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Nelly Sachs
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Le 12 Mai 1970 meurt Nelly Sachs poétesse

L’auteur par date

1891 : Naissance de Nelly Sachs, le 10 décembre, à Berlin, dans une famille juive assimilée de la bourgeoisie berlinoise.
1897-1908 : Années d’études. Nelly Sachs fréquente l’école privée Dorotheen-Schule, dans le quartier de Moabit (Berlin) puis reçoit à partir de 1900, en raison d’une santé précaire, un enseignement privé à domicile. De 1903 à 1908, elle fréquente de nouveau une école privée fondée par Hélène Aubert, dont l’enseignement la marquera durablement. Dès 1908, elle commence à écrire quelques poèmes et textes en prose.
1906 : Découverte du roman de Selma Lagerlöf, La Saga de Gösta Berling.
1907 : Nelly Sachs entame une correspondance avec Selma Lagerlöf, à qui elle voue une grande admiration.
1908-1909 : Période d’intense crise psychologique, marquée par un amour malheureux pour celui qu’elle désignera plus tard dans son œuvre – lorsque, quelques années plus tard, il sera assassiné par les nazis – comme le « fiancé défunt », et auquel elle dédiera nombre de poèmes.
1910-1920 : Nelly Sachs travaille à l’écriture de nombreux sonnets ainsi que de poèmes de forme plus libre, mais de facture toujours très classique.
1921 : Parution de Légendes et récits (Legenden und Erzählungen).
1929 : Première publication de poèmes dans un périodique berlinois, Die vossische Zeitung.
1930 : Décès du père de Nelly Sachs. Elle lui consacrera un cycle de poèmes, Mélodie silencieuse (Leise Melodie, non publié).
1933-1939 : Ses poèmes paraissent dans le quotidien Berliner Tagesblatt puis, à partir de 1936, exclusivement dans des revues juives. Sont publiés ainsi deux cycles de poèmes, Mélodies de la Bible (Melodien der Bibel) et Chants de l’adieu (Lieder vom Abschied), ainsi que des pièces pour marionnettes et Chélion, une histoire d’enfance (Chelion, Eine Kindheitsgeschichte).
1939 : Son amie Gudrun Harlan se rend en Suède et intercède auprès de Selma Lagerlöf et du prince Eugène, frère du roi, pour que Nelly Sachs et sa mère puissent y trouver asile.
1940 : Le 16 mai, Nelly Sachs et sa mère arrivent par avion à Stockholm. Durant l’été, deux cycles de poèmes voient le jour, qui resteront inédits : Autour du château de Gripsholm : miniatures (Miniaturen um Schloß Gripsholm) et Élégies suédoises (Schwedische Elegien).
1941 : Rencontre avec le poète suédois Johannes Edfelt ; début d’une longue amitié. Première parution, dans une revue, de quelques poèmes de Nelly Sachs traduits en suédois.
1942 : Nelly Sachs effectue ses premières traductions de poésie suédoise.
1943-1945 : Intense période d’écriture qui marque le véritable surgissement de sa nouvelle langue poétique, et voit naître les premières œuvres dont elle acceptera la publication après la guerre, refusant alors toute réédition de ses œuvres antérieures : Épitaphes inscrites dans les airs (Grabschriften in die Luft geschrieben) et Ton corps en fumée à travers les airs (Dein Leib im Rauch durch die Luft) qui seront repris dans le recueil Dans les demeures de la mort. Composition des Élégies des traces dans le sable (Elegien von den Spuren im Sande), dont bon nombre seront également reprises, sous une forme modifiée et épurée, dans le même livre. Nelly Sachs compose aussi un poème scénique : Éli, mystère de la souffrance d’Israël (Eli. Ein Mysterienspiel vom Leiden Israels).
1946 : Rencontre avec le compositeur Moses Pergament, qui mettra en musique Eli. Écriture du cycle Chœurs après minuit (Chöre nach der Mitternacht), qui figurera dans le recueil Dans les demeures de la mort. Début du travail sur un poème scénique consacré à Abraham, sous le titre provisoire d’Homme d’Ur (Mann aus Ur).
1947 : Écriture du cycle Le coquillage murmure (Die Muschel saust) qui fera partie d’Éclipse d’étoile.
Parution, chez Aufbau-Verlag à Berlin, du recueil Dans les demeures de la mort (In den Wohnungen des Todes).
Publication d’une anthologie de poésie suédoise traduite en allemand par Nelly Sachs, sous le titre De vague et de granit (Von Welle und Granit), comprenant notamment des textes d’Edith Södergran, Dan Andersson, Karin Boye, Pär Lagerkvist, Johannes Edfelt, Gunnar Ekelöf, Olof Lagercrantz, Erik Lindegren, Karl Vennberg...
1947-1948 : Nelly Sachs découvre les conférences données par Hugo Bergmann sur les grands philosophes du judaïsme. Elle poursuit l’écriture d’Éclipse d’étoile.
1949 : Publication à Amsterdam, chez Bermann-Fischer, du recueil Éclipse d’étoile (Sternverdunkelung).
1950 : Mort de la mère de Nelly Sachs.
Nelly Sachs écrit la première partie d’un journal intitulé Lettres de la nuit (Briefe aus der Nacht) qu’elle poursuivra dans les périodes les plus difficiles ; il demeurera inédit.
Peter Huchel publie deux de ses poèmes dans la revue littéraire Sinn und Form qu’il dirige à Berlin Est : « Quand à l’approche de l’été... » (« Wenn im Vorsommer ») et « Peuples de la terre » (« Völker der Erde »).
1951 : Première parution d’Eli, en langue allemande, à Malmö (Suède), à l’initiative du germaniste allemand – et ami de Nelly Sachs – Walter A. Berendsohn.
Rencontre avec Lenke Rothmann, jeune femme peintre d’origine hongroise, survivante des camps.
1953 : Écriture du cycle En défaillance derrière les paupières (In Ohnmacht hinterm Augenlid), après un séjour en hôpital et une assez lourde opération.
1954 : L’Heure d’Endor (Die Stunde zu Endor) et Sous l’étoile polaire (Unterm Polarstern).
1956 : Écriture d’un bref texte autobiographique qui tente de dire la peur et le danger quotidiens vécus dans les dernières années à Berlin : Vie sous la menace (Leben unter Bedrohung). Ce texte paraît dans la revue Ariel (il restera le seul texte en prose de Nelly Sachs).
Achèvement du poème scénique sur Abraham commencé dix ans plus tôt, dont la version définitive s’intitule Abraham dans les déserts de sel (Abram im Salz).
1957 : Début du travail sur le poème scénique La chute de Samson traverse les millénaires (Simsom fällt durch Jahrtausende).
Nelly Sachs entame une correspondance amicale avec le jeune auteur allemand Peter Hamm.
Parution en Allemagne du recueil Et nul n’en sait davantage (Und niemand weiß weiter) et d’une seconde anthologie de poésie suédoise, Même ce soleil est sans patrie (Auch diese Sonne ist heimatlos).
En décembre, début de la correspondance avec Paul Celan.
1958 : Le jeune poète allemand Hans-Magnus Enzensberger rend visite à Nelly Sachs à Stockholm. Publication d’un recueil de Johannes Edfelt traduit du suédois par Nelly Sachs : Le Pêcheur d’ombres (Der Schattenfischer).
Création à la radio allemande d’Eli, adapté par Alfred Andersch.
1959 : Travail sur les poèmes scéniques En vain sur un bûcher (Vergebens an einem Scheiterhaufen) et Qu’est-ce qu’une victime ? (Was ist ein Opfer).
Eli, opéra de Moses Pergament, est créé à la radio suédoise.
Parution à Stuttgart (Deutsche Verlags-Anstalt) de Fuite et métamorphose (Flucht und Verwandlung).
1960 : Le prestigieux prix Droste de la ville de Meersburg est décerné à Nelly Sachs. Elle se rend en Allemagne, pour la première fois depuis son émigration en 1940, pour le recevoir. Elle ne reste pas plus d’une journée sur le sol allemand et se rend à Zurich, où elle rencontre Paul Celan (qui évoquera cette rencontre dans le poème Zürich zum Storchen), puis à Paris.
À son retour, Nelly Sachs est victime d’une profonde dépression et effectue un premier séjour en hôpital psychiatrique.
1961 : Le recueil Route vers le néant de toute poussière (Fahrt ins Staublose) paraît en Allemagne chez Suhrkamp.
Fondation du prix Nelly Sachs de la ville de Dortmund, dont elle est la première lauréate.
1962 : Nouveau séjour à l’hôpital psychiatrique. Écriture de la première partie d’Énigmes en feu (Glühende Rätsel, recueil également connu en France sous le titre Brasier d’énigmes grâce à Lionel Richard).
Parution chez Suhrkamp des poèmes scéniques réunis sous le titre Signes dans le sable (Zeichen im Sand), ainsi que d’un recueil de Gunnar Ekelöf traduit par Nelly Sachs.
1963 : Écriture de la seconde partie d’Énigmes en feu.
Parution d’un recueil du poète suédois Erik Lindegren traduit par Nelly Sachs : Car nos ailes sont notre seul nid (Weil unser einziges Nest unsere Flügel sind).
1964 : Publication des deux premières parties d’Énigmes en feu.
Réunion du groupe 47 à Sigtuna et à Stockholm : Nelly Sachs rencontre à cette occasion plusieurs des membres du groupe.
1965 : Second voyage en Allemagne pour la remise du Prix de la Paix du Syndicat du Livre allemand à Francfort. À cette occasion, premier et seul voyage de Nelly Sachs à Berlin depuis son exil forcé en 1940.
Écriture de la troisième partie d’Énigmes en feu.
1966 : Écriture de la quatrième et dernière partie d’Énigmes en feu et du long poème La quête de celle qui cherche (Die Suchende).
Le 10 décembre, Nelly Sachs se voit décerner, conjointement avec Joseph Agnon, le Prix Nobel de littérature.
1967 : Publication en France de Brasier d’énigmes et autres poèmes, traduit et préfacé par Lionel Richard (Lettres Nouvelles), ainsi que de nombreuses traductions en anglais, danois, hébreu, portugais, norvégien, suédois, espagnol, italien...
Nelly Sachs est faite citoyenne d’honneur de la ville de Berlin.
1968 : Nouveau séjour en hôpital psychiatrique.
Traductions de Nelly Sachs en japonais, coréen et hongrois.
1969 : Opération d’un cancer et long séjour à l’hôpital.
Publication de Présence à la nuit, seconde anthologie de poèmes de Nelly Sachs traduite par Lionel Richard (chez Gallimard).
Première représentation d’Eli à l’Académie des Arts de Berlin.
1970 : Paul Celan se suicide, en avril, à Paris.

1970 Nelly Sachs meurt à Stockholm, le 12 mai.

1971 : Parution des derniers poèmes de Nelly Sachs chez Suhrkamp sous le titre Partage-toi, nuit ! (Teile dich Nacht).
Notice biographique et bibliographique établie par Blandine Chapuis.



Portrait

Transfuge, septembre 2005
Nelly Sachs, une vie sous la menace
par Myriam Anissimov

En 1907, Selma Lagerlöf, célèbre romancière suédoise, future lauréate du prix Nobel 1909, reçut la lettre d’une jeune admiratrice qui venait de lire La Saga de Costa Berling. Âgée de seize ans, la demoiselle qui vivait à Berlin se nommait Nelly Sachs. Elle était l’auteur de quelques poèmes et textes en prose.
Cinquante et une années plus tard, l’Académie suédoise lui décernerait à son tour le prix Nobel de littérature, récompense qu’elle partagerait avec le romancier israélien de langue hébraïque, Samuel Joseph Agnon. Nelly Sachs était la première femme de lettres juive à recevoir cette distinction. À la noble assemblée qui venait de consacrer leurs œuvres, cette femme timide déclara, non sans arrogance : « Agnon représente l’État d’Israël. Je représente la tragédie du peuple juif. » En disant cela, elle n’avait pas voulu signifier que son œuvre était supérieure à celle d’Agnon, qu’elle n’aimait d’ailleurs pas. En prononçant cette phrase lapidaire, elle avait voulu attirer l’attention de l’assistance sur le sens qu’elle donnait à sa poésie, aux drames religieux qu’elle avait écrits. De fait, Nelly Sachs avait voué sa vie au « peuple juif assassiné », s’il m’est permis d’emprunter cette formule à Itzhak Katzenelson, le grand poète juif de langue yiddish, gazé à Auschwitz, auteur d’un chef-d’œuvre, Le Chant du peuple juif assassiné, écrit au camp de concentration de Vittel.
S’expliquant sur ses écrits, qu’elle désignait par le mot « choses » (en allemand « Sachen »), Nelly Sachs affirma : « J’ai constamment tenté d’élever l’indicible à un niveau transcendantal, afin de le rendre supportable dans cette nuit de la nuit, pour donner une idée de la sainte obscurité dans laquelle la crainte et la tristesse demeurent cachées. »
Léonie Sachs était née le 10 décembre 1891 à Berlin dans une famille juive de la bourgeoisie berlinoise assimilée, qui habitait une élégante demeure près du Tiergarten. Assez fortunés, Margarete et William, ses parents, confièrent d’abord l’éducation de leur fille unique à l’école privée Dortheen-Schule, dans le quartier de Moabit.
À cause de sa santé délicate, Nelly reçut à partir de 1900 les leçons de précepteurs à domicile. La petite fille rangée étudia la musique et la danse. La maison ne manquant pas de bibliothèques, le goût de la lecture fut inculqué très tôt à la fillette, qui fut ensuite à nouveau inscrite dans une école privée, fondée par Hélène Aubert, dont l’enseignement exerça sur elle une puissante influence.
Selma Lagerlöf ne laissa pas la lettre de son adoratrice sans réponse. Une abondante correspondance s’ensuivit entre Stockholm et Berlin. Au mois de novembre 1921, Nelly Sachs eut la joie d’envoyer à Selma Lagerlöf son premier recueil inédit et dédicacé, Légendes et Récits. Ces textes, assez conventionnels, trahissent l’influence du mysticisme juif et chrétien, mais surtout de la poésie romantique de Hölderlin et de Novalis.
Extrêmement réservée et fragile, Nelly Sachs se montra incapable de se détacher de sa mère, qui la couvait. Sa mélancolie s’aggrava lorsqu’elle s’éprit d’un jeune homme qui allait être assassiné par les nazis. Cet amour inspira à Nelly Sachs de nombreux poèmes. Walter Berendsohn, un de ses amis, décrit ainsi « le fiancé défunt » : « Il n’était pas juif, et n’était pas issu d’une bonne famille. Il appartenait à un réseau de résistance contre le nazisme. Il fut torturé sous mes yeux, puis exécuté. » Nelly Sachs devait ne jamais se marier.
Les poèmes de Nelly Sachs furent publiés pour la première fois dans Die vossiche Zeitung, à Berlin en 1929. Un an plus tard, William Sachs, son père décédait. Inconsolable, elle lui dédia un cycle de poèmes, Mélodies silencieuses, qui demeure inédit. Nelly vécut désormais avec sa mère jusqu’à la mort de cette dernière, en 1950.
Quelques poèmes parurent dans le périodique berlinois Berliner Tagesblatt entre 1933 et 1936. Puis, jusqu’en 1939, son travail fut exclusivement publié dans des revues juives, à cause des lois antisémites de Nuremberg, promulguées en 1934. Deux cycles parurent : Mélodies de la Bible et Chants de l’adieu, ainsi que des pièces pour marionnettes et Chélion, une histoire d’enfance.
Après la Nuit de Cristal, les Juifs d’Allemagne furent déportés à Dachau, puis dans les camps d’Europe orientale. La famille de Nelly Sachs disparut dans la Shoah. Expulsée, cette dernière se vit obligée de louer un appartement de sa maison à Paul Hofmann, le futur commandant du camp d’extermination de Maidanek. Avant qu’elle ne parte dans un camp à son tour, son amie Gudrun Harlan décida de partir pour la Suède afin d’intercéder auprès de Selma Lagerlöf et du prince Eugène, frère du roi. Elle obtint que Nelly Sachs et sa mère fussent accueillies sur le sol suédois. Les deux femmes arrivèrent par avion à Stockholm le 16 mai 1940. La communauté juive mit à leur disposition une pièce et une cuisine dans la maison du Bergundsstrand 23. Les deux femmes allaient y vivre jusqu’à leur mort. Nelly qui prenait soin de sa mère le jour, écrivait la nuit.
S’étant familiarisée avec la langue de son pays d’adoption, Nelly Sachs effectua ses premières traductions de poésie suédoise. C’est désormais de cette manière qu’elle assura sa subsistance. Elle traduisit en allemand une anthologie de la poésie suédoise, sous le titre De Vague et de granit, mais ses deux premiers cycles de poèmes écrits à Stockholm ne furent pas édités.
Nelly Sachs sortit peu à peu de son isolement lorsqu’elle rencontra le poète suédois Johannes Edfel, qui l’aida à faire publier quelques poèmes dans une revue.
Pendant les années de guerre, Nelly Sachs connaît une intense période de création, au cours de laquelle elle élabore sa nouvelle langue poétique. À l’instar de son ami Paul Celan, elle va refonder la langue des assassins. Tous deux, en introduisant dans la langue allemande l’apport hébraïque, auront relevé le défi de Theodor Adorno qui avait affirmé que toute éloquence, toute poésie seraient impossibles, barbares, après Auschwitz. Primo Levi avait reformulé ainsi la phrase : « Après Auschwitz on ne peut plus écrire de poésie que sur Auschwitz. »
Au lendemain de la Shoah, Nelly Sachs accepte la publication de son œuvre en refusant toute réédition de ses écrits antérieurs à la guerre. Tout ce qu’elle écrit est marqué par le mysticisme juif, par la tragédie de l’anéantissement, ainsi qu’en témoignent les titres de ses poèmes – Dans les demeures de la mort, Route vers le néant de toute poussière, Même ce soleil est apatride, Les Cheminées de pierre – et un texte autobiographique sur la peur dans les dernières années vécues à Berlin – Vie sous la menace. Un de ses plus célèbres poèmes, ô les cheminées, commence ainsi :

ô les cheminées
Sur les demeures de la mort si bien imaginées
Quand le corps d’Israël monta dissous en fumée au travers de la fumée
Comme une étoile qui devint noir…

Elle découvre les conférences d’Hugo Bergmann sur les grands philosophes du judaïsme, rencontre Lenke Rothmann, jeune femme peintre d’origine hongroise, survivante des camps, entretient à partir de 1957 une correspondance très intense avec Paul Celan, lit les contes hassidiques, la Bible, le Zohar, la Kabbale.
Survient la mort de sa mère, en 1950. Nelly traverse une grave dépression. D’autres crises prendront un caractère paranoïaque, si bien qu’elle sera hospitalisée pendant de longues périodes dans des hôpitaux psychiatriques. Ces épisodes délirants, que Nelly Sachs qualifie d’ « effroyables » dans ses lettres à Paul Celan, se poursuivront jusqu’à sa mort. Cependant, malgré la maladie psychique, malgré un cancer auquel elle succombera, Nelly Sachs continuera d’écrire, notamment des poèmes scéniques d’inspiration juive et biblique :

Eli, mystère de la souffrance d’Israël
Abraham dans les déserts de sel
La chute de Samson traverse les millénaires
En vain sur un bûcher
Qu’est-ce qu’une victime ?

La Suède accorde à Nelly Sachs la nationalité suédoise en 1953, l’Allemagne découvre son œuvre et lui décerne en 1960 le prestigieux prix Droste de la ville de Meersburg. Pour le recevoir, Sachs accepte de se rendre pour la première fois dans son pays natal depuis son émigration, mais ne reste qu’une journée sur le sol allemand, avant de rejoindre Paul Celan à Zurich. Ils se retrouveront quelques jours plus tard à Paris. Au retour de ce séjour exaltant à Paris, durant lequel Nelly Sachs séjourne chez Paul Celan et sa femme Gisèle Lestrange, elle sombre dans la dépression et est hospitalisée pour la première fois dans un service psychiatrique. En même temps que sa notoriété ne cesse de grandir.
Nelly Sachs se voit décerner le prix Nobel de littérature le 10 décembre 1966, puis est faite citoyenne d’honneur de la ville de Berlin l’année suivante. Malgré cette reconnaissance internationale, Sachs est à nouveau hospitalisée dans un hôpital psychiatrique. La maladie l’accable : infarctus en 1967, nouvelle hospitalisation dans une clinique psychiatrique en 1968, opération d’un cancer au printemps 1969. Au terme de plusieurs séjours à l’hôpital, Nelly Sachs devient grabataire. Autour du 20 avril 1970, Paul Celan se suicide en se jetant dans la Seine ; le 12 mai suivant, Nelly Sachs meurt à Stockholm. Elle avait peu de temps auparavant écrit à son cher Celan, dont l’œuvre est aussi née de la Shoah : « Nous vivons tous deux au pays invisible. » Dans la solitude et l’exil, elle avait noté en 1956 : « Le plus haut souhait sur terre : mourir sans être assassiné. »


Nelly Sachs

Les lèvres et les paroles contre les pierres et la fumée


De la petite fille rangée à la poétesse du désastre
La poésie comme un vol d’oiseaux
Une poésie contre la poussière
Choix de textes
Bibliographie


Les métamorphoses du monde me tiennent lieu de pays natal.
(Nelly Sachs)


Étrange, étrange destin que celui qui fit de cette fille de famille bourgeoise juive allemande assimilée, le seul prix Nobel de littérature jamais attribué à un poète juif encore à ce jour.
Nelly Sachs, prix Nobel de littérature le 10 décembre 1966, conjointement avec Samuel Joseph Agnon, sera allée tout près des mystères de la mort, mais comme Paul Celan, elle aura osé ne pas se taire. Elle est morte le jour de l’enterrement de Paul Celan, de fatigue de vivre et de survivre. Tous deux étaient les deux grands poètes juifs de langue allemande, ceux qui témoignèrent dans la langue des bourreaux. Comme lui, elle aura connu une existence d’après le déluge et comme lui, elle ne pourra jamais combler la béance du désastre. Si on peut survivre à l’horreur, on ne peut survivre à sa mémoire.


De la petite fille rangée à la poétesse du désastre

La petite fille rangée bien au chaud dans sa famille juive berlinoise savait-elle qu’elle serait la mère douloureuse du peuple juif parti en fumée ? Savait-on que sans Sema Lagerlöf, une des grandes œuvres poétiques de notre temps n’aurait pas été transmise ?
Rien ne la prédisposait à ce cela, elle insouciante et heureuse dans une vie soyeuse et douce.
Née à Berlin le 10 décembre 1891, elle devra à son père grand amateur de littérature et de musique le fait d’être baigné dans les livres. De santé fragile, elle fréquentera surtout des écoles privées, ainsi à l’écart des autres.

Elle écrivait aimablement, ne savait du judaïsme que ce que son milieu bourgeois et assimilé voulait bien en savoir. De toute façon on n’était pas comme ses juifs pauvres et incultes de l’Europe Centrale, rien ne pouvait nous arriver tant les valeurs européennes étaient les nôtres. Cela ne pouvait être.
Le ciel ne pouvait pas tomber sur la tête d’aussi bons citoyens allemands. Mais l’histoire déroulait ses anneaux de serpent.
Dès 16 ans en 1907, elle écrivait donc et s’était liée d’amitié épistolaire avec Selma Lagerlöf, après la révélation du roman « La saga de Gösta Berling », l’année précédente. L’écrivain suédoise rendue mondialement célèbre par « les merveilleux voyages de Niels Olgerson » va se lier avec cette jeune fille romantique et exaltée.

Dans la vie de Nelly Sachs se trouve aussi une zone obscure qui sera celle de son amour pour le fiancé défunt qui la marquera à jamais.

Son premier véritable livre fut en 1921, à trente ans, un recueil « Récits et légendes », ses nombreux poèmes circulent dans les milieux littéraires allemands. Imprégnée de courant idéaliste, de Novalis, et de mysticisme latent, sa poésie était en attente d’une véritable cause, d’un objet digne de ses élans. La mort de son père en 1930 la laisse enclose dans l’amour de sa mère.
Puis vint la nuit nazie, ses lois antisémites, la persécution. De 1933 à 1939 elle se plonge par force et solidarité dans le monde juif. Ses écrits ne pouvant paraître que dans les revues juives, elle découvre le monde de ses coreligionnaires. Puis dès 1939 l’étau de la mort se resserre.

Elle doit se terrer à Berlin, dans sa propre ville natale. Pendant trois ans cette jeune fille choyée va connaître la peur, la nuit aux aguets. Cette mort qui rôde quotidiennement, elle apprend à la connaître, à la reconnaître. Comme une grande partie des juifs allemands, elle n’avait pas vu survenir, depuis 1933, la montée des périls. Prise dans la certitude de son assimilation réussie, elle ne se considérait sans doute pas comme une représentante de ce peuple dont elle ignorait la culture. Les humiliations quotidiennes, les douleurs, la souffrance, la haine aussi qui monte devant l’indifférence « des spectateurs », ses amis chrétiens, ses voisins, vont transformer son être et sa vie.
Elle ne doit sa vie qu’à l'amitié de Selma Lagerlöf et peut s’enfuir en Suède de justesse le 16 mai 1940 par avion, alors que les lourdes portes de fer de l’Allemagne se referment sur les juifs. Son exil durera toute sa vie, car elle demeurera toujours à Stockholm refusant de vivre en Allemagne.
« Je n’ai pas de pays, écrivait-elle, et, au fond, pas non plus de langue. Rien que cette ardeur du cœur qui veut franchir toutes les frontières ».

Dans ce chemin de l’exil dès 1940 avec sa mère, elle retrouve l’histoire de son peuple.
D’abord enfermée dans le silence, elle commence à reconquérir quelques paroles par l’étude de la Bible.
La Bible hébraïque traduite par Martin Buber en allemand, l’a totalement saisie. Alors elle s’imprègne des livres saints, Torah, Zohar, écrits des Hassidim (les sages). La langue de feu des prophètes et des patriarches l’a saisie et elle refait sa route vers le peuple d’Israël. Elle quitte alors les influences chrétiennes présentes dans ses premiers écrits.
Son écriture change totalement et elle donne une voix aux malheurs des juifs. Par solidarité, par redécouverte d’une culture enfouie, banalisée dans l’assimilation, elle devient celle qui crie vengeance et souvenir face à la haine et l’anéantissement. Exode et métamorphose, comme le dit le titre de ses poèmes parus chez Verdier. Métamorphosée, elle peut à nouveau écrire, la nuit exclusivement, et témoigner dès 1943.

Autant que l’histoire tragique d’un peuple, passe en filigrane l’ombre d’un homme, son fiancé, mort en camp de concentration, et dont jamais nous ne connaîtrons le nom.
Elle va vivre de traductions de poésie suédoise en allemand. Mais elle écrit fiévreusement de 1943 à 1945 ses premiers témoignages sur les mystères et les douleurs du peuple d’Israël. Elle est une autre, elle a une nouvelle langue poétique, elle a une voix en elle, une voix à suivre : parler pour les morts et les survivants. Parler pour son être cher. Parler pour son peuple. Ce n’est plus l’exil qui est dit, mais les drames de la Shoah. Et la nuit elle écrira.
« Éclipse d’étoile », son autre grand recueil est de 1949. Elle approfondit sa connaissance du judaïsme et des philosophes juifs.

Elle ne quittera plus la Suède où elle mourra le 12 mai 1970, grabataire, au bout d’elle-même. Sa poésie commence à se répandre dès 1950, ses drames religieux aussi. Son recueil « Dans les demeures de la mort » est rassemblé en 1946. C’est le véritable début de son œuvre et les bluettes de sa jeunesse sont reniées. Dès 1954 mais surtout à partir de 1957, elle se lie par correspondance avec son frère d’âme, Paul Celan : « Vous lisez mes choses, ainsi ai-je une terre ». Pourtant ils n’ont voulu se voir que deux fois en 1960, dans une auberge et sur un quai de gare.

La mort de sa mère en 1949, ses nombreux troubles dépressifs la conduisent à un nouvel exode intérieur dont elle ne peut sortir qu’en s’enfonçant encore plus profondément dans le mysticisme juif. Sa seule patrie reconnue sera celle-là.
Elle se considérera « lapidée par la nuit », et voudra chercher en convoquant toute la mémoire d’un peuple à comprendre le sens de la destinée, sur le devoir absolu de fidélité aux morts, sur le droit même de pouvoir parler en leur nom, rompant le silence de la mort comme on brise du pain à partager.

Les lèvres contre la pierre de la prière
toute ma vie j’embrasserai la mort,
jusqu’à ce que le chant de la semence d’or
brise le roc de la séparation.

La poésie comme un vol d’oiseaux

Son écriture est fragile comme une aile de papillon, car transparente, si légère que ses mots semblent fumée, sans véritable incarnation dans le langage. Ses poèmes sont des vols d’oiseaux qui passent. Tout est intérieur, parfois obscur à notre entendement car cela vient de l’au-delà des âges. Pure, si pure sa poésie, elle coule à la surface du monde, elle passe au travers de nos doigts et va se réfugier dans nos consciences. La poésie de Nelly Sachs est désincarnée et pourtant elle implose en nous. Comme l’air et la lumière si souvent présents avec la poussière dans ses poèmes, ses paroles viennent à nous.
Ces textes les plus immédiatement émotionnels sont ceux qui sont faits en mémoire des victimes du nazisme.
Certes elle n’atteint pas à la grandeur sacrée de Paul Celan, son ami, mais qui peut y prétendre ?

Elle fait elle une très grande place à la Kabbale. Le livre fondateur, le Zohar, livre des splendeurs l’accompagne à toutes les phases cruciales de sa vie. Elle revient au judaïsme dans les années suivant la montée du nazisme sous cette influence.
Quand elle sombre dans ses profonds états dépressifs, surtout en 1949 après la mort de sa mère toujours alors à ses côtés, la Kabbale la console encore.
Elle séjournera à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique, en 1962 et surtout vers la fin de sa vie et à chaque fois c’est la lecture de la Bible et plus encore du Zohar et des récits hassidiques qui peut l'aider à continuer à lutter et à vivre.
Les clés essentielles de son œuvre sont à trouver au travers de la tradition juive.

Tout est salut dans le secret
et vit de souvenir
et la mort frémit d’oubli

La poésie de Nelly Sachs a deux niveaux : celui immédiat du lecteur pris par l’émotion, celui plus profond qui au fait de la tradition juive, comprend comment dans le travail des mots de Nelly Sachs a prolongé dans le présent tout l’exil d’un peuple.
Les mystères de sa poésie sont déduits des interprétations des commentaires hassidiques. Sable, poussière, lumière, langage, pouvoir des mots et des lettres, résurrection, constellations, irriguent ses vers.
Son approche de la tradition juive se fait, comme pour beaucoup de juifs de langue allemande (Rose Ausländer), au travers des récits hassidiques de Martin Buber et de sa traduction de la Bible, des écrits de Rozenzweig (traduction d’Isaïe), et de la présentation de la gnose juive par Gershom Sholem.

C’est par ce mélange de légendes édifiantes et de révélations des mystères que porte chaque mot, chaque voyelle, que Nelly Sachs bâtie sa conscience juive, fort éloignée des textes plus arides comme le Talmud ou autres.
Nelly Sachs, avec le sentiment de culpabilité des survivants, va écrire pour ses frères et ses sœurs exterminés. Elle empruntera à la bible ses figures archétypiques (Daniel, Moïse, prophètes et patriarches, …) qui lui serviront de boucliers et d’armes spirituelles. Sa langue va épouser un rythme propre, ses mots seront « d’une énigmatique pureté » désormais. Elle a fait sienne la pensée religieuse ; la connaissance profonde de Dieu réside dans la lumière et dans le verbe.

En plus de cette culture retrouvée Nelly Sachs découvrit une nouvelle façon d’écrire en allemand, une nouvelle oralité de la langue par la structure hébraïque plaquée sur l’allemand. Ce buisson ardent d’une langue si proche des origines va la brûler à jamais. Elle écrit des psaumes de la nuit qui ont une illumination prophétique.
La parole est dite, clamée, prophétique, allant vers l’autre. La poésie de Nelly Sachs est un questionnement. La poésie de Nelly Sachs est un souffle.

Là où le silence parle
naissance et mort surviennent
et les éléments se mêlent d’un autre mélange.

Sa double démarche de quête mystique et d’amitié épistolaire très longue avec Paul Celan jalonnent son parcours. Paul Celan l’admirait mais ne pouvait souscrire à sa religiosité, car pour lui Dieu était mort à Auschwitz. Qu’importe leur chemin parallèle fut beau.
En 1962 sa poésie s’infléchit profondément dans la mystique et le mystère avec son travail sur son recueil de toute la fin d e sa vie « Ardentes énigmes » ou « Énigmes de feu ».
Elle se tend dans sa poésie vers une poésie cosmique, une religiosité cosmique également.

je t’écris…
Tu es revenu au monde
grâce au pouvoir magique des lettres
qui à tâtons à toucher ton être
la lumière paraît
et le bout de tes doigts irradie dans la nuit
image d’étoile à la naissance
des ténèbres comme ces lignes –

Une poésie contre la poussière

Contre la poussière, matière blême, Nelly Sachs oppose le divin de la lumière et donc l’univers des mots qu’il ne faut pas détruire avec la haine.
Ses derniers textes sont empreints d’ésotérisme, ils deviennent fermés sur eux-mêmes, ramassés et obscurs. Au bout de sa route Nelly Sachs s’approchait de l’autre côté de la porte, et ne pouvait en dire les mystères que sous forme cryptée. Sa foi en l’avenir lui vient de ses méditations qui se déplient progressivement dans sa vie.
Ardentes énigmes et déjà ce précepte :
« Mystère à la frontière de la mort. Mets le doigt sur ta bouche : plus un mot, plus un mot ».
Les lettres de feu devenaient un pouvoir magique comme l’enseigne la Kabbale et Nelly Sachs allait vers cette obscure lumière. La mort n’était pas la mort mais la métamorphose.
« Je te l’écris, tu es revenu en ce monde grâce à la force des lettres magiques ».
Cela ne pouvait être la disparition dans le néant, mais une autre vie pour elle. Elle attend l’avenir, l’au-delà. Elle vit dans la résurrection, cette résurrection est sa poésie :

et bientôt on te retrouvera dans le sable
et tu seras l’hôte attendu qui vole vers les astres
et tu seras consumé dans le feu des retrouvailles
silencieusement…silencieusement

Elle croit aussi en l’État d’Israël qu’elle veut terre de justice :

« Terre d’Israël/maintenant que ton peuple/s’en revient des quatre coins du monde/pour écrire à nouveau les Psaumes de David dans ton sable/et au soir de sa moisson chanter/la parole d’accomplissement des veillées célébrantes/peut-être une nouvelle Ruth est-elle déjà là/en pauvreté tenant sa cueillette/au partage des chemins de sa migration ».
On a dit justement que pour Nelly Sachs, « Israël n'est pas qu'un pays : l'histoire juive se fait à toute heure et les prophètes sont aussi présents que la pluie ou le vent ».

La mort, obstinément présente dans son œuvre, n’arrête pas la vie qui doit être « ce voyage dans la contrée sans poussière ». « Dans la mort encore est célébrée la vie » est le titre d’un de ses recueils, ce titre dit sa pensée.
Nelly Sachs meurt le 12 mai 1970, le jour même de l’enterrement de Paul Celan qui venait de se suicider et dont on venait enfin de retrouver le corps.
Elle aura finalement capitulé devant le poids de la mémoire et de la douleur.
« J’attends dans un état de grâce le jour nouveau… »
Nelly Sachs allume des brasiers d’énigmes, la raison ayant failli et par tout un réseau de symboles elle crée une nouvelle cosmogonie de son peuple.
Ses prophéties, ses berceuses, ses messages d’ailleurs, sont sa poésie. Elle vole au-dessus du chaos du monde, une part dans la nuit, une part dans la lumière du firmament.
Les lèvres contre la pierre de la prière
toute ma vie j’embrasserai la mort
jusqu'à ce que le chant de la semence d'or
brise le roc de la séparation
Nelly Sachs sera ce chant.

« Deine Angst ist ins Leuchten geraten »- Ton angoisse est devenue lumière »


Poèmes de Nelly Sachs Traduits


« Il est des pierres qui sont comme des âmes » Rabbi Nachman »

À vous qui bâtissez la nouvelle maison

Quand toi, tu dresseras à nouveau tes murs -
Ton foyer, ta couche, et la table et la chaise -
Ne pends pas tes larmes, celles pour ceux qui sont partis,
Ceux qui n'habiteront plus avec toi,
Ni à la pierre
Ni au bois -
Sinon il pleurera dans ton sommeil,
Si court mais que tu dois encore accomplir. Ne soupire pas, quand tu fais ton lit
Sinon tes rêves se mêleraient
À la sueur des morts.
Ah, les murs et les objets quotidiens
Sont sensibles comme des harpes de vent
Et comme un champ où pousse la douleur
Et ils ressentent en toi ton alliance avec la poussière.
Construis, quand le sablier ruisselle
Mais ne pleure pas les minutes
Parties ensemble avec la poussière
Qui recouvre toute lumière

(Dans les demeures de la mort)

Ô les cheminées

Ô les cheminées
Sur les demeures de la mort si bien imaginées,
Quand le corps d'Israël monta dissous en fumée au travers de la fumée -
Comme une étoile qui devint noire
Le reçut le ramoneur
À moins que ce fût comme un rayon de soleil ?
Ô les cheminées !
Chemins de liberté pour la poussière de Jérémie et de Job -
Qui donc pour vous le conçut et le bâtit pierre à pierre
Ce chemin pour les fugitifs de fumée ?
Ô les demeures de la mort,
Si bien arrangées
Pour le maître de logis, qui sinon aurait été l'invité
Ô vous doigts
Gisants au seuil de l'entrée
Comme un couteau entre la vie et la mort -
Ô les cheminées
Ô vous les doigts,
Et le corps d'Israël en fumée monte en fumée !

(Dans les demeures de la mort)

Mais qui donc

Mais qui donc vida le sable de vos chaussures
Quand on vous força à vous lever pour mourir ?
Ce sable, qu'Israël était allé chercher,
Son sable d'errance ?
Sable brûlant du Sinaï,
Mélangé aux gorges des rossignols,
Mélangé aux ailes des papillons,
Mélangé à la poussière de nostalgie des serpents,
Mélangé à tout se détacha de la sagesse de Salomon,
Mélangé à l'amertume du secret de l'absinthe -
Ô vous doigts,
Vous qui avez vidé le sable des chaussures des morts,
Dès demain votre poussière sera dans les chaussures des hommes à venir !

(Dans les demeures de la mort)

Un enfant mort parle

Ma mère me tenait par la main,
Alors quelqu'un leva le couteau des adieux
La mère glissa sa main hors de la mienne
Afin que cela ne me touchât pas.
Mais très doucement elle effleura encore une fois ma hanche
Et là sa main saigna -
Depuis lors le couteau des adieux coupa
En deux la bouchée dans la gorge -
Il se dressa dans l'aube avec le soleil
Et commença à s'aiguiser dans mes yeux -
À mes oreilles percèrent et vents et eaux,
Et chaque voix de consolation me poignarda le cœur -
Lorsqu'on me conduisit à la mort
Au dernier instant je sentis encore
L'arrachement du couteau des adieux.

Dans les demeures de la mort

Vous les spectateurs
Sous les regards desquels l’on tuait.
Comme l’on sent un regard derrière soi
Vous sentez dans votre corps
Le regard des morts.
Combien d’yeux brisés vous dévisageront
Quand pour cueillir une violette vous sortirez de vos cachettes
Combien de mains implorantes et dressées
Dans les branches martyrisées
Des vieux chênes abattus ?
Combien de souvenirs poussent dans le sang
Du soleil couchant ?
Ô les berceuses qui n’ont pas été chantées
Dans le cri nocturne de la tourterelle -
Plus d’un aurait pu décrocher des étoiles
Et maintenant c’est la vielle fontaine qui doit le faire
À sa place
Vous les spectateurs
Qui n’avez pas levé de main de meurtrière
Mais qui ne ferez pas retomber de votre nostalgie
La poussière
Vous qui restez debout, là,
où elle s’est changée en lumière Quatre jours quatre nuits
Un cercueil fut ton refuge
Un restant de vie respirait - expirait -
Pour retarder la mort -
Entre quatre planches
Était étendue la souffrance du monde -
Dehors grandissait la minute pleine de fleurs
Dans le ciel jouaient les nuages

Dans les demeures de la mort

Obscur chuchotement du vent
Dans les moissons
La victime est préparée à la souffrance
Les racines sont silencieuses
Mais les épis
Connaissent beaucoup de langues maternelles -
Et le sel de la mer
Pleure dans le lointain
La pierre est une existence de feu
Et les éléments arrachent leurs chaînes
Pour s’unifier
Quand des nuages l’écriture des esprits
S’en vont prendre les figures d’origine
Secret aux frontières de la mort
« Pose le doigt sur ta bouche :
se taire se taire se taire »

(Dans les demeures de la mort)

Tu te souviens

Tu te souviens de la trace de pas, qui s’est remplie de mort
À l’approche de celui qui brandit la hache
Tu te souviens des lèvres suppliantes de l’enfant
Quand il lui fallut apprendre la séparation de sa mère
Tu te souviens des mains de la mère qui creusèrent une tombe
Pour cette chose affamée à sa poitrine
Tu te souviens des paroles perdues par les esprits
Qu’une fiancée lança en l’air à son fiancé mort

Dans les demeures de la mort

Déjà ses bras autour
Déjà ses bras autour l’enlaçant de la consolation du ciel
La mère folle se tient debout
Avec les morceaux déchirés de sa raison déchirée
Avec la mèche de sa raison calcinée
Elle met en terre son enfant mort
Elle met en terre sa lumière perdue
Incurvant ses mains comme une jarre
pour l’emplir de l’air du corps de son enfant
pour l’emplir de l’air de ses yeux, de ses cheveux
et son cœur qui flotte -
puis alors elle embrasse l’être né de l air
et meurt !

(Dans les demeures de la mort)

il fut un

il fut un
qui souffla dans le shofar -
jeta sa tête vers l’arrière,
comme le font les chevreuils, comme les cerfs
avant de boire à la source.
Souffle :
Tekia
s’en va la mort dans un soupir -
shevarim
la semence du blé tombe -
Terua
l’air parle d’une lumière !
la terre tournoie et les astres tournoient
dans le shofar,
celui-ci souffle -
et autour du shofar brûle le temple -
et celui-ci souffle -
et autour du shofar se renverse le temple -
et celui-ci souffle -
et autour du shofar se repose la cendre -
et celui-ci souffle -


(Dans les demeures de la mort)

Depuis longtemps

depuis longtemps sont tombées les ombres
maintenant on a oublié
ces coups silencieux du temps
qui emplissent la mort –
feuilles tombées de l’arbre de vie –
sont tombées les ombres de l’horrible
au travers du cristal des rêves,
illuminé par la lumière prophétique de Daniel.
Une forêt noire a poussé autour pour étouffer Israël
Chanteuse de minuit de Dieu
elle a disparu dans l’obscurité
devenue anonyme.
Ô vous rossignols par toutes les forêts du monde !
héritiers de plumes du peuple mort
poteaux indicateurs des cœurs brisés,
vous qui au jour vous remplissez de larmes,
vomissez, vomissez
cet horrible silence de la gorge devant la mort.

(dans les demeures de la mort)

Tu te souviens
(version 2)
tu te souviens de la trace de pas, que la mort a emplie
à l’approche du persécuteur.
Tu te souviens des lèvres tremblantes de l’enfant
quand il dut apprendre l’adieu de sa mère.
Tu te souviens des mains de la mère, qui creusèrent une tombe
pour cette chose morte de faim contre sa poitrine.
tu te souviens des paroles devenues démentes,
qu’une fiancée lança dans l’air vers son fiancé mort.

(Dans les demeures de la mort)

Chœur des sauvés

Nous les sauvés
dans les os creux desquels la mort déjà tailla ses flûtes,
sur les tendons desquels la mort déjà frotta son archet,
nos corps se lamentent encore
avec leur musique mutilée.
Nous les sauvés,
toujours pendent les cordes dressées pour nos cous
devant nous dans l’air bleu -
toujours se remplissent les sabliers de notre sang qui s’écoule.
nous les sauvés,
toujours nous mangent les vers de la peur.
Notre constellation est enterrée dans la poussière.
Nous les sauvés
nous vous prions :
montrez-nous lentement votre soleil.
Conduisez-nous pas à pas d’étoile en étoile.
Laissez-nous très doucement réapprendre la vie.
Sinon un seul chant d’oiseau
le plein d’un seau à la fontaine
pourraient laisser se rouvrir notre douleur mal fermée
et nous chasser comme écume au loin -
Nous vous demandons :
ne nous montrez pas encore un chien qui peut mordre -
il se pourrait, il se pourrait
que nous nous désagrégions en poussière -
sous vos yeux que nous nous désagrégions en poussière -
Qu’est-ce qui encore maintient ensemble notre tissu ?
Nous devenus sans souffle,
Dont les âmes vers lui avaient fui le minuit
bien avant que l’on ne sauve nos corps
dans l’arche de l’instant.
Nous les sauvés
nous serrons vos mains,
nous reconnaissons vos yeux -
mais seuls l’adieu nous lie encore ensemble,
l’adieu dans la poussière
nous maintient avec vous ensemble.

Chœurs d’après minuit

nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
on a abattu notre branche
et jeté dans le feu -
de nos protecteurs on a fait du bois pour se chauffer -
nous les orphelins reposons dans les champs de la solitude.
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
dans la nuit nos parents jouent à se cacher de nous -
derrière les draperies de la nuit
leurs visages nous regardent,
parlent leurs bouches :
bois mort nous fûmes dans la main d’un bûcheron -
mais nos yeux sont devenus des yeux d’ange
et vous regardent,
à travers les noires draperies de la nuit
ils vous voient -
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
pierres avons nous maintenant pour jouets
pierres qui ont des visages, visages de père et mère
elles ne se fanent pas comme les fleurs, elles ne mordent pas comme les bêtes -
et elles ne brûlent pas comme du bois mort, quand on les jette dans le four -
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
monde pourquoi as-tu pris nos tendres mères
et les pères qui disent : mon enfant comme tu me ressembles !
nous les orphelins nous ne ressemblons plus à personne au monde !
Ô monde
nous portons plainte contre toi!

(Chœurs d’après minuit)

Chœur des errants

Nous les errants,
nos chemins nous les traînons derrière nous comme des paquets -
nous sommes vêtus
d’un lambeau de pays où nous faisions halte -
nous nous nourrissons
avec la casserole de la langue, apprise sous les larmes.
nous les errants,
à chaque carrefour une porte nous attend
derrière elle un chevreuil, Israël des animaux aux yeux d’orphelin
disparaît dans ses forêts bruissantes
et l’alouette jubile au-dessus des champs dorés.
Là où nous frappons aux portes
s’arrête une mer de solitude.
Ô vous, gardiens armés de glaives flamboyants,
les grains de poussière sous nos pieds d’errants
déjà commencent à faire monter le sang en nos petits-enfants
o nous errants devant les portes de la terre,
d’avoir tant salué les lointains,
nos chapeaux sont épinglés d’étoiles.
Comme mètres pliants reposent nos corps sur la terre
et mesurent tout l’horizon -
o nous les errants,
vers rampants pour les souliers à venir,
notre mort sera posée comme un seuil
devant vos portes fermées à double tour !

(Chœurs d’après minuit)

Chœur des ombres

nous ombres, ô nous ombres :
ombres des bourreaux
fixées à la poussière de vos forfaits -
ombres des victimes
dessinant contre un mur le drame de votre sang.
ô nous démunis papillons de douleur
pris au piège d’une étoile, qui tranquillement continue de brûler
quand il nous faut danser aux Enfers.
nos montreurs de marionnettes ne connaissent que la mort.
Nourrice d’or, qui nous alimente
pour un tel désespoir,
détourne o soleil ton visage
afin qu’alors nous puissions sombrer -
ou bien laisse nous refléter
les doigts dressés de joie d’un enfant
et le bonheur léger d’une libellule
sur la margelle de la fontaine.

(Chœurs d’après minuit)

Chœur des morts

Nous transpercés par le noir soleil
de la peur -
échappés de la sueur à la minute même de l’agonie.
Les morts à nous infligés sont fanés sur nos corps
comme fleurs des champs fanées sur une colline de sable.
Vous qui continuez à saluer encore comme une amie la poussière,
vous sable qui avait parole, parlez au sable :
je t’aime. Nous vous disons :
les manteaux de poussière des secrets sont en lambeaux,
l’air que l’on étouffa en nous,
les feux où l’on nous brûla,
la terre on l’on jeta nos pauvres restes.
L’eau sortit de notre sueur
s’en est allée avec nous et commence à briller.
Nous les morts d’Israël, nous vous disons :
Nous sommes déjà plus loin d’une étoile
dans notre Dieu caché.

(Chœurs d’après minuit)

Chœur de ceux qui ne sont pas nés

nous ceux qui ne sont pas nés
déjà la nostalgie nous prend
les berges du sang s’élargissent pour nous recevoir
comme rosée nous coulons dans l’amour.
les ombres du temps gisent comme questions
sur notre secret.
Ô vous, êtres d’amour,
êtres de nostalgie,
écoutez, vous aussi malades de l’adieu :
c’est nous qui commençons à vivre dans votre regard
nous dans vos mains, nous en quête de l’air bleu -
c’est nous cette odeur des matins.
Déjà votre souffle nous attire.,
dans les gouffres de votre sommeil nous allons
dans les rêves qui sont notre seul royaume sur terre
Là notre nourrice la nuit
nous élèvent,
jusqu’à ce que nous nous reflétions vos yeux
jusqu’à ce que nous parlions à vos oreilles.
Comme papillons
nous sommes prisonniers des guetteurs de votre nostalgie –
comme voix d’oiseaux trafiqués par la terre –
nous odeur des matins.
nous lumières à venir pour votre tristesse

Chœurs d’après minuit

Et tu es passé a
u travers de la mort
Comme l'oiseau en la neige
Toujours noir posant un sceau sur la fin...
Le temps a avalé
Les adieux que tu lui avais donnés
Jusqu'à l'abandon extrême
Au bout des doigts tout au long
Nuit d'yeux
Devenant sans corps
L'air a baigné - une ellipse –
La rue des douleurs

Ardentes énigmes

Dans la rue ils se heurtèrent
Deux destins sur cette terre
Deux courses de sang dans leurs réseaux d'artères
Deux respirants sur leur chemin
En ce système solaire
Sur leurs visages s'éloigna un nuage
Le temps se fendit
Le souvenir s'y précipita pour épier
Du passé et de l'avenir
Jaillirent les étincelles de deux destins
Qui tombèrent séparés –

Ardentes énigmes III

Dans ma chambre
Où sont mon lit
Une table une chaise
Et l'âtre
S'agenouille comme partout l'univers
Pour se sauver de son invisibilité
Je trace un trait
J'écris l'alphabet
Je peins sur le mur la sentence suicidaire
Sur laquelle immédiatement germent les naissances nouvelles
Déjà je retiens le firmament fermement ancré à la vérité
Alors la terre se met à marteler
La nuit se détache
Et tombe
Dent morte sous la morsure –

Ardentes énigmes

Tu es assise à la fenêtre
Tu es assise à la fenêtre
Et tombe la neige -
Ta chevelure est blanche
Et tes mains aussi
Mais dans les deux miroirs
De ton blanc visage
L'été s'est maintenu :
Paysage pour les prairies dressées dans l'invisible -
Breuvage pour les gazelles d'ombre dans la nuit
Mais disant ma plainte je plonge dans la blancheur, en ta neige -
D'où la vie s'éloigne très doucement
Comme à la fin d'une prière balbutiée -
Ah m'endormir en ta neige
Avec toute la souffrance du souffle de feu du monde
Pendant que les courbes délicates de ta tête
Déjà sombrent dans une nuit de mer
Pour une nouvelle naissance.

Obscurcissement de l’étoile

je tournais l’angle d’une sombre
rue voisine
là mon ombre se posa
sur mon bras
ce morceau de vêtement fatigué
exigeait qu’on le porte
et la couleur du néant déclara :
Tu es au-delà

Ardentes énigmes

obscur murmure du vent
dans les blés
la victime est prête aux souffrances
les racines sont silencieuses
mais les épis
savent beaucoup de langues maternelles -
et le sel dans la mer
pleure au lointain
la pierre est une existence de feu
et les éléments s’arrachent à leurs chaînes
pour la réunification
quand l’écriture des esprits des nuages
ramène les images des origines
à la frontière de la mort mystère
« mets le doigt sur ta bouche :
fais silence silence silence »

Ardentes énigmes

Ils parlent neige -
Avec ses quatre pans de monde
Le drap d'heures se replie
Guerre et amas d'étoiles blottis
L'un dans l'autre
Cherchent protection là où la nuit
Pleine de lait maternel déborde
Et de son doigt noir montre
Là où les découvertes guettent le passeur des âmes
Étincelles dans les ténèbres
Profondeur sous la neige

Ardentes énigmes

Et tu es passé au travers de la mort
comme l’oiseau dans la neige
toujours noir posant des sceaux sur la fin -
Le temps a avalé
les adieux que tu lui donnas
jusqu'à l’abandon total
au bout des doigts étendus
les yeux de la nuit
deviennent sans corps
L’air inonde - Une ellipse -
La rue des douleurs
L’enfer est nu de douleurs
Chercher
Sans mot dire
Chercher
Traversée de la nuit des corbeaux
Par tous les déluges
Et les époques glaciaires encerclé
Peindre l’air
Avec ce qui pousse derrière la peau
Pilote décapité par le couteau des adieux
Coquillage qui se noie
Su Su Su

Ardentes énigmes

mes chers morts
un cheveu de ténèbres
signifie déjà lointain
il pousse doucement au travers du temps ouvert
je meurs en comblant la minute
de mesure secrète
elle s’étire en bourgeonnant
mais derrière elle ils ont planté les langues de feu
de la terre –
une vigne qui délivre son vin à la flamme
je coule à la renverse

Ardentes énigmes

au petit jour
au petit jour
quand est retournée la pièce de monnaie de la nuit
imprimée du sceau du rêve
et que côtes, peau, prunelles
sont poussées vers leur naissance -
quand chante le coq à la crête blanche
l’effroyable instant
de la pauvreté sans Dieu est là
un carrefour est atteint -
Le tambour du roi a nom démence -
un sang apaisé s’écoule –

(Et nul ne sait comment continuer)

VIVRE SOUS LA MENACE

Le vœu le plus haut sur cette terre: mourir sans être assassiné.
Tu n'as rien mangé. Ce que j'ai eu tant de mal à rapporter à la maison. La bouchée ne passait pas, levée à la levure noire de la peur.
S'approchaient des pas. Forts. Où le droit s'était installé. Ils cognaient à la porte. "Tout de suite!" disaient-ils, "c'est à nous, le Temps !".
La porte était la première peau déchirée. La peau du foyer. Ensuite le couteau de la séparation taillait plus profond amputant aussi la famille de membres, de membres convoyés très loin dans le temps des conquérants. Dans le temps des doigts crochus et des pas forts.
Et cela est arrivé sur cette terre. Est arrivé et peut arriver. Et l'enfant avait des chaussures neuves et ne voulait pas s'en séparer. Et dans le regard du vieillard il y avait déjà de la cendre de l'extrait de Dieu.
Et j'étais attachée à un rêve. Un rêve de doigts et de pas me bourrait d'angoisse. Les rumeurs suçaient comme des sangsues.
Cinq jours durant j'ai vécu sans parole, accusée de sorcellerie. Ma voix enfouie chez les poissons. Enfouie en lâchant tout le reste du corps, pris dans le sel de l'effroi. Enfouie, la voix, parce qu'elle n'avait rien à répondre et que "dire" était interdit.
Et tous les yeux à ma rencontre avaient viré à l'hiver. Se détachaient; n'émettaient de regard que vers ailleurs, là-bas où le droit prenait le temps par la peau du cou.
Ma main, orpheline, désapprenait de réagir.
Vivre sous la menace : dans le tombeau ouvert, se putréfier sans mort. Le cerveau ne saisit plus. Les dernières pensées tournent en rond autour du gant noir qui camouflait le numéro d'entrée de la Gestapo et manquait coûter la vie. La sueur d'angoisse avait à rester invisible.
Non, le cerveau, depuis très longtemps, ne concevait plus. Qu'était-ce ? : "Goûter la vie ?" Courir avec les nuages ? Où ? Là-bas ? Avoir la vue du printemps ? Pour quoi faire ? Me détacher de ce pilori du temps où j'étais attachée sans autre dégel que la nostalgie.
Vivre sous la menace !
Et cela arrive sur cette terre ! Et peut arriver sur cette terre ? Tu as un air de dimanche dans tes habits neufs. Tu racontes bien à tes enfants des histoires de loups dont les victimes avalées se sortent sans dommage.
Il est arrivé beaucoup de miracles. J'ai lu ça. Mais comment les miracles arriveraient-ils jusqu'au petit tas d'internés qui tremblent dans les barbelés. Les miracles aussi sont gorgés d'angoisse. Ils vont échouer là-bas, chez le seigneur de la guerre, qui les taille comme une tranche de bon pain de la lune.
Nelly Sachs
(Traduit par Antoine Raybaud)


Lien écouter regarder

http://youtu.be/N_bP68lM9Kg Les camps
http://youtu.be/KHmQVuJCBFo Six chansons de Nelly Sachs
http://youtu.be/eNbPXTv13Hg prix nobel




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Posté le : 12/05/2013 16:54
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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