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Défi du 06/09
Semi pro
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Salut à vous,
Cette semaine j'ai l'honneur de choisir le défi. J'ai décidé de soumettre votre habileté dirai-je. Pour cela je vous propose d'écrire une même scène ou histoire de manière différente, deux ou plus : vous pouvez varier les points de vue, les styles d'écriture, le format (nouvelle et roman), etc... Bonne écriture, hâte de voir les résultats.

Posté le : 06/09/2014 13:16
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Re: Défi du 06/09
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En voilà un challenge intéressant !

Merci Alexis.

Couscous

Posté le : 06/09/2014 13:32
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Re: Défi du 06/09
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J'ai déjà mal aux neurones !

Posté le : 06/09/2014 13:41
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Re: Défi du 06/09
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Histoire initiale :

Monsieur René, le boucher du village, sert Mademoiselle Julie, une jeune femme d’une vingtaine d’années lorsque Madame Lebon, une octogénaire, entre dans le magasin avec son petit chien Albert. Le boucher emballe la commande de la jolie dame et lui offre même un morceau gratuit. Madame Lebon demande le même privilège. Il la sert et donne une saucisse à Albert.

Version de Mr René

La sonnette de la porte d’entrée retentit et je me dirige vers mon étal. C’est Mademoiselle Julie, la nouvelle institutrice de mon cadet : un joli minois tout frais, une crinière blonde et bouclée, des yeux de biche et surtout un décolleté à faire rougir tout homme normalement constitué et pâlir d’envie les autres femmes moins gâtées par la nature. Elle m’adresse un sourire enjôleur en demandant :

« Vous avez une belle poitrine d’agneau là.
– La vôtre est très jolie aussi, Mademoiselle.
– Oh ! Quel coquin vous faites Monsieur René.
– J’espère qu’il travaille bien mon petit.
– Oui il est mignon.
– Tout son père ! »

Là, Madame Lebon entre avec son satané clebs. Je lui ai déjà dit cent fois de le laisser dehors. Il y a pourtant un panneau « animal interdit » sur ma porte d’entrée. Mais je fais bonne figure malgré tout et lui adresse la parole en montant le ton car je sais qu’elle est dure d’oreille :

«Bonjour Madame Lebon. Je suis à vous dans une minute.
– Faites… faites.
– Voilà Mademoiselle Julie. Et je vous offre un morceau d’araignée.
– Vous faites dans les nouveaux animaux, comme les insectes ? »

Elle grimace. Je me demande si elle blague. Pense-t-elle vraiment que l’on vend de la viande de ces horribles bêtes ? Il en faudrait des colonies pour remplir ma boutique. Il va falloir que je propose au petit de préparer un jour un exposé sur les morceaux de viande. Ça va l’éduquer la petite prof.

« Non, non. C’est une pièce de bœuf. Vous m’en direz des nouvelles.
– Merci Monsieur René. Au revoir. »

Je me tourne alors vers Madame Lebon. Ce n’est pas le même tableau. Je trouve qu’elle ressemble de plus en plus à son chien : lèvre pendante, yeux humides, joues plissées et bouclettes grisonnantes.

« Que souhaitez-vous aujourd’hui ?
– Vous avez de l’araignée pour moi aussi ?
– Ah non. Je n’en ai plus. Je vous mets du faux-filet.
– Et moi je vous paie en fausse monnaie alors. Je n’ai pas droit à un cadeau comme la jeune dame ?
– Si… voici une belle saucisse pour Albert. »

Je lance le morceau de bidoche au chien qui fait un bond et l’attrape en plein vol. Il est plus souple que sa maîtresse, le bougre. J’entends presque les articulations de la vieille dame grincer lorsqu’elle cherche ses piécettes dans son porte-monnaie.

Version de Mademoiselle Julie

J’entre dans la boucherie au coin de ma rue. Le patron sort de la pièce arrière et se plante derrière son étal, les deux poings fermés posés sur ses hanches dodues. Je regarde ses pièces de viande pendant qu’il détaille mon décolleté. Je me souviens de la dernière réunion de parents, il n’a pas cessé de me reluquer. J’en avais honte pour sa femme. Quel manque de retenue ! Mais c’est la seule boucherie du village. C’est elle ou devenir végétarien.

Je passe ma commande et il me fait du rentre-dedans. Ouf, une autre cliente qui entre. Elle tient un chien en laisse. Je pensais que les animaux étaient interdits dans les boucheries. Mais qu’est-ce qu’il me propose là ? De la viande d’araignée ? Je fais une drôle de grimace et il rit. Va falloir que je potasse les noms des pièces de viande pour la prochaine fois. Il me l’offre ? Cela compense mon épuisement de la semaine car son fils, ce n’est pas un cadeau !

Version de Madame Lebon

Je pousse la porte de la boucherie. Elle est toujours aussi lourde et grinçante. René n’en a pas encore huilé les gonds, comme je lui avais suggéré la dernière fois. C’est un radin ! Mais il aurait pu utiliser du saindoux, il doit en avoir des kilos en stock. Albert me suit dans le magasin. Je vois son museau se relever et ses naseaux s’ouvrir sous l’action des effluves de viande fraîche. La dernière fois, j’ai eu droit à une remarque car le boucher n’aime pas que les animaux pénètrent dans le magasin, autrement que morts. Mais mon petit Albert est tout petit, il ne va pas contaminer les kilos de viande posés derrière la vitrine. En plus, il y avait un gros berger allemand la dernière fois. J’ai fait la remarque à René mais il s’agissait apparemment d’un chien d’aveugle. Moi aussi je peux sortir mes lunettes de soleil et mettre un gilet orange à Albert.

Monsieur René est occupé avec la nouvelle institutrice. Il la regarde comme s’il allait la dévorer toute crue. Ces hommes ! Tous les mêmes ! Sauf mon regretté Lucien, il n’avait d’yeux que pour moi. Heureusement que j’ai Albert maintenant, il me sera toujours fidèle lui aussi. Et voilà le René qui offre un beau morceau d’araignée à la demoiselle de bonne famille. Il n’est pas si radin que ça finalement, du moins avec les jolies dames. Elle n’a pas l’air de savoir de quoi il parle exactement. Quelle gourde elle fait ! Et on donne des diplômes à ce genre de personnes ! Pas étonnant que les jeunes tournent mal et ne savent plus écrire deux mots sans fautes.

C’est enfin mon tour. Il me refourgue du faux-filet sans même me faire un prix. Je lui lance une vanne et finalement, il jette une saucisse à Albert. Je parie qu’elle est périmée. Mais c’est toujours ça de pris. Albert ne devra plus manger ce soir.

Version d’Albert

Ma maîtresse entre dans le magasin que je préfère, la boucherie de Monsieur René. La boulangerie de Madame Josette n’est pas mal non plus car elle me donne toujours un sucre. Mais là, c’est le paradis ! Sur la porte, il y a un écriteau avec un dessin de chien barré de rouge. Mon pote Wafwaf (oui, ses maîtres l’ont baptisé ainsi, certains humains sont cruels) m’a expliqué que cela signifiait que l’on devait rester dehors. Une histoire de poils et de microbes pour la nourriture des humains. Pourtant ils entrent aussi avec leurs poils et personne ne leur dit rien. Ma maîtresse n’a pas l’air de s’en préoccuper et je la suis dans le magasin. La dernière fois, il y avait un berger allemand, prénommé Rachid, qui était avec son maître. Mais il s’est avéré qu’il était chien d’aveugle et qu’il pouvait donc rentrer partout. Moi, je suis chien de sourde, alors c’est bon aussi je suppose.
Mes sens s’affolent et mon estomac se met à gargouiller. C’est que je suis un carnivore, moi ! Pendant que ma maîtresse bavarde, je bave devant la marchandise. Si on me faisait passer de l’autre côté de cette vitre, je ferais un sort à tous ces boudins, ces pâtés, cent fois meilleurs que ceux qui sortent des boîtes, et ces morceaux de viande en tous genres.

Soudain, le boucher lève une main, dans laquelle il arbore une belle saucisse. Il va la lancer. Si je suis plus rapide que ma maîtresse, elle sera pour moi. Je reste aux aguets, les pattes repliées comme des ressorts. La saucisse prend son envol et je bondis comme un diable hors de sa boîte. Elle est pour moi, tant pis si elle me prive de souper !

Posté le : 06/09/2014 19:18
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Re: Défi du 06/09
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Eh bien Couscous tu as frappé fort sur ce défi.
Je me suis tordu les boyaux tout du long.
Et en plus, tu termines avec l'Albert, un grand moment.
Bravo ! Je te reconnais bien là.
Bises
Donald

Posté le : 06/09/2014 21:06
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Re: Défi du 06/09
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Bravo Couscous, le changement de point de vue est très intéressant, savoureux si je puis dire avec Albert, c'était très drôle et j'ai bien ri tout du long !

Posté le : 06/09/2014 21:23
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Re: Défi du 06/09
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Voici mon texte, il est court mais je n'ai pas eu beaucoup de temps, j'ai cependant essayé de faire varier les points de vue et les styles aussi, j'espère que cela vous plaira.

I.

Peinture écaillée, humide ; la fenêtre claque et le vent siffle dans nos oreilles. Un mouton poussiéreux s’effondre au sol, délicatement, sans bruit, et la cigarette passe d’une main à l’autre, odeur âcre qui emplit leurs narines, remplit leurs poumons.
Défigurée, tête taillée à même le soleil ; quelques rais dardent sur son visage, l’illumine, la sublime. Elle relâche une amère bouffée ; la fumée opaque dissimule son visage sous un épais manteau blanchâtre et seul son regard bleuté, grisé, blessé, perce la couche nuageuse. Une flèche en son cœur, transpercé.

II.

La bâtisse semble s’effondrer sur nos corps amorphes, peinture décrépie, ternie, et les murs tremblent, valdingués par les bourrasques. La rafale de trop et un amas de cendre s’écrase près de moi, vulgaire pantin léthargique. Vision d’horreur.
Le soleil éclatant. Vision de bonheur. L’herbe atterrit entre ses doigts si fins et elle fourre la sèche au creux de ses lèvres rosâtres. Magnifiquement magnifique. Un jour, qui sait, à moi ; un jour, peut-être, sera mienne. Je suis troublé, perturbé, altéré et sa face angélique dissimulée derrière le brouillard me toise, me perfore de son œil azuré. Magnifiquement magnifique.

III.

Mes yeux divaguent sur les cloisons nues, livides, bourlinguées au gré des sylphides et la brise caresse une mèche sur mon front. Une boule laineuse chute et tombe silencieusement à ses pieds tandis qu’il me tend la douce blonde.
Un nuage balayé et l’astre pointe par la lucarne, un halo lumineux se forme autour de ma tête et je me sens un souffle chaud parcourir ma gorge asséchée. L’amertume parcoure suavement mes bronches ; je la retiens, l’enferme au creux de ma bouche puis j’ouvre mes lèvres ; la brume laiteuse se forme devant mes yeux et j’essaye de fixer sa silhouette au travers, cet homme si nostalgique, si triste et pourtant…

IV.

C’est l’histoire d’un coup de foudre. La scène est banale, une maisonnette abandonnée, une poussière, une cigarette, un rayon de soleil, un regard. Un regard. Un simple regard mais quel regard !

Posté le : 08/09/2014 20:00
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Re: Défi du 06/09
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Oolala, vous avez mis la barre haut; Alexis, tu as varié les vues et les styles. On reconnait bien ta plume et cela ne fait que souligner ta facilité à te mettre dans différents costumes.
Bon, je vais vous envoyer ma version, plus terre-à-terre. Vous l'excuserez mais je reviens de vacances en milieu presque rural alors j'ai oublié la sophistication.

Posté le : 09/09/2014 20:46
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Re: Défi du 06/09
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Une bien étrange affaire


Le lieutenant de police Pierre Cruchot écoutait attentivement les dépositions des différents témoins ; la scène de crime était sécurisée et la hiérarchie policière allait lui demander un récapitulatif des faits. Il se félicita d’avoir procédé à un enregistrement vocal des premiers témoignages car, comme lui avait appris son instructeur à l’école de police, les détails se perdent peu de temps après les faits.

Il commença par le récit du barman.
« J’étais, comme chaque dimanche matin, à servir les habitués de neuf heures, ceux qui jouent au tiercé et tapent le carton en attendant les premières courses. Vous savez, dans notre village, on n’a pas beaucoup de distractions et en plus ils ont fermé la place du marché à cause des travaux. Il y avait Ernest, Robert et Lucien puis une cliente de la ville est venue acheter des cigarettes. Elle a tout vu elle aussi. Je crois que vous devriez l’interroger, elle en sait plein des choses sur la science et tout ça.
Bref, Lucien a été le premier : il a dit des trucs bizarres dans une langue que j’avais jamais entendue même que ça a fait marrer Ernest qui lui a répondu en anglais. Bon, moi j’étais pas tranquille parce que le Lucien il boit des fois en cachette et arrive imbibé dans mon bar alors je lui ai dit qu’il avait intérêt à arrêter ses conneries, c’était pas marrant, mais il a continué. Je suis allé m’occuper de la dame de la ville et c’est là que Robert s’est mis aussi à délirer. Ernest a gueulé un bon coup ; rien à faire les deux autres ont continué à parler dans leur langue bizarre. La dame m’a dit que c’était du latin, une langue qu’on parle qu’à l’église. Moi, je sais pas, j’y vais jamais à la messe. Je l’ai crue et j’ai commencé à flipper. Je suis revenu au bar et là, patatrac, Ernest s’est énervé et a collé une droite à Lucien . C’est parti gravement en couilles ; je suis sorti de derrière le zinc mais trop tard. Ernest était devenu tout rouge et a lancé des éclairs avec ses yeux sur Robert et Lucien. J’ai eu la peur de ma vie, je vous le jure. Ensuite, tout est flou. Ernest a disparu et j’ai vu la dame s’occuper de Robert et Lucien. Ils étaient étendus sur le sol, grillés comme des merguez. J’ai appelé la police et vous êtes arrivés avec les pompiers. Je ne me souviens de rien d’autre, à part de l’alcootest. »


Pierre Cruchot connaissait ce bar, de réputation, et savait qu’il n’y avait pas d’antécédents de la sorte, même pas une petite bagarre entre supporters de football. Rien. Le coin tranquille fréquenté par des vieux et des habitués. Même les jeunes ne venaient pas ici tellement ça sentait le renfermé.
Le récit du tenancier, Emile Lajoie plus connu sous le sobriquet de Mimile la Bouture pour des raisons encore mystérieuses, ne souffrait d’aucune incohérence ; pourtant, sa fin laissait planer le doute quant à sa réalité et il fallait lever les incertitudes et zones d’ombres avant de servir une théorie aux gradés.

Le jeune lieutenant de police s’attaqua à la déposition de la cliente venue acheter des cigarettes, une certaine Amélie Fleurot, résidente à Plouezennec-le-Haut, la ville d’à côté. La dame Fleurot, pharmacienne de son état, se trouvait sur les lieux par hasard, alors qu’elle se rendait à un déjeuner à Plouezennec-sur-Bozon.
« Je roulais tranquillement en direction de Plouezennec-sur-Bozon, en passant par Plouezennec-le-Bas comme me l’indiquait mon GPS, quand je me suis rendue compte que je n’avais plus de cigarettes. Je sais, cela va vous paraître bizarre, une pharmacienne qui fume mais les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés, comme dit le proverbe, et j’avoue cette addiction, modeste mais réelle. J’ai donc décidé de m’arrêter en chemin pour m’acheter un paquet de blondes et ce bar-tabac m’a paru l’endroit idéal. Quand je suis rentrée dans le troquet, il n’y avait que le barman et trois petits vieux, tous déjà bien attaqués par l’alcool.
Je m’y connais en alcoolisme et la Bretagne est bien la région la plus touchée par ce fléau national ; je ne vous raconte pas le nombre de personnes qui viennent soigner leur cirrhose du foie avec de l’herboristerie ou acheter des médicaments contre la gueule de bois. J’ai bien entendu l’un des petits vieux commencer à déblatérer tout haut en latin ; il était même assez agressif à l’encontre de l’un des autres pépés alcooliques et je me suis demandée si ce n’était pas un ancien curé viré de l’église catholique pour abus de vin de messe. Vous savez, de nos jours, même chez les religieux, on en voit des vertes et des pas mures. Je m’égare ? Non, je vais arriver au fait, rassurez-vous monsieur l’inspecteur. Ah, vous êtes lieutenant ? Comme dans l’armée ? Oui, j’y viens, ne soyez pas impatient. Il faut savoir parler aux femmes : la psychologie c’est important dans votre métier, non ? Je disais qu’un des petits vieux débitait du latin et énervait les deux autres ; eh bien ça n’a pas raté, le deuxième papy s’est mis à délirer à son tour et tout est parti en sucette en deux temps trois mouvements. Le barman n’a pas pu les retenir et il y a eu une bagarre. Je ne pourrais pas vous dire qui a commencé mais ensuite c’est devenu étrange : celui qui ne parlait pas latin a vu rouge et il a carbonisé les deux autres je ne sais pas comment. Le barman est tombé dans les pommes et je n’ai pas vu le dernier pépé sortir du bar ; tout ce que je peux dire c’est qu’il y avait deux cadavres roussis par terre et que ce n’était pas l’œuvre du Saint-Esprit. C’est quand même malheureux, de nos jours, de voir des papys d’entretuer le dimanche matin, parce qu’ils ont trop bu de chouchène. »


Pierre Cruchot jugea qu’il n’en savait pas assez pour élaborer un semblant d’explication aux pontes de la police ; il lui fallait enrichir sa vision de l’affaire avec la vision plus pointue des spécialistes de la police scientifique. Il consulta le fichier des analyses médico-légales en premier. Le docteur Aymeric Voulon de la Bisse avait dûment rempli son rapport, fidèle à ses habitudes de premier de la classe. Pierre Cruchot se dit qu’il y aurait certainement de la matière pour étayer une thèse criminelle malgré des circonstances obscures voire surnaturelles.

Le médecin légiste n’avait pas versé dans le sentimentalisme, dans la droite lignée de sa fonction.
« Les deux corps, ceux de Robert Le Az et de Lucien Bonneau, sont entièrement calcinés. Un tel degré de brûlure n’est, dans les connaissances actuelles de la science médicale, pas possible sans l’usage d’une arme sophistiquée, de type militaire, telle que le lance-flammes. L’étude approfondie des principaux organes montre que la mort a été immédiate et provoquée par la combustion.
L’élément inexplicable tient à la position des corps : dans les deux cas, au lieu d’une torsion musculaire provoquée habituellement par la douleur, l’autopsie tend à prouver que les victimes n’ont pas souffert, comme si leur cerveau avait court-circuité les liaisons nerveuses avec le reste du corps, dans un réflexe de survie. »

Le reste n’avait pas d’intérêt pour le policier ; il ne constituait que le détail, par organe, du constat synthétisé plus haut par le praticien.

Le lieutenant de police, par acquis de conscience, rapprocha ces informations avec le premier rapport des équipes scientifiques dépêchées sur place, lors de la constatation du décès des deux clients. Rien ne donnait l’impression que le dénommé Ernest La Bruyère avait été en possession d’un quelconque lance-flammes et d’ailleurs il ne restait nulle trace de son passage dans le bar. Si les deux témoins n’en avaient pas attesté la présence, personne n’aurait été en mesure de le désigner comme l’agresseur de Robert Le Az et de Lucien Bonneau. De surcroit, Ernest La Bruyère n’était pas connu des services de police ou de la gendarmerie ; il payait ses impôts dans les temps et occupait un poste administratif au sein d’une école catholique. Quant à Robert Le Az et Lucien Bonneau, ils étaient tous les deux retraités ; le premier avait passé plus de quarante années en tant que cuisinier dans différents restaurants de seconde zone et le second venait juste de vendre son commerce de maroquinerie. Ils avaient quelques contraventions à leur actif, pour excès de vitesse ou conduite sous l’emprise de l’alcool mais rien de bien méchant au regard des coutumes locales.

Pierre Cruchot savait désormais quelle version servir à sa hiérarchie ; il ne comptait pas transformer ce faits divers en cas non élucidé ou en affaire mystérieuse propre à déchainer les phantasmes de la presse. Sa carrière était planifiée depuis longtemps ; son père et son grand-père venaient de cette noble institution appelée police nationale et il connaissait depuis son enfance les erreurs à ne pas faire dans un parcours destiné aux sommets. Il inspira une bonne goulée d’air et se lança dans la rédaction de son rapport.

Sa version fut acceptée par les plus hautes instances de la pyramide policière, moyennant quelques retouches ça et là, essentiellement pour la forme et dans un souci de ses supérieurs de montrer à leur subordonné qu’ils maîtrisaient le sujet. Le service de presse prit le relais et dicta à son journaliste favori, un dénommé Gaston Bafouille, l’article à venir en troisième page de la feuille de chou locale.
Doté d’un énorme poil dans la main, Gaston Bafouille reprit à la lettre, modulo les classiques fautes d’orthographe, la dictée de ses commanditaires et pondit quelques lignes pour la postérité.
« Le dix septembre deux mille quatorze, à dix heures du matin, dans le bar appelé ‘La bombarde’ et tenu par monsieur Emile Lajoie, sis avenue du Général de Gaulle à Plouezennec-le-Bas dans le Morbihan, sont décédés deux clients suite à une trop grande absorption d’alcool. Les victimes, messieurs Robert Le Az et Lucien Bonneau, étaient des habitués de l’établissement. Selon les témoignages recueillis par la police, ils avaient forcé sur les boissons fortes et la situation a dégénéré en conflit verbal puis en bagarre. Agés respectivement de soixante-douze ans et soixante-huit ans, Robert Le Az et Lucien Bonneau ont été frappés d’une crise cardiaque foudroyante amplifiée par leur taux élevé d’alcoolémie et plus certainement par leur mauvais état de santé, révélés lors de l’autopsie.
Encore un drame lié à la consommation excessive d’alcool, fléau de notre belle région. »

Posté le : 09/09/2014 20:48
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Re: Défi du 06/09
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Ahah Donald, j'ai bien ri à la lecture de cette nouvelle aux airs absurdes, aux contradictions et aux embrouilles de toute sorte qui perdent le lecteur mais garantissent un certain fou rire. Tu as bien fait varier les différents langages des personnages.
Au plaisir de te relire !

Posté le : 10/09/2014 22:54
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Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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