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Francis Carco
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Le 26 Mai 1958 meurt Francis Carco



François Carcopino-Tusoli, dit Francis Carco, est un écrivain, poète, journaliste et auteur de chansons français d'origine corse, né le 3 juillet 1886 à Nouméa Nouvelle-Calédonie et mort le 26 mai 1958 à Paris. Il était connu aussi sous le pseudonyme de Jean d'Aiguières.
Sa vie durant il sera un enfant battu et déménagera sans cesse, il gardera de son enfance à Nouméa près des bagnards, une sensibilité exacerbée et un gout du malheur qu'il saura transcender en poèmes et romans remarquables.

"Prisonnier comme eux les bagnards de Nouméa, mais prisonnier de lui-même, il n'a jamais pu s'évader. C'est toujours ainsi qu'il a vu le monde, observé les êtres, dans une brume de mélancolie que nul rayon de joie ne parvenait à percer."
Roland Dorgelès sur Francis Carco.
Chez Carco, auteur méconnu d’une centaine de livres, les mauvais garçons et les filles de mauvaise vie ont un coeur qui les porte toujours vers le malheur. Souvent, devinant comment le vent va tourner, on aimerait bien "rentrer" dans l’histoire et sauver quelques âmes… Mais on ne peut qu’assister, malgré soi, à leur propre destruction.
Dans une lettre à Léopold Marchand le 17 octobre A915 Francis Carco écrit : "Je me promets de foutre, en pleine gueule des bourgeois, des romans musclés et pourris dont ils se lécheront les babines"

La silhouette du poète ténébreux aux allures de mauvais garçon, aura marqué la période des années folles. L’entre-deux guerres réservera les plus forts tirages d’édition au poète et écrivain surnommé "le Romancier des Apaches", nom donné à l'époque aux brigands. Francis Carco aura fréquenté tous les peintres, poètes et écrivains de sa génération : Paul-Jean Toulet, Jules Romain, Apollinaire, Picasso, Colette, son mari Willy, Utrillo, Maurice de Vlaminck, Derain, Suzanne Valadon, Marie Laurencin, etc… Également des illustrateurs : Eugène Clairin, Maurice Legrand, Dignimont , Chas Laborde.
Francis Carco est resté attaché à l’héritage des classiques, très loin de la production de l’inconscient préconisée par les surréalistes. Les poètes de l’École Fantaisiste se voulaient indépendants.
L’œuvre de Francis Carco sera souvent imprégnée par une attirance pour les déshérités et les marginaux de l’existence. Les souvenirs de ses premières années passées à Nouméa, le bagne de cette dernière, auront durablement marqué le poète.
Les chansons écrites par Francis Carco auront été interprétées par Fréhel, Marie Dubas, Suzy Solidor, Jean Sablon, et plus près de nous : par Edith Piaf, Monique Morelli…
Son œuvre foisonnante comprend, outre des recueils de poésies, des romans, des reportages, des livres de souvenirs, une pièce de théâtre, Mon homme, qui lancera la rue de Lappe.

Le poète à l'âme douloureuse

Sa vie

Le peintre des rues obscures Le poète et le goùt du malheur

Francis Carco passe ses dix premières années en Nouvelle-Calédonie, où son père travaille comme Inspecteur des Domaines de l'État.
Chaque jour, il voit passer, sous les fenêtres de la maison familiale de la rue de la République, les bagnards enchaînés en partance pour l'île de Nou.
Il restera marqué toute sa vie par ces images qui lui donneront le Goût du Malheur.
Son père est nommé en Métropole. Francis réside alors avec sa famille à Châtillon-sur-Seine. Confronté à l'autoritarisme et à la violence paternelle, il se réfugie dans la poésie, où s'exprime sa révolte intérieure.
Sa vie qui suit celle de sa famille sera instable à souhait et pas faite pour la construction d'un jeune homme solide.
En 1901, la famille s’installe au 31 avenue de la République à Villefranche-de-Rouergue, puis, au gré des mutations du père, à Rodez de 1905 à 1907. Il fait de fréquents séjours chez sa grand-mère au 4 rue du Lycée à Nice.
Il fait quelques séjours à Agen, où il est pion durant 4 mois avant de se faire virer par le proviseur, ayant été surpris laissant sans surveillance les élèves dont il avait la charge, puis à Lyon et Grenoble, des villes dont il parcourt et observe les bas-fonds.
Au cours de ces séjours, il rencontre les jeunes poètes qui fonderont avec lui, dès 1911, l'École Fantaisiste : Robert de la Vaissière, qui est son collègue au lycée d'Agen, Jean Pellerin, Léon Vérane, Tristan Derème…
Après toutes ces périgrinations déstabilisantes, le jeune Francis Carco monte à Paris en janvier 1910.
Il a 23 ans. Carco commence à fréquenter Montmartre. Un bon de consommation en poche, qu'il a découpé dans une revue, il se rend au Lapin Agile, où il croise notamment Pierre Mac Orlan, Maurice Garçon et Roland Dorgelès.
Après avoir poussé avec succès la goualante, chantant des chansons des Bat d'Af à l'invitation du père Frédé, maître des lieux, il est immédiatement accueilli à la grande table où se réunissent les bohèmes de ce temps.
Il est aussi l'ami d'Apollinaire, Max Jacob, Maurice Utrillo, Gen Paul, Modigliani, Pascin, Paul Gordeaux.
Il assure également la critique artistique dans les revues L'Homme libre et Gil Blas.
Sentant qu'il risque sa perte dans ce Montmartre des plaisirs et du crime, il rejoint Nice où sa grand-mère lui donne la croûte et fournit un ameublement soigné.

Il publie son premier recueil, La Bohême et mon cœur, en 1912.
Puis début 1913, Francis Carco retourne à Paris. Il s'installe alors au 13 quai aux Fleurs.
C'est là qu'il rencontre Katherine Mansfield, compagne de John Middelton Murry, journaliste londonien. Rebelle et pure jeune fille originaire de Nouvelle-Zélande, Katherine quitte quelques mois le domicile conjugal.
Il entame avec elle une relation troublante, inaboutie, un amour voué au désastre, comme il le disait lui-même, qui le marquera jusqu’à la fin de ses jours.
Il prête son appartement à Katherine pendant qu'il effectue son service militaire à Gray, près de Besançon.
Il dira que cette dernière, dans les lettres qu'elle lui adressera alors de Paris, lui a donné toute l'inspiration et les descriptions de Paris qu'il utilisera lorsqu'il publiera Les Innocents en 1916.
En 1914, il publie au Mercure de France, grâce à l'appui de Rachilde, femme d'Alfred Valette le patron de la revue, "Jésus-la-Caille", histoire d’un proxénète homosexuel, dont il a écrit la plus grande partie lors de son exil-refuge chez sa grand-mère à Nice.

Ce premier roman est applaudi par Paul Bourget.
Mobilisé en novembre 1914 à Gray en tant qu'Intendant des Postes, où il se fait remarque par son habitude d'écrire des poèmes sur les enveloppes des courriers qu'il distribue aux soldats, il rejoint, grâce à l'aide de Jean Paulhan, un corps d’aviation à Avord, près de Bourges, puis à Étampes et enfin à Longvic près de Dijon.
Il aura très peu l'occasion de voler et de mettre en valeur son brevet d'aviateur (brevet no 5016) obtenu le 10 décembre 1916, se blessant au genou gauche et étant assez vite démobilisé.
Il rencontre alors, Colette dans les couloirs du journal L'Éclair en 1917 :
" J'ai rencontré une grrrande dame"
écrira-t-il à son ami Léopold Marchand. Leur amitié durera jusqu'à la mort de Colette.
Ils passeront des vacances ensemble en Bretagne. Il la conseillera pour ses achats de tableaux.
Dans les années suivante, d'autres livres suivront, notamment "L'Homme traqué" en 1922, roman distingué, grâce au soutien de Paul Bourget, par le Grand prix du roman de l'Académie française.
Exprimant dans une langue forte et riche des sentiments très violents, "L'Homme traqué" est un des romans les plus émouvants de Francis Carco.

Viendront ensuite "L’Ombre" en 1933,
"Brumes" en 1935 dont il dira à la fin de sa vie que ce fut son meilleur roman.
Citons également : l'Équipe, Rue Pigalle, les Innocents, Rien qu'une femme, Perversité, Vérotchka l'étrangère, la Lumière noire, l'Homme de minuit, Surprenant procès d'un bourreau.
Francis Carco a aussi écrit ses Souvenirs sur Toulet et Katherine Mansfield, Maman Petitdoigt, livre illustré par le peintre et graveur André Deslignères, De Montmartre au Quartier latin, À voix basse, Nostalgie de Paris, des reportages sur le Milieu.
Mais aussi des biographies de Villon, Verlaine, Utrillo en 1938, et Gérard de Nerval en 1955.
Son œuvre est riche d'une centaine de titres, romans, reportages, souvenirs, recueils de poésie, mais aussi pièces de théâtre comme "Mon Homme" qui lancera le cabaret "la rue de Lappe" à la Bastille.
Il réside successivement à Cormeilles en Vexin où il rachète le Château Vert, domaine d'Octave Mirbeau, avec les espèces nombreuses gagnées avec "Mon Homme", puis il revient à Paris, aux pieds de la Butte, rue de Douai, puis au 79 quai d'Orsay.
En 1932, à l'occasion de conférences qu'il donne à Alexandrie, en Égypte, il fait la connaissance d'Éliane Négrin, épouse du Prince du coton égyptien Nissim Aghion. C'est le coup de foudre, Il est alors marié avec germaine jarrel, mais il n'hésite pas à quitter sa première femme, ils divorcent le 6 novembre 1935, au grand dam de ses amis de la Butte, pour accueillir à ses côtés Éliane, qui laisse son mari, ses richesses et ses trois enfants en Égypte.
Très gentleman, Nissim leur adressera un télégramme de félicitations lors de leur mariage le 11 février 1936.
En septembre 1939, le couple emménage à L'Isle-Adam, avant de s'exiler à Nice, puis en Suisse, Éliane est en effet d'origine juive.

En Suisse il retrouve son ami, le peintre Maurice Barraud, qui a illustré en 1919 "Au coin des Rues", et il se lie d'amitié avec Jean Graven, valaisan, poète à ses heures, et éminent criminologue rédacteur de "Dans la vie publique", qui représentera la Suisse au procès de Nuremberg, puis il inventera, à la conférence de Rome qui suivra la seconde guerre mondiale, le terme de "Crimes contre l'humanité".
Incapable de rester en place , après la guerre, il revient en france et s'installe à nouveau à L'Isle-Adam.
De 1948 à son décès des suites de la maladie de Parkinson, Francis Carco habitera au 18 quai de Béthune, sur l'île Saint-Louis à Paris.

Il meurt le 26 mai 1958 à 20 heures, dans les bras de Mac Orlan, en écoutant L'Ajaccienne jouée par la Garde républicaine, qui passait sous ses fenêtres.
Il est inhumé au cimetière parisien de Bagneux.
Son frère, Jean Marèze, qui s’est suicidé en 1942, et sa seconde femme, Éliane, décédée en 1970, reposent à ses côtés.
Francis Carco a été élu membre de l'Académie Goncourt le 13 octobre 1937 au fauteuil de Gaston Chérau.
Surnommé Le romancier des Apaches, il réalisa les plus forts tirages d'édition de l'entre-deux-guerres.

Sources d'inspiration

Il définit lui-même son œuvre comme "un romantisme plaintif où l’exotisme se mêle au merveilleux avec une nuance d’humour et désenchantement".

Dans ses livres transparaît l'aspiration à un ailleurs : Des rues obscures, des bars, des ports retentissant des appels des sirènes, des navires en partance et des feux dans la nuit .
L'enfant battu par son père corse développera une sensibilité pour ceux qui souffrent et consacra sa vie aux minorités, il en fera souvent le sujet de ses romans : Canaques, témoins de ses premières années à Nouméa, prostitués, mauvais garçons.

Mais aussi

Francis Carco était le cousin de l'historien et haut fonctionnaire Jérôme Carcopino, et le frère de Jean Marèze, poète et auteur de chansons Sombre dimanche, Escale, etc..
De nombreux peintres et illustrateurs ont été associés à ses livres :
Maurice Vlaminck, Suzanne Valadon, Gen Paul, André Derain, Pierre-Eugène Clairin, Eugène Véder, Louis Legrand, Pierre Ambrogiani, Chas Laborde. André Dignimont a notamment illustré Perversité en 1924, l'Équipe en 1925, Bob et Bobette s'amusent en 1930 et Nostalgie de Paris en 1946 .
La Légende et la vie d'Utrillo, ouvrage édité par Seheur en 1927, fut vendu à 105 exemplaires seulement.
L'ouvrage, qui contient dix lithographies originales, a été adjugé pour 4 000 €, en décembre 1998, à Drouot.
Francis Carco a écrit des chansons, dont Le doux caboulot, mis en musique par Jacques Larmanjat, et chanté par Marie Dubas en 1931 et Suzy Solidor en 1935,
L'orgue des amoureux, musique de Varel et Bailly, chanté par Édith Piaf en 1949, ou encore Chanson tendre, musique de Jacques Larmanjat, chanté par Fréhel en 1935. Carco chanta lui-même cette dernière chanson au Lapin Agile, en 1952.
Il est l'inventeur de l'expression "le Milieu" qui désigne le crime organisé en France, abrégé de sa phrase "un milieu très spécial".

Œuvres


Romans

Jésus-la-Caille, 1914
Les innocents, 1916
Badigeon aviateur, 1917
Les malheurs de Fernande, 1918
Les mystères de la morgue ou les Fiancés du IV° arrondissement, 1919, écrit en collaboration avec Pierre Mac Orlan
Scènes de la vie de Montmartre, 1919
Bob et Bobette s'amusent, 1919
L'équipe, 1919
Boudebois ou le Roman comique d'un aviateur, 1919
Rien qu'une femme, 1921
L'Homme traqué, 1922 (Grand prix du roman de l'Académie française)
Verotchka l'étrangère ou le Goût du malheur, 1923
Perversité, 1925
Rue Pigalle, 1927
La Rue, 1930
L'Ombre, 1933
La lumière noire, 1934
Brumes, 1935
Ténèbres, 1935
Blümelein 35, 1937
L'Homme de minuit, 1938
Surprenant procès d'un bourreau, 1943
Les Belles Manières, 1945
Morsure, 1949
Compagnons de la mauvaise chance, 1954
Vie romancée [modifier]
Le Roman de François Villon, 1926, La Table Ronde
La légende et la vie d'Utrillo, 1928
Utrillo, 1956, Grasset

Souvenirs

Maman Petitdoigt, 1920
Francis Carco raconté par lui-même, 1921
Promenades pittoresques à Montmartre, 1922
De Montmartre au Quartier latin, 1927
Complémentaires, 1929
Mémoires d'une autre vie, 1934
Amitié avec Toulet, 1934
Souvenirs sur Katherine Mansfield, 1934
A voix basse, 1938
Montmartre à vingt ans, 1938
Souvenirs de Montmartre et d'ailleurs, 1938
Bohème d'artistes, 1940
Nostalgie de Paris, 1941
L'ami des Peintres, (1944)
Ombres vivantes, 1947
Francis Carco vous parle, 1953
Rendez-vous avec moi-même, 1957

Autres

Instincts, 1911
La Bohème et mon cœur, 1912
Chansons aigres douces, 1913
Au vent crispé du matin, 1913
Petits airs, 1920
Messieurs les vrais de vrai, 1927
Prisons de femmes, 1931
Suite espagnole, 1931
Palace Egypte, 1933
La Route du bagne, 1936
La Rose au balcon, 1936
Petite suite sentimentale, 1936
À l'amitié, 1937
Verlaine, 1939
Poésies, 1939 (recueil de poèmes dans lequel figurent de célèbres poèmes comme À Eliane)
Morte fontaine, 1946
Poèmes en prose, 1948
La Romance de Paris, 1949

Poésies complètes, 1955 Édition illustrée d'aquarelles et dessins par P. Berger, Yves Brayer, Dignimont, A. Dunoyer de Segonzac, Fontanarosa, Thevenet, Villeboeuf, M. Vlaminck

Adaptation
1929 : Dans la rue, d'après Street Scene d'Elmer Rice, adaptation Francis Carco, théâtre de l'Apollo


liens à écouter

http://youtu.be/1mLfDKqw9YY le doux caboulot par F.Carco
http://youtu.be/NNhTrzMG1Qs Carco par J. ferrat
http://youtu.be/EX3xHbroS5A Chanson tendre par F. Carco
http://youtu.be/MTzZDhKgV5w le musée
http://youtu.be/6D5kIwsosgU fréhel chanson tendre
http://youtu.be/flIJDu3Qb4U Piaf, l'orgue des amoureux
http://youtu.be/RVwDegkY8dg pleutmorte fontaine
http://youtu.be/EQiktaukMzA Morte fontaine
http://youtu.be/DJQxb1127bo poème triste V. Ambroise




Ses pOèmes

Jardins
Il a plu. Le jardin, dans l'ombre, se recueille.
Les chrysanthèmes vont mourir sans qu'on les cueille.
Dans les sentiers mouillés, effeuillaisons de fleurs
Trop pâles ; sur le sable, où pas un bruit ne bouge,
Évanouissement des grands dahlias rouges.
Murmure indéfini de toutes ces douleurs
De choses écoutant agoniser les fleurs.
Et de blancs pigeonniers veillent le crépuscule...
Mon enfance, de moi, comme tu te recules,
Parmi ce soir qui tombe et ce jardin qui meurt !
Tu pars et tu ne reviendras jamais, peut-être :
Ton souvenir, déjà, n'est plus qu'une rumeur
Dans un halo, et qui, bientôt, va disparaître.
Et je reste à rêver, tout seul, à la fenêtre...

****

Enfance

Les persiennes ouvraient sur le grand jardin clair
Et, quand on se penchait pour se griser à l'air
Humide et pénétré de fraîcheurs matinales,
Un vertige inconnu montait à nos fronts pâles
Et nos cœurs se gonflaient comme un ruisseau grossi,
Car c'était tout un vol de parfums adoucis
Dans l'éblouissement heureux de la lumière :
Les langueurs avaient des langueurs particulières
Où se décomposait une odeur de terreau.
Tout le printemps chantait de l'éveil des oiseaux
Et, dans le déploiement des ailes engourdies,
Passait le grand élan paisible de la vie.
Une rumeur sonore emplissait la maison.
On entendait des bruits d'insectes ; des frissons
Faisaient trembler les grappes mauves des glycines
Tandis qu'allègrement des collines voisines
Un parfum de sous-bois arrivait jusqu'à nous.
Ô matins lumineux ! matins dorés et flous,
Je vous respirerai plus tard à la croisée
Et vous aurez l'odeur des feuilles reposées.
Et ce sera comme un très ancien rendez-vous.

****

On entendait le cri

On entendait le cri perçant des martinets
De la chambre déserte et close où je venais
Quand le soleil de juin accablait les sureaux
Et que les magnolias mouraient dans l’air trop chaud
Avec les lis brûlés et les roses trémières.
La chambre avait un vieux bureau lourd de poussière,
D’anciens dessins coloriés pendaient aux murs
Naïvement, et sur les chaises dépaillées,
Je me souviens d’un triste herbier, doux livre obscur,
Avec ses fleurs cueillies aux collines mouillées
Les soirs d’automne ou les après-midi d’été
Par les jardins déserts et dans l’aridité
De la campagne avec le cri sec des criquets.
Tout cela somnolait dans la chambre endormie.
Or je sais que si j’y retournais à présent
Je trouverais comme jadis à mes treize ans,
Aux pages du vieux livre mon enfance blottie
Presqu’étrangère sous la poussière du temps.

****

Printemps

Je te donne ce coin fleuri,
Ces arbres légers, cette brume
Et Paris au loin, qui s’allume
Sous ces nuages blancs et gris.
Mais tu t’en moques. Tu préfères,
Á ce soyeux et lent décor,
La bouche avide qui te mord
Et l’étreinte qui t’exaspère.
Cette nuit, l’odeur des lilas
Charge la brise et ta jeunesse
S’épanouit sous la caresse
De ma bouche experte et des doigts…

****

À Éliane

Il pleut – c’est merveilleux. Je t’aime.
Nous resterons à la maison :
Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes
Par ce temps d’arrière-saison.
Il pleut. Les taxis vont et viennent
On voit rouler les autobus
Et les remorqueurs sur la Seine
Font un bruit…qu’on ne s’entend plus !
C’est merveilleux : il pleut. J’écoute
La pluie dont le crépitement
Heurte la vitre goutte à goutte…
Et tu me souris tendrement.
Je t’aime. Oh ! Ce bruit d’eau qui pleure,
Qui sanglote comme un adieu
Tu vas me quitter tout à l’heure :
On dirait qu’il pleut dans tes yeux.

****

Dimanche

Ne parlons pas, écoute
La pluie à grosses gouttes
Dégouliner du toit
Et ruisseler aux vitres.
Il pleuvait, souviens-toi,
Comme il pleut dans mes livres.
Un vieux phono grinçait,
Le vent brassait les branches
Par ce sombre dimanche.
Un vent âpre et glacé
Et, soudain, sans qu’on sache
D’où le vent chassait,
Cet air de cor de chasse…

****

Berceuse

Ce lent et cher frémissement,
C’est la pluie douce dans les feuilles.
Elle s’afflige et tu l’accueilles
Dans un muet enchantement.
Le vent s’embrouille avec la pluie,
Tu t’exaltes ; moi, je voudrais
Mourir dans ce murmure frais
D’eau molle que le vent essuie !

C’est la pluie qui sanglote, c’est
Le vent qui pleure, je t’assure…
Je meurs d’une exquise blessure
Et tu ne sais pas ce que c’est

****

Ce n’est pas lui dont parfois, à la brune,
Le faible appel s’étend,
Au fond des bois, sur les étangs ;
Ce n’est pas lui qui rôde à travers la nuit brune,
Ce n’est pas lui que l’on entend
Fouler d’un pied léger le sable de la dune
Ou marcher à grands pas, au bord de l’eau qui fume,
Comme dans les récits d’antan.
Il n’a jamais voulu qu’être où il ne put être,
Si loin et si près à la fois
Que tu ne parviendrais pas à le reconnaître
Mais s’il savait, qu’en bas, sous ta fenêtre,
Il n’aurait, sans changer de voix,
Qu’à fredonner pour te voir apparaître :
« Beau chevalier » il volerait vers toi.
Les morts ne dorment point tous étendus sous terre.
Certains qu’on n’a pas inhumés,
Reviennent fréquemment la nuit, en grand mystère,
Hanter les lieux qu’ils ont aimés.
On les a pourtant vus tomber dans la bataille
Ou se traîner par les chemins,
Comme Renaud qui, perdant ses entrailles,
Les retenait à pleines mains.
Pour un Renaud, il en est cent, Sylvie,
Qui, vous quittant, auraient perdu la vie
Et le sachant, ne vous l’avoueraient pas.
C’est un grand mal dont on ne doit point rire :
Tout homme n’a que ce mal, ici-bas,
Pour se ruer au plus fort des combats
Avec le nom, sur ses lèvres de cire,
De celle pour qui son cœur bat.

Dans ces quelques poèmes extraits de La Bohème et mon cœur, on est loin de l’atmosphère sulfureuse qui baignera plus tard l’œuvre de Francis Carco ; mais dans le dernier poème dédié à Gérard de Nerval, et extrait de Mortefontaine, on sent poindre l’influence de François Villon.

Après 1910, peintres et écrivains délaisseront la Butte pour émigrer, à la suite de Picasso, les peintres vers Montparnasse, les poètes et écrivains vers le Quartier latin.

Intérieur

Les couples, peignoirs verts et pantalons garance,
S’appliquent à rouler au gré de la romance
Dans un tumultueux et pauvre tournoiement.

Je fume et dégoûté du moindre mouvement,
Je dédie à l’élan plaintif qui recommence,
Ô vertige, ô fadeur, ô plaisir de la danse !
Mon ennui qui voudrait se tendre atrocement.

L’alcool qui dormait s’éveille et me contemple.
L’alcool miraculeux attend qu’on ait cessé
De piétiner ce rythme au tressaut insensé,

Pour que donnant, stupide ! à tous le bon exemple
Sous le plafond crasseux et bas du mauvais temple,
S’apaise enfin ce cœur trop dur qu’on a blessé.

****

Hommage

Tes sourcils tracés au crayon,
Tes yeux que le khol illumine,
Te donnent une étrange mine
De mauvais ange et de souillon.

Le bleu pur et le vermillon
Chantent ta grâce libertine ;
Tu souris et fais la mutine
En relevant ton cotillon.

« Garde ton cœur ! » dit la romance
Mais je raille et t’offre le mien.
Quelle sera la récompense,
Lorsqu’il ne restera plus rien
À boire, au fond de la boutique
Et qu’on renverra la pratique ?

****

Le carillon

Le carillon bat dans la pluie
Méticuleuse de province.
Le carillon bat, chante et grince
Sous ma fenêtre et je t’écris :
« Il pleut. Vas-tu m’aimer longtemps ma tendre amie ? »

Je n’en sais rien. Tu n’en sais rien
Et notre amour si plein de frissons et de grâce
Pourrait mourir, comme le soleil passe,
Comme un brisement frais du vent léger s’éteint,
Sans que rien ait changé du monde et de l’espace
Sans que mon cœur en soit, hélas ! moins incertain


****

L’éventail de Marie Laurencin

Dans ce miroir incliné sur le lit,
Je vois ton corps pesant, tes belles jambes…
Le jour douteux répandu dans la chambre
Luit sourdement, partout, comme un halo.

Partout aussi c’est un parfum canaille,
C’est des frissons mêlés à des reflets
Que le miroir accueille et multiplie
Pour les jeter ensemble, pêle-mêle,

Frissons, reflets, à travers notre extase
Comme à dessein de lier à jamais
Ton souvenir, chambre étroite et maussade,
Au souvenir de celle que j’aimais…

****

Poème flou

Où va la pluie, le vent la mène
En tintant sur le toit
Et je me serrai contre toi,
Pour te cacher ma peine.

Le jardin noir aux arbres nus,
Ta petite lampe en veilleuse,
Tes souvenirs d’amoureuse
Que sont-ils devenus ?
J’écoute encor tomber la pluie :
Elle n’a plus le même bruit

****

L’ombre
A André Rousseau.


Ton ombre est couleur de la pluie,
De mes regrets, du temps qui passe,
Elle disparaît et s’efface
Mais envahit tout, à la nuit.

Sous le métro de la Chapelle,
Dans ce quartier pauvre et bruyant,
Elle m’attend derrière les piliers noirs,
Où d’autres ombres fraternelles,
Font aux passants qu’elles appellent,
De grands gestes de désespoir.

Mais les passants ne se retournent pas.
Aucun n’a jamais su pourquoi,
Dans le vent qui fait clignoter les réverbères,
Dans le vent froid, tant de mystères
Soudain se ferme sur ses pas …

Et moi qui cherche où tu peux être
Moi qui sais que tu m’attends là,
Je passe sans te reconnaître.
Je vais et viens toute nuit,
Je marche seul comme autrefois,
Et ton ombre, couleur de pluie
Que le vent chasse à chaque pas,
Ton ombre se perd dans la nuit
Mais je la sens tout près de moi…

*****

Cependant tu n’étais qu’une fille des rues,
Qu’une innocente prostituée,
Comme celle qui apparût,
Dans le quartier de Whitechapel,
Un soir, à Thomas de Quincey
Et qu’il chercha plus tard, sans jamais la trouver,
De porche en porche et d’hôtel en hôtel

Il le raconte dans un livre.

C’est là, pour la première fois, que je t’ai rencontrée.
Tu étais lasse et triste, comme les filles de Londres,
Tes cheveux conservaient une odeur de brouillard
Et, lorsqu’ils te voyaient à la porte des bars,
Les dockers ivres t’insultaient
Ou t’escortaient dans la rue sombre.

Je n’ai pas oublié l’effet que tu me fis
Dans ce livre désespéré,
Ni le vent, ni la pluie, ni le pavé qui luit,
Ni les assassins dans la nuit,
Ni les feux des estaminets,
Ni les remous de la Tamise
Entre ses mornes parapets…
Mais c’est après bien des années
Qu’une qui te ressemblait
Devait, le long des maisons grises,
Me faire signe et m’accoster.

*****

Ce n’est pas toi. C’est tout ce que tu me rappelles :
Comme j’étais triste avant de te connaître,
Comme je m’enfonçais, avec délices, dans ma tristesse.
En marchant dans les rues, en entrant dans les bars,
En suppliant la nuit les ombres de parler,
Sans cesser d’errer et d’aller…

Mais partout il était trop tard.

Un air d’accordéon s’achevait en hoquet.
On décrochait, l’une après les lumières
Et le passant à qui je demandais du feu,
Me tendait un cigare éteint.
Où me portaient mes pas, c’était la même histoire.
J’allais toujours vers les sifflets des trains,
Sur un grand boulevard trouble et peuplé de fantômes.
Là, j’attendais je ne sais qui, je ne sais quoi…
Mais les trains passaient en hurlant
Et cette attente avait l’air d’un départ.

Tu es venue pour t’en aller.
Je t’ai pourtant conduite en ces lieux désolés
Et tu m’as dit : « Quoi que tu fasses,
C’est moi, dorénavant, que tu verras parmi tous ces fantômes.

Tu me sentiras près de toi,
Tu penseras que je suis morte
Et jamais tu ne m’oublieras »

*****

Une autre fois, dans ce quartier sinistre,
Nous nous sommes assis sur un banc, à la nuit,
Et le vent qui chassait la pluie,
Les globes des hôtels meublés,
Les marlous aux chandails humides,
Les filles qui nous regardaient,
Accumulaient, autour de nous, les maléfices
Dont le cercle se rapprochait.
Alors tu t’es mise à pleurer,

A m’expliquer sans élever la voix,
Qu’un jour tu me délivrerais
De ces larves qui sont en moi…
Tu parlais et la pluie tombait.
C’était la pluie qui te faisait pleurer,
Comme un chagrin que rien n’apaise,
Comme une peine inconsolée.

Et la ronde des ombres et des feux des maisons
Tournait infatigablement
Avec ses voyous et ses filles,
Ses bars, où les phonos grinçaient,
En nous jetant quelquefois, par la porte,
Comme l’appel d’une voix morte…

La ronde que rien ne lassait

Tournait et m’emportait, avec toi qui est morte,
Tourne et m’emporte encore, avec tout mon passé,
Hors du temps, hors du monde, hors de tout ce qui est
Ou qui n’est pas, mais que toi, dans l’ombre, tu sais…


Liens à écouter


http://youtu.be/1mLfDKqw9YY le doux caboulot
http://youtu.be/NNhTrzMG1Qs Carco par J. ferrat
http://youtu.be/EX3xHbroS5A Chanson tendre
http://youtu.be/MTzZDhKgV5w le musée

http://youtu.be/RVwDegkY8dg pleutmorte fontaine
http://youtu.be/EQiktaukMzA Morte fontaine
http://youtu.be/DJQxb1127bo poème triste V. Ambroise





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Posté le : 26/05/2013 16:13
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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