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Accueil >> newbb >> Défi du 17/05/14 [Les Forums - Défis et concours]

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Re: Défi du 17/05/14
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Théodore vient de passer vingt années dans une tribu de Papous au cœur de la jungle amazonienne. Afin de communiquer le résultat de ses recherches à ses confrères anthropologues et obtenir enfin la reconnaissance de ses pairs, il décide de reprendre le chemin de sa Belgique natale.

Le taxi de l’aéroport le dépose à l’entrée de son village. Là, Théodore se retrouve face à un grand panneau d’affichage qui annonce « Zone de tests, réservée uniquement aux résidents de Mouscron ». Plus loin, des policiers montent la garde dans une guérite accolée à une barrière imposante. Un peu décontenancé, l’anthropologue s’avance vers les hommes en uniforme. L’un d’eux lui crie :

« Halte ! Votre carte d’identité je vous prie.
– J’en ai bien une mais elle est relativement ancienne. Par contre, j’ai mon passeport. »

Le policier ouvre le document et s’attarde sur le nom qui y est inscrit avant de s’écrier :

« Théodore ! C’est toi ? Je ne t’avais pas reconnu. Depuis le temps ! Je suis Nicolas Lejuste.
– Nicolas ! Je ne t’avais pas remis non plus ! Il faut dire que cela fait un bail que je suis parti. »

Il raconte alors, de manière succincte, ses aventures dans la nature sauvage, avant d’obtenir un droit de passage. Dans les rues, il croise des segways qui slaloment parmi les voitures électriques, le tout sans un seul bruit de moteur ni échappement de gaz nauséabond. Les façades des maisons sont toutes recouvertes d’une sorte de mousse brune, leur donnant un aspect uniforme. On dirait des habitations en chocolat qu’une vilaine sorcière aurait transformées afin de faire une farce aux habitants.

Il arrive sur la Grand’Place. Chaque devanture de café arbore la même affiche : « Par décision du collège communal du 17/05/2034, il est interdit de servir plus d’une boisson alcoolisée par jour et par habitant majeur. Tout contrevenant ou fraudeur se verra infliger une amende de deux cents bicals.» Juste en-dessous se trouve la traduction en langue de Shakespeare. Plus loin, une librairie fait état d’une autre limitation : « Maximum 25 grammes de tabac par jour et par personne de plus de 30 ans. » et la version anglaise est indiquée juste après également. C’est assez intriguant car, avant le départ de Théodore, c’était le néerlandais qui cohabitait avec le français, langues nationales obligent.

L’attention de Théodore est soudain attirée par un drôle de personnage. Malgré la température assez clémente, une femme affublée de nombreuses couches de vêtements entre dans un magasin à l’enseigne « douche-lavoir ». Elle est suivie de près par une autre qui semble avoir enfilé toute sa garde-robe. L’homme, intrigué par ce drôle de cirque, s’approche de la vitrine et découvre que les clients entrent dans des sortes de grandes cabines de douche pour ressortir quelques minutes plus tard avec un grand sourire. Il interpelle une dame :

« Excusez-moi mais que se passe-t-il dans ces cabines ?
– Cela lave aussi bien votre corps que vos vêtements, c’est de plus très agréable.

Elle s’approche de Théodore et le renifle avec dédain avant de déclarer :

– Vous devriez essayer ! »

Et la femme habillée en mode Bonhomme Michelin s’éloigne en se dandinant. En passant dans une rue plus animée, une voix résonne soudainement : «Vous êtes mal garé, veuillez bouger votre véhicule immatriculé BXY 597664 ». La même phrase est énoncée en anglais. Le chauffeur interpellé s’empresse de démarrer et de trouver une place plus loin. Théodore observe les alentours et découvre que des caméras sont postées à chaque coin de rue.

En attendant à un passage pour piéton, un homme se poste juste à côte de lui et se met à parler fort :

« Salut ! Comment vas-tu ? Pas trop crevé ?
– Excusez-moi, vous me parlez ?
– Quoi ? Non, attends, y’a un mec qui me demande un truc. Qu’est-ce que vous cherchez ?
– Rien mais vous m’avez parlé !
– Non, je suis au téléphone.
– Mais comment est-ce possible ? Les téléphones sont dans les maisons.
– D’où tu viens ? De la planète Mars ? Regarde. »

Le jeune homme désigne un petit morceau de plastique transparent collé sur son nez et sa montre.

« Je ne comprends pas, répond Théodore.
– Mon téléphone est dans ma montre et je communique avec le patch. C’est révolutionnaire. On est les premiers à les tester. »

Il traverse d’un pas rapide et reprend la conversation avec son ami. L’anthropologue sonne au 31 de la Rue de la Tapisserie. Une personne étrange vient lui ouvrir la porte en demandant avec une voix métallique :

« Bonjour, annoncez votre identité et le motif de votre visite, je vous prie.
– Bonjour, je suis Théodore et ma mère vit normalement ici.
– Attendez, je prends mes renseignements. »

L’homme entre dans l’habitation et c’est la Maman de Théodore qui fait son apparition. Grand sourire aux lèvres, elle enlace tendrement son fils chéri.

« Cela fait si longtemps ! Tu ne donnais pas de nouvelles.
– C’était compliqué de là où j’étais.
– Je sais. Entre !
– Qui est cet homme qui vit avec toi ?
– Quel homme ? Je suis seule depuis la mort de ton père.
– Celui qui m’a ouvert.
– C’est un robot de compagnie. Il m’aide dans les tâches quotidiennes. Comme j’ai plus de septante ans, il m’a été offert par la Ville.
– J’ai vu que vous étiez une zone de tests. Des policiers empêchent même l’accès.
– Oui, depuis cinq ans. Les chercheurs tentent de trouver le moyen de créer un environnement plus sain grâce aux nouvelles technologies. Si les essais sont concluants, ils étendront cela aux autres communes. »

Théodore s’assied dans le salon pendant que le robot apporte du café et des biscuits. Le scientifique observe avec intérêt cette machine qui a tout l’aspect du vivant, jusqu’aux expressions du visage. Il regarde ensuite sa mère ; elle a évidemment vieilli, semble avoir pris du poids et éprouve quelques difficultés à se mouvoir.

« Robert m’aide aussi à faire les courses. C’est très pratique et je ne suis jamais seule.
– Robert ? C’est son nom ?
– Oui, je l’ai baptisé ainsi. Comme le chien de ton enfance. Et puis, c’est toujours mieux que XPCT14225 !
– En effet. Tu ne vois plus tes amies du bridge ?
– Elles sont presque toutes décédées. Il reste Maria qui est dans une maison de repos. Elle avait aussi un robot de vie. Quand elle a fait cette mauvaise chute, c’est lui qui a appelé l’ambulance. Il lui a sauvé la vie. On communique grâce à l’ordinateur sur Blabla. Et toi ? Raconte-moi tout ! »

Théodore entame le long récit de ses aventures. Tout à coup, Robert apporte une petite boîte avec des pilules et un verre d’eau à la vieille dame qui le remercie.

« Pourquoi prends-tu ces médicaments ?
– Cela fait partie des essais. Les personnes âgées doivent prendre un traitement préventif contre l’ostéoporose, les maladies vasculaires et Alzheimer. Les plus jeunes doivent tester des antidépressifs révolutionnaires.
– Vous y êtes obligés ?
– Nous avons tous signé un contrat avec le groupe international qui mène l’étude. Ceux qui ont refusé ont été contraints de quitter la ville.
– C’est effrayant !
– Nous recevons tous une prime mensuelle et le remboursement total de nos soins de santé. Ce n’est pas négligeable à mon âge.
– Et tu n’as pas peur que Robert se dérègle ?
– Non. Un technicien vient régulièrement le contrôler. Il est programmé pour me protéger et toujours aux petits soins pour moi. Tu sais… ce n’est pas facile d’être seule, loin de son unique enfant. »

Là, la dame aux cheveux blancs se met à pleurer à chaudes larmes. Théodore, mal à l’aise, tente de la consoler. Pendant que sa mère se mouche et finit de se calmer, il se rend aux toilettes. En sortant du coin d’aisance, il se retrouve nez-à-nez avec Robert qui fronce les sourcils. Juste le temps de l’entendre dire « Vous êtes néfaste pour ma maîtresse ! » et il se voit asséner un grand coup de marteau sur le crâne.


L’explorateur entend des voix lui parler et un linge humide être posé sur son front douloureux. Il ouvre péniblement les yeux et se trouve face à Peypey, sa femme papoue.
« Que m’est-il arrivé ?
– Tu as voulu cueillir des fruits et tu es tombé de l’arbre. Tu t’es cogné la tête. J’ai eu très peur.
– J’ai fait un terrible cauchemar. Je pense que je ne vais pas retourner en Belgique. J’ai trop peur de ne plus rien reconnaître. En plus, plus personne ne m’y attend depuis le décès de ma mère avant mon départ. Ma vie et ma famille sont ici maintenant ! Je ne regrette pas la civilisation. »

Posté le : 18/05/2014 17:33
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Re: Défi du 17/05/14
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Salut,
J'ai adoré la fin de ton histoire. Je trouve que l'idée de ce rêve est très bien trouvée.
Cela m'a paru un peu comme une sorte de fable et, tout comme ton héros, je me demandais comment tous ces gens arrivait à vivre là-bas.
C'est drôle mais à la fois amère par moments et je trouve que le ton est très réussi.
Bravo pour avoir répondu avec brio à mon défi.
A bientôt.

Posté le : 18/05/2014 18:06
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Le soleil n'est qu'une étoile du matin.
H.D Thoreau
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Re: Défi du 17/05/14
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Eh bien EXEM, tu m'as bluffé.
Je n'avais pas vu venir la chute et la narration m'a emmené vers une autre voie.
C'est une nouvelle vraiment forte. Bravo !
Donald.

Posté le : 18/05/2014 19:16
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Re: Défi du 17/05/14
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Une histoire vraiment triste mon cher Alexis.
Tout est suggéré comme à ton habitude et je ne sais pas si la nostalgie l'emporte sur la tristesse ou les regrets.
Bravo !
Ce défi a vraiment inspiré tout le monde j'ai l'impression.
Donald.

Posté le : 18/05/2014 19:20
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Re: Défi du 17/05/14
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Sacré Couscous, je vois que tu as trouvé une fin digne de ta légende décalée.
C'est très fort; la société que tu décris est tellement réaliste que tu devrais te lancer dans la science-fiction.
Bravo !
J'adore !
Merci.
Donald.
PS: Alexis, je confirme que ce thème de défi a inspiré tout le monde.

Posté le : 18/05/2014 19:26
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Re: Défi du 17/05/14
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Retour à l'envoyeur


Thomas descendit du bus et se dirigea vers l’hôtel du centre-ville ; il n’avait pas encore réservé mais dans ses souvenirs cet établissement ne semblait pas faire le plein, surtout en ce mois d’octobre peu propice au tourisme. La réceptionniste peu affable lui fit remplir des papiers puis il eut droit à une chambre standard ; il posa son sac de voyage et ouvrit le mini-bar. « Qu’est-ce qui m’a poussé à revenir ici ? » se dit-il en ouvrant une bière ; il se remémora ses vingt dernières années.

Il avait quitté Brignais à l’age de dix-huit ans juste après avoir obtenu son baccalauréat au lycée d’Oullins ; ses parents lui pesaient et il avait décidé de s’engager dans l’armée où il avait intégré l’école des officiers de réserve. Après ses classes dans le trou du cul du monde vers Draguignan, il avait été affecté dans une unité de commando en Nouvelle-Calédonie ; il n’avait pas daigné revenir dans sa bourgade natale car sa famille lui restait encore en travers de la gorge et que ses copains ne le comprendraient pas. Par la suite, il était resté dans l’hémisphère sud pour de bonnes et de mauvaises raisons ; la France l’avait enrôlé au sein de ses prestigieux services secrets et il avait montré toutes ses capacités à manipuler les gens et éliminer la fange. Pris dans la spirale de l’aventure et des coups tordus, il avait négligé de garder le contact avec son passé et ni son frère ni sa sœur n’avaient réussi à lui parler depuis son départ pour les terres australes. Son père était trop fier pour tenter quoi que ce soit et sa mère trop soumise pour oser le contredire. En quelques années, les deux parties avaient coupé les ponts et Thomas n’avait pas cherché à prendre des nouvelles ; sa vie trépidante et pleine d'inattendu avait fait le reste jusqu’à le rayer définitivement des registres civils, du moins dans la version officielle.

Thomas imagina la réaction de son père quand ce dernier avait reçu son avis de décès ; il avait du certainement forcer sur les commentaires du genre « je vous l’avais bien dit, ce garçon était une tête brûlée. » à la lecture du rapport de police annexé au document. Sa couverture avait été bien étudiée et mourir d’un accident de voiture à vingt-cinq ans, dans des conditions classiques d’alcoolémie élevée et de jeunesse facile, représentait l’excuse idéale pour reprendre une nouvelle identité dans le cadre de ses missions futures ; le seul bémol à cette situation résidait dans le fait qu’elle devenait définitive. Thomas avait sauté sur l’occasion car rien ne le retenait à ces pauvres ratés qui partageaient ses gênes ; il s’était toujours senti étranger dans cet environnement étroit des petits bourgeois provinciaux plus occupés à dénigrer leurs voisins et à compter leurs sous qu’à penser aux autres et sortir grandi de leur milieu conformiste. En plus de changer de patronyme, devenant Thomas Corentin au lieu de Franck Durand, il avait bénéficié de chirurgie esthétique, passant de grand costaud paysan à play-boy mondain ; cette dernière intervention était indispensable dans le rôle de jeune et riche inutile qu’il devait jouer pour infiltrer la haute société australienne.
A bientôt quarante ans, il était devenu un parfait inconnu pour tous les habitants de ce bourg sans âme et personne ne pourrait se douter de qui il était vraiment ; il avait toute liberté de mouvement, un compte en banque bien garni, des relations bien informées et une volonté de fer.

Midi s’afficha sur sa montre et il quitta son repère pour aller déjeuner dans un petit restaurant de la place de l’église. Une fois assis à une table tranquille il commanda un repas typique de la région lyonnaise ; la serveuse lui rappela vaguement quelqu’un qu’il avait du connaître sur les bancs de l’école. Il opta pour une conversation futile avec la blonde chargée de le servir.
— C’est la première fois que je viens ici, commença-t-il, et j’aimerais savoir ce que cette petite ville a de typique.
— A part un aqueduc gallo-romain classé monument historique, je ne vois rien, répondit la femme dont il sentit qu’elle n’avait pas l’habitude des étrangers mais qu’elle était ouverte à la discussion tellement elle s’ennuyait avec les autochtones.
— Il n’y a donc pas d’endroit où s’amuser un peu ?
— Ici on s’ennuie, monsieur.
— Appelez moi Thomas.
— Je m’appelle Stéphanie et je suis née dans ce trou perdu où j’ai passé mon temps à élever trois enfants et travailler comme une folle pour acheter ma maison et préparer ma retraite.
— Vaste programme. Pourtant il y a des opportunités à Lyon et ce n’est pas très loin.
— Quinze kilomètres peuvent prendre une vie quand vous êtes enceinte très jeune et que le père est parti en courant dès l’annonce de votre grossesse.
Thomas ne fut même pas étonné de tant de franchise de la part d’une femme qu’il rencontrait pour la première fois ; c’était même cette qualité d’animal social qui lui valait sa carrière réussie d’espion de la République Française. Il aurait pu sympathiser même avec un Martien sur Vénus et se faire inviter le soir à sa table ; il profita de ce don pour courtiser la belle dont les charmes passées transparaissaient encore malgré ses dix kilos de trop et son regard fatigué.
De polie la conversation passa à plus personnelle et il parvint sans mal à obtenir un rendez-vous amical avec la dénommée Stéphanie. Une fois cette première étape franchie, il se dirigea vers le salon de coiffure le plus cossu sous le prétexte fallacieux de se rafraîchir les tempes.

— Qu’est-ce que ce sera pour le beau jeune homme ?
Le coiffeur commençait fort ; on sentait l’habitude d’appâter le chaland, de flatter les faibles et de fidéliser une clientèle essentiellement féminine. Thomas détailla le commerçant et reconnu en lui un ancien élève de son collège ; ce dernier avait probablement repris l’établissement de son père.
« Cet abruti de Gilles Bruchon est toujours aussi superficiel. » pensa Thomas.
— J’ai besoin de raviver ma coupe, répondit-il.
— Je vais vous rajeunir de dix ans. De Lyon à Saint-Étienne, je suis connu comme le loup blanc et même les joueurs de foot professionnel se battent pour venir dans mon salon.
Thomas le laissa vanter ses mérites et l’encouragea même à dépasser la seule lecture de son curriculum-vitae ; il se souvenait que Gilles Bruchon se targuait d’exploits plus ou moins crédibles auprès de ces dames alors jeunes filles innocentes et naïves. Il orienta les récits de son interlocuteur pour en apprendre plus sur les rapports de force entre les puissants de la ville ; le résultat ne le déçut pas bien au contraire et il obtint les informations nécessaires à sa mission personnelle.
A la fin de la séance d’autosatisfaction du coiffeur, il prit congé et se dirigea vers une grande supérette ; il ne l’avait pas choisie au hasard car elle était située à l’endroit exact où se trouvait dans le temps le magasin de son père. Il alla jusqu’au coin traiteur et engagea la conversation avec le gras du bide en charge du rayon.
— Quel bel étal vous avez, dit-il. C’est autre chose que les hypermarchés des grandes villes où tout se ressemble et rien n’a de goût.
— Bien vrai, répondit l’employé.
— Je suis passé devant il y a quelques années et je n’ai pas remarqué ce superbe commerce, tenta-t-il en usant de flatterie.
— C’est à monsieur François qu’on le doit mais il n’a pu ouvrir qu’au printemps.
— Des problèmes avec la mairie ou le cadastre ?
— Non. Un vieux con occupait le local depuis plus de trente ans et il ne voulait pas vendre alors que personne ne pouvait prendre sa suite.
— Il n’avait pas d’enfant ?
— Si, il en avait même trois. L’aîné est mort en voiture il y a longtemps, le cadet est monté à Paris où on raconte qu’il ne fait rien de ses dix doigts et enfin la petite travaille à Lyon dans une administration. Le vieux a enterré sa femme il y a déjà pas mal d’années.
— Pourquoi s’accrochait il donc à son affaire ?
— Pour faire chier son monde.
— Des comme ça il y en a des tonnes. Finalement il l’a vendu son magasin.
— Pas vraiment ; il a cassé sa pipe en début d’année et monsieur François a racheté le tout aux enchères.
— Un coup de bol en quelque sorte ?
— Plus chanceux que lui tu meurs ! Il a payé le dixième du prix estimé ; il faut dire qu’il a le sens des affaires et des amis haut placés le patron.
Thomas en savait assez ; il acheta du pâté de tête et des grattons frits, remercia l’employé pour sa gentillesse et la qualité de ses produits puis partit à la boulangerie du centre.

Au-delà de se fournir en pain, il profita de sa bonne mine pour tirer les vers du nez de la boulangère ; la bavarde matrone lui apprit qui était le monsieur François et à quel point il était puissant dans le coin. Thomas avait désormais toutes les informations nécessaires pour agir ; il ne lui restait plus qu’à préparer son coup.
Revenu dans sa chambre d’hôtel, il planifia son intervention dans les moindres détails ; Stéphanie devrait tenir le rôle principal en tant qu’alibi.
A dix-huit heures, la réceptionniste l’appela par la ligne intérieure ; son rendez-vous était arrivé et l’attendait dans la petite salle d’attente. Thomas descendit rapidement car selon lui il ne fallait jamais faire patienter une femme en particulier quand elle tenait en ses mains une opération secrète, de surcroît sans le savoir. Stéphanie rayonnait ; elle avait changé de tenue et ne paraissait pas endimanchée. Thomas se remémora sa jeunesse ; Stéphanie s’appelait alors Royer et elle était de loin la plus belle fille du collège. Elle avait deux ans de plus que lui et une classe les séparait ; il n’avait jamais tenté de la séduire car un gouffre abyssal s’interposait entre eux. En effet, Stéphanie faisait plus que son age, par ses formes et sa décontraction, ce qui reléguait les adolescents boutonneux comme Thomas au rang d’amoureux platoniques occupés à ronger leur frein en silence. Plus tard, quand la puberté avait terminée son œuvre, le jeune homme était devenu grand et fort avec ce physique de rugbyman qui plaisait aux lycéennes de la campagne lyonnaise, mais Stéphanie avait disparu du paysage préférant les études courtes au cycle général. Ils s’étaient ainsi perdus de vue à l’instar de beaucoup des collégiens quand ils devaient choisir leur orientation scolaire entre rester dans leur bourg ou monter à la ville.
— Vous êtes splendide Stéphanie, flatta Thomas.
— Ce n’est rien d’exceptionnel, répondit-elle. J’ai fait du neuf avec du vieux.
— Savez-vous ce qui me plaît le plus en vous ? Votre humilité caustique vous sert de bouclier alors que vous êtes une superbe femme dont bien des hommes aimeraient tenir le bras, continua-t-il.
Stéphanie rougit sous la flatterie et le regard doux de ce bel homme qui ne la voyait pas, pour changer, comme un bon bout de viande à consommer vite fait à l’arrière d’une voiture ou dans un gourbi zéro étoile. Elle lui tendit la main et l’invita à quitter l’établissement.
— Je suppose que vous n’êtes pas motorisé, ironisa-t-elle.
— Un point pour vous, admit Thomas. Nous pouvons commander un taxi.
— Inutile. J’ai une voiture ; ma voisine me prête la sienne car mon carrosse est en réparations.
— Je vous invite au restaurant ; des relations m’en ont recommandé un excellent dans le centre de Lyon. Il n’est pas trop huppé mais respire la classe, selon leurs dires.
— Je vous suis les yeux fermés, conclut Stéphanie en baissant les paupières.
Thomas ne put résister complètement à l’envie de l’embrasser et il posa délicatement ses lèvres sur son front ; Stéphanie se laissa tomber dans ses bras puis se reprit doucement, en signe d’approbation secrète. Visiblement, elle voulait profiter de son statut de princesse et goûter aux délices d’une soirée partie pour durer toute la nuit.

Le voyage fut l’occasion de discuter de façon plus personnelle ; Thomas utilisa sa science de l’écoute et Stéphanie se livra au jeu de la vérité. Elle avait effectivement quitté le collège local en fin de sa seconde troisième car elle n’arrivait plus à suivre le rythme des études ; elle avoua quand même que ce n’était pas pour des raisons logiques liées à ses notes mais par désir de travailler vite et partir de chez ses parents. Elle était ensuite rentrée dans un cursus hôtelier qu’elle avait brillamment réussi puis se dirigeait vers une carrière assurée. « Qu’est-ce qui avait merdé ? » se demanda Thomas. Stéphanie lui donna la réponse à quelques hectomètres de l’arrivée : elle avait rencontré le soi-disant homme de sa vie, était tombée enceinte et s’était faite larguer par le père dans les mois qui précédèrent son accouchement. Elle avait tenté de refaire sa vie avec un ancien camarade de classe qui s’était avéré largement meilleur pour planter sa graine que pourvoir aux besoins d’une famille entière ; finalement le feignant l’avait fui à la naissance de son troisième enfant. A quarante ans tout juste, elle se retrouvait avec trois marmots à élever dont le petit dernier tangentait les dix ans ; son ambition s’était envolée avec son optimisme.
Stéphanie se gara dans un parking public sous la Place des Cordeliers ; Thomas l’enlaça galamment et le duo se rendit dans le fameux restaurant appelé « Les yeux dans le ciel » où était réservée une table centrale. Ils débutèrent au champagne rosé en guise d’apéritif puis continuèrent avec des mets d’une finesse extrême que Stéphanie apprécia à leur juste valeur, sans tambour ni trompette. Thomas détailla son invitée une fois encore ; quand elle souriait et même riait, il revoyait en elle la reine de beauté qui avait égayé sa tendre adolescence. Il se sentit coupable de ce qui lui était arrivé durant toutes ces années de galère ; bien sûr il savait pertinemment qu’il n’avait rien à se reprocher car jamais ils n’avaient été proches. Malgré la logique de son raisonnement et la vérité historique, il ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir ; il l’avait laissé tomber, elle son fantasme d’adolescent, comme il avait abandonné ses parents, sa sœur et son frère. « Quand je pense au nombre de coups tordus que j’ai organisé, je me demande pourquoi je cogite tant ce soir. » pensa-t-il soudainement ; son cerveau d’homme d’action venait juste de reprendre le dessus sur un vieux cœur d’artichaut qu’il croyait enterré quand il avait changé d’identité.
Au dessert, il proposa à Stéphanie d’aller danser dans un club privé réservé à l’élite lyonnaise ; d’abord elle refusa, invoquant sa condition de serveuse et d’autres arguments qu’il démonta un par un. Quand elle accepta, il la sacra duchesse et leur soirée devint gala au rythme d’une musique saccadée entre salsa et samba. Entre deux pas de danse, il l’embrassa chaleureusement et elle s’abandonna dans ses bras.
Vers une heure du matin, elle était nue dans son lit et le chevauchait fougueusement telle une walkyrie triomphante. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, la belle Stéphanie dormait à poings fermés, en cela bien aidée par un puissant somnifère versé dans sa coupe de champagne entre deux ébats et trois mouvements de gymnastique horizontale. Thomas se leva, enfila sa tenue de campagne et prit son équipement ; il utilisa la voiture amenée par Stéphanie pour se rendre sur le lieu de son opération. Après avoir accompli ce qu’il avait prévu, il effaça ses traces et revint à l’hôtel se coucher auprès de son alibi aux longs cheveux blonds.

Le lendemain à midi, Stéphanie Royer se réveilla avec un léger mal de crâne ; elle regarda sur le côté si son prince charmant avait réellement existé. En guise de grand blond au physique d’Apollon, elle trouva un splendide bouquet de fleurs accompagné d’un petit mot. « Tu es une femme merveilleuse ne l’oublie jamais. » était écrit en lettres capitales sur ce fin papier qu’elle serra contre son cœur. Elle rentra chez elle avec un sourire aux lèvres qui n’était pas prêt de s’éteindre.

Quelques jours plus tard, la presse locale rapporta la disparition mystérieuse d’un édile et commerçant notoire dans la ville de Brignais. Selon des sources policières, le dénommé François avait été vu pour la dernière fois dans sa villa le jeudi soir et depuis plus personne n’avait eu de ses nouvelles. La piste criminelle fut rapidement abandonnée par les autorités du cru quand elles constatèrent des transactions régulières sur sa carte bancaire, entre Paris et Bruxelles, dans des bars louches où des femmes légères vendaient régulièrement leurs charmes aux bourgeois de passage.

Posté le : 18/05/2014 19:40
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Re: Défi du 17/05/14
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Chère Couscous, voice une histoire réussie pour plusieurs raisons. Il y a d'abord ton style unique qui prend et nous fait lire sans efforts. Ensuite, cette vision du future nous fait frémir car elle ressemble beaucoup à ce que sera le présent, son embryon. Enfin, nous ne manquons pas de noter en passant, la solitude des gens âgés et seuls, car les enfants sont souvent loins. L'abandon, qu'il soit volontaire ou pas, demeure néanmoins le gouffre où les vieux se trouvent plongés.
Oui, Couscous, j'ai beaucoup aimé ton histoire "Retour" parce qu'elle nous fait retourner au plus profond de notre âme afin d'y trouver notre Vérité. La fin est un soulagement (je ne la dévoilerai pas) mais c'est un soulagement superficiel car après tout, si le Retour est triste, l'Arrivée ne l'est pas moins.

Posté le : 19/05/2014 01:58
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Re: Défi du 17/05/14
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Cher Donald, tu es vraiment fort dans le domaine du "Roman Noir". La vie que tu y dépeints nous fait trembler car elle a une resonance trop proche de la vérité. Tous les revers et les envers de l'amour y font plus dans notre existence que l'amour réel. C'est ça la vie. J'admire une fois de plus la facilité avec laquelle tu écris une histoire dans laquelle on se plonge avec plaisir pour y souffrir dans la noirceur du style. Dans ton histoire le Retour est un peu une Revanche. Une revanche sur la vie qui pue ! Tu as un grand talent d'écrivain. Bravo. Merci.

Posté le : 19/05/2014 02:31
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Re: Défi du 17/05/14
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Donald, tu es le maître du suspense policier et d'espionnage. Comment fais-tu pour nous tenir en haleine jusqu'au dénouement ? Tes descriptions de personnages sont toujours colorés et tu brosses une vie en quelques mots percutants.
Stéphanie Royer, ce nom me dit quelque chose...

Merci

Couscous

Posté le : 19/05/2014 07:00
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Re: Défi du 17/05/14
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Bravo Donald pour cette intrigue.
Je trouve que cette fin est vraiment réussi en cela qu'elle laisse planer un grand mystère sur l'acte en lui-même. L'on sait qui, mais le comment est tu et je trouve que cela convient parfaitement.
Bravo à toi pour cette savoureuse nouvelle.

Posté le : 19/05/2014 17:35
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Le soleil n'est qu'une étoile du matin.
H.D Thoreau
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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