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Miguel Cervantes 1
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Le 29 Septembre 1547 naît Miguel de Cervantes Saavedra

Romancier, dramaturge, romancier et poète castillan du siècle d'Or espagnol, né à Alcalà de Hénares dans l'empire espagnol, il mourra à l'age de 68 ans le 23 Avril 1616

Aux yeux de la postérité, Cervantès incarne le génie littéraire d'une nation : un destin qu'il partage avec Dante, Goethe et Shakespeare, mais qui, dans son cas, s'assortit d'un curieux privilège, celui d'être le seul écrivain espagnol à avoir atteint une renommée pleinement universelle.
Cette renommée, il la doit assurément à Don Quichotte.
Mais, si le destin de l'ingénieux hidalgo a projeté celui-ci bien au-delà du récit de ses aventures, le mythe qu'il incarne désormais est d'abord lié à l'avènement d'une forme cardinale de la fiction en prose, que l'on appelle aujourd'hui le roman moderne. Cervantès est réputé en être le créateur : réputation fondée si l'on prend la mesure exacte de sa contribution, mais qui, comme il se doit, ne lui a pas été accordée de son vivant par ses lecteurs.
S'ils ont ri aux exploits de Don Quichotte, leurs préférences sont allées davantage à La Galathée ou au Persiles, que nous ne lisons plus guère aujourd'hui, ou encore aux Nouvelles exemplaires, que nous continuons de lire, mais d'un autre œil.
La modernité de Cervantès n'est donc pas le signe distinctif d'un “système” de pensée qui, comme on l'a cru naguère, exprimerait les tensions d'un âge de crise à travers un questionnement des valeurs établies. Elle tient plutôt à la vertu d'une écriture, transparente et néanmoins ambiguë, grâce à laquelle son œuvre, inscrite au départ dans le climat culturel d'une époque aujourd'hui révolue, a débordé, au fil de ses réceptions successives, le dessein qui l'avait engendrée.
La poésie de Cervantès a été éclipsée par sa prose. Pourtant sa vocation de poète ne s'est jamais démentie, pas même au cours des années pendant lesquelles il a paru renoncer à ses premières ambitions.
Nombre de ses compositions, répandues par des copies manuscrites ou publiées anonymement dans des recueils collectifs, sont aujourd'hui perdues ou, à tout le moins, impossibles à identifier. Demeurent en revanche, outre des pièces de circonstance dont certaines ont vu leur attribution fortement contestée, les poèmes intercalés dans les comédies et les œuvres en prose.
Sur un registre très varié, qui va de la plainte lyrique à l'ironie truculente, les mètres castillans, dont le domaine s'élargit parfois à des formes inédites, y alternent avec les strophes importées d'Italie qu'ils pénètrent et modifient à l'occasion : ainsi s'affirme la liberté créatrice d'un fervent admirateur de Pétrarque et de Garcilaso, dont la réflexion sur l'écriture, souvent assumée par les personnages de ses fictions, s'exprime dans les fragments éclatés d'une poétique. Mais la tentative la plus ambitieuse que nous ait laissée Cervantès est le Voyage au Parnasse.
Ce poème burlesque en huit chapitres narre une odyssée imaginaire : le périple qui conduit l'auteur et ses amis de Madrid au sommet du Parnasse, afin de venir en aide à Apollon, en butte aux assauts de vingt mille rimailleurs. Le partage des écrivains entre les deux camps est l'occasion d'éloges de commande ; mais il s'assortit aussi d'une vision lucide de la république des lettres. Plus encore, cette équipée imaginaire permet à l'“Adam des poètes” de composer par touches successives une manière d'autoportrait, sur la toile de fond d'une histoire personnelle remodelée au confluent du vécu et du rêve.
Tout aussi vive est la passion que Cervantès a éprouvée pour le théâtre, avant même que Lope de Vega n'impose le triomphe de la comedia nueva. Les deux pièces contemporaines de son premier retour à Madrid – seules rescapées de la vingtaine qu'il aurait composées à cette date et dont dix titres ont été conservés – participent de l'effort de toute une génération qui, autour de 1580, a cherché à donner à la scène une dignité qui lui faisait défaut.
Elles n'en manifestent pas moins une originalité certaine : moins dans le choix des éléments constitutifs d'un même code théâtral, division en actes, actions “graves”, style soutenu, polymétrie adaptée aux situations que dans l'emploi toujours discret de l'horreur et de la violence, deux ressorts empruntés à la dramaturgie sénéquienne.
Plus élaborée que La Vie à Alger, qui, autour d'une fable adaptée du roman grec, ordonne des tableaux épisodiques imprégnés du souvenir douloureux de la captivité, Numance compose une vaste fresque inspirée d'un événement historique, le suicide collectif, en 133 avant J.-C., des défenseurs d'une cité celtibère assiégée par les légions de Scipion. C'est la seule tragédie authentique que nous ait laissée le XVIe siècle espagnol ; la seule où les personnages, confrontés à une situation qui les dépasse, assument leur destin en choisissant le sacrifice ; la seule dont la résurrection à la scène, menée simultanément, en pleine guerre civile espagnole, par Rafael Alberti et Jean-Louis Barrault, a su mettre en valeur le message.

Sa vie

Les informations sur la vie de Cervantes sont souvent contradictoires et difficiles à rassembler. Parce que, selon Émile Chasles : On le laissa mourir en 1616 dans le silence (…). Pendant toute la durée du XVIIe siècle, personne ne s'occupa de son tombeau ni de la publication complète de ses ouvrages.
On ignorait encore son lieu de naissance cent ans après sa mort, avant que Lord Carteret découvre que la vie de Cervantes était à écrire.
Mais beaucoup de biographes qui s'y sont essayés ont émis des hypothèses fausses, les traducteurs ont usé de supercheries, et des naïfs ont pris au pied de la lettre les récits autobiographiques de l'auteur.

Enfance

Le lieu de naissance de Miguel de Cervantes reste inconnu, même s'il naquit le plus probablement en Alcalá de Henares, en Espagne. Selon son acte de baptême, c'est en effet dans cette ville qu'il fut baptisé, et c'est également ce lieu de naissance qu'il revendiqua dans son Información de Argel "Information d'Alger", ouvrage publié en 1580.
Le jour exact de sa naissance est également incertain, mais étant donné la tradition espagnole de nommer son enfant d'après le nom du Saint du jour, il est probable que ce fut un 29 septembre, jour de célébration de l'archange saint Michel.
Miguel de Cervantes fut donc baptisé à Alcalá de Henares le 9 octobre 1547 dans la paroisse de Santa María la Mayornote. Dans l'acte de baptême on lit :
"Dimanche, neuvième jour du mois d'octobre, année du Seigneur mille cinq cent quarante-sept, fut baptisé Miguel, fils de Rodrigo de Cervantes et de sa femme Leonora. Il fut baptisé par le révérend Bartolomé Serrano, curé de Notre Seigneur. Témoins, Baltasar Vázquez, Sacristain, et moi, qui le baptisai et signai de mon nom. Bachelier Serrano."
— D'après Fernández Álvarez

Famille et parenté

Miguel de Cervantes Saavedra
Ses grands-parents paternels étaient Juan de Cervantes, juriste, et madame Leonor de Torreblanca, fille de Juan Luis de Torreblanca, un médecin cordouan.
Son père Rodrigo de Cervantes (1509-1585) naquit à Alcalá de Henares et était chirurgien.
D'après Jean Babelon : "c'était un médecin mal qualifié, et besogneux, qui exerçait son métier au cours de ses fréquentes errances", ce qui expliquerait que Miguel reçut une éducation assez peu méthodique.
Cervantes avait des ancêtres convertis au christianisme dans les deux branches de sa famille, comme l'ont signalé Américo Castro et Daniel Eisenberg. Jean Canavaggio s'oppose à cette analyse.
Il insiste sur le fait que cette ascendance "n'est pas prouvée" et compare Cervantes à Mateo Alemán pour qui les origines sont documentées. Malgré la controverse, il ne faut cependant pas en exagérer l'influence sur l'interprétation de l'œuvre de Cervantes.
Peu de choses sont connues sur la mère de Miguel de Cervantes. Elle s'appelait Leonora de Cortinas Sánchez et il est possible qu'elle eût parmi ses ascendants des convertis au christianisme.
Miguel était le troisième d'une fratrie de cinq : Andrés (1543), Andrea (1544), Luisa (1546), qui devint prieure dans un couvent de carmélites, Rodrigo (1550), soldat qui accompagna Miguel dans sa captivité à Alger. Magdalena (1554) et Juan ne furent connus que parce que leur père les mentionna dans son testament, ils moururent en bas âge.
Alors que le nom complet de Cervantes est Miguel de Cervantes Saavedra, le nom Saavedra n'apparut sur aucun document de la jeunesse de Cervantes, et ne fut pas utilisé par ses frères et sœurs.
Selon la tradition espagnole, le nom de naissance aurait dû être Miguel de Cervantes Cortinas. Miguel ne commença à utiliser le nom Saavedra qu'après son retour de captivité d'Alger, peut-être pour se différencier d'un certain Miguel de Cervantes Cortinas expulsé de la cour.
Vers 1551, Rodrigo de Cervantes déménagea avec sa famille à Valladolid. Il fut emprisonné pour dettes pendant quelques mois et ses biens furent confisqués. En 1556 la famille est à Madrid, le père se rendit à Cordoue pour recevoir l'héritage de Juan de Cervantes, grand-père de l'écrivain, et pour fuir ses créanciers.

Études

Il n'existe pas de données précises sur les études de Miguel de Cervantes. Il est probable que celui-ci n'atteignit jamais un niveau universitaire.
Valladolid, Cordoue et Séville se trouvent parmi les hypothèses de lieux possibles pour ses études. La Compagnie de Jésus constitue une autre piste puisque dans son roman Le Colloque des chiens, il décrit un collège de jésuites et fait allusion à une vie d'étudiant.
Jean Babelon pense qu'il a certainement fréquenté l'université d'Alcalá et celle de Salamanque si l'on se fie à ses écrits sur la vie pittoresque des étudiants.
Les informations qu'il fournit dans ses ouvrages ne permettent cependant pas de conclure formellement qu'il suivit un enseignement universitaire, comme le rappelle la bibliothèque virtuelle Cervantes.
En 1566, il s'installa à Madrid. Il assista à l’Estudio de la Villa. L'institution était gérée par le professeur de grammaire Juan López de Hoyos, qui publia en 1569 un livre sur la maladie et la mort de la reine Élisabeth de Valois, la troisième épouse du roi Philippe II.
López de Hoyos inclut dans ce livre trois poésies de Cervantes, notre cher et aimé disciple, qui sont ses premières manifestations littéraires : le jeune homme avait écrit ces vers en hommage à la défunte reine.
Ce fut à cette époque que Cervantès prit goût au théâtre en assistant aux représentations de Lope de Rueda et de Bartolomé Torres Naharro dont les pièces étaient jouées dans les villes et les villages par des comédiens ambulants.
Il adorait le monde du théâtre et fit déclarer à son célèbre Hidalgo, dans la seconde partie de son chef-d'œuvre Don Quichotte de la Manche : "il n'avait d'yeux que pour le spectacle".

Voyage en Italie et bataille de Lépante

La bataille de Lépante
Une ordonnance de Philippe II de 1569 a été conservée. Le roi y ordonnait d'arrêter Miguel de Cervantès, accusé d'avoir blessé dans un duel un certain Antonio Sigura, maître d'œuvres.
Si cette ordonnance concerna réellement Cervantès et non un homonyme, elle pourrait expliquer sa fuite en Italie.
Miguel de Cervantès arriva à Rome en décembre 1569.
Il lut alors les poèmes de chevalerie de Ludovico Ariosto et les Dialogues d'amour du juif séfarade León Hebreo (Juda Abravanel), d'inspiration néoplatonicienne et qui influencèrent sa vision de l'amour.
Cervantès s'instruisit du style et des arts italiens dont il garda par la suite un très agréable souvenir.
Mais malgré son goût pour la littérature, Cervantès cherchait d'abord à faire carrière dans les armes. Il s'engagea dans une compagnie de soldats de 1570 à 1574, avant d'entrer comme camerier au service de Giulio Acquaviva, qui devint cardinal en 1570 et qu'il suivit en Italie.
Il avait probablement rencontré ce cardinal à Madrid, mais ce dernier ne le garda pas longtemps comme secrétaire, et Cervantès dut prendre rang dans les régiments des tercios d'Italie, à la solde des Colonna10. Les hasards de la vie militaire l'entraînèrent sur les routes de toute l'Italie : Naples, Messine, Loreto, Venise, Ancône, Plaisance, Parme, Asti et Ferrare.
Il consigna par la suite le souvenir de ces différents séjours dans l'une de ses Nouvelles exemplaires : Le Licencié Vidriera.
Il lui arrivait de méditer sur la guerre, et de vitupérer la diabolique invention de l'artillerie.
Mais tout en combattant, il complétait son éducation littéraire par la lecture des classiques anciens et des auteurs italiens de son époque.
En 1570, le sultan Selim II attaqua Nicosie (Chypre).
Cervantès décrit l’événement dans la nouvelle L'Amant généreux qui fait partie des Nouvelles exemplaires. Il fut alors enrôlé dans la compagnie du capitaine Diego de Urbina dans le tercio de Manuel de Moncada.
La flotte, commandée par Don Juan d'Autriche, fils naturel du puissant Charles Quint et demi-frère du roi, réunit sous son pavillon les vaisseaux du Pape, ceux de Venise, et ceux de l'Espagne, et engagea la bataille de Lepante le 7 octobre 1571. Cervantès prit part à la victoire sur les Turcs dans le golfe de Patras à bord du bateau la Marquesa "la Marquise".
Dans une information légale élaborée huit ans plus tard on lisait :
" Quand fut reconnue l'armée du Turc, dans cette bataille navale, ce Miguel de Cervantès se trouvait mal et avec de la fièvre, et ce capitaine... et beaucoup d'autres siens amis lui dirent que, comme il était malade et avait de la fièvre, qu'il restât en bas dans la cabine de la galère ; et ce Miguel de Cervantès demanda ce qu'on dirait de lui, et qu'il ne faisait pas ce qu'il devait, et qu'il préférait mieux mourir en se battant pour Dieu et pour son roi, que ne pas mourir sous couverture, et avec sa santé... Et il se battit comme un vaillant soldat contre ces Turcs dans cette bataille au canon, comme son capitaine lui a demandé et ordonné, avec d'autres soldats. Une fois la bataille terminée, quand le seigneur don Juan sut et entendit comment et combien s'était battu ce Miguel de Cervantès, il lui donna quatre ducats de plus sur sa paye... De cette bataille navale il sortit blessé de deux coups d'arquebuse dans la poitrine et à une main, de laquelle il resta abîmé".
Ce fut après cette bataille qu'il gagna le surnom de manchot de Lépante, "el manco de Lepanto". Cervantès fut blessé lors de la bataille : sa main gauche ne fut pas coupée, mais elle perdit son autonomie de mouvement à cause du plomb qui lui avait sectionné un nerf.
Après six mois d'hôpital à Messine, Cervantès renoua avec sa vie militaire en 1572. Il prit part aux expéditions navales de Navarin en 1572, Corfou, Bizerte, et en 1573, il figurait dans le tercio de Figueroa lors de la Bataille de Tunis. Toutes ces missions furent exécutées sous les ordres du capitaine Manuel Ponce de León et dans le régiment du très fameux Lope de Figueroa dont il est fait mention dans Le maire de Zalamea de Pedro Calderón de la Barca.
Cervantès décrivit tous les combats navals auxquels il avait pris part et pour lesquels il gardait une juste rancœur. À tous ceux qui se moquaient de lui il répondait :
"Comme si mon état de manchot avait été contracté dans quelque taverne, et non dans la plus grande affaire qu'aient vu les siècles passés, et présent, et que puissent voir les siècles à venir !"
Plus tard, il parcourut les villes principales de Sicile et Sardaigne, de Gênes et de la Lombardie. Il resta finalement deux ans à Naples, jusqu'en 1575. Cervantès était très fier d'avoir participé à la bataille de Lépante.

Esclavage à Alger

Le 20 septembre 1575, Cervantès bénéficia d'un congé et il s'embarqua de Naples pour l'Espagne.
Mais au large des Saintes-Maries-de-la-Mer, et alors qu'il naviguait à bord de la galère espagnole El Sol, le bateau fut attaqué par trois navires turcs commandés par le renégat albanais Arnaute Mamí, le 26 septembre 1575. Miguel et son frère Rodrigo furent emmenés à Alger. Cervantès fut attribué comme esclave au renégat Dali Mamí, marin aux ordres de Arnaute.

A cette époque pendant le XVI et XVII siècle, l'esclavage était une pratique intense des populations arabes, on estime qu'entre 1530 et 1780 cette pratique tua près de 2 milions d'esclaves blancs. La côte barbaresque, qui s'étend du Maroc à la Libye moderne, fut le foyer d'une industrie florissante de rapt d'êtres humains.
Les grandes capitales esclavagistes étaient Salé au Maroc, Tunis, Alger et Tripoli.
Pendant les XVIe et XVIIe siècles, plus d'esclaves furent emmenés vers le sud à travers la Méditerranée que, ne seront plus tard, déportés, vers l'ouest à travers l'Atlantique des africains noirs. Certains esclaves italiens, anglais, espagnols, français ... étaient revendus à leurs familles contre une forte rançon, certains furent utilisés pour le travail forcé en Afrique du Nord, et les moins chanceux moururent à la tâche comme esclaves sur les galères. Mais le sort le plus inhumain fut réservé aux esclaves africains noirs qui étaient systématiquement émasculés dès leur capture, et ne laissent donc aucune descendance.
Cervantes et son frère tombèrent dans les mains des trafiquants d'êtres humains comme le furent beaucoup d'autres à cette époque.
Il fit le récit de sa mésaventure dans L'Espagnole-Anglaise, qui fait partie des Nouvelles exemplaires.
Miguel, porteur de lettres de recommandations de la part de don Juan d'Autriche et du Duc de Sessa fut considéré par ses geôliers comme quelqu'un de très important et de qui ils pourraient obtenir une forte rançon.
C'était, selon l'expression de l'époque "un esclave de rachat" pour lequel on demanda cinq cent écus d'or de rançon.
Les sources permettant de retracer la captivité de Cervantès sont des écrits autobiographiques : ses comédies Los tratos de Argel, Los baños de Argel, "Les Bains d'Alger" et Le Récit du Captif inclus dans la première partie de Don Quichotte, aux chapitres 39 à 41.
Le livre du frère Diego de Haedo, Topographie et histoire générale d'Alger de 1612, qui offre des informations importantes sur la captivité de Cervantès, a été donné pour une source "indépendante".
Cependant, l'attribution de cette œuvre à Diego de Haedo est erronée, chose que lui-même reconnut en son temps.
Selon Emilio Sola, Antonio de Sosa, bénédictin et compagnon de captivité de Cervantès, a coécrit cet ouvrage avec son ami. En conséquence, le livre de Diego de Haedo n'est pas une confirmation indépendante de la vie de Cervantes à Alger, mais un écrit de plus de la part de Cervantès et qui porte aux nues son héroïsme.
Le récit de la captivité de Cervantès est épique.
Pendant ses cinq ans d'emprisonnement, Cervantès, d'esprit fort et motivé, essaya de s'échapper à quatre occasions. Pour éviter des représailles sur ses compagnons de captivité, il assuma la totale responsabilité de ces tentatives devant ses ennemis et préféra la torture à la délation. Il n'a cependant jamais été châtié, peut-être pour des raisons politiques.

Première tentative


La première tentative de fuite fut un échec, car le complice maure qui devait conduire Cervantes et ses compagnons à Oran les abandonna dès le premier jour. Les prisonniers durent retourner à Alger, où ils furent enfermés et mieux gardés.
En butte à de dures représailles, Cervantès fut alors employé aux carrières et aux fortifications du port. Il devint ensuite jardinier sous les murs de Bab El Oued pour son maître Hassan.
L'écrivain relate en partie ce dernier épisode dans L'Amant libéral inclus dans le tome I de Nouvelles espagnoles.
Cependant, la mère de Cervantès avait réussi à réunir une certaine quantité de ducats, avec l'espoir de pouvoir sauver ses deux fils. En 1577, après avoir traité avec les geôliers, la quantité de ducats se révéla insuffisante pour libérer les deux frères. Miguel préféra que ce soit son frère qui fût libéré. Rodrigo rentra alors en Espagne en possession d'un plan élaboré par Miguel pour se libérer, lui et ses quatorze ou quinze autres compagnons.

Seconde tentative

Cervantès s'associa au renégat El Dorador, "le Doreur" pour une deuxième évasion.
Le plan prévoyait que Cervantès se cachât avec les autres prisonniers dans une grotte, en attendant une galère espagnole qui viendrait les récupérer. La galère, effectivement, vint et tenta de s'approcher deux fois de la plage ; mais finalement elle fut capturée à son tour.
Le traître El Dorador dénonça les chrétiens cachés dans la grotte. Cervantès se déclara alors seul responsable de l'organisation, de l'évasion et d'avoir convaincu ses compagnons de le suivre. Le vice-roi d'Alger, Hassan Vénéziano, le racheta à son maître pour une somme de cinq cents écus d'or.
Dans le quartier algerois de Belouizdad, "la grotte de Cervantes" est réputée avoir été la cache de Cervantes et ses compagnons.

Troisième tentative

La troisième tentative fut conçue par Cervantes dans le but de joindre par la terre Oran alors sous domination espagnole. Il envoya là-bas un Maure avec des lettres pour Martín de Córdoba y Velasconote, général de cette place, en lui expliquant la situation et lui demandant des guides.
Le messager fut pris. Les lettres découvertes dénonçaient Miguel de Cervantès et montraient qu'il avait tout monté. Il fut condamné à recevoir deux mille coups de bâtons, mais la condamnation ne fut pas appliquée car de nombreuses personnes intercédèrent en sa faveur.

Quatrième tentative

La dernière tentative de fuite se produisit en 1579 avec la complicité du renégat Giron et à l'aide d'une importante somme d'argent que lui donna un marchand valencien de passage à Alger, Onofre Exarque. Cervantes acheta une frégate capable de transporter soixante captifs chrétiens.
Alors que l'évasion était sur le point de réussir, l'un des prisonniers, l'ancien dominicain le docteur Juan Blanco de Paz, révéla tout le plan à Azán Bajá.
Comme récompense, le traître reçut un écu et une jarre de graisse. Cervantes fut repris et condamné à cinq mois de réclusion dans le bagne du vice-roi. Azán Bajá transféra alors Cervantes dans une prison plus sûre, au sein de son palais.
Il décida par la suite de l'emmener à Constantinople, d'où la fuite deviendrait une entreprise quasi impossible à réaliser. Une fois encore, Cervantes assuma toute la responsabilité.

Libération

En mai 1580, les frères Trinitaires, frère Antonio de la Bella et frère Juan Gil, arrivèrent à Alger. Leur Ordre tentait de racheter les esclaves captifs, y compris en se proposant eux-mêmes comme monnaie d'échange.
Cinq cents esclavess furent libérés par leur entremise. Les sources divergent sur les modalités d'obtention des fonds. Certaines biographies avancent que la famille fortunée de Cervantes paya sa rançon19. Pour une autre source, Fray Jorge de Olivarès de l'ordre de la Merci resta en otage contre sept mille autres prisonniers.
Enfin, pour d'autres biographes, les frères Antonio de la Bella et Juan Gil ne disposaient que de trois cents écus pour faire libérer Cervantès, dont on exigeait cinq cents pour la rançon.
Frère Juan Gil collecta la somme qui manquait parmi les marchands chrétiens. Finalement, au moment où Cervantès était monté dans le vaisseau du Pacha Azán Bajá qui retournait à Constantinople avec tous ses esclaves, l'écrivain fut libéré le 19 septembre 1580 par un acte de rachat passé devant le notaire Pedro de Ribera, et il s'embarqua le 24 octobre 1580 en route pour Denia, d'où il gagna Valence en cherchant à gagner sa vie.

Retour en Espagne

Le 24 octobre, il revint enfin en Espagne avec d'autres captifs sauvés également. Il arriva à Dénia, d'où il partit pour Valence. Vers novembre ou décembre, il retrouva sa famille à Madrid.
C'est à ce moment-là qu'il commença à écrire Le Siège de Numance, de 1581 à 1583.
Il est probable que La Galatea fut écrite entre 1581 et 1583 ; c'est sa première œuvre littéraire remarquable. Elle fut publiée à Alcalá de Henares en 1585. Jusqu'alors il n'avait publié que quelques articles dans des œuvres d'autrui ou des recueils, qui réunissaient les productions de divers poètes.
La Galatea est divisée en six livres, mais seule la première partie fut écrite. Cervantes promit de donner une suite à l'œuvre ; elle ne fut pourtant jamais imprimée. Non sans autodérision, Cervantes place dans la bouche de l'un des personnages de Don Quichotte ce commentaire sur La Galatée :
"Il y a bien des années, reprit le curé, Pedro Perez, que ce Cervantes est de mes amis, et je sais qu'il est plus versé dans la connaissance des infortunes que dans celle de la poésie. Son livre ne manque pas d'heureuse invention, mais il propose et ne conclut rien. Attendons la seconde partie qu'il promet ; peut-être qu'en se corrigeant, il obtiendra tout à fait la miséricorde qu'on lui refuse aujourd'hui."

Cervantes

Dans le prologue de la Galatée, l'œuvre est qualifiée d'"églogue" et l'auteur insiste sur l'affection qu'il a toujours eu pour la poésie.
C'est un roman pastoral, genre littéraire déjà publié en Espagne dans la Diana de Jorge de Montemayor. On peut encore y deviner les lectures qu'il a pu avoir quand il était soldat en Italie.
De retour à Madrid, il eut une aventure avec la femme d'un aubergiste qui lui donna une fille naturelle, Isabelle, en octobre 1584.
Deux mois plus tard, le 12 décembre 1584, Miguel de Cervantes se maria avec Catalina de Salazar y Palacios dans le village d'Esquivias près de Tolède où le couple déménagea. Catalina était une jeune fille qui n'avait pas vingt ans et qui lui apporta une dot modeste.
Après deux ans de mariage, Cervantes entreprit de grands voyages à travers l'Andalousie. En 1587, il était à Séville, séparé de sa femme, sans que les raisons de leur séparation ne fussent claires.
Cervantes ne parla jamais de son épouse dans ses textes autobiographiques, bien qu'il fut le premier à avoir abordé le thème du divorce dans son intermède Le juge des divorces et alors que cette procédure était impossible dans un pays catholique.
Il conclut ce texte par :
"mieux vaut la pire entente
que le meilleur divorce"

Dernières années

Nommé commissaire aux vivres par le roi Philippe II lors de la préparation de l'attaque espagnole de l'Invincible Armada contre l'Angleterre, Cervantès séjourna à Séville entre 1585 et 1589.
Il parcourut à nouveau le chemin entre Madrid et l'Andalousie, qui traverse la Castille et la Manche.
Ce voyage est raconté dans Rinconete et Cortadillo.
Mais, en 1589, il fut accusé d'exactions, arrêté et excommunié. L'affaire le mettait aux prises avec le doyen et le chapitre de Séville. Au cours de ses réquisitions à Écija, Cervantès aurait détourné des biens de l'Église. Un peu plus tard, en 1592, le commissaire aux vivres fut arrêté de nouveau à Castro del Río, dans la province de Cordoue pour vente illicite de blé. Il fut de nouveau emprisonné pour une courte période et accepta un emploi à Madrid : il fut affecté au recensement des impôts dans la région de Grenade.
C'est vers cette époque qu'il commença à rédiger Don Quichotte.
Il eut l'idée du personnage probablement dans la prison de Séville, peut-être dans celle de Castro del Río. En tout cas, selon ses dires, "dans une prison, où toute incommodité a son siège, où tout bruit sinistre a son siège, où tout bruit lugubre fait sa demeure".
La malchance poursuivit l'écrivain qui avait déposé ses avoirs chez le banquier portugais Simon Freyre, lequel fit faillite.
Cervantès se retrouva de nouveau en prison à Séville de septembre à décembre 1597 où il retourna encore en 1602 et 1603.
En 1601, le roi Philippe III s'établit avec sa cour à Valladolid qui devint pour un temps la capitale de l'Espagne. Cervantès s'y installa en 1604 dans une maison près de l'hôpital de la résurrection qui lui inspira le décor du Colloque des chiens, et de Scipion et Berganza.
À la fin de 1604, il publia la première partie de ce qui fut son chef-d'œuvre : L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche.
Le livre fut un succès immédiat. Il y raillait le goût des aventures romanesques et chevaleresques qui dominait en son temps.
Cette œuvre marqua la fin du réalisme en tant qu'esthétique littéraire, créa le genre du roman moderne qui eut une très grande influence et constitue sans doute le plus bel exemple de roman picaresque.
Cependant en juin de 1605, Don Santiago Gaspar de Espeleta fut assassiné devant la maison de l'écrivain.
On accusa Cervantès sur la base d'insinuations des voisins, et sa famille fut mise à l'index. Il fut pourtant reconnu innocent.
De retour à Madrid avec la cour, Cervantès bénéficia de la protection des ducs de Lerma, de Bejar, et de Lemos ainsi que de celle du cardinal Bernardo de Sandoval, archevêque de Tolède.


En 1613 parurent les Nouvelles exemplaires, un ensemble de douze récits brefs, écrits plusieurs années auparavant. Selon Jean Cassou, ce recueil de nouvelles représente le monument le plus achevé de l'œuvre narrative de Cervantès :
"La peinture est sobre, juste ; le style brillant, précis ... on assiste à la naissance d'une poésie brutale et cependant jamais vulgaire".
La critique littéraire est une constante dans l'œuvre de Cervantès. Elle apparut dans la Galatea et se poursuivit dans Don Quichotte. Il lui consacra le long poème en tercets enchaînés le Voyage au Parnasse en 1614.
De même, dans Huit comédies et huit intermèdes, recueil de pièces de théâtre publié à Madrid en 1615, que Cervantès qualifie de nouvelles, "œuvres nouvelles" pour les distinguer de ses œuvres du début, le prologue présente une synthèse du théâtre espagnol depuis les origines jusqu'aux productions de Lope de Rueda et Lope de Vega.
Ce recueil réunit toute la production des dernières années de l'auteur.
La seconde partie du Don Quichotte ne parut qu'en janvier 1615 : L'Ingénieux chevalier don Quichotte de la Manche.
Cette partie sortit deux ans après la parution d'une suite apocryphe signée d'un mystérieux Alonso Fernández de Avellaneda publiée cours de l'été 1614 à Tarragone, et qui s'intitulait : L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, par le licencié Alonso Fernández de Avellaneda natif de Tordesillas.
On n'a jamais pu identifier l'auteur de cette contrefaçon déloyale. On sait que Alonso Fernández de Avellaneda est le pseudonyme d'un écrivain espagnol.
Les historiens ont émis plusieurs hypothèses quant au personnage qui se cachait derrière ce nom. Il pourrait s'agir de Lope de Vega, de Juan Ruiz de Alarcón y Mendoza, ou de Tirso de Molina. Un groupe d'amis de Lope est également évoqué.
Les deux parties de Don Quichotte forment une œuvre qui donne à Cervantès un statut dans l'histoire de la littérature universelle, aux côtés de Dante, Shakespeare, Rabelais et Goethe comme un auteur incontournable de la littérature occidentale.
Honoré de Balzac lui rendit hommage dans l'avant-propos de la Comédie humaine, où il le cita comme un de ses inspirateurs aux côtés de Goethe et Dante et dans Illusions perdues il qualifie Don Quichotte de sublime :
"Enfin le grand Cervantès, qui avait perdu le bras à la bataille de Lépante en contribuant au gain de cette fameuse journée, appelé vieux et ignoble manchot par les écrivailleurs de son temps, mit, faute de libraire, dix ans d'intervalle entre la première et la seconde partie de son sublime Don Quichotte"

— Honoré de Balzac

L'étrange inventeur, comme lui-même se nomme dans Le Voyage au Parnasse, mourut à Madrid le 23 avril 1616, en présentant les symptômes du diabète. Il était alors tertiaire de l'ordre de saint François.
Il fut probablement enterré dans le couvent de cet ordre, entre les rues madrilènes Cantarranas et Lope de Vega. C'est là qu'il repose avec son épouse, sa fille et celle de Lope de Vega bien que certaines sources affirment que, Cervantes étant mort pauvre, sa dépouille fut mise en fosse commune, et est aujourd'hui perdue.
Le roman Les Travaux de Persille et Sigismonde parut un an après la mort de l'écrivain ; sa dédicace au Comte de Lemos fut signée seulement deux jours avant le décès. Ce roman grec, qui prétend concurrencer le modèle classique grec d'Héliodore, connut quelques éditions supplémentaires à son époque mais il fut oublié et effacé par le triomphe indiscutable du Don Quichotte.

Œuvres

Roman
Alcalà (1584)« La Galatea »

La Galatée fut écrite en 1584 et publiée l'année suivante à Alcalá de Henares par Blas de Robles sous le titre de Primera parte de La Galatea, dividida en seis libros Première partie de Galatée, divisée en six livres.
Le livre aurait été commencé durant la détention à Alger et seule la première des six parties annoncées fut rédigée
Le livre met en scène deux pasteurs amoureux de Galatée alors que celle-ci préfère son indépendance. C'est un roman pastoral, genre alors classique.
Le livre permet une lecture à plusieurs niveaux et plusieurs trames s’enchevêtrent.
Cette œuvre représente une étape importante pour ce genre initié au milieu du xvie siècle par Diane de Jorge de Montemayor et par Diane amoureuse de Gil Polo et dont Cervantes se serait inspiré.
Sous la forme d’un roman pastoral, cette œuvre narrative est un prétexte à une étude de la psychologie amoureuse.
Plusieurs années plus tard, dans le Colloque des chiens, Cervantes, anticipant la désuétude de ce genre, moqua le roman pastoral : l'ambiance bucolique, le printemps éternel et les reproches d'un amant à une femme indifférente.
La bibliothèque virtuelle Cervantes affirme cependant qu'il ne s'agit pas seulement d'une œuvre de jeunesse, mais qu'elle "exprime dans un mélange de prose et de vers intercalés, au travers de la recherche d'une impossible harmonie des âmes et des cœurs, le rêve de l'Âge d'Or".
Cervantes, affirma à deux reprises vouloir donner une seconde partie à Galatée, dans Don Quichotte et dans Persilès et Sigismonde :
C’est la Galatée de Miguel de Cervantès, répondit le barbier.
"Il y a bien des années, reprit le curé, que ce Cervantès est un de mes amis, et je sais qu’il est plus versé dans la connaissance des infortunes que dans celle de la poésie. Son livre ne manque pas d’heureuse invention ; mais il propose et ne conclut rien.
Attendons la seconde partie qu’il promet ; peut-être qu’en se corrigeant il obtiendra tout à fait la miséricorde qu’on lui refuse aujourd’hui. En attendant, seigneur compère, gardez-le reclus en votre logis."
— Miguel de Cervantes, L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, chapitre VI
L'œuvre se présente comme la première partie en six livres d'une églogue en prose, c'est-à-dire d'un livre pastoral.
Cervantès raconte les amours traversées, heureuses et malheureuses, de plusieurs couples de bergers et de bergères : un amant meurt, l'autre devient ermite, plusieurs ne s'accordent pas, certains se marient. Ils chantent au bord du Tage, et la poésie alterne avec la narration.
La muse Calliope intervient et célèbre les poètes espagnols contemporains de l'auteur.
Rien, en cet ouvrage, ne reflète donc la réalité. Cependant, la Galatée est plus qu'un exercice de style, plus qu'un divertissement pour les gens de loisir. Quand une plume est libérée de la contrainte des faits, elle peut esquisser et créer un univers fictif idéal, elle explore le domaine du rêve, elle construit des temples et des chaumières, elle crée une nouvelle nature et un paysage neuf, elle aménage un antimonde où nous pouvons nous abriter du monde détestable des faits vécus, diurnes et concrets, du monde des contraintes.
Cette fantastique histoire, comme les rêves, se passe partout et nulle part, maintenant et toujours. La grande affaire dans l'églogue, c'est l'amour, parce que l'amour est la grande affaire des rêveurs.
Toutefois, quelques passerelles jetées à la hâte rattachent l'idée à la réalité : Naples, le Tage et l'épisode de Timbrio et Nisida, où l'on a cru déceler des allusions au passé de l'écrivain. Les personnages cachent, sous de rustiques pelisses, des personnes fort connues dont l'auteur sollicitait l'approbation, le patronage ou le mécénat : Diego Hurtado de Mendoza, l'auteur présumé du Lazarillo de Tormes, ici sous le nom de Meliso, mort en 1575 et dont les bergers visitent la tombe ; le poète Francisco de Figueroa, retiré à Alcalá, berger ici sous le nom de Tirsis ; don Juan d'Autriche, le vainqueur de Lépante, qui, dix ans auparavant, avait recommandé le soldat Cervantès, en somme de beaux esprits et des cœurs généreux, tels qu'ils auraient eux-mêmes souhaité que l'éternité les changeât.
Élaborant son ouvrage, Cervantès se souvient de La Diana, livre pastoral de Jorge de Montemayor, des ouvrages de Bembo, de Boccace et de Castiglione.
Les Dialoghi d'Amore de Léon l'Hébreu, philosophe néo-platonicien, commandent sa conception poétique. Car les couples de bergers ne sont que les ombres portées de l' Amour et de la Connaissance, Philon et Sophia respectivement chez Léon l'Hébreu, dont le dialogue, les échanges dialectiques tissent depuis l'aube des temps l'histoire de l'humanité sur la trame et l'ourdis des appétits individuels et des événements sociaux.
Cervantès attribue donc à ses modèles vivants, transformés en bergers, des mentalités archétypes et les fait vivre dans une Arcadie utopique, plus propice que l'Espagne à leurs débats et à leurs ébats.
Entre toutes ses œuvres, Cervantès préférait La Galatea. On le comprend, même si on ne le suit pas : quand il l'écrivit à son retour de captivité, ce fut sa façon de revendiquer son droit au rêve loin des tracas du monde, de défendre le sanctuaire de ses nuits apaisées. Pour mieux affirmer leur réalité contre les trompeuses apparences des jours tumultueux, il promit même d'écrire une seconde partie de La Galatea.

L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Mancha.

El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha "L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche" est la plus célèbre des œuvres de Cervantes.
La première partie fut publiée à Madrid par Juan de la Cuesta en 1605. Le même éditeur imprima la seconde partie, L'ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche, en 1615.
Cervantes y raconte les aventures du pauvre hidalgo Alonso Quichano, vivant dans la Manche et obsédé par les livres de chevalerie.
Alors que l'époque des chevaliers est déjà révolue, il prend la décision de devenir le chevalier errant Don Quichotte, et de parcourir l’Espagne pour combattre le mal et protéger les opprimés.
Il rencontre de nombreux êtres restés célèbres, Sancho Panza, paysan naïf devenu écuyer ; Rossinante son cheval famélique ; Dulcinée du Toboso, l'élue de son cœur à qui Don Quichotte jure amour et fidélité.
Les auberges deviennent des châteaux, les paysannes des princesses, et les moulins à vent des géants. Aussi bien le héros que son serviteur subissent des changements complexes et des évolutions pendant le déroulement du récit.
En parodiant un genre en déclin, comme les romans de chevalerie, Cervantès créa un autre genre extrêmement vivace, le roman polyphonique. Dans ce genre, en jouant avec la fiction, se superposent les points de vue jusqu'à se confondre de manière complexe avec la réalité elle-même.
À l'époque, la poésie épique pouvait aussi s'écrire en prose. Après le précédent de Lope de Vega au théâtre, peu respectueux des modèles classiques, Cervantès inscrivit son œuvre dans un réalisme annoncé par une longue tradition littéraire espagnole qui avait été commencée avec El Cantar del Mío Cid, pour aller vers ce que certains qualifient déjà de "réalisme magique.
"Dès cette époque, le roman investit le réel, et fait reposer l'effort d'imagination sur les lecteurs et l'auteur :
"Heureux, trois fois heureux le siècle où l'intrépide chevalier Don Quichotte de la Manche vint au monde, s'exclame le narrateur, car… il nous offre, en ces temps si pauvres en distractions, le plaisir d'écouter non seulement sa belle et véridique histoire, mais les récits et nouvelles qu'elle renferme."
— Miguel de Cervantes, Don Quichotte de la Manche, chapitre XXVIII
Avec un génie créatif indubitable, il ouvrit de nouveaux chemins à partir de terrains connus qui paraissaient alors des impasses.
Il dépassa la nouvelle italienne, court récit, pour créer le premier roman moderne dont l'influence et la renommée éclipsèrent le reste de l’œuvre de l'écrivain. Borges considère Don Quichotte comme "le dernier livre de chevalerie et la première nouvelle psychologique des lettres occidentales.
Cervantès popularisa ce style en Europe où il eut plus de disciples qu'en Espagne. Le roman réaliste tout entier fut marqué par ce chef-d'œuvre qui servit de modèle à la littérature Européenne postérieure. L'influence de Cervantès - et en particulier du Don Quichotte - dans la littérature universelle est telle que l'espagnol est souvent nommé la "langue de Cervantes".
Il est vraisemblable que l'ouvrage a circulé sous une forme manuscrite ou a été lu, du moins en partie, dès 1604.
En janvier 1605, il paraît à Madrid sous le titre La primera parte del ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha. En 1614, à Tarragone, dans le royaume d'Aragon, sort, sous le nom emprunté d'Alonso Fernández de Avellaneda, une seconde partie, faite d'une série d'épisodes attribués aux deux personnages devenus entre-temps folkloriques , Don Quichotte et Sancho Pança. Ce procédé n'a rien de choquant.
Il est même tout à fait légitime et traditionnel dans le genre chevaleresque et pastoral. En 1615, à Madrid, Cervantès donne sa seconde partie et, pour clore une série éventuelle qu'il redoute, il fait mourir son héros.
Dès l'abord, le propos est délibéré. Il s'agit d'en finir avec les livres de chevalerie, avec cette littérature mensongère et pernicieuse dont s'était nourrie toute sa génération. Un épisode du roman confirme la véhémence des sentiments de l'auteur devant leurs histoires invraisemblables et insensées : la bibliothèque de Don Quichotte est condamnée au bûcher. Sans doute, ce feu de joie cache-t-il la profonde affection que Cervantès lui-même avait portée naguère à ces livres et la désillusion qu'il éprouva lorsque la quotidienne réalité donna un cruel démenti aux rêves et aux généreux projets qu'ils avaient suscités en son esprit.
De fait Don Quichotte met en question non seulement le genre chevaleresque, mais toute la littérature de fiction.
Parallèlement, il traduit le désabusement d'une élite, celle des lettrés, lorsque, au début du règne de Philippe III, le royaume naguère si orgueilleux dut négocier avec ses ennemis pour survivre, renonçant ainsi aux chimériques espoirs d'un retournement politique et religieux en Europe entre 1550 et 1600.
Car sous le règne de Philippe II, le prince bureaucrate, l'intelligentsia avait tenu les rênes du pouvoir à tous les échelons, depuis les Conseils, organes de l'Administration, jusqu'aux favoris.
Grands commis et fonctionnaires zélés, ils étaient tous, comme Cervantès lui-même, de moyenne extraction, bien formés dans les collèges d'Alcalá et de Salamanque, et soucieux du bien public. L'avènement du nouveau roi en 1598 marque la fin de leur influence.
La frivole jeunesse dorée afflue vers Madrid, la nouvelle capitale, et la transforme en un lieu de plaisir et de débauche.
Ses jeux galants, sous cape et dans les nouveaux quartiers de la ville, fournissent la matière de la jeune comédie espagnole, qui se moque des barbons sentencieux. Cervantès a cinquante-sept ans. Il comprend qu'à son âge on ne se bat plus contre des moulins à vent.
Et la part de lui-même qui rêve encore de victoire sur le mal il la délègue à son double, un être de fiction, le ridicule et pathétique Don Quichotte.
Affaire de tempérament personnel ou bien mentalité de l'Espagnol en cette décennie, la désillusion chez Cervantès n'a rien d'amer ni de tragique. On prend acte de l'effondrement social et moral ; on sourit des mésaventures de l'idéalisme ; on s'amuse de son échec : le monde est ainsi fait. Un nouveau sentiment prend forme, une humeur particulière propre à ceux qui sont capables, prenant leurs distances par rapport à eux-mêmes, de se gausser de leurs propres déconvenues. Cinquante ans auparavant, les hommes sages se moquaient de la folie des autres : c'était l'ironie.
En 1600, ils se prennent eux-mêmes en pitié : c'est l'humour.
Un nouveau genre
Or, la pitié est le ressort même d'un genre littéraire classique, l'épopée, où le héros, accablé d'épreuves par une cruelle divinité, sait les surmonter toujours. Le lecteur ou l'auditeur versait sur lui les tendres larmes de la compassion. L'épopée est donc un chant héroïque.
L'harmonie du nombre, du vers, sous-tend le récit des prouesses et des victoires d'un élu des dieux. Cependant, l'Arioste recourt à un vers déjà prosaïque pour conter les folies amoureuses de son Roland Orlando furioso. Cervantès, qui s'inspire de cet exemple, le pousse à bout. Pour lui, la pitoyable épopée de son Don Quichotte n'est pas due à la vindicte de quelque dieu implacable.
Il n'y a donc pas lieu d'employer le vers sublime, l'hendécasyllabe. D'autre part, si son héros était vraiment fautif, Cervantès dirait ses malheurs en vers courts et sans apprêts.
Mais l'hidalgo est victime de la société qui lui refuse son accord, de l'humanité qui renie l'harmonie divine de l'âge d'or, du monde cruel, irrationnel, absurde, chaotique, incohérent, inconsistant, qui le berne et le bafoue, un monde fait rien que d'apparences et qui dément avec brutalité l'existence de l'absolu, l'existence du réel et la possibilité même du Beau, du Bon et du Vrai.
Quand l'harmonie disparaît, le vers devient prose, et l'épopée se change en roman. Don Quichotte est un roman. Comme le poème épique, dont il prend le contre-pied, il est composé d'épisodes tournant autour d'un axe : les exploits, les prouesses du héros, entendez, en ce cas, les mésaventures d'un homme intègre dans un temps sans mesure et dans un milieu déréglé.
Pourtant, Don Quichotte porte témoignage : l'honneur, la justice, la valeur ne sont pas morts puisqu'on les moque, puisqu'on le berne, puisqu'il contraint la déraison à se mesurer avec eux et avec lui. Il arrive qu'au cours du récit la pitié fasse place à l'admiration, la prose narrative au morceau oratoire sur le bonheur agreste, sur les rapports entre la pensée et l'action (entre les lettres et les armes) et sur les charmes de l'amour désintéressé.
Alors, le ton s'élève, et la phrase devient plus nombreuse, plus mélodieuse. Parfois même, la poésie lyrique, avec son pur étonnement, apparaît au détour d'un lamentable épisode.
Ce nuancement lyrique n'affecte pas toutefois le caractère essentiellement épique de l'ouvrage.
En 1600, l'âge est passé de l'éblouissement devant les mondes inconnus et les vertus, les virtualités insoupçonnées de l'homme. Renaissance et humanisme sont révolus. Cervantès regarde parfois en arrière : quel poète eût-il été au temps de Camões ! Hélas, le soleil s'est couché à jamais sur l'empire de Charles Quint, la poésie n'est plus de mise. D'ailleurs, l'inspiration lui manque. Il sera prosateur.
Or, la rhétorique le dit, il ne peut y avoir de pure épopée. La narration héroïque, même infime, même sur le plan d'un roman, doit se nuancer non seulement de lyrisme, mais encore de drame. Cervantès est donc amené à introduire le dialogue dans son récit.
C'est son mérite et son originalité d'avoir refusé le colloque rigide du XVIe s. et adopté la conversation sans apprêt, presque naturelle des gens de bon goût. Il n'en pouvait trouver le modèle ni dans l'intermède, au langage souvent vulgaire, ni dans la comédie espagnole, toujours versifiée. Il emprunte encore au genre dramatique ses effets de suspens .
Les récits de Don Quichotte s'interrompent brusquement parfois, pour rebondir deux ou trois chapitres après, comme au théâtre les scènes s'entrelacent et se renouent à distance. Mais il reste que Cervantès refuse le dénouement de type théâtral, car les événements qui affectent l'homme n'ont pas de cesse, n'ont pas de fin. C'est pourquoi il avait échoué sur la scène, laissant le sceptre de la nouvelle comédie au grand Lope de Vega, qui, lui, ne voyait dans le monde que des conflits, des joutes, des duels, des tête-à-tête amoureux, des querelles et des réconciliations.
Notons ici toute la différence qui va de l'épisode romanesque à la péripétie théâtrale, de l'intrigue romanesque à l'action théâtrale. Don Quichotte ne cesse de vivre, ne cesse de mourir, tandis que, sur les planches, un Don Juan ou un Rodrigue, en cinq ou six coups de théâtre, résolvent leur affaire dans la mort ou dans le mariage.
Les personnages

Il en a coûté à Cervantès de tuer son héros. Don Quichotte meurt-il de tristesse ou de désabusement comme on l'a dit ? C'est simplement que l'auteur n'avait plus le temps d'écrire un troisième livre où son double fût devenu berger, et de plus il voulait interdire à quelque larron d'écrire sous un nom d'emprunt une quatrième suite d'épisodes, des aventures sans rime ni raison qu'on attribuerait à ses deux chers personnages.
Entre l'auteur et le couple Don Quichotte et Sancho Pança, il existe des liens très étroits, mais peu apparents. Ainsi, ils ont tous trois à peu près le même âge et ils franchissent avec une même irrépressible vitalité les traverses de leur existence.
Avec les chevaliers errants et leurs écuyers de l'histoire et des livres, ils partagent une semblable révérence pour les vertus cardinales : la Justice, la Prudence, la Tempérance et la Force d'âme, même lorsqu'ils n'y atteignent pas. Et ils donnent des vertus théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité, une version tout humaine : la confiance, l'espoir et la générosité. Toutes ces dispositions de l'âme qu'ils admirent ou de près ou de loin donnent à leur personne, quels que soient leurs succès ou leurs mésaventures, la qualité suprême : la valeur, la vaillance. Ainsi, la valeur de Sancho l'écuyer- l'apprenti chevalier- se mesure à ses quelques victoires sur la peur, sur ce sentiment premier de l'homme sans raison, de l'homme insensé. Don Quichotte lui-même ne tient pour victoires que celles qu'il remporte sur lui-même. Ses plus cuisantes défaites lui offrent l'occasion de se dominer : elles confirment sa vaillance.
Ses aléas passagers et relatifs témoignent paradoxalement de l'immuable présence des absolus, de l'absolu au cœur de l'homme. Quant à Cervantès, nous savons que, aux prises avec l'adversité, il n'a jamais désespéré. Dans son ultime message adressé au comte de Lemos, c'est avec le sourire aux lèvres qu'il affronte la mort. Créature de fiction et créateur refusent ensemble l'attitude et, donc, la philosophie des stoïciens : car ce n'est pas avec résignation et mépris qu'ils acceptent les coups du sort contraire ; ils ne cessent, au contraire, de réagir au nom des principes et des idées contre ce qui, aux yeux des autres, devait apparaître inéluctable, contre la condition sociale ou la condition mentale de l'homme. Le manant Sancho lui-même, qui, parfois, tergiverse, se rallie toujours en fin de compte aux idéaux de la chevalerie : n'appartient-il pas de corps, de cœur et d'esprit au système, au vieux régime féodal ?
N'est-il pas l'homme lige de son seigneur naturel ?
Or, jusqu'à Cervantès, le héros, en tant que personnage, obéissait à certaines lois traditionnelles qui remontaient à l'origine de la poésie épique. Les êtres de fiction d'Homère et de Virgile assumaient la double condition, céleste et humaine, de leurs géniteurs, des dieux et des bergères d'Arcadie : ils en avaient les défauts et les vices ; leurs comportements n'étaient pas indiqués comme exemples à suivre ou paradigmes. Les poètes se limitaient à chanter les destins de leurs personnages, apportant de la sorte une explication et une justification de leur stupre ou une consolation pour celui des auditeurs. Car on ne saurait se montrer plus sévère pour les hommes que pour les divinités.
D'ailleurs, excès ou vices et manques ou défauts ne sont que des accidents dans le mélange des humeurs, c'est-à-dire dans leur tempérament. De là vient que la médiocrité ou la faiblesse particulières aux hommes sans vertu au sens propre, sans force vitale commencent à se manifester dans la littérature héroïque du xvie s. Or, le genre épique connaît un nouveau tournant lorsque les poètes s'emparent de Roland et d'autres personnages légendaires de la cour de Charlemagne et de la cour du roi Arthur. Les héros à la nouvelle manière connaissent nos communes misères, bien qu'ils échappent à nos humiliations et à nos déboires. La folie, 'la furia' les élève au-dessus des contingences.
Cervantès s'en souvient quand il envoie Don Quichotte faire le pitre tout seul dans la sierra Morena. Une autre étape dans l'évolution du personnage est franchie avec les romans de chevalerie en prose surgis de la souche d'Amadis.
Le héros devient un parangon et un modèle presque à notre portée, et son comportement est présenté comme un paradigme à notre adresse. Il vole de victoire en victoire malgré les embûches, les jalousies et les trahisons. Les lecteurs des livres de chevalerie, sainte Thérèse, saint Ignace de Loyola, Cervantès en son jeune temps, ont cru à l'efficacité de leur exemple sur les hommes et sur le destin du monde. Or, la vertu est trop facile lorsqu'elle est portée par le succès.
Combien plus honorable, « fameuse », devient-elle lorsque le héros maintient ses principes et ses fins, son réseau d'absolus, à travers les échecs et en dépit de l'hostilité d'une société sordide.
Voilà la grande trouvaille de Cervantès. La société a beau se dégrader, Don Quichotte avec Sancho n'en démordent pas : ils se réfèrent, non sans trouble, non sans vacillations, mais avec une candeur, une naïveté originelle, à l'âge d'or parmi tous les cœurs de pierre et toutes les âmes de plomb qui les entourent. Un pas de plus, Rousseau inventera le roman de l'éducation et Goethe celui de l'apprentissage : ils montreront comment garder intactes les valeurs dans un monde dégradé ; deux pas de plus, Balzac inventera le roman moderne et montrera comment une âme innocente se corrompt dans un milieu pourri.
D'autre part, Cervantès retient la leçon de l'humanisme.
Les héros ne sont pas nés de la cuisse de Jupiter. Ils s'appellent alors Chascun, Jedermann, Everyman ; nous dirions aujourd'hui, "il uomo qualunque". Plus caractérisés, on les nomme Jacques Bonhomme ou Ulenspiegel et, en Espagne, Lazarillo, Pierre le Malicieux dans la comédie (Pedro de Urdemalas) ou bien Sancho comme tout le monde, ou bien Don (Maître Un tel) comme presque tout le monde car les Espagnols se persuadent qu'ils sont de sang noble, qu'ils sont hidalgos.
C'est le cas de Don Pablo le Fureteur El Buscón de Quevedo ; c'est celui de Don Quijote, nom que l'on aimerait traduire par Maître Alphonse de Cuissard et Cotte de Mailles, gentilhomme. Cervantès voulait créer deux antonomases : il y a réussi. Don Quichotte et Sancho Pança sont non seulement ses doubles, mais ceux de ses lecteurs, les nôtres.
Puis, une tradition littéraire le guide. En son temps, il était exclu qu'un écrivain se donnât à lui-même la parole. La convention voulait qu'il se dissimulât sous les traits d'un bouffon gracioso pour dire à tout un chacun même au public, même au roi ses quatre vérités.
Car le fou est irresponsable : Dieu parle par la bouche de l'innocent, de l'idiot du village.
Le fou domestique, à la Cour par exemple, joue le rôle indispensable de porte-parole du peuple : vox populi, vox dei ; il est tout à la fois l'opinion publique, la gazette parlée, le compère à la langue bien pendue, le messager secret, le confident bavard, une plaie bénéfique à dessein entretenue au sein de la communauté.
Pour ridicule ou agaçant qu'il soit, on courrait un grand risque à ne pas tenir compte de ce qu'il murmure si sottement. Cervantès a un certain nombre de choses à dire qui lui tiennent à cœur. Comme Lope de Vega utilise dans ses comédies le bouffon Belardo, Cervantès parle par le truchement tant de Don Quichotte que de Sancho Pança.
Aussi bien Don Quichotte est son génie familier.
Si Dieu eût fait naître Miguel de Cervantès hobereau dans un bourg de la Manche, il eût été celui-là. Ses propres aventures dans un tout autre milieu ne sont point différentes, mutatis mutandis, de celles du chevalier de la Triste Figure : il s'est attaqué aux mêmes moulins à vent, qui ont eu le dessus ; il a délivré les mêmes bagnards qui se sont moqués de lui.
Seulement, comme par un effet héraldique d'abîme, Don Quichotte lui-même a un génie familier et qui se nomme Sancho, celui qu'il eût été si Dieu avait mis ses humeurs sous la peau d'un manant. Nul ne peut se débarrasser de son double. Aussi bien saurait-on concevoir une médaille avec un avers et sans revers, une monnaie avec pile et sans face ?
Enfin, un trait capital unit indissolublement Cervantès et Don Quichotte, Cervantès et Sancho. Dans son être le plus profond et même originel, Sancho est le produit de la sagesse populaire, des proverbes et des dictons, des légendes et des romances traditionnels. Cervantès aussi : il a été nourri à la mamelle et sur les bancs de l'école de cette science, ou sagesse, commune et sans âge, qui faisait l'admiration des humanistes et l'objet de leurs compilations.
De même, Don Quichotte doit son être le plus profond et même originel aux livres de chevalerie, qui ont modelé son esprit et sa langue. Cervantès aussi, avec cette différence que sa folie résulte de la convergence d'autres lectures, celle des Anciens avec celle des Modernes, celle de l'Odyssée avec celle d'Amadis. Tous deux, créateur et créature, ont laissé déborder sur leurs jours les rêveries des longues veillées passées avec des preux et des héros ainsi que les hantises de leurs nuits les plus émues.
L'un et l'autre sont les fils de leurs lectures et de leurs expériences. Les lectures sont en partie communes, et les expériences sont analogues. Qui plus est, Cervantès, en 1614, part en guerre contre Avellaneda, l'auteur de la suite apocryphe, parce qu'il avait dénaturé son héros.
Pour lui, défendre Don Quichotte ou se défendre, c'est du pareil au même. Rien ne les sépare.
Composition du roman
Cervantès partage les idées de ses contemporains sur la théorie littéraire.
Il avait médité la Filosofía antigua poética d'Alonso Lopez Pinciano, qui parut en 1596. Peut-être même remonta-t-il- avant ou après cette date- jusqu'aux théoriciens italiens dans le courant desquels se situe cet important ouvrage, Lodovico Castelvetro en 1570, Alessandro Piccolomini en 1575 et surtout Francesco Robortello, qui combinait Aristote et Horace dans son commentaire de 1548.
Il avait aussi sous les yeux de brillantes illustrations de ces théories dans l'œuvre de Giraldi Cintio et du Tasse.
Dans le chapitre XLVII de la première partie de Don Quichotte, Cervantès tente de définir le type de roman qu'il eût aimé écrire. Certes, ses idées rendent compte non point de Don Quichotte, mais de Persiles et Sigismonde ouvrage qui allait donner dans une impasse.
Toutefois, si l'on écarte son insistance sur les connaissances encyclopédiques qu'un ouvrage littéraire devrait répandre, il reste que le roman est pour lui- nous l'avons vu- une épopée en prose, à laquelle se mêlent des éléments dramatiques et des éléments lyriques.
Les épisodes doivent exposer au lecteur un problème psychologique ou moral et même une énigme, puis proposer une solution logiquement satisfaisante.
L'auteur les multiplie donc, les imbrique ou les tresse les uns dans les autres, de sorte qu'ils apparaissent, disparaissent et réapparaissent dans le cours rectiligne de la vie du héros. Un roman n'est jamais achevé ; il peut rebondir en une deuxième ou troisième suite.
Le monde et la vie continuent : Sancho et ses enfants survivent à Don Quichotte.
Cette « ars poetica » du roman, technique de son architecture, commande une ars rhetorica, technique de son écriture.
Le langage nouveau est fait d'une sélection cohérente dans le lexique global de l'espagnol et dans sa syntaxe. Lexique et syntaxe doivent, en effet, rendre compte rationnellement d'un certain nombre de choses et de notions, c'est-à-dire les nommer, puis les lier afin de mettre un commencement d'ordre dans le chaos des données immédiates de nos sens.
Certes, il faut renoncer au vers épique, qui imposait sa parfaite cohérence au monde le plus absurde.
Mais la prose romanesque doit être harmonieuse ou, comme dirait Boèce, musicalement nombreuse, afin d'orienter le lecteur dans le labyrinthe du « vécu ». Elle ne saurait se proposer de dire la vérité, comme le fait l'épopée au degré sublime, l'épopée homérique, où interviennent les dieux et leurs absolus. Elle ne vise qu'à la vraisemblance, qui est à la mesure des hommes et de l'imperfection de leurs sens ou de leur entendement.
Car elle se situe au degré infime ou, tout au plus, médiocre c'est-à-dire moyen de ce genre littéraire. Plus la fiction romanesque s'éloigne du cours normal des événements, multiplie- à la manière byzantine- les rencontres inattendues, les hasards incroyables et les prodiges, plus il convient de raccrocher l'action à des faits incontestables situés dans des lieux et des temps familiers au public.
Ainsi, l'ouvrage devient un tissu inextricable d'inventions arbitraires, mais significatives ainsi que de réalités concrètes et sensibles. Le lecteur accepte volontiers ce mélange, car il sait d'expérience qu'il n'existe pas de limite précise entre l'imaginaire et le réel, entre le rêve et l'état de veille, entre les croyances qu'il a puisées dans les livres et l'action quotidienne qu'elles imprègnent et orientent.


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Posté le : 28/09/2013 21:45
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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