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Accueil >> newbb >> René Barjavel 1 [Les Forums - Histoire de la Littérature]

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René Barjavel 1
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Le 24 Novembre 1985 meurt à Paris, René Barjavel, il a 74 ans,

Romancier, nouvelliste, essayiste, chroniqueur, journaliste, scénariste/dialoguiste


il est né le 24 janvier 1911 à Nyons dans la Drôme et mort le 24 novembre 1985 à Paris, il est connu principalement connu pour ses romans d'anticipation où science-fiction et fantastique expriment l'angoisse ressentie devant une technologie que l'homme ne maîtrise plus.
Certains thèmes y reviennent fréquemment : chute de la civilisation causée par les excès de la science et la folie de la guerre, caractère éternel et indestructible de l'amour, Ravage, Le Grand Secret, La Nuit des temps, Une rose au paradis.

Son écriture se veut poétique, onirique et, parfois, philosophique. Il a aussi abordé dans de remarquables essais l'interrogation empirique et poétique sur l'existence de Dieu, notamment, La Faim du tigre, et le sens de l'action de l'homme sur la Nature. On lui doit en particulier les dialogues du Petit Monde de Don Camillo. Un concours de nouvelles de science-fiction se déroulant à Lyon porte son nom.Il est le précurseur de la science-fiction à la française


Généalogie de la famille Barjavel

René Barjavel a tenté de lui-même d'approfondir ses origines familiales ; il a ainsi cru pouvoir s'établir des origines paysannes, ce qui l'a amené à dédicacer Ravage

À la mémoire de mes grands-pères, paysans
Également, il déduit de rapprochements phonétiques une étymologie de son patronyme qu'il rapporte dans une interview à Evelyne Vivet en 1969 :

Mon nom, Barjavel, signifie "bavard" en provençal. Ce n'est sûrement pas à moi que ce terme s'applique car je suis très taciturne - et ma famille s'en plaint souvent - mais il s'agit à coup sûr d'un ancêtre qui devait autrefois "conter" des histoires au coin du feu à la veillée.
C'est sûrement de lui que j'ai hérité ce goût d'inventer des histoires, où je me libère du naturalisme, où je fabrique ma propre réalité.
Toutefois, sa cousine Mme S. Chamoux eut peu après l'occasion d'approfondir de manière plus rigoureuse ces données et elle lui révèla que si ses grands-parents directs, tant Émile Paget que Joseph Barjavel étaient certes paysans cultivateurs, ses ancêtres plus lointains, dont elle a remonté la généalogie jusqu'au XVIème siècle, constituent essentiellement une lignée de notaires, issue du Vaucluse. L'activité de notaire dans les siècles passés était très sollicité pour une multitude d'événements de la vie courante : contrats d'apprentissages, fermages, locations. L'étude des registres et actes révèle des détails savoureux de ces époques, que Mme Chamoux a elle-même utilisée pour sa propre généalogie dans son récit romancé, La Passe-Vogue voir une présentation.
On trouve un Casimir-François-Henri Barjavel historien à Carpentras au XIXème siècle, auteur en particulier d'un Dictionnaire historique, biographique et bibliographique du département de Vaucluse, d'une monographie sur "Notre Dame de Sainte Garde des Champs, son berceau, son accroissement, ses vicissitudes, sa transformation" édité à Carpentras, Joseph Rolland, 1865, et d'un Traité complet de la culture de l'olivier, Marseille : Camoin, 1830 ; un accusateur public près le tribunal criminel du département de Vaucluse, dont la Bibliothèque Nationale conserve les lettres à la Convention Nationale, Avignon, 17 germinal an II : 1894, ainsi que d'autres documents. De nombreux Barjavel habitent encore le département du Vaucluse, et leur parenté avec l'auteur est avérée.
Pour ce qui est de l'étymologie, Mme Chamoux lui indiqué que, phonétiquement, jamais le son dur barjacca ne peut évoluer en barjava
et que selon toute vraisemblance, l'origine en est à trouver dans le mot provençal barjaveu ou barjavoun qui désigne la petite plante connue sous le nom d'aphyllante de Montpellier ou "étoile du berger" (Aphyllanthes Monspeliensis L.), dont les petites fleurs parsèment les garrigues et sous-bois de leur bleu lumineux qui est celui

des yeux de René Barjavel et de tous les Barjavel que j'ai connus comme élèves à Nyons..
Ces "révélations" intéressèrent fortement l'écrivain qui venait alors de faire dans la Charrette bleue un premier voyage dans les origines familiales, et envisagea dérechef le projet d'écrire, en association avec S. Chamoux, une histoire de sa famille ainsi ré-explorée, qui aurait eu le titre "La Règle d'ébène et l'Encrier de Moustiers "du nom des objets-symboles du métier de notaire ancien). Malheureusement le décès de l'écrivain n'en permit pas la réalisation.
On peut s'étonner qu'une histoire familiale s'oublie en si peu de générations ; les ancêtres "récents" il est vrai de la famille Barjavel sont inhumés au petit cimetière de Tarendol où repose maintenant l'auteur, et il semble donc pourtant que la tradition de leurs origines ne soit pas parvenu jusqu'au jeune René.

Enfance à Nyons(1911 - 1922)

René Gustave Henri Barjavel est né le 24 janvier 1911, dans la chambre du rez-de chaussée de la rue Gambetta

à Nyons dans la Drôme, naissance dûment déclarée le soir même à l'État-Civil.
Le point de départ que constitue cette date est cependant présenté par l'auteur comme une étape dans sa vie familiale, car c'est quelques années auparavant qu'il fait débuter son autobiographie quelque peu romancée, La Charrette Bleue.
En effet, sa mère, née Marie Paget en 1883, a épousé Henri Barjavel le 27 septembre 1909, après le décès de son premier mari, Émile Achard, qui était boulanger à Nyons, 6 rue Jean-Pierre André.
De quelques années plus jeune que Marie, Henri avait été l'ouvrier d'Émile Achard, puis, comme le raconte l'auteur avec beaucoup de délicatesse dans la Charrette bleue, il épousa Marie et la famille emménagea rue Gambetta, le fournil et la maison rue Jean-Pierre André étant vraiment trop petits, il est donc clair que René Barjavel n'y a jamais habité. .

Du premier mariage de Marie avec Émile Achard naquirent deux fils, Paul, né en 1903 et Émile, né en 1905, âgés de 8 et 6 ans à la naissance de leur demi-frère René.
Cette famille "recomposée" a vécu dans une très bonne entente, entre l'école primaire, supportée sans grand enthousiasme par le petit René, pour qui
c'était les travaux forcés, le bagne, l'horreur
et les vacances chez l'oncle César Paget qui habitait une ferme au hameau des Rieux .
Le jeune René était surtout entouré de présences féminines : sa mère, ses tantes et ses cousines, dont Nini à laquelle il restera attaché toute sa vie.
Le 29 mai 1922 Marie succombe des suites de la maladie du sommeil, apportée par les soldats coloniaux de la première guerre mondiale et véhiculé aussi par les taons communs, et qui ne fit pourtant que deux victimes en France. Sa mort laissa René alors agé de 11 ans extrêmement déstabilisé, et, comme le dit Mme Chamoux dans ses présentations de l'auteur ,
les mois passés à Nyons qui ont suivi la mort de sa mère ont été la période la plus pénible de la jeunesse de René.
À cela il faut ajouter les cancans pas toujours bienveillants des "commères" de Nyons à l'égard d'un jeune garçon un peu désemparé
J'ai été quelque peu leur victime à l'âge de quatorze ans, l'âge de mes amours passionnées et innoncentes. J'étais Roméo mais je ne montais pas à l'échelle. Elles voyaient déjà la fille enceinte. Elle avait quinze ans. Je me promenais avec elle en lui tenant la main. Elles mesuraient de l'œil son tour de taille... C'est un peu à cause d'elles que j'ai dû quitter Nyons pour devenir pensionaire au collège de Cusset. Je devrais leur en être reconnaissant...
Henri Barjavel vend la boulangerie peu après pour reprendre un café de Nyons avenue de la Gare, et Paul et Émile partent vers leur destinée...
Émile Achard, très bon auteur aussi fut a son époque le plus jeune ingénieur civil de France et a construit de nombreuses routes et ponts dans la Drome et partout en France. Leur frère aîné Paul est devenu capitaine au long-cours.
Ce fut en s'aidant des souvenirs d'Émile que fut écrite La Charrette bleue bien des années après .

Les années de jeunesse. Cusset et le Bourbonnais

Aussi est-ce pour lui un changement de vie apprécié lorsque le proviseur du collège de Nyons, M. Abel Boisselier, est muté à Cusset, près de Vichy et lui propose de l'y suivre en devenant pensionnaire. Les années de jeunesse passées à Cusset seront semble-t-il les plus heureuses : les méthodes d'enseignement du proviseur, très modernes pour l'époque, il instaura unilatéralement la mixité dans les classes à l'insu de l'Inspection Académique laissaient s'exprimer la créativité des élèves en leur offrant des possibilités de développement de leur ouverture d'esprit et du sens de l'autonomie.
De toute évidence, le jeune René prit goût à la région, qui allait par la suite influencer de manière parfois indirecte un bon nombre de ses œuvres, par l'atmosphère des lieux "Les Enfants de l'ombre."

On notera aussi qu'il écrivit des années plus tard le texte du chapitre Provinces du centre du guide touristique Provinces de France, avec de jolies descriptions de la région .
L'auteur se montre cependant très discret sur l'"intimité" de sa jeunesse. On apprend au détour d'un article du Journal du Dimanche, Les petits bals de ma jeunesse, 18 juillet 1976 que le proviseur facilitait les sorties dansantes du samedi soir, et, dans une interview rapportée dans l'édition Le Tallandier du Journal d'un homme simple, il confie :
"A ce moment-là commence la période la plus riche de mon existence, mon passage au collège et une grande histoire d'amour que je ne raconterai jamais, parce que c'est mon trésor personnel et qu'elle m'a ébloui pour le reste de ma vie... Toutes mes héroïnes, par la suite, en ont été des avatars, toutes mes histoires d'amour en portent la trace."
Il semble donc clair que Tarendol en porte non seulement la trace, mais l'inspiration, bien que l'auteur reste vraiment très réservé sur sa vie privée.
Les études secondaires finies, René se trouve bachelier, essentiellement grâce à la Littérature qu'il a vraiment découverte dans ce collège :
"J'étais un grand lecteur et la vocation d'écrire s'est emparée de moi. Je ne savais pas quoi ni comment, mais j'avais ce désir. Cela m'a valu, sans doute, de passer mon bachot malgré mon peu de performance dans les sciences exactes"
Mais avec peu de famille, et sans argent, poursuivre ses études n'est guère réalisable. Boisselier l'emploie comme "pion" au collège, puis lui procure un travail d'appoint :
"chez une de ses connaissances qui était un peu escroc sur les bords et tenait, à Vichy, une agence immobilière. Mon travail a duré trois semaines. Mon patron m'avait envoyé encaisser une traite chez un avocat du coin. Il s'agissait de trois mille francs environ de l'époque. L'avocat m'a fait répondre qu'il n'était pas là. Je lui ai laissé la traite - que mon employeur, cela va sans dire, n'a jamais revue. Là s'est terminée ma carrière dans l'immobilier."
Puis il donne des cours particuliers d'anglais..:
"une langue que je connaissais aussi peu que mes élèves. Il fallait que je prépare chacun de mes cours, que j'apprenne la veille ce que j'allais enseigner le lendemain et surtout qu'ils ne me posent pas de questions."
il devient quelque temps employé à la Banque Populaire :
"J'avais affaire à d'immenses registres, où se trouvaient les comptes de la clientèle. C'est moi qui devait faire les additions. J'en faisais plus qu'il n'était utile, car, à chaque fois, le total était différent. Je divisais ces grandes colonnes en petites, ce qui n'arrangeait rien car je continuais de me tromper dans les additions partielles. Je suis parti."
Mais enfin, à dix-huit ans, la chance se présente à lui avec le journalisme au Progrès de l'Allier, quotidien de Moulins :

Son propriétaire était Marcel Régnier qui était, alors, une lumière du parti radical-socialiste, sénateur de l'Allier, ministre des Finances. Cet organe de presse lui servait avant tout pour les élections. Mais enfin on paraissait tous les jours dix ou douze mille exemplaires. Dès le premier jour, j'y ai fait ma chronique. Anonyme, bien entendu. Le personnel du journal n'était pas pléthorique. Il y avait un directeur qui s'appelait René Lamy et lorsqu'il s'est aperçu que j'accomplissais bien ma tâche, on ne l'a plus vu au journal. Je suis donc resté seul. L'après-midi, je faisais le tour de la gendarmerie, du commissariat de police. Ma prose se limitait à ce style que Stendhal, grand amateur du code civil, eût sans doute apprécié : "Il a été trouvé, devant l'épicerie de Mme Dublin, un gant de filoselle de la main gauche : prière de le réclamer à la mairie." Il n'y avait pas, comme vous le voyez, un mot de trop. Le soir, je venais au journal vers sept heures. J'y trouvais les dépêches des correspondants locaux, secrétaires de mairie, instituteurs et autres, et surtout je recevais, merveille des merveilles, l'édition du jour de Paris-Midi, qui était tombée le matin même et avait pis le train pour Moulins. Alors les ciseaux accomplissaient mon ouvrage. Je faisais mon journal avec tous les articles de Paris-Midi qui n'étaient pas signés. Je recevais aussi des dépêches d'une agence de presse qui s'appelait "Radio". On ne pouvait, évidemment, s'en servir que pour des événements exceptionnels car les droits étaient chers. Après la copie, je corrigeais les épreuves, je faisais la mise en page et j'accompagnais le journal jusqu'à son tirage. Vers une heure du matin, mon travail était terminé.
Il y acquiert une expérience mais surtout une passion pour un métier qui restera le sien toute sa vie, et aussi pour le monde de l'écrit et ses techniques.
Mais le journal, chargé aussi de couvrir l'activité culturelle de la région, est pour Barjavel l'occasion d'organiser des conférences (pour l'Université Populaire en particulier, dont celle sur Colette, le 21 février 1934 à Vichy puis le 13 mars à Moulins, qu'il formalisera dans ce qui est en vérité son premier livre de 45 pages, Colette à la recherche de l'amour, édité chez La Nouvelle Province Littéraire et tiré à quelques quatre cents exemplaires sur les presses du Progrès de l'Allier le 30 mai 1934.

C'est à l'occasion d'une conférence organisée à Vichy par le journal dans le cadre de la Foire-Exposition fin août 1935 que l'éditeur Robert Denoël, belge installé à Paris depuis 1926, est invité à parler des rapports entre éditeur et auteurs.

J'étais fou de littérature et pour moi, à cette époque, Denoël était le Phénix. Il avait édité le Voyage au bout de la nuit de Céline qui venait d'avoir le prix Renaudot... On m'a chargé de le présenter au public. Je suis allé l'attendre à la gare. C'était un grand garçon à peine plus âgé que moi.
Après sa conférence, nous avons passé la nuit à bavarder. Je ne sais qui lui a envoyé le compte-rendu que j'avais fait de sa conférence et de l'interview qu'il m'avait donnée. Il m'a télégraphié en me demandant si je voulais venir travailler chez lui. Inutile de dire que j'ai donné tout de suite mes huit jours au Progrès de l'Allier et je suis monté à Paris.
On pouvait lire ce compte-rendu que fit Barjavel dans Le Progrès de l'Allier du 1er septembre 1935, ainsi qu'un article de René Laporte dans Micromégas, Courrier critique et technique du livre moderne qui présente en mars 1937 R. Denoël dans un article sous le titre “À quoi rêve un éditeur ?”
Mais ce ne fut en réalité pas si "immédiat". En effet, R. Denoël s'était attaché à Paris les talents d'une de ses amies, Irène Champigny, jeune femme plus ou moins morphinomane et très férue de graphologie, et souhaitait lui faire valider les "aptitudes" de Barjavel par un examen de son écriture. Or Barjavel s'obstinait à téléphoner à Denoël en vue de "provoquer son invitation", et ce n'est que lorsqu'il lui écrivit enfin que l'éditeur, enthousiasmé sans doute par les avis de son amie, l'invita rapidement... Il quitté ainsi le Bourbonnais fin septembre 1935, après y avoir participé à l'organisation de la Revue du Petit Casino de Vichy, spectacle cloturant la saison et regroupant des sketches et saynètes héroï-comiques écrites par Barjavel et quelques autres jeunes gens.

Barjavel resta pour toujours fidèlement redevable à R.Denoël,
le plus merveilleux éditeur du monde...
Entre temps, il a fait la connaissance de Madeleine de Wattripont, parisienne d'origine belge, Wattripont est un village près de Frasnes lez Anvaing dans le Hainaut Occidental qui travaillait dans une petite société liée aux éditions Denoël, L'Anthologie Sonore, qui éditait des phonogrammes, disques 78 tours de pièces de musique ancienne. Ils se marient en 1936, et deux enfants sont nés : Renée en mai 1937, et Jean un an après.

Les débuts à Paris avant la guerre.

Les premières années à Paris lui font découvrir le monde des lettres et de l'édition. Il se lie avec certains membres proches du mouvement "Le Grand Jeu", constitué autour de la revue du même nom qui, même si elle n'avait vu paraître que trois numéros dans sa brève existence en 1929, eut une influence discrète mais importante sur les mouvements d'idées aussi bien dans l'Art que la Littérature. Parmi eux Luc Diétrich, René Daumal, Lanza del Vasto et Philippe Lavastine, dont il restera toujours un très grand ami, qui eurent un autre "centre" commun, l'Enseignement de G.I. Gurdjieff.
Barjavel lui-même fut élève de cet Enseignement "initiatique" auprès de Jeanne de Salzmann, qui a hébergé quelques temps R. Daumal et P. Lavastine, qui devient d'ailleurs son gendre en épousant sa fille Boussik, P.Lavastine travaillait aussi à l'époque chez Denoël où il était rédacteur et traducteur. Barjavel eut l'occasion de rencontrer Gurdjieff lui-même une fois à l'un se ses diners, rue des Colonels Renard, à la fin de la guerre, et il confirme que malgré la personnalité du "gourou", son Enseignement eut sur lui une influence considérable.
Mais je sais que j'ai bu là la vérité, à cette source de vérité d'où coule toute la sagesse du monde, et où se sont formées les religions, fleuves qui s'éloignent chaque jour de leur source. Si je deviens un jour quelque cnose de moins malodorant que l'étron fondamental, ce sera le résultat d'une longue et lente lutte que je n'aurais sans doute jamais entreprise si je n'avais pas rencontré le "groupe" Gurdjieff. C'est tout ce que je peux dire aujourd'hui, mais c'est une certitude.

En 1936, son enthousiasme pour le métier des lettres l'amène à fonder avec Jean Anouilh la revue littéraire La Nouvelle Saison.

Lorsque la guerre éclate en août 1939, Barjavel a déjà acquis une position notable chez Denoël car il y est chef de fabrication, après avoir exercé différentes fonctions, au début très "manuelles", qui lui ont appris toutes les finesses du métier : magasinier, emballeur, lecteur, chef d'atelier, et il y finira directeur littéraire.
À son arrivée à Paris il s'était tout d'abord installé près de Montparnasse, quartier qui lui restera cher. Il emménage ensuite avec sa femme et leurs deux enfants rue Lacretelle, près de la porte de Versailles, d'où il écrira ses premiers romans ainsi que le Journal d'un homme simple dans lequel il présente avec affection ces lieux qui ont marqué ses débuts, Tarendol, écrit en 1944, se réfère aussi à la rue Lacretelle.
La situation financière est cependant souvent délicate, car Denoël ne payait jamais personne parce que, lui-même, n'avait jamais d'argent. Il réglait ses auteurs mais pas ses employés ! Pendant des années, je n'ai pas su ce que je gagnais : Denoël, le soir, prenait la caisse et donnait quelques sous à chacun. Je n'avais jamais pu m'acheter des meubles. Pour ma femme, c'était dur.
Ces traits caractéristiques de Denoël sont confirmés - parfois avec ressentiment - par d'autres auteurs qu'il éditait, tels L.F.Céline qui écrivait en 1947 :
Mes romans me rapportaient un million par an en 1944 - et à mon éditeur, le malheureux Denoel largement le double - je tombe de haut vous le voyez - j'étais l'auteur le plus cher de France ! Ayant toujours fait de la médecine gratuite je m'étais juré d'être l'écrivain le plus exigeant du marché - et je l'étais.
et aussi Albert Paraz :
Est-ce à dire que j'en veuille à Denoël ? Jamais de la vie. C'était un bon négrier. J'ai connu pire. J'en ai usé dix depuis la Libération. Il se valent.
Chez Denoël, il s'occupe d'une revue mensuelle grand format, Le Document :
C'était une sorte de Paris-Match mais mensuel et, chaque fois, un seul sujet y était traité : le Pape, le Front commun, etc. Une bonne formule pour le public, mais qui a été catastrophique pour Denoël.
Il tient aussi la rubrique de critique cinématographique à l'hebdomadaire "Le Merle Blanc", dirigé par E. Merle, où il écrit sous le pseudonyme de G.M.Loup, Grand Méchant Loup des articles sans concession et parfois acides sur les films, acteurs et personnalités qui font l'actualité du cinéma. Ces articles s'interrompent fin septembre 1937 au numéro 182 dans lequel est annoncé "samedi prochain : René Barjavel" - qui enchaîne en effet sous son vrai nom à partir du numéro 184 du 9 octobre 1937.
"Le Merle blanc" lui-même changera de temps en temps de nom et deviendra "Le Merle" tout court, paraissant alors le vendredi au lieu du samedi...

Jeune écrivain des années 40

La mobilisation générale le 2 septembre 1939 et la déclaration de la guerre, le 3 septembre font que son article du 1er septembre, Derniers soupirs grave et préoccupé, et à la mise en page bizarre comme si certains paragraphes en avaient été - déjà ? - censurés in extremis, aura été le dernier.
Barjavel part pour le front où il est caporal d'intendance d'un régiment de zouaves. La guerre ne se présente pas du tout comme l'opinion publique s'y attend, car

... la guerre nous apporta le soulagement. On se dit : "Enfin nous allons en finir avec ce fou !" Hitler Nous étions persuadés que nous serions de retour dans trois semaines. On nous avait tellement dit qu'il n'avait que des tanks en carton...
J'ai écrit à ma femme que ce serait bientôt fini et que dans huit jours je serai là. Nous n'avions pas la télévision mais nous avions les actualités cinématographiques. Régulièrement, on nous montrait l'armée allemande dans un état pitoyable. J'ai encore dans les yeux l'image d'une fantassin marchant courbé sur un champ de bataille derrière un char peint sur un panneau ! En revanche, les défilés du 14 juillet nous montraient les plus fiers régiments de l'armée française, des chars qui défilaient, des avions.
La débâcle de 1940 laisse ce qui reste de l'armée dans l'incompréhension, et sans chefs, sans ordres, ils errent sur les routes, dans les champs, traversent la Seine puis la Loire en évitant Dunkerque.
On se nourrissait comme on pouvait, dans les fermes abandonnées, puis la Loire traversée, de nouveau les paysans étaient là, auprès desquels on pouvait trouver de la nourriture. Quand nous entendîmes la voix de Pétain à la radio annonçant l'armistice - je me souviens, c'était la radio d'un camion militaire au bord de la route - ce fut pour tous un immense soulagement. On a eu mal après. Mais sur le moment... On ne savait plus où on allait, où tout cela allait finir - aux Pyrénées ?
René Barjavel séjourne dans un camp de regroupement près de Bordeaux, dont il garde un très mauvais souvenir, puis est envoyé dans une vallée pyrénéenne en attendant sa démobilisation. Il rejoint enfin sa famille dans l'Isère mais comme Denoël a été mobilisé dans l'armée belge et a fermé son établissement parisien, il n'a plus de travail. Des amis le présentent à un éditeur de Montpellier, M. Causse qui possédait le seul quotidien de France, et sans doute du monde, consacré au vin, La Journée vinicole. II éditait aussi un tout petit journal, L'école étudiante et souhaitait qu'il devienne l'organe de presse de tous les étudiants de la zone libre. Il me l'a confié. Je ne restais que quelques mois mais ce fut formidable. J'ai fait débuter ainsi des hommes de grand talent : Jacques Laurent, François Chalais, Yvan Christ, Raymond Castans...
Il habitait alors avec sa famille à Palavas-les-Flots, petit village de pêcheurs où séjournaient de nombreux réfugiés, où l'accueil ne fût pas particulièrement chaleureux. Pourtant René Barjavel n'en gardera aucune amertume et, au contraire, se montrera par la suite très amical à l'égard de cette région où il retournera en 1950.
Fin 1940, le polytechnicien Pierre Schaeffer, alors âgé de 29 ans et ingénieur à la radio, lui aussi élève de l'Enseignement de Gurdjieff avec Barjavel chez Mme de Salzmann, il dirigera des années plus tard le service de la recherche de l'ORTF crée et anime le mouvement Jeune France dont le but est "d'aider les jeunes artistes en leur proposant d'animer des soirées de jeunes réduits à l'inaction par la débâcle". Un bureau d'études anime et coordonne sept sections artistiques, et Barjavel a en charge la section littéraire de Lyon, aux côtés de Claude Roy et Albert Ollivier. Une autre section s'occupe à Paris de la zone occupée. Ce mouvement, apolitique, est pour ceux qui y participent une aventure passionnante mais éprouvante, car les problèmes de fond créent, dès qu'ils sont abordés, des dissensions intenses. Si le cœur du projet est de doter chaque région d'un centre culturel, ce concept de "décentralisation" ne sera concrétisé que bien des décennies après. En mars 1942 P. Schaeffer, trop en désaccord avec le gouvernement qui a aboli les droits de l'homme, interdit les syndicats et réintroduit le délit d'opinion, abandonne et dissous le mouvement.

Barjavel et sa famille rejoignent ensuite Paris où la vie reprend sous l'Occupation allemande, période trouble qui force les uns et les autres à user parfois d'expédients pour subvenir aux besoins familiaux.
L'éditeur Denoël, rentré à Paris et qui a ouvert sa maison - en piteux état - le 5 octobre 1940, se trouve contraint à une association avec un allemand, Wilhelm Andermann, éditeur d’art berlinois qui prend une part du capital de la maison, et les impératifs éditoriaux de l'époque obligent à certaines teintures de pensée pour ne pas déplaire à l'occupant et obtenir les quotas de papier nécessaires à la production.
Ainsi Denoël, qui semble d'ailleurs avoir professé une certaine forme de sympathie pour l'Allemagne, publie-t-il certains auteurs franchement collaborationnistes tels que L.F. Céline, R. Brasillach et L. Rebatet, ce dernier originaire de la Drôme comme Barjavel avec qui une certaine sympathie semble s'être nouée.

Barjavel est alors devenu directeur littéraire des éditions Denoël, et il est indéniable qu'il fréquente alors tout le monde de la littérature de l'époque.
En 1942 il est chargé de diriger la collection pour la jeunesse "La Fleur de France", qui semble obéir à une ligne de pensée à la gloire des héros de l'histoire de France, sans doute inculquée par les autorités de l'époque. Il en publie d'ailleurs l'un des premiers titres : Roland, le chevalier plus fort que le lion. C'était là son premier livre d'"édition", et il y croyait si bien qu'il avait fait faire un tirage démesuré ; à la Libération il en restera des centaines dans les caves de l'éditeur, qui durent être pilonnés, faisant de ce premier ouvrage la rareté qu'il est devenu maintenant.

Il avait toutefois déjà préparé d'autres romans, dont la publication ne fut pas vraiment envisagée, mais qui se transformèrent sous les conseils de Denoël pour devenir les autres premières œuvres de l'auteur. Ainsi on trouve des extraits d'un "projet" intitulé L'Apprenti dans la revue littéraire La Nouvelle saison, qui contient ce qui devait devenir la scène du vol des fraises dans Tarendol.
Ce projet avait semble-t-il mûri au début de son séjour à Paris pour prendre la forme d'un manuscrit complet, François le fayot.
Ce livre était inspiré par les souvenirs de mon service militaire. J'étais violemment anti-militariste. Aujourd'hui, le garçon que j'étais collaborerait à Libération. J'avais été dans l'infanterie à Chaumont. La discipline imbécile de l'époque, la sottise idiote des sous-officiers, tous vérolés, idiots...
Sentir que ces gens-là avaient sur moi un droit de vie et de mort... Pour la moindre bêtise, c'était le tribunal militaire, les bat'-d'af... J'en avais ressenti une telle rancune que j'avais écrit François le fayot. Le "fayot", vous le savez, était celui qui avait rempilé : un épouvantable personnage, une brute, un bon à rien...
Quand je suis revenu, j'ai retrouvé ce manuscrit dans un tiroir, je l'ai relu. C'était abominablement mauvais. Je l'ai jeté, mais une graine en est restée, celle de l'histoire d'amour qu'il contenait. C'est devenu plus tard Tarendol.
En 1942, l'atmosphère de l'occupation, les visions des villes bombardées et peut-être aussi certaines idées de l'époque l'inspirent pour un roman qu'il avait imaginé quelques années avant la guerre. Il prévoit de l'intituler « Colère de Dieu » et, pour le publier, le soumet à Denoël. Celui-ci n'a pas aimé le titre, Colère de Dieu. Il a quand même lu le manuscrit dans la nuit et, le lendemain, il a consacré sa matinée à me montrer quels étaient mes défauts et mes qualités. Il a remplacé le titre par celui de Ravage. J'étais jusque là un journaliste, il a fait de moi un écrivain. En cette matinée, il m'a appris mon métier. C'était un homme fantastique. A part Céline, tous ceux qui sont passés chez lui lui doivent quelque chose de leur talent. Denoël était un éditeur dans le grand sens du mot.
Le roman est conçu dans le genre qualifié maintenant de science-fiction, pour

échapper au traditionnel roman d'analyse psychologique. Aux "états d'âme". A la "littérature". Les drames, les comédies, les tragédies même, personnelles, familiales, nous les vivons, nous sommes plongés dedans chaque jour, saturés, submergés, glouglou... Je n'ai aucune envie de les retrouver dans les livres, ni ceux des autres ni les miens. La S.-F. permet d'ouvrir des fenêtres vers tous les horizons du temps et de l'espace et de s'intéresser à de vastes problèmes qui concernent non plus tel ou tel couple ou trio ou quatuor, dans ses exercices toujours recommencés, mais l'espèce humaine tout entière. C'est le sort des hommes qui m'intéresse, non celui d'un seul.cependant, l'auteur le présente comme "Roman extraordinaire" et non de science-fiction;
Je n'avais pas employé le mot, à l'époque, ne fut-ce que parce qu'il était inconnu du public français. J'avais baptisé mon livre "roman extraordinaire", en hommage à Jules Verne qui avait baptisé les siens "voyages extraordinaires". En fait, le mot qui était alors en vogue était celui d'anticipation.
Ce fut donc Ravage, paru en 1942, voir la page "écrit" qui présente l'analyse de l'œuvre, et dont les influences et idées sous-jacentes laissent encore planer parfois des sentiments mitigés, que la page Influences dans l'écriture de Ravage se donne pour objectif de clarifier.
Le roman connait alors un certain succès, et Barjavel écrit l'année suivante Le Voyageur imprudent, qu'il publie tout d'abord en feuilleton du 24 septembre 1943 au 14 janvier 1944 dans la revue "collaborationniste" de Brasillach et Bardèche, "Je Suis Partout". Il a aussi publié dans ce même journal trois nouvelles, qui seront plus tard regroupées dans le recueil La Fée et le Soldat en 1945 : Les mains d'Anicette le 24 mars 1943, La fée et le soldat le 18 juin 1943 et Péniche, le 3 septembre 1943. Publications a priori dénuées d'arrière-pensée politique, mais qui seront reprochées à l'auteur à la fin de la guerre lors de la campagne d'"épuration", ce qui lui vaudra d'être inscrit sur la première "liste noire" d'auteurs suspects publiée par Les Lettres Françaises le 16 septembre 1944. Cependant, il en est retiré rapidement et se trouve "blanchi" de ses accusations, en particulier grâce à une lettre de Georges Duhamel à la direction de ce comité qui l'innocentait complètement. Il s'en est par ailleurs expliqué auprès de l'écrivain J. Assouline, qui en rapporte des détails dans son livre l'Épuration.
En janvier 1944, l'académie Goncourt étant quelque peu désorganisée, un jury alternatif s'est constitué pour décerner à Barjavel Le Prix des Dix. Ces dix humoristes étaient en fait des amis et collègues de Barjavel dont on retrouve les noms au bas d'articles du Merle Blanc et plus tard de Carrefour.

Grâce à son expérience de la critique cinématographique et son intérêt pour le Septième Art, dont il devine qu'il est appelé à un avenir qui dépassera les limites que les restrictions techniques lui imposent, il écrit en 1944 un petit livre visionnaire, Cinéma Total - essai sur les formes futures du cinéma. Cet ouvrage est maintenant épuisé depuis longtemps, et ne fut pas ré-édité sous cette forme, en France tout du moins ; Il demeure toujours présent à la mémoire de spécialistes du cinéma, et on y trouve des anticipations étonnantes du multimédia et du cinéma en relief qui justifieraient que le souvenir de l'auteur soit honoré au Futuroscope de Poitiers par exemple...
Après la Libération, la situation allait tourner plus mal pour Denoël : accusé d'entente avec l'ennemi du fait de son association avec W. Andermann et surtout de publications d'écrivains collaborationnistes notoires, et en dépit d'éditions d'un bord opposé telles que Louis Aragon et Elsa Triolet, il est suspendu de ses fonctions par le Comité d'Épuration du Livre qui, le 20 août 1944, fait nommer par le ministère de la production industrielle un administrateur provisoire, Maximilien Vox (pseudonyme de Samuel William Monod. Ce dernier était lui-même éditeur, imprimeur et graveur en 1894-1974, il a laissé son nom à une classification typographique créée en 1954, maintenant universellement utilisée : il n'avait guère de temps à consacrer à la maison Denoël. C'est donc Barjavel qui la dirigea durant des mois, rendant compte à Denoël jour par jour de la marche des affaires et des manuscrits déposés. Il aida aussi l'éditeur à constituer ce qu'on appela ensuite son "dossier noir", qui contenait des éléments à charge de la plupart de ses confrères non épurés.
Denoël fut convoqué à comparaître, mais fut assassiné dans des circonstances encore non élucidées le soir du dimanche 2 décembre 1945, quelques jours avant son procès. Ce soir-là, le "dossier noir" disparait mystérieusement. Barjavel jura ensuite qu'il ne contenait que des coupures de la "Bibliographie de la France", mais ce n'était guère convaincant : le portefeuille de l'éditeur, qui contenait 12.000 F, n'avait pas été dérobé, alors qu'un dossier contenant de simples coupures de presse restait introuvable...
La "fidélité" de Barjavel envers Denoël semble être ce qui l'amène à témoigner curieusement lors de la succession de celui-ci au détriment de Mme Cécile Denoël, en "authentifant" l'écriture de Robert Denoël - alors contestée par sa veuve depuis quatre ans - sur l’acte de cession de ses parts aux Editions Domat-Monchrestien, gérées par Jeanne Loviton, maîtresse de Denoël avant sa mort. "Un Cinquantenaire oublié" de Mr H.Thyssens tente de faire le point sur les circonstances de son assassinat.
Par la suite, Barjavel rédigea un récit intitulé "Les sept morts de Robert Denoël", qui passait en revue, sur le mode romanesque, les différentes versions de ce crime non élucidé ; ce texte ne fut cependant jamais publié.

La maturité : Cinéma, et grands livres

Après la guerre, Barjavel reprit ses activités de critique et continua d'écrire dans France-Hebdomadaire et surtout Carrefour la chronique de théatre.
Ce journal hebdomadaire, créé fin août 1944 par Émilien Amaury, accueillit durant de nombreuses années les grandes signatures de la presse française, dont François Chalais "lancé" à Montpellier comme on l'a vu, qui tiendra aux côtés de Barjavel la rubrique de cinéma. À cette activité de critique, qui est pour Barjavel une passion tout autant qu'un gagne-pain, Barjavel ajoute l'écriture d'autres livres, et il publie ainsi le recueil joliment illustré par Pribyl, de nouvelles un peu fantastiques La Fée et le Soldat, contenant les trois textes publiés dans "Je Suis Partout" en 1943 en 1945, puis Tarendol, roman d'amour dont il a été dit plus haut les sources autobiographiques, et qui plonge aussi dans l'actualité douloureuse de la guerre. Un second recueil de nouvelles, Les Enfants de l'ombre en 1946, reprend et complète le premier, et un nouveau roman de science-fiction paraît en 1948, Le diable l'emporte.
Mais ses activités le forcent à un rythme de travail soutenu, du fait de l'obligation d'assister aux premières des spectacles pour en remettre l'article dès le lendemain matin... Situation qui, combinée aux impératifs de la vie familiale, le forcent en octobre 1950 à un repos forcé en province car la maladie, la tuberculose s'est déclarée, heureusement décelée à temps par son très consciencieux médecin, le docteur Rollin, comme il le raconte dans Le Journal d'un homme simple.
Ce "repos" est en fait un déménagement familial dans le Midi en décembre 1950, il semble que ce soit à Montbrun les Bains où un établissement thermal soignait cette affection, et est en fait l'occasion pour lui de remettre en forme et compléter ses "notes personnelles" qui vont devenir ce Journal d'un homme simple, publié en 1951.

Et il ne cesse pas non plus son activité de journaliste, car c'est désormais la chronique de critique radiophonique qu'il assure à Carrefour à partir de l'été 1951 : comptes-rendus d'auditions d'émissions diverses, un genre que l'on peut difficilement imaginer de nos jours...

La fin des années 40 l'a aussi amené à une activité créatrice complétant celle de critique et d'essaiste, puisqu'il commence à être présent dans le monde du cinéma en écrivant en 1947 les dialogues d'un premier film de Georges Régnier : Paysans Noirs, alias Famoro le tyran, d'après un roman de Roger Delavignette.
Il écrit aussi les commentaires d'un reportage "Télévision oeil de demain".
Cette époque est celle du procès de L.F. Céline, pour qui il ne cache pas son admiration, tant par un chapître du Journal d'un homme simple, édition de 1951 qui lui est presque entièrement consacré, L'Homme et le homard, que par ses lettres à divers écrivains et personnalités dans lesquelles il prend la défense de son aîné.
Et le déplacement de son activité vers le cinéma relève peut-être aussi d'une prise de distances vis à vis du monde de la littérature qu'il trouve si ingrat.
En 1949 il participe au scénario de Donne senza nome, Femmes sans nom de Géza von Radványi, collaboration évoquée dans le Journal d'un homme simple, et c'est en 1951 que son activité dans ce domaine prend un tournant décisif avec Le petit monde de Don Camillo de Julien Duvivier, d'après le roman de Giovanni Guareschi. À cette occasion, il fait la connaissance de Guareschi venu à Paris pour préparer le film, et lui fait découvrir la capitale, et aussi... le pastis, dont Guareschi eut du mal à se remettre.
Film dont le succès l'étonna pendant longtemps, et qui ne contribua pas immédiatement à améliorer sa situation financière ! En effet, alors que les autres membres de l'équipe avaient été payés sur les recettes, Barjavel, jeune débutant dans ce métier, ne l'était contractuellement qu'au forfait. Mais le fisc ne conçut pas la chose ainsi dans un premier temps, et l'auteur dut batailler auprès de son percepteur pour contester un redressement fiscal résultant d'une imposition d'office sur la base du succès du film...
Ce démarrage dans le monde du cinéma amena Barjavel à en faire son activité principale, comme scénariste et dialoguiste.
Une tentative de réalisation d'une adapation de la pièce Barabbas de Michel de Ghelderode à Collioure n'aboutit pas, malgré l'enthousiasme de l'équipe d'amis qu'il avait constituée, Le Journal d'un homme simple en rapporte les péripéties parfois émouvantes, et on peut aussi trouver la trace de courts métrages :

Les Hommes de fer documentaire sur les armures du Musée de l'Armée, 1953, dont il dit :
Il y a des trésors inestimables, des armures gravées comme des œuvres d'art. On pouvait y voir l'armure de Jeanne d'Arc, qui avait la particularité d'avoir une braguette formidable...
Monsieur Lune habille son fils dont certanes scènes seront reprises dans Parisien malgré lui / Toto à Paris en 1958,
l'histoire d'un petit banlieusard qui veut acheter un costume neuf à son fils dans un grand magasin parisien.
Premier Roman
l'histoire d'un jeune écrivain dont les jurés du prix Goncourt chuchotent qu'ils vont lui donner le prix... Il y croit, son éditeur aussi qui fait un gros tirage et prépare les manchettes, les cocktails, le champagne pour les journalistes... Et c'est un autre auteur qui a le prix... C'est une histoire qui m'est arrivée, pas pour le Goncourt, mais pour le Fémina. Une expérience effrayante !...
Adaptations, scenarii et dialogues constituèrent donc son activité principale jusqu'au milieu des années 60, avec les réalisations de

Le Témoin de minuit (1953), de Dimitri Kirsanoff
Le Retour de Don Camillo (1953), de Julien Duvivier (Il Ritorno di Don Camillo)
L'Étrange désir de Monsieur Bard (1953), de Géza von Radványi
Nuits andalouses (1953) de Ricardo Blasco et Maurice Cloche (Noches andaluzas)
Le Mouton à cinq pattes (1954) (dialogues),
Les Chiffonniers d'Emmaüs (1955), adaptation du livre éponyme de Boris Simon (1954)
Don Camillo et Peppone (1955) (dialogues français) (Don Camillo e l'onorevole Peppone)
Goubbiah, mon amour (1956)
Les Aventures de Till L'Espiègle (1956), avec Gérard Philipe
La Terreur des dames (alias Ce cochon de Morin) (1956)
L'Homme à l'imperméable (1957) (dialogue, d'après un roman de J.H. Chase, tiger by the tail)
Le Cas du docteur Laurent (1957)
Les Misérables (1957), monument du cinéma en deux périodes, avec Jean Gabin
Parisien malgré lui (1958) (alias Toto à Paris)
Femmes d'un été (1958)
Mademoiselle Ange (1960), de Géza von Radványi
Boulevard (1960) (alias La Grande vie) (1960)
Don Camillo... Monseigneur ! (1961) (dialogues français) (Don Camillo monsignore ma non troppo)
Le Diable et les dix commandements (1962) (dialogues de xx sketches) de J.Duvivier
Chair de poule (1963) adaptation et dialogues d'après un roman de J.H. Chase,
Don Camillo en Russie (1965) (Il Compagno Don Camillo)
Section consacrée aux Films, ainsi que la retranscription du Café Littéraire des Journées Barjavel 2006 à Nyons : Les Cinémas de René Barjavel.
Il tâte aussi d'une autre activité d'écriture, les paroles de chansons, dont il reste à présent fort peu de souvenir.
Cette intense activité ces années-là lui laisse peu de temps pour la littérature. Il ne publie que peu d'ouvrages, et ceux-ci sont en fait liés à son expérience immédiate : Collioure, album de dessins du peintre Willy Mucha dont il écrit les textes de présentation avec Henri-François Rey ; W. Mucha l'a hébergé en août 1950 lors du tournage de l'adaptation de Barabbas, Jour de feu, voir la page qui présente cette œuvre rarissime, et Jour de feu, roman qu'il tire du scénario de ce projet de film, qui parait discrètement en 1957 mais sera ré-édité avec plus de succès en 1974.

Le début des années 60 le voit timidement renouer avec la science-fiction. Il contribue à la jeune revue Fiction dans laquelle trois de ses nouvelles, tirées du recueil Les Enfants de l'ombre, sont publiées : Béni soit l'atome dans le n°58 de 1958, Péniche n°88, mars 1961 et L'Homme fort, n°104, juillet 1962.
La vague naissante de la science-fiction française, dont les pionniers enthousiastes animent ces revues, le considère en effet alors comme l'un de ses "aînés" puisque c'est surtout pour ses trois premiers romans extraordinaires qu'il est connu dans cet univers. Et c'est à l'invitation de Fiction qu'il écrit un court texte pour le numéro spécial, maintenant fort prisé des collectionneurs, "La première anthologie de la science-fiction française" de mai 1959 : Colomb de la Lune.
En 1962 il étoffe l'histoire de manière conséquente, et en fait le roman du même nom qui est aussi une histoire d'amour, et un hymne au Mont Ventoux qui vient justement de se transformer en base de contrôle des missiles nucléaires du Plateau d'Albion.

Le milieu des années 60 est le redémarrage de son activité littéraire. Il s'éloigne du monde du cinéma, dont un certain mercantilisme lui déplait, et reporte sous sa plume les thèmes de ses réflexions qui n'étaient jusqu'alors que simplement commentés dans ses romans. Et La Faim du tigre en 1966, qui obtient le Prix Lecomte du Noüy, est un véritable essai philosophique sur des pensées humanistes qui révèlent sa pensée et son écriture à un public sans doute différent de celui de la littérature de science-fiction qui l'a connu précédement.
C'est à cette occasion qu'il "perd son prénom", car il juge opportun de ne se faire reconnaître en tant qu'écrivain que sous son seul nom, laissant à son activité cinématographique son identité complète ; désormais, ses livres seront donc de Barjavel tout court...

René Barjavel a supprimé son prénom. Il s'appelle maintenant Barjavel tout court, comme Fernandel. Ce n'est pas pour rappeler qu'il est le dialoguiste de Don Camillo mais pour marquer ses distances, précisément, avec le cinéma.

Il renoue aussi avec le journalisme, en tenant d'abord la chronique de télévision au Journal du Dimanche, puis "Les Libres Propos", qui occuperont chaque semaine, pendant près de dix ans, la demie deuxième page du journal ainsi des articles dans France-Soir, et une émission sur Radio-Télé-Luxembourg (RTL), où il commentera en particulier avec poésie les premiers vols vers la Lune.

Son activité reste quand même orientée vers le cinéma, et ce n'est que parce que les scénarii qu'il prépare avec son ami André Cayatte épouvantent les producteurs par les budgets qu'ils nécessiteraient, qu'il en fait des romans dont le succès le rendra vraiment célèbre.
Ainsi La Nuit des temps en 1968.

Olenka de Veer

En 1967 il a fait la connaissance d'Olenka de Veer, astrologue-écrivain qui l'a tout d'abord "émerveillé" par sa traduction du roman de James Stephens "La Cruche d'or", plongeant dans le merveilleux du folkore irlandais et de ses Léprécaunes. Barjavel en écrivit la préface, et fit part de son admiration pour l'œuvre dans son article du Journal du Dimanche du 20 janvier 1974. Et il a trouvé avec humour l'incarnation d'un léprécaune en la personne de Louis de Funès dont il réalisera une interview savoureuse qu'il rapporte le 21 octobre 1973, à l'occasion de la sortie du film Rabbi Jacob. Le thème du merveilleux irlandais lui en restera ensuite comme on le verra.
Olenka de Veer porte alors le nom d'Olenka de Saint Maurice, car elle est mariée au producteur de cinéma Christian de Saint-Maurice Suspense au deuxième bureau.

Elle étonne aussi Barjavel par ses "talents" d'astrologue, non pas tant de prédictions que de définition du caractère par le thème astral qu'elle lui démontre sur des personnalités de l'époque le secrétaire général de la C.G.T. G. Séguy en particulier, comme il le rapporte dans ses articles de France-Soir des 18 et 20 février 1970 contenus dans le recueil "Les Années de la Lune". Olenka de Veer divorce peu après, et il semble alors que leurs relations se soient alors resserrées. Lorsque La Nuit des temps parait, elle lui prédit un succès littéraire très proche, et de fait le roman obtient le Prix des Libraires en 1969, ce qui aide à contribuer à son grand succès.
À cette époque la mode des comédies musicales est à son apogée avec Hair dont l'adaptation française de Jacques Lanzmann triomphe à Paris au Théatre de la Porte Saint-Martin. La Nuit des temps inspirera les membres de la troupe, et une comédie musicale sera conçue par la chanteuse Annie Nobel et le chef d'orchestre Pierre Schiffre pour succéder à Hair. Barjavel donne un avis bienveillant à cette adaptation qui prend certaines libertés avec la fin de l'histoire tel qu'il l'a conçue. Finalement, le projet n'aboutira pas pour diverses raisons, le goût du public pour les spectacles musicaux s'étant amoindri. On pourra en savoir plus sur la page "La Nuit des temps source d'inspiration"et le site d'Annie Nobel .

La saison 1970-1971 lui donne l'occasion de présenter une pièce de théatre, Madame Jonas dans la baleine, montée aux Bouffes Parisiens avec Maria Pacôme, mais qui n'aura cependant pas un énorme succès, seulement 60 représentations. Peut-être la création théatrale était-elle un genre inapproprié au talent de l'auteur. La pièce sera remontée en juin 1977 avec Rosy Varte et Guy Tréjean pour la 270ème émission Au Théatre ce soir, diffusée le 22 juillet 1977 sur la première chaîne.
La base de l'histoire elle-même sera reprise en 1980 par Barjavel qui en fera son roman Une Rose au Paradis.

S'il s'agit de la seule pièce de théatre jouée de Barjavel, il confie lui-même cependant dans le Journal d'un homme simple que Le Voyageur imprudent a fait l'objet de tentatives successives d'adaptations en pièce de théatre,

Pour changer un peu de domaine, j'ai corrigé, en revenant de Collioure, mon Voyageur imprudent, récrit en juillet pour la troisième fois. Non pas mon roman, il est ce qu'il est, il restera tel, et pour ma part je ne le trouve pas mauvais du tout ! Mais la pièce que j'en ai tirée Lorsque je l'ai écrite pour la première fois, c'était un drame. L'ayant terminée, je la relus. Et je m'aperçus que pour un drame c'était plutôt farce. ... J'ai donc récrit mon Voyageur en décidant de renoncer au drame et d'en faire une comédie. Mais maintenant je ne suis plus sûr du tout que ce soit drôle.
Le projet en était donc resté là...

Avec ces deux romans qui terminent les années 60, le succès littéraire et la reconnaissance du "grand public" font de l'écrivain maintenant d'âge mur, il a 57 ans un auteur à succès, connu autant de ces larges lectorats et auditoires que de quelques spécialistes ou amateurs de science-fiction. Ces derniers d'ailleurs diminueront leur intérêt, voire leur sympathie à son égard, car les tendances politiques de l'époque, les agitations revendicatrices de mai 1968 sont dans l'air du temps, font que, pour la jeune génération d'écrivains de science-fiction, il parait vieillot, réactionnaire voire "ringard". Ils ne l'épargnent pas particulièrement dans les colonnes de la revue Fiction qui présente ses nouveaux romans sous des angles parfois peu amènes. Entre temps sa popularité comme homme de pensée s'est étendue par ses chroniques journalistiques, tant dans la presse écrite que la radio ou la télévision. Certains même le lui reprocheront, ainsi, dans le numéro n°236 d'août 1973 de Fiction, Serge-André BERTRAND ironise cruellement dans sa critique du Grand Secret :

...et puis Barjavel s'est lentement transformé en ce qu'il est devenu aujourd'hui : un journaliste à tout faire qui parle de tout et de rien sans jamais être au courant du fond du problème, et dont on voit à tout bout de champ la tête de chien battu à la télévision chaque fois qu'il s'agit de proférer sentencieusement des lieux-communs
De fait, si ses idées se rattachent à une tendance "écologique" dont il fait sa profession de foi, il ne rejoint cependant pas le fond politique des écologistes alors nettement portés à gauche, voire "révolutionnaires", ce qui le fait classer par ceux-ci comme du bord opposé - donc "réactionnaire".
C'est durant cette période que son activité atteint alors ses plus hauts niveaux, et il entreprend pour de bon un film en 1968 avec André Cayatte : ce sera, sur le thème de ce qui est appelé alors le phénomène hippie, Les Chemins de Katmandou, dont il tirera presque immédiatement après le roman maintenant bien plus connu que le film, pourtant deuxième apparition conjointe de S. Gainsbourg et J. Birkin qui venaient de faire connaissance ...
Il enchaîne articles sur romans, et publie ainsi en 1973 Le Grand Secret, voir dans la bibliographie, qui fut d'abord comme La Nuit des temps une idée de scénario avant d'être finalement réalisé en série télévisée en 1989 par Jacques Trébouta. Il "ressort" certains textes parus initialement quelques années avant, qu'il complète ou retouche un peu pour l'occasion. C'est le cas du recueil de nouvelles Le Prince blessé en 1974 et de La Faim du tigre, qui est ré-édité en 1974 après la première édition plus "discrète" de 1966.
Se voit aussi discrètement ré-édité Roland le chevalier plus fort que le lion, dans la collection pour la jeunesse Rouge et Or, série Spirale, n°179, avec strictement le même texte que l'édition de 1942, mais illustré en couleurs par J. Pecnard.

En 1974 son amitié avec Olenka de Veer se concrétise sur un projet littéraire commun, Les Dames à la Licorne, qui raconte de manière romancée l'histoire des ancêtres irlandais d'Olenka.
L'assiduïté de ses lecteurs hebdomadaires du Journal du Dimanche l'amène à publier une sélection de ses articles en recueils : Les Années de la Lune en 1972, Les Années de la liberté en 1975 et Les Années de l'Homme en 1976.
En complément de ses écrits, les contacts avec le public sont nombreux et variés : séances de dédicaces, débats dans les comités d'entreprises, Maisons de la Culture et lycées, et courriers de ses lecteurs.
Il fait aussi partie du monde de la science-fiction, peut-être en tant qu'ancien, et assiste régulièrement aux festivals de films S.-F. en compagnie de ses amis Louis Pauwels et Jacques Bergier, fondateurs du mouvement et de la revue Planète. et la télévision française lui confie la première série télévisée de science-fiction diffusée en France, Commando Spatial, adaptation qu'il réalise de la série allemande en 7 épisodes Raumpatrouille - Die phantastischen Abenteuer des Raumschiffs ORION qui a aujourd'hui encore son cercle de fans :
adresses :
[ voir http://www.wh2.tu-dresden.de/~sledge/moviebook/ro.html,
[ http://home.t-online.de/home/Juergen.Schweizer/orion.htm ]
et
[ http://orionspace.de/sc01.htm ], et, en anglais...
[ http://dspace.dial.pipex.com/town/terrace/kag15/page1.htm ].
La critique, dans la revue Fiction en particulier, saluera l'initiative innovante de la R.T.F mais reconnaitra néanmoins la médiocrité de cette série. Fort peu de traces en restent à présent, un rare livre édité par Raoul Solar en 1967 qui en est une version romancée écrite par Pierre Lamblin, aux descriptions spaciales délicieusement ringardes

En 1972 Barjavel participe à la création du prix Apollo,

Généreux de son soutien, il met sa plume au service de ses "coups de cœurs" et de quelques amis, écrivains ou artistes, dont il encourage les publications par un article ou une préface.
Ses écrits de la fin des années 70 sont plus les essais ou créations d'un penseur humaniste que d'un romancier, c'est en 1976 que paraît Si j'étais Dieu, profession de foi certes non conformiste mais néanmoins pleine de ferveur.

Toujours intéressé par le cinéma, il s'associe à son ami Frédéric Maury qui lance en 1976 une revue consacrée au 7ème art, Ciné-Magazine. Cinéma Total s'y trouve re-publié chapitre par chapitre, chacun complété par des commentaires de l'auteur lui-même revoyant quelques trente-deux ans plus tard ce qu'il est advenu de ses prévisions. Mais exactement en même temps se trouve lancé le magazine Première, qui bénéficie d'appui et de financements bien plus important, et qui l'emportera... Ciné-Magazine ne publiera que six numéros, et le septième article de Barjavel restera à l'état de projet.

Il poursuit en 1977 sa collaboration avec Olenka de Veer en écrivant Les Jours du monde, qui prolonge au XIXème siècle les Dames à la Licorne. Toutefois ce travail d'équipe n'ira pas plus loin, leur œuvre commune prend fin et Olenka de Veer écrira seule en 1979 La Troisième Licorne, épisode ultime de la saga.
Lettre ouverte aux vivants qui veulent le rester en 1978, s'inscrit dans une collection quelque peu pamphlétaire de l'éditeur Albin Michel "Lettre ouverte". Il y développe pleinement ses convictions d'écologiste réaliste alors que le débat public sur l'utilisation de l'énergie nucléaire bat son plein.
Son amour de la nature, et des fleurs en particulier qui constituent un sujet idéal de création picturale s'appuyant sur les techniques de la photographie que son expérience du cinéma lui a permis de maîtriser, s'expriment en 1978 dans un recueil de photographies : Les Fleurs, l'Amour, la Vie dont le texte est lui aussi un hymne à la vie et à ses forces qui la font renaître à chaque printemps.

En 1976 il écrit le texte de Brigitte Bardot amie des animaux en 1976, album dans lequel il se contente d'écrire des petits textes aimables sur des photographies circonstanciées de l'actrice sex-symbol de la décennie finissante au parc-zoo de Thoiry qui venait de se créer.

Écrivain confirmé, la mode d'alors des récits de traditions familiales lui fait commander par les éditions Denoël un tel album de souvenirs d'enfance, qu'il élabore avec l'aide amicale de son demi-frère Émile Achard. La Charrette bleue, parue en 1980, étend son auditoire à un public encore plus large, et surtout le fait enfin connaître dans sa ville natale... Parisien depuis 1936, il n'y a en effet pratiquement plus d'attaches, aussi est-ce avec émotion qu'il participe à des scéances de dédicaces chez les libraires de sa ville qui s'en souviennent maintenant encore fort bien. Il y a d'ailleurs l'occasion de préciser, à une nyonsaise qui lui reproche gentiment de ne pas avoir mentionné sa famille dans son récit alors qu'ils avaient été en relation :

Madame, dans La Charrette bleue, je n'ai gardé de Nyons que les souvenirs agréables...
S'il reste parisien, il fera d'autres retours au pays et y sera même intronisé "Chevalier de la Confrérie de l'Olivier"

Et c'est en 1980 aussi que sera diffusé, sur la deuxième chaîne française le téléfilm en 2 épisodes Tarendol, enfin réalisé : les droits en avaient été achetés à parts éales par Julien Duvivier et un autre réalisateur en 1946, mais les désaccords survenus entre eux empéchèrent le projet de se réaliser... La télévision ayant racheté ces droits, ce fut Louis Grospierre qui réalisa le téléfilm, avec l'active collaboration de l'auteur, et bien sûr dans la région même où se situe l'action, certaines scènes étant tournées précisément au hameau de Tarendol. Y débutaient, dans les rôles principaux, Jacques Penot et la charmante Florence Pernel ; Michel Duchaussoy y tenait le rôle de l'auteur...

Au tournant d'une époque

Barjavel entre dans les années 80 à l'âge de 70 ans. Son activité "publique" semble alors se ralentir, au profit de créations littéraires qui vont devenir alors particulièrement denses.
Le succès de La Charrette bleue l'amène à reprendre son Journal d'un homme simple originellement paru en 1951, en le remaniant en profondeur, supprimant certains chapitres qu'il juge soit dépassés car touchant à une actualité d'alors maintenant oubliée, et pourtant historiquement fort intéressante, soit trop dramatique du fait de sa vision pessimiste au sortir de la guerre, et risquant ainsi d'épouvanter ses lecteurs ... Il y ajoute de nombreux "commentaires a posteriori", donnant sur le monde et les idées qu'il en avait alors la vision que trente ans de recul et de réflexion lui ont permis d'acquérir.

Puis l'écriture de romans reprend avec Une rose au Paradis en 1981 et La Tempête en 1982, histoires de science-fiction cataclysmique définitivement empreintes de son pessimisme gai qui donne à son humour toute sa saveur.

Il renoue avec le merveilleux médiéval de La Chanson de Roland et des Dames à la Licorne avec L'Enchanteur, libre adaptation des cycles arthuriens teintée d'une douce fantaisie et peut-être de sous-entendus initiatiques beaucoup plus érudits qu'ils ne le paraissent.
L'année 1985 le voit publier un genre en apparence complètement nouveau pour lui : La Peau de César est un roman policier à l'enquête subtilement menée. Mais on doit se rappeler que ses premiers films, L'homme à l'imperméable et Chair de Poule étaient des adaptations de Série Noire du célèbre James Hadley Chase, et que le suspense y était déjà distillé avec un talent certain.

La première moitié de la décennie 1980 a vu en France le changement politique dont on se souvient. Le double septennat qui commençait n'appela pas de commentaire de Barjavel, qui s'était contenté en 1974 d'un portrait subtil de F. Mitterand :

Quand il regarde en face, on a l'impression qu'il regarde un peu à côté. La voix est grave et douce, mais l'intonation étudiée comme le geste. Les mains jointes rappellent singulièrement celles de Bernadette de Lourdes, mais l'expression du visage est celle d'un excellent acteur jouant "Mon curé chez les pauvres..."
Car ses propos, on l'a vu, n'ont jamais exprimé de message idéologique "catalogué". Et vu de chaque bord cela pouvait être pris pour de la connivence ou de l'opposition. Et c'est plutôt cette dernière approche qui semble justifiée : apolitique dans son intérêt pour l'écologie (comme le salue N. d'Estienne d'Orves dans Le Figaro Littéraire du 9 mars 2000 à l'occasion de la parution du troisième recueil Omnibus Demain le paradis { voir l'article }). Les rares allusions aux personnalités et partis politiques qui se trouvent dans ses articles semblent neutres, ni malveillantes, ni enthousiastes : une sorte de Voie du Milieu prudente, "demandant à voir" et surtout se tenant vigoureusement à l'écart de la "politique politicienne". Quelques pages publiées dans l'ouvrage collectif Le Futur en Question donne le fond de sa pensée (17) :

La politique est une saleté.
Il n'y a pas de société idéale.
Il n'y a pas de solutions sociales aux problèmes humains. Il n'y a que des compromis.
Il n'y a que des sociétés un peu moins mauvaises que d'autres. Donc l'homme politique, le politicien, doit forcément accepter d'être le serviteur d'une doctrine et de défendre des intérêts liés à des formes de sociétés sclérosées, qui auraient besoin d'être changées.
Tous les hommes politiques sont les esclaves soit d'une idée, soit d'une société, et ils sont forcément prêts à sacrifier toujours la vérité et la sincérité pour rester au pouvoir.... même les marxistes... qui racontent autant d'histoires que les autres. Selon moi, s'engager dans un combat politique, c'est renoncer à la vérité.
Ses écrits et sa pensée se refusent donc à toute idée de récupération comme son interview dans Je Suis Partout du 12 mars 1943 l'avait peut-être laissé "échaudé" (18). C'est plutôt dans l'analyse de fond, ouverte à des propositions de solutions concrètes même (et peut-être surtout) non-conventionnelles, de conseils et axes de réflexion que sa pensée s'est appliquée en 1985.

La suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3931#forumpost3931


Posté le : 23/11/2013 21:54

Edité par Loriane sur 24-11-2013 17:53:35
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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