l'affaire Dreyfus, alors que le socialiste et marxiste Jules Guesde juge que le prolétariat n'a pas à défendre un bourgeois, Jean Jaurès s'engage en sa faveur, écrivant : Nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfermer hors de l'humanité. Le réveil des études jaurésiennes a mis en évidence, après une longue période vouée surtout à l'hagiographie, parfois même à l'oubli, l'importance exceptionnelle du fondateur de L'Humanité. Au portrait du vieux socialiste barbu, aux échos de son éloquence chaleureuse, plus ou moins démodée, se substituent peu à peu de nouvelles images. Si l'on s'est mépris sur le personnage, cela tient essentiellement à deux raisons : d'une part, la dualité de la tradition politique issue de Jaurès – tradition social-démocrate, tradition communiste – a longtemps transformé en champ clos l'histoire de sa vie et le sens de son message ; d'autre part, son œuvre écrite, immense, mais fragmentaire, reste dispersée, si bien que son action militante est connue plutôt par la légende que par de solides études. Une fin tragique fait peser sur la vie de Jaurès l'incertitude et l'ambiguïté. Mieux vaut tenter de donner une idée des multiples aspects de la personnalité d'un homme que Barrès admirait, que Péguy aima en sa jeunesse. L'assassinat de Jaurès se heurta d'abord à l'incrédulité, puis à la certitude que, lui mort, la lutte contre la guerre perdait son sens.
Formation d'un militant
Jaurès est né à Castres dans le Tarn, aux confins du Massif central et du Midi languedocien. Le département est essentiellement rural, comme presque tout le sud-ouest de la France : une majorité de petits paysans y vivent, soumis en fait à quelques familles royalistes ou bonapartistes – les Reille, les de Solages. Dans les villes, une moyenne bourgeoisie, généralement catholique et peu portée au socialisme, à laquelle appartiennent les grands-parents de Jaurès, fournit les cadres de la société : il y a même des amiraux dans sa famille. Initié à la langue occitane et à la vie des champs, brillant élève, il échappe bientôt à la condition paysanne et provinciale, sans jamais se dégager vraiment du Midi : il sera professeur à Albi, puis à la faculté des lettres de Toulouse et représentera à la Chambre le département du Tarn.
L'évolution d'un intellectuel
Boursier, il est reçu premier à l'Ecole normale supérieure en 1878 et passe l'agrégation de philosophie en 1881. Sa culture, essentiellement littéraire et classique, l'apparente à ses condisciples : beaucoup resteront ses amis jusqu'à sa mort. La vie politique exerce sur lui un attrait irrésistible : dans les années 1880, il admire Gambetta et Ferry. En 1885, le « canard » se jette à l'eau et entre à la Chambre comme député centre gauche du Tarn. Mais le milieu parlementaire, médiocre, sans idéal, sans perspective, le déprime, l'éloigne de tout désir de se commettre avec la bourgeoisie pour faire carrière. Battu aux élections de 1889, il se consacre pendant trois ans à la rédaction de ses thèses de philosophie. La préparation de sa thèse secondaire, en latin (De primis socialismi germanici lineamentis apud Lutherum, Kant, Fichte et Hegel), sur les origines du socialisme allemand, l'amène à lire Hegel, Fichte, les socialistes prémarxistes, à aborder Lassalle et Marx. Il médite longuement, sans encore s'engager. Sa thèse principale sur « la réalité du monde sensible », apparemment sans relation avec la vie publique, en constitue en fait, pour une grande part, le substrat philosophique : la politique sera aussi pour lui la médiation de la métaphysique dans le monde.
La découverte du prolétariat
Le prolétariat n'est guère présent à Castres. En 1885, sa première campagne électorale conduit Jaurès à Carmaux, ville de verriers et de mineurs récemment venus de la campagne et soumis au bon vouloir du marquis de Solages qui administre la mine et représente la ville au Parlement. En 1892, Jaurès comprend la signification de la lutte des classes en défendant les mineurs en grève qui protestent contre le renvoi de leur maire et responsable syndical, Jean-Baptiste Calvignac. Élu député de l'arrondissement en janvier 1893, Jaurès restera jusqu'à sa mort – sauf entre 1898 et 1902 – le député des mineurs et des paysans de Carmaux, c'est-à -dire, comme le montre l'analyse des votes, l'élu du prolétariat ouvrier de la ville et de ses environs. Il en prend la responsabilité entière : soutien quotidien des revendications ouvrières, participation aux manifestations syndicales et politiques locales, campagnes électorales, toujours difficiles, au cours desquelles il arrive que sa vie soit en danger. Il a découvert la lutte des classes et reste convaincu que, dans une société déchirée par la propriété privée, le prolétariat n'est pas seulement une victime mais la force décisive pour toute transformation sociale, celle qui, en créant les bases du socialisme, réconciliera les hommes entre eux et en eux.
Au tournant du siècle. Les nouvelles responsabilités nationales
Les écrits et les actes de Jaurès, entre 1893 et 1898, expriment une foi très vive, presque messianique, dans l'imminence de la révolution, foi qu'il partage avec la grande majorité des socialistes français, en particulier avec les guesdistes, sur le programme desquels, sans adhérer à leur parti, il a été élu député. Cependant, la reprise de l'expansion économique, la contre-attaque de la bourgeoisie opportuniste avec Casimir-Perier, Méline, Charles Dupuy, la découverte, pendant l'affaire Dreyfus, à laquelle il se consacre entièrement en 1898-1899, de la puissance de l'appareil d'État – armée, justice – l'amènent à une vue plus proche du réel : sans rien renier du socialisme, il faut d'abord consolider la République et travailler à l'unité.
L'unité socialiste
Réaliser l'unité, ce n'est pas seulement créer une force politique nouvelle indispensable pour la lutte, c'est aussi répondre à l'unité de nature du prolétariat : sur ce plan, Jaurès, si souvent maltraité par les marxistes français et allemands, si vivement critiqué par Engels et Rosa Luxemburg, et si étrange aux yeux de Lénine, est profondément marxiste. Seule d'ailleurs, pense-t-il, l'unité socialiste permettra à la classe ouvrière de pratiquer une large politique d'alliances, de regrouper autour d'elle la paysannerie en difficulté et les intellectuels que leurs origines sociales n'empêchent pas d'être accessibles à la nécessité de renouveler profondément la pensée traditionnelle. Mais l'unité ne peut se faire que dans et par la République, car, « sans la République, le socialisme est impuissant, et sans le socialisme, la République est vide ». Nécessité qui lui paraît liée en France à la grande tradition de 1789-1793 : il s'en fait l'historien dans l'Histoire socialiste de la Révolution française (1901-1904), histoire marxiste, nationale en même temps que républicaine. La mise en œuvre de l'unité est difficile : le morcellement du socialisme français n'est pas le résultat du hasard ni de la seule mauvaise volonté des hommes. De 1899 à 1904, Jaurès est littéralement déchiré entre les exigences de la « défense républicaine » et celles du socialisme révolutionnaire : il choisit la première comme une étape nécessaire, et devient le « saint Jean Bouche d'Or » du bloc des gauches. Bientôt les appels de la base et de l'Internationale, la conscience que la politique du bloc a épuisé ses effets, les débuts de la tension diplomatique européenne et les espoirs nés de la première révolution russe le poussent à mettre à nouveau au premier plan « le beau soleil de l'unité socialiste ». Celle-ci se réalise en avril 1905.
Jaurès, la S.F.I.O. et la C.G.T.
La constitution de la S.F.I.O. (Section française de l'Internationale ouvrière) confère à Jaurès de nouvelles responsabilités nationales, non qu'il en soit le leader incontesté : jusqu'en 1908 au moins, et même, à bien des égards, jusqu'en 1912, les diverses tendances luttent entre elles et Jaurès, malgré L'Humanité fondée en avril 1904 et dont il a gardé la direction, est souvent récusé, dans l'appareil du parti surtout. Peu à peu, il consolide son influence, s'appuyant largement sur l'immense popularité que ses dons oratoires, sa compétence en tout domaine, son courage et son total dévouement lui valent dans les masses populaires. Meetings à Paris et en province, activité parlementaire harassante, direction du journal. Allié souvent au vieux communard Édouard Vaillant, tant respecté dans la fédération de la Seine du parti, il tente d'amener le socialisme français à assumer ses responsabilités nationales et internationales. Il s'agit d'abord pour lui de faire progresser, par-delà l'unité socialiste, l'unité ouvrière avec la C.G.T. (Confédération générale du travail). Jaurès a été le principal artisan du rapprochement entre le parti et les syndicats car il approuve la C.G.T. de ne pas se confiner dans les luttes corporatives. En France, comme il le dit en 1912 au congrès de Lyon, le capitalisme n'est pas assez fort pour que « la pensée prolétarienne agisse pour ainsi dire par sa propre masse. [...] Nous aurons besoin que, dans notre classe ouvrière, plus dispersée, plus mêlée de paysannerie plus ou moins conservatrice, de petite bourgeoisie et de petite paysannerie [...] circule la force du vieil idéal révolutionnaire qui a sauvé la France. » Ce grand parlementaire est souvent plus révolutionnaire que la plupart de ses camarades guesdistes. Il est vrai que l'effritement du régime des partis traditionnels l'accable : de 1906 à 1914, du côté de Georges Clemenceau comme du côté d'Aristide Briand, l'influence du capitalisme pénètre la démocratie parlementaire de telle façon qu'elle se disloque et que, dans ses cadres, se meuvent maintenant, victorieux, les adversaires du progrès. D'autant plus lourdes lui apparaissent les responsabilités du socialisme et les siennes propres.
Une dimension internationale
Pour assumer ces responsabilités, Jaurès ne voit que l'Internationale. Certes elle n'a pas à dicter leur conduite aux partis nationaux, mais à ses yeux elle est plus qu'un club de discussion, « une force intermittente et superficielle ». Il lui faut mobiliser l'opinion publique et proposer des règles, des moyens d'action. Seule, en effet, pense-t-il, la classe ouvrière, internationalement organisée, peut mettre un terme au processus de dégradation dont l'histoire contemporaine porte témoignage. Que les militaires, au Maroc, fassent haïr le nom de la France, que les radicaux attachés au monde des affaires laissent s'opérer le rapt d'immenses terres en Tunisie, ou maintiennent au Vietnam des monopoles écrasants pour les indigènes, que les civilisations les plus belles en Asie, en Afrique soient ignorées, voire méprisées par ceux qui devraient être les porteurs de l'universalisme du XVIIIe siècle, Jaurès s'en désespère, mais considère tous ces problèmes comme internationaux. « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage » ; la guerre peut jaillir des gouffres coloniaux, la politique des blocs peut déboucher sur le massacre, la pratique de l'arbitrage peut échouer. Nul, jusqu'à la fin de 1912 au moins, jusqu'au congrès de Bâle, et sans doute jusqu'en 1914, n'a vécu aussi dramatiquement l'approche de la guerre, et c'est du côté du mouvement ouvrier qu'il a cherché l'appui décisif. De congrès en congrès, auprès du Bureau socialiste international dans l'intervalle, il tente d'obtenir de l'Internationale le vote de motions précisant les moyens à employer pour empêcher la guerre. L'opposition de la social-démocratie allemande fait échouer au congrès de Stuttgart (1907), puis au congrès de Copenhague (1910) l'appel à la grève générale ouvrière contre la guerre. Jaurès savait bien d'ailleurs qu'il s'agissait d'une pédagogie à long terme plus que d'une pratique immédiatement efficace. Il meurt en plein échec : la démocratie politique, loin de s'épanouir en démocratie sociale, s'est altérée en France, la colonisation est devenue une affaire Dreyfus permanente, les forces de paix ont été battues. Mais le socialisme a vécu unifié quelques brèves années, les sectes se sont désectarisées, l'action de masse s'est développée. On se réclame toujours de Jaurès. Innombrables sont les questions qui se posent et qui portent moins sur les faits, encore mal connus pourtant, que sur l'interprétation qu'on en donne ou sur des intentions supposées. Par exemple, qu'eût fait Jaurès en août 1914 ? Sa mort au moment du choix décisif laisse planer finalement le mystère sur son orientation. Certains invoquent son profond patriotisme – si sensible dans son livre-testament, L'Armée nouvelle – et la confiance qu'il garda jusqu'à la fin dans les nations libérales pour conclure qu'il eût, sans aucun doute, rallié l'Union sacrée. D'autres soulignent la sévérité avec laquelle il jugeait depuis des années la politique de la France et de la Russie et son attachement presque pathétique à l'Internationale pour penser que la vague d'Union sacrée l'eût peut-être épargné, ou en tout cas, qu'il fût vite devenu « minoritaire ». Qu'eût-il fait enfin devant la Révolution russe ? Questions évidemment vaines, mais qui montrent l'influence qu'eut l'homme. D'autre part, la grande amitié qui liait le jeune disciple qu'était Péguy au maître déjà mûr, Jaurès, débouche en quelques années, du côté de Péguy, sur la rupture et la haine, sur l'appel à l'échafaud. Conflit personnel et passionné : deux philosophies, deux tempéraments sont face à face. L'historien doit s'efforcer de mieux saisir, à travers ce débat, ce que furent, après 1900, la crise du dreyfusisme et la montée du nationalisme, et ce que signifiait aussi le combat mené par Jaurès. Il faut également aborder le problème du réformisme de Jaurès. Le mot d'abord est obscur : pour certains, « réformiste » veut dire « qui révise Marx ». Le vocable est alors inadéquat : Jaurès ne se réclama jamais exclusivement de Marx, et n'entreprit pas de le réviser d'une manière systématique. Au contraire, dans une conférence célèbre prononcée en 1900, il défendait contre Bernstein la théorie marxiste de la valeur. Pour d'autres, qualifier Jaurès de réformiste, c'est mettre l'accent sur son « socialisme démocratique » – dont la S.F.I.O. après la scission se considérera comme l'héritière – ou sur le « socialisme des intellectuels » dont il aurait été le porte-parole. À quoi d'autres répondent en soulignant l'importance des concepts de parti et de prolétariat pour Jaurès et en mettant en évidence ce que sa pratique eut souvent de révolutionnaire. Enfin, Jaurès est-il le dernier socialiste du XIXe siècle ou le premier du XXe ? Par son optimisme évident, sa croyance au progrès et aux valeurs humanistes, son ardent républicanisme, il appartient incontestablement au siècle finissant. Par sa mélancolie secrète, sa confiance passionnée dans le peuple, l'originalité prémonitoire de son œuvre historique et la vitalité sans relâche de son militantisme, il est déjà un homme de notre temps. Madeleine Rebérioux
Mémoire de Jaurès Hommages politiques
En 1917, Léon Trotski écrit un éloge de Jean Jaurès qu'il conclut par ces mots : Jaurès, athlète de l'idée, tomba sur l'arène en combattant le plus terrible fléau de l'humanité et du genre humain : la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l'homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte. À l'issue de la Grande Guerre et de ses massacres, de nombreuses communes françaises baptisent des rues et des places en l'honneur de celui qui fut un grand défenseur de la paix. À Castres, sa ville natale, le collège où il étudia porte également son nom. De plus, la principale place de la ville qui s'appelait "Place Nationale" a été rebaptisé "Place Jean Jaurès" en 1920. Deux stations du métro de Paris Jaurès et Boulogne — Jean Jaurès portent aussi son nom : la première fut ainsi en urgence baptisée dès le 1er août 1914 en remplacement du nom rue d'Allemagne. Une station du métro toulousain, du Métro de l'agglomération de Lille et une station du Métro de Lyon portent aussi son nom, tout comme un arrêt de tram de la Ligne C de Strasbourg et également l'une des places principales de la ville de Saint-Étienne. De nombreuses écoles et de nombreux collèges et lycées portent également son nom. Une rue de Buenos Aires porte également son nom. Une rue importante de Tunis porte son nom hommage de Bourguiba à Jaurès. En 1924, la décision du transfert de la dépouille de Jean Jaurès au Panthéon est l'occasion pour le gouvernement du Cartel des gauches qui vient d'être élu de se donner un ancrage symbolique tout en rendant hommage à celui qui a tenté d'empêcher la guerre. Le dimanche 23 novembre 1924, sa dépouille est conduite au Panthéon lors d'une grandiose cérémonie à laquelle participent les mouvements politiques de gauche, excepté le Parti communiste français, exclu de la cérémonie officielle, qui organise sa propre manifestation et proteste contre la récupération de Jaurès.
Tombe de Jean Jaurès au Panthéon de Paris
Le 21 mai 1981, François Mitterrand, nouvellement élu Président de la République se rend au Panthéon et s'incline devant la tombe de Jaurès, puis de Victor Schœlcher et de Jean Moulin. En 1988, François Mitterrand inaugure le Centre national et musée Jean Jaurès Œuvres artistiques honorant la mémoire du tribun socialiste Le Parti socialiste a choisi d'appeler sa fondation politique, la Fondation Jean-Jaurès. Pour commémorer le centième anniversaire de l'assassinat de Jean Jaurès, le journal l'Humanité a décidé d'éditer un agenda 2014 autour de la figure de Jean Jaurès. Les papiers personnels de Jean Jaurès sont conservés aux Archives nationales sous la cote 437AP
Hommages artistiques
La chanson de Jacques Brel intitulée Jaurès 1977, reprise par la suite par Manu Dibango puis par Francesca Solleville, Zebda et Erik Marchand, rappelle à quel point l'homme politique était devenu une figure mythique des classes populaires. En 2005, un téléfilm lui est consacré : Jaurès, naissance d'un géant, de Jean-Daniel Verhaeghe avec Philippe Torreton et Valérie Kaprisky. De nombreuses statues de Jean Jaurès ont été érigées dans les villes de Castres, Carmaux, Suresnes, etc. L'artiste Jihel a rendu de nombreux hommages à Jean Jaurès au travers de dessins qui se trouvent pour la plupart au Centre National et Musée Jean Jaurès à Castres, il s'y réfère entre autres dans sa série Ciment de l'histoire. Le poète Serge Pey, a évoqué l'homme politique et le philosophe dans son livre Le trésor de la guerre d'Espagne et lui a également consacré une œuvre permanente dans les nouveaux locaux du conseil régional de Midi-Pyrénées, sous le titre : le Courage de la pensée. En 2012, l'homme politique est l'effigie d'une pièce de 10 € en argent éditée par la Monnaie de Paris, pour la collection Les Euros des Régions, afin de représenter Midi-Pyrénées, sa région natale. En 2013 Festival d'Avignon est créé le spectacle de Pierrette Dupoyet Jaurès, assassiné deux fois. En 2014, est créé le spectacle « Rallumer tous les soleils : Jaurès ou la nécessité du combat de Jérôme Pellissier, mise en scène Milena Vlach. En hommage à l'homme politique français, 22 ans après sa mort, La Poste française émet deux timbres.
Critique
La mémoire de Jaurès est utilisée à droite comme à gauche. Dans les années qui ont suivi sa mort, la mémoire de Jaurès fut poursuivie par la droite nationaliste contre-manifestation lors de son entrée au Panthéon. Dans un ouvrage de 2012, Bernard Antony, un auteur d'extrême-droite, parle de l’anticléricalisme de Jaurès, voulant éviter toute sacralisation du personnage. Jean Jaurès fut également critiqué comme trop bourgeois la communion de sa fille lui fut reprochée, bien que celle-ci ait eu lieu à la seule initiative de sa femme et trop réformiste par une partie de la Gauche révolutionnaire.
Œuvres de Jaurès
De la réalité du monde sensible sa thèse Les Preuves, 1898, sur l'Affaire Dreyfus Études socialistes Vers la république sociale Préface à L'Application du système collectiviste de Lucien Deslinières, 1898 Les Deux Méthodes, 1900 Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908 Comment se réalisera le socialisme ?, 1901 Le discours à la jeunesse, 1903 Maudite soit la guerre 1903 Notre but, 1904 La Révolution russe, 1905 La guerre franco-allemande 1870-1871, 1907 L'Alliance des peuples L'Armée Nouvelle, 1910 Conflit élargi, 1912 Discours de Vaise, 1914 Louis XVI Tallandier, 2005 : extraits de l'Histoire socialiste de la Révolution française ; édition présentée par Max Gallo et mise au point par Lorraine de Plunkett Œuvres, 5 volumes parus depuis 2000 17 prévus, Fayard. Jaurès, l'intégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche Privat, 2009, édition mise au point par Rémy Pech, Rémy Cazals, Jean Faury, et Alain Boscus
Bibliographie
Stefan Zweig, Jaurès in "Hommes et destins", Paris, Belfond, 1999, article de 1916 Louis Soulé, La Vie de Jaurès, Toulouse, Librairie de la Dépêche, 1917 Marcelle Auclair, La vie de Jean Jaurès où la France d'avant 1914, Le Seuil, 1954. Vincent Auriol direction, Jean Jaurès, PUF, 1962. Henri Guillemin, L'arrière-pensée de Jaurès, Paris, Gallimard, 1966, 234 pages François Fonvieille-Alquier, Ils ont tué Jaurès !, Paris, Robert Laffont, 1968 Harvey Goldberg, Jean Jaurès, la biographie du fondateur du parti socialiste français, Paris, Fayard, 1970 Jean Rabaut, Jean Jaurès, Paris, Perrin, 1971 Max Gallo, Le grand Jaurès, Paris, Robert Laffont, 1984 Jean Sagnes, Jean Jaurès et le Languedoc viticole, Presses du Languedoc/Max Chaleil Éditeur, 1988. Gilles Candar, Jean Jaurès. L'intolérable, 1850-1914, Editions l'Atelier, 1989. Gilles Candar - Madeleine Rebérioux coordination, Jean Jaurès et les Intellectuels, Editions Autrement, 1994. Madeleine Rebérioux, Jaurès : la parole et l'acte, Gallimard, 1994 Vincent Peillon, Jean Jaurès et la religion du socialisme, Grasset, 2000. Bruno Antonini, État et socialisme chez Jean Jaurès, L'Harmattan, 2004 Jean-Pierre Rioux, Jean Jaurès, Paris, Perrin, 2005 René Vérard, Jaurès, notre horizon, Corsaire Éditions, 2005. Dominique Jamet, Jean Jaurès : le rêve et l'action, Bayard, 2009 Jean Sagnes, Jean Jaurès, Aldacom, 2009. Rémy Pech, Jaurès paysan, Toulouse, Éditions Privat, Didier Daeninckx, Jean Jaurès : Non à la guerre, Actes Sud Junior, 2010. Pascal Melka, Jean Jaurès, un combat pour L'Humanité. Etude de sa pensée politique, éditions La Compagnie Littéraire, 2010 Charles Silvestre - Ernest Pignon-Ernest illustrations, Jaurès, la passion du journaliste, éd. Le Temps des cerises, coll. « Petite Collection rouge », Rémy Pech - Jean-Michel Ducomte, Jaurès et les radicaux : une dispute sans rupture, Toulouse, Privat, 2011 Bernard Antony, Jaurès, le mythe et la réalité, Éditions Fol'Fer, 2012. Roger Benjamin, Jean Jaurès - Un philosophe humaniste et personnaliste, un socialiste réformiste et révolutionnaire, Editions l'Harmattan, 2013. Pierre Clavilier, Jean Jaurès : l'éveilleur des consciences, Éditions du Jasmin, 2013. Vincent Duclert, Jean Jaurès 1859 - 1914 : la politique et la légende, Edition Autrement, 2013. Charles Silvestre, La victoire de Jaurès, Éditions Privat, 2013. Bruno Fuligni, Le monde selon Jaurès, Tallandier, 2014. Gilles Candar - Vincent Duclert, Jean Jaurès, Fayard, 2014. Jacqueline Lalouette, Jean Jaurès, Perrin, 2014. Magali Lacousse, Gilles Candar, Romain Ducoulombier, Elsa Marguin,Jaurès. Une vie pour l'humanité, Paris, Co-édition Beaux-arts, Archives nationales et Fondation Jean-Jaurès, 2014. Bernard Carayon, Comment la gauche a kidnappé Jaurès, Editions Privat, 2014. Jean-Paul Scot, Jaurès et le réformisme révolutionnaire, Seuil, 2014. Yann Harlaut, Yohann Chanoir, Convaincre comme Jaurès. Comment devenir un orateur d'exception, Paris, Eyrolles, 2014. Doizy Guillaume, Jarnier Jean-Luc, Jaurès, apôtre de la paix, Paris, Hugo-image, 2014, 224 p.
Presse
Le Monde, « Jean Jaurès, un prophète socialiste », hors-série, mars 2014. L’Humanité (chapitres rédigés par Charles Sylvestre), « Jean Jaurès, une vie pour changer le monde », hors-série, 124 pages, avril 2014. Politis, « Les grands débats de la gauche depuis Jaurès », hors-série, juin-juillet 2014. Filmographie Jean Jaurès, vie et mort d'un socialiste, téléfilm d'Ange Casta en 1979, avec Bernard Fresson dans le rôle-titre. Jaurès, naissance d'un géant, téléfilm de Jean-Daniel Verhaeghe en 2005, avec Philippe Torreton dans le rôle-titre. Jaurès. La force de l'idéal, film docu-fictionnel de Didier Baulès en 1995, avec Denis Beaunes dans le rôle-titre.
Iconographie
Augustin Lesieux (1877-1964), Monument à Jean Jaurès, inauguré le 15 août 1929 à Méricourt ; Monument à Jean Jaurès à Castres ; Jean Charles Mainardis, Monument à Jean Jaurès, érigé le 11 novembre 2014 devant la mairie de Trappes48 ; Gabriel Pech, Monument à Jean Jaurès à Carmaux.
Posté le : 29/07/2016 21:41
Edité par Loriane sur 30-07-2016 11:11:39
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