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Accueil >> newbb >> Claudine-Alexandrine Guerin de Tencin 1 [Les Forums - Histoire de la Littérature]

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Claudine-Alexandrine Guerin de Tencin 1
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Le 27 avril 1682 à Grenoble, naît Claudine-Alexandrine-

Sophie Guérin de Tencin,


baronne de Saint-Martin de l’isle de Ré, femme de lettres et salonnière française. Elle est la mère de d'Alembert, elle meurt le 4 décembre 1749 à Paris,

Religieuse malgré elle, elle s'enfuit à Paris. La vie monastique avait peu d'attraits pour elle; cinq ans après sa profession, elle sollicita et obtint de passer comme chanoinesse au chapitre de Neuville, près de Lyon. C'était un grand pas de fait vers la liberté. Elle ne s'y arrêta point.
Des ambitions politiques la poussèrent à devenir la maîtresse du Régent, de Dubois et d'autres hauts personnages. Elle rassembla dans son salon les plus grands noms des lettres et des arts, parmi lesquels Fontenelle, Montesquieu, Prévost et Marivaux. Elle publia des romans sensibles, les Mémoires du comte de Comminges en 1735 et les Malheurs de l'amour en 1747, le Siège de Calais en 1739 et Anecdotes de la cour et du règne d'Édouard II roi d'Angleterre en 1776. D'une de ses liaisons elle eut un fils qu'elle ne reconnut pas, et qui fut d'Alembert.
Après vingt-deux années passées de force au couvent, elle s'installe à Paris en 1711 et est introduite dans les milieux du pouvoir par ses liens avec le cardinal Dubois. Six ans plus tard, elle ouvrira l'un des salons les plus réputés de l'époque appelé le bureau d'esprit. D'abord essentiellement consacré à la politique et à la finance avec les spéculateurs de la banque de Law, ce salon devient à partir de 1733 un centre littéraire. Les plus grands écrivains de l’époque le fréquentent, en particulier Fontenelle, Marivaux, l’abbé Prévost, Charles Pinot Duclos et plus tard Marmontel, Helvétius, Marie-Thérèse Geoffrin et Montesquieu.
Madame de Tencin a publié aussi avec succès quelques romans dont les Mémoires du comte de Comminge en 1735, Le Siège de Calais, nouvelle historique en 1739 et Les Malheurs de l’amour en 1747.

Une Amazone dans un monde d’hommes

"On voit bien, à la façon dont Il nous a traitées, que Dieu est un homme."
La vie publique de Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin, baronne de Saint-Martin de l’Isle de Ré, est bien connue par les cinq biographies importantes qui lui ont été consacrées.
Alexandrine est née à Grenoble dans une famille de petite robe : son père, Antoine Guérin 1641-1705, seigneur de Tencin, sera tour à tour conseiller au Parlement du Dauphiné puis premier président au Sénat de Chambéry lors de l’occupation de la Savoie par la France. Sa mère est Louise de Buffévent.
Cadette de cinq enfants, Alexandrine est selon la coutume placée très tôt, à l’âge de huit ans, au proche monastère royal de Montfleury, une de ces riches abbayes où la règle de Saint-Dominique était assouplie. Elle répugne cependant à la vie monacale et ce n’est que contrainte et forcée qu’elle se résout à prononcer ses vœux le 25 novembre 1698. Pour dès le lendemain, cependant, avec l’aide de son directeur spirituel, dont Charles Pinot Duclos prétendra qu’il fut l’instrument aveugle qu’elle employa pour ses desseins, protester en bonne et due forme devant notaire, protestation qu’elle renouvellera de nombreuses fois au cours des années suivantes afin qu’elle ne soit point caduque.
Véridique ou non, l’accusation de Duclos, augure bien du courage et du caractère volontaire dont Mme de Tencin fera très tôt preuve pour s’opposer par tous les moyens tant à la tutelle parentale qu’aux coutumes du temps.

Sa ténacité portera ses fruits. Néanmoins, sœur Augustine devra attendre la mort de son père en 1705 et vaincre les résistances, l’hypocrisie de sa mère pour quitter Montfleury en 1708 et, après une cure à Aix pour redresser sa santé défaillante, trouver refuge l’année suivante... au couvent de Sainte-Claire à Annonay, où réside une de ses tantes, Mme de Simiane ! Quitter un couvent pour un autre couvent peut paraître étrange ; ce le fut pour ses contemporains. De mauvaises langues affirmèrent qu’elle trouva là un refuge idéal pour accoucher de jumeaux conçus à Aix dont le père aurait été Arthur Dillon, lieutenant-général du maréchal de Médavy. Cependant il est certain que ce soit là pure calomnie, car l’enquête de l’Officialité, qui devait fulminer le bref papal qu’elle obtint finalement le 2 décembre 1711, conclut à son innocence et la releva de ses vœux le 5 novembre 1712, jugeant qu’on lui avait effectivement fait violence lors de sa prise de voile. Ce jugement fut imprimé dès 1730. Ses ennemis cependant continuèrent à l’appeler la Chanoinesse de Tencin.
Alexandrine n’attendit pas son retour à la vie laïque pour dès la fin 1711, accompagnée de son chaperon Mme de Vivarais, se rendre à Paris. Elle s’établira quelque temps au couvent de Saint-Chaumont, puis, en raison de son état de santé, au couvent des dominicaines de la Croix. Ses vœux annulés, elle finit par s’installer chez sa sœur la comtesse Marie-Angélique de Ferriol d’Argental qui hébergeait déjà la célèbre Mlle Aïssé. Là, pendant les années qui suivirent, elle sut conquérir les hôtes du salon de sa sœur par la vivacité de son esprit, l’humour de ses réparties et par une faculté d’adaptation surprenante compte tenu de son peu d’expérience du monde.
Elle sut rattraper le temps perdu également... En avril 1717, enceinte de deux mois, elle signa avec les religieuses de la Conception un bail à vie pour un appartement de la rue Saint-Honoré, sis au-dessus du couvent de la Conception, vis-à-vis le Sot Dôme du couvent de l’Assomption, aujourd’hui l’Église polonaise. Elle y emménagea le 24 juin. Puis, en août, elle passa convention pour le reste de la maison contre le paiement d’un supplément. Elle put ainsi, après son accouchement, ouvrir son propre salon qui jusqu’en 1733 se consacrera essentiellement à la politique.
Dès cet instant, sa devise semble être de défier l’homme sur son propre terrain, ne serait-ce peut-être que pour se venger de ces vingt-deux années passées de force au couvent.

Devenue, au dire de Saint-Simon, la maîtresse publique du principal ministre, l'abbé puis cardinal Dubois, elle commença, avec le soutien de ce dernier, par aider à la carrière ecclésiastique et politique de son frère Pierre-Paul, 1679-1758, homme manquant de caractère et pour qui elle fit office, pour ainsi dire, de conscience virile. Puis, pour récompenser son illustre amant de ses largesses, elle n’hésita pas à devenir, comme l’écrit Pierre-Maurice Masson, un précieux agent d’information, et, le cas échéant, un truchement dans les affaires anglaises, en se servant de ses amis qui avaient accès aux hautes sphères du pouvoir.

À ces dons de politique, il convient d’ajouter également ceux de l’affairiste.

L’argent a occupé une place primordiale dans la vie de Mme de Tencin. Tous les moyens lui furent bons pour accroître sa fortune. Ainsi, son rang ne la prévint pas d’ouvrir le 28 novembre 1719 un comptoir d’agio à la rue Quincampoix et de créer une société en commandite, équivalent ancien d’une société d’investissement à capital variable, vouée explicitement à la spéculation sur les actions. Pour ce faire, il fallait des fonds : sur un capital de trois millions et demi de livres, elle apporta la somme de 691 379 livres tournois, soit sa légitime qu’elle avait déjà triplée en la plaçant à fonds perdu sur l’extraordinaire des guerres, suivies des participations du Président Hénault, de plusieurs membres de sa famille et de quelques amis dont le chevalier Louis Camus des Touches dit Destouches-Canon.
La Financière Tencin-Hénault ne vécut que trois mois : bénéficiant des précieux conseils du financier Law et surtout de Dubois, son amant, elle réussit à tripler une nouvelle fois sa fortune en vendant ses parts à temps pour partager les bénéfices du système de Law avec quelques-uns de ses associés.
Elle alla même jusqu’à s’acoquiner avec des financiers véreux, comme le prouvent à l’évidence ses lettres d’affaires.
Cette âpreté au gain trouve cependant quelque excuse. Ainsi que l’écrit P.-M. Masson :
"ce qui met quelque noblesse, ou du moins quelque désintéressement dans tous ces tripots, c’est que Madame de Tencin ne fait la chasse à l’or que pour la faire plus sûrement au pouvoir, et ne les conquiert tous deux que pour ce frère médiocre, en qui elle a placé toutes ses ambitieuses espérances".
Régner donc, mais régner par procuration à cause de l’injustice de l’époque qui cantonnait la femme dans un rôle d’animal domestique, telle fut la volonté selon le mot de Diderot, de la belle et scélérate chanoinesse Tencin . Et pour ce faire, elle se fit bigote, elle qui l’était naturellement si peu.
Il n’est lieu d’entrer ici dans les ténébreux détails du concile d’Embrun en 1727 qui opposa le frère tant aimé d’Alexandrine au vieil évêque janséniste de Senez, Jean Soanen. Il nous suffira de savoir que pour l’occasion, Madame de Tencin transforma son salon en centre d’agitation ultramontaine : tout ce qui était sous sa main fut employé à la défense de son frère et de Rome. Ainsi en est-il par exemple d’un Fontenelle ou d’un Houdar de la Motte, pour ne citer qu’eux, qui durent composer la plupart des discours de l’évêque Pierre-Paul Guérin de Tencin. Elle-même mit également la main à la pâte, et ce fut là sans doute sa première activité littéraire, en envoyant toutes les semaines au gazetier de Hollande le bulletin tendancieux des travaux du Concile qui condamna finalement Soanen.
Cet excès de zèle ne lui profita pourtant pas : le cardinal de Fleury, lassé de la faire surveiller jour et nuit, résolut le 1er juin 1730, pour le bien de l’État, de l’exiler le plus loin possible de la capitale.
Après quatre mois de retraite à Ablon où sa sœur possédait une maison de campagne, permission lui fut accordée de revenir à Paris, en raison de sa santé défaillante.

Ayant retenu la leçon, pendant les dix années qui suivirent, son activité, quoique toujours aussi débordante, se fit plus discrète15. Désormais, elle réserve le meilleur de son temps à son salon qui devient un centre exquis de littérature et de conversations fines. Les plus grands écrivains de l’époque, qu’elle recueillit du salon de la marquise de Lambert en 1733, s’y pressèrent. On y vit, entre autres, Fontenelle, l’ami de toujours, Marivaux, qui lui doit son siège à l’Académie en 1742 et le renflouage incessant de ses finances, l’abbé Prévost, Duclos et plus tard Marmontel, Helvétius, Marie-Thérèse Geoffrin et Montesquieu, son petit Romain, qu’elle aidera à la première publication sérieuse De l'esprit des lois en 1748, après la première édition estropiée de Genève en 1748.
Des écrivains – sauf Voltaire, le géomètre ainsi qu’elle le surnomme dans ses lettres, qu’elle croisa à la Bastille et qu’elle n’aimait guère –, mais également les plus grands savants de l’époque, des diplomates, des financiers, des ecclésiastiques et des magistrats de toute nationalité qui portèrent le renom de son salon bien au-delà de la France. Un jour, le mardi, cependant était réservé uniquement à la littérature. Dans une atmosphère de grande familiarité, ses amis écrivains, qu’elle appelait ses bêtes, venaient présenter leurs derniers écrits ou assister à la lecture d’œuvres de jeunes débutants, à qui Alexandrine manquait rarement de donner quelques judicieux conseils. Souvent également ils se livraient aux plaisirs de la conversation et s’adonnaient à leur sujet préféré, la métaphysique du sentiment. D’après Delandine, ce seraient même eux qui auraient remis à la mode ces questions de casuistique sentimentale qui, par leur abstraction même, permettent les opinions les plus subtiles et les plus paradoxales. Nul n’excellait d’ailleurs plus à ce genre d’esprit que la maîtresse de maison qui goûtait tout particulièrement maximes et tours sentencieux. Elle en a, du reste, parsemé ses romans qui, de ce fait, ainsi que l’écrit Jean Sareil, donnent souvent l’impression d’être le prolongement romancé des conversations qui se tenaient dans son salon, et dont voici quelques-uns tirés des Malheurs de l’amour en guise d’illustration : Lorsque l’on n’examine point ses sentiments, on ne se donne pas le tourment de les combattre ; Le cœur fournit toutes les erreurs dont nous avons besoin ; On ne se dit jamais bien nettement qu’on n’est pas aimé ; La vérité est presque de niveau avec l’innocence …

Car c’est en effet à cette époque qu'Alexandrine publia anonymement, avec un succès immédiat, ses deux premiers romans : faut-il y voir une reconversion ? Rien n’est moins sûr, car si depuis 1730 elle a mis une sourdine à ses intrigues religieuses, politiques et affairistes, elle est loin de les avoir abandonnées. En effet, depuis son retour d’exil, son grand projet est de faire de son frère un cardinal. Mais, pour cela, il faut l’accord du roi Louis XV, pour qui, ainsi qu’elle l’écrit dans sa correspondance, tout ce qui se passe dans son royaume paraît ne pas le regarder, sauf peut-être les intrigues d’Alexandrine qui lui donne, ce sont ses mots, la peau de poule . Peu lui chaut. Si elle ne peut l’atteindre directement, ce sera indirectement. Et pour cela, elle n’hésitera pas à jouer les entremetteuses. Elle procurera des maîtresses au roi qui se devront de réciter les livrets hagiographiques du frère tant aimé. Cette stratégie portera ses fruits, notamment grâce à l’aide de la duchesse de Châteauroux. Pierre Guérin de Tencin devient cardinal-archevêque de Lyon en 1740 et ministre d’état deux ans plus tard. Mme de Tencin se trouve alors au faîte de sa puissance et parvient peu à peu à faire oublier ce que ses débuts eurent de scandaleux en conquérant des amitiés célèbres et édifiantes, telle celle du pape Benoît XIV.
Après la mort de Fleury en 1743 et de la duchesse de Châteauroux en 1744, Claudine perd toute influence à la cour. Jean Sareil nous apprend que son nom disparaît alors à peu près complètement de l’actualité politique et qu’en dehors des cercles littéraires, elle n’est presque plus mentionnée . Aussi, c’est une femme désillusionnée et déçue, elle n’a pu réussir à faire son frère premier ministre à la mort de Fleury qui retourne à sa ménagerie, ainsi qu’elle nommait son salon, non sans abandonner toute velléité de pouvoir, comme le montre à l’envi le fait qu’elle n’hésita pas ces années-là, à grands coups de procès, à acculer à la ruine deux orphelins pour s’adjuger la baronnie de l’île de Ré. Pourtant son énergie tarit peu à peu. Sa santé se dégrade : devenue impotente et obèse, elle ne sort pratiquement plus de son nouvel appartement de la rue Vivienne. En 1746, une maladie du foie manque de l’emporter. Ses yeux la font souffrir et elle se voit obligée de dicter ses écrits. C’est dans ce contexte de désillusion et de maladie qu’elle écrit son dernier roman : Les Malheurs de l’amour, publié en 1747. Cette œuvre magistrale met en scène une narratrice vieillie, Pauline, retirée à l’abbaye Saint-Antoine, qui après avoir perdu l’être aimé se décide à prendre la plume pour échapper à la réalité extérieure. N’y a-t-il pas un peu d’Alexandrine dans ce personnage ? Une Alexandrine déçue peut-être d’avoir toujours sacrifié en vain ses sentiments sur l’autel du pouvoir et qui se retrouve seule, abandonnée, si ce n’est du dernier quartier des fidèles, Marivaux, Fontenelle, son docteur et héritier Jean Astruc, qui continuaient à la visiter ? Il est bien difficile de le dire avec certitude. Mais si l’on considère le personnage de Pauline et que l’on se souvient de l’Épître Dédicatoire enflammée du roman, adressée à un homme, est-il vraiment impossible d’imaginer une Mme de Tencin timide et sensible qui, marquée dans sa jeunesse par l’autorité d’un père, l’hypocrisie d’une mère et la légèreté des hommes se vengea en se muant en une femme de raison que rien n’atteint ? Et de regretter, bien des années plus tard, en écrivant des mémoires fictifs, de n’avoir choisi la voie du cœur sur laquelle elle lance son héroïne ? Si tel est le cas, il conviendrait alors de voir en Les Malheurs de l’amour non seulement un roman-mémoires sentimental optimiste, mais également en contre-jour celui de l’échec d’une vie, la sienne. Ce qui est assuré cependant, c'est qu'elle mit le reste de ses forces les derniers mois de sa vie dans un ultime combat contre la censure, afin que De l'esprit des Lois de son ami Montesquieu pût enfin être édité.
"Puisse-t-elle être au ciel, elle parlait avec tant d’avantage de Notre modeste personne" écrivait le pape Benoît XIV à la mort de Mme de Tencin survenue le jeudi 4 décembre 1749 vers les cinq heures dans son second appartement de la rue Vivienne. La vindicte populaire, quant à elle, lui réserva d’autres éloges :

Crimes et vices ont pris fin
Par le décès de la Tencin.
Hélas ! me dis-je, pauvre hère,
Ne nous reste-t-il pas son frère ?
Elle fut inhumée en l'église Saint-Eustache à Paris.

Un cœur au service de la raison

Au goût immodéré de Mme de Tencin pour le pouvoir, il convient également d’associer, au contraire de ses héroïnes, celui prononcé pour la galanterie. En effet, si elle sut à la fin de sa vie se forger une image de respectabilité, en se faisant passer pour une Mère de l’Église, il n’en demeure pas moins que jusqu’à un âge fort avancé, elle ne cessa de défrayer la chronique scandaleuse de l’époque par ses aventures galantes dans la grande société parisienne. Intrigante le mot revient et chez le maréchal de Villars et chez Mme de Genlis accoutumée à faire tous les usages possibles de son corps et de son esprit pour parvenir à ses fins, opinion que partage également Saint-Simon, elle devint très tôt la cible des nouvellistes qui lui prêtèrent de nombreux amants. Le critique Pierre-Maurice Masson prétend même que « ses amants, qui ne sont pas toujours des amants successifs, s’étalent si nombreux et si publics qu’ils ne peuvent même plus s’appeler des amants, et que le vieux nom gaulois, dont les chansonniers d’alors ne font pas faute de la qualifier, paraît à peine un peu vif. Amants vraiment ? Ou amis ? Il est parfois très difficile de trancher.
La rumeur très tôt l'a associée intimement aux plus hautes sphères du pouvoir. Dès 1714, elle devient la maîtresse en titre de l'abbé Dubois qui n'a pas encore prononcé ses vœux et qui aidera à la carrière de Pierre-Paul de Tencin. Ce premier amant pourrait même lui avoir dicté les suivants. Le Régent par exemple, qu’elle lassa à force de plaider la cause du Prétendant et qui la renvoya, selon Duclos, d’un mot très dur, il se plaignit qu’ il n’aimait pas les p… qui parlent d’affaires entre deux draps. On peut y ajouter encore un lieutenant de police, le comte d’Argenson, sous la protection duquel elle put agioter en toute tranquillité lorsqu’il devint garde des Sceaux, son fils qui reprit la charge et la maîtresse !, le comte de Hoym et le duc de Richelieu, son meilleur atout à la cour.

La liste fournie par les chroniqueurs de l’époque s'étend encore à des politiques. On y trouve des noms célèbres, Lord Bolingbroke, Matthew Prior, grâce à qui elle pénètre les dessous de la politique étrangère, ou ce Charles-Joseph de La Fresnaye (dont le nom ressemble étrangement au détestable petit maître des Malheurs de l’amour !, Banquier expéditionnaire en cour de Rome, avocat puis conseiller au Grand Conseil, qui fut utile au frère et à la sœur dans des placements d’argent. Elle dut d’ailleurs se résoudre à abandonner ce dernier amant qu’elle adorait véritablement : accoutumé au jeu et à l’agiotage, il n’arrivait plus à rembourser les divers prêts qu’Alexandrine lui avait accordés et, de surcroît, se permettait de la calomnier un peu partout. Pour une fois d’ailleurs, elle manqua de prudence : La Fresnaye, ayant perdu l’esprit et toute sa fortune, eut la fâcheuse idée de venir se suicider dans l’arrière salon de notre bonne Alexandrine qui n’y put mais 6 avril 1726 ; tout en ayant pris soin au préalable, dans un testament, de la rendre responsable de sa mort. Cette aventure valut à Madame de Tencin le Châtelet, puis la Bastille où on ne la ménagea point : elle fut confrontée nuitamment avec le cadavre exhumé et à demi putréfié de La Fresnaye et, un malheur n’arrivant jamais seul, dut souffrir encore les railleries de son illustre voisin de cellule, Voltaire, l’infâme géomètre. Elle ne sortit de cet enfer que trois mois plus tard, acquittée et… légalement enrichie des dépouilles de sa victime !
On le voit pour Madame de Tencin, il semble qu’aimer, ce soit aimer utilement, et que le verbe s’attacher n’ait comme unique objet, que le mot pouvoir. La plupart de ses amitiés, toutes ses galanteries, semblent se succéder pour ainsi dire, dans le silence de son cœur et même des sens : avoir un ami, c’est pour elle prendre un parti ; se donner un amant, c’est travailler à un dessein. Chez elle, tout est volonté ; chaque désir tend impérieusement à sa réalisation, et les mouvements de l’esprit s’achèvent en effort et en lutte, nous prévient P.-M. Masson.
Elle-même, dans sa correspondance, n’hésite pas à avouer un certain arrivisme, témoin cet extrait d’une lettre du 1er août 1743 adressée au duc de Richelieu :
"Une femme adroite sait mêler le plaisir avec les intérêts généraux, et parvient, sans ennuyer son amant, à lui faire faire ce qu’elle veut."

Il ne faudrait conclure trop rapidement à une femme sans cœur. En effet, on ne connaît d’elle que ses liaisons publiques qui sont avant tout des affaires.
Rien de transpire jamais, dans sa correspondance, de sa vie privée. A-t-elle connu le véritable amour, à l’instar de la plupart des héroïnes de ses romans ? Les dédicaces de plusieurs de ses romans tendraient à le prouver. Toutefois, on peut y voir également ruse d’auteur voulant à tout prix protéger son anonymat, ainsi qu’il seyait aux femmes de qualité de l’époque, en détournant les soupçons du public. Du reste, il ne serait guère aisé de donner quelque nom à l’heureux élu : Jean Astruc, son médecin et amant depuis 1723, qui hérita en sous-main de plusieurs centaines de milliers de livres ? Sir Luke Schaub, qu’elle appelait mon mari ? Le duc de Richelieu ? :
"Je vous aime et vous aimerai tant que je vivrai plus que vous n’avez été aimé d’aucune de vos maîtresses et plus que vous ne le serez de personne."
Ou pourquoi pas le beau Destouches-Canon, lieutenant-général de l’artillerie, dont la famille empêcha le mariage avec Alexandrine. De leurs amours illégitimes naquit un fils – le futur d'Alembert ! –, qu’elle abandonna le lendemain – de gré ou de force, on ne sait –, le 17 novembre 1717, sur les marches de l’église Saint-Jean-le-Rond à Paris. Ce fut Destouches qui se chargera seul de l’entretien et de l’éducation de cet enfant placé finalement chez une nourrice, la bonne dame Rousseau. Alexandrine n’ira le voir – et rapidement encore – qu’une seule fois en 1724…

Une œuvre encensée et une femme du monde décriée

S’il se trouve fort peu de gens au XVIIIe siècle pour critiquer les ouvrages ou le salon de Mme de Tencin, il est frappant de constater à quel point ses intrigues sentimentales, affairistes, religieuses ou politiques ont par contre soulevé l’indignation générale de l’époque : Saint-Simon, ainsi que la plupart des mémorialistes, ne manque jamais de la fustiger dans ses Mémoires ou ses Annotations au journal du marquis de Dangeau, de même que les chansonniers qui s’en donnent à cœur joie pour latrainer dans la boue au moindre éclat ; sans parler des attaques qui fusent de ses proches, telles celles de la fameuse Mlle Aïssé, dont le nom n’est pas sans évoquer celui de Mlle d’Essei, l’une des héroïnes des Malheurs de l’amour, qui dans sa correspondance ne se prive pas de l’égratigner à plusieurs reprises. Plus tard, après sa mort, vers la fin du siècle, sa réputation fut encore plus ternie. Comme l’écrit Jean Decottignies, elle fut englobée dans la réprobation systématique qu’encourait la société dont elle avait fait partie. Désormais, la légende de Mme de Tencin n’appartient plus à la cabale, mais à l’histoire, – s’il est permis d’appliquer ce mot aux entreprises de Soulavie et de ses pareils. C’était l’époque de la découvertes des Mémoires secrets, de la révélation des correspondances clandestines. Toute la corruption d’une époque s’incarna en Mme de Tencin. Cette deuxième vague laissa son souvenir définitivement terni .

Les laudateurs de la belle et scélérate de Tencin, selon le mot de l’époque, ne sont pas nombreux. On y recense un Piron qui la loue systématiquement, un mystérieux témoin anonyme qui, sous le nom du Solitaire des Pyrénées, nous décrit en 1786 dans le Journal de Paris les charmes de son salon, et surtout Marivaux. Ce dernier, dans la Vie de Marianne, donne en effet un portrait avantageux de Mme de Tencin, ou plutôt de Mme Dorsin, puisque tel est le nom sous lequel il a choisi de lui rendre hommage :
"Il me reste à parler du meilleur cœur du monde, en même temps du plus singulier …. J’ignore si jamais son esprit a été cause qu’on ait moins estimé son cœur qu’on ne le devait, mais … j’ai bien été aise de vous disposer à voir sans prévention un portrait de la meilleure personne du monde … qui avait un esprit supérieur, ce qui faisait d’abord un peu contre elle.
Un tel portrait est exceptionnel chez les écrivains de l’époque qui, connaissant la dame et ses frasques, préféraient être discrets à son sujet, choisissant de passer sous silence ses turpitudes – c’est le cas d’un Fontenelle, d’un Montesquieu ou d’une Madame du Deffand – ; soit, à l’instar d’un Marmontel, d’adopter une attitude de stricte neutralité par rapport à des rumeurs qu’ils ne pouvaient ignorer.
On le voit, la réputation de Mme de Tencin n’était donc pas des meilleures tout au long du siècle et nous ne pouvons que souscrire aux jugements plutôt négatifs de ses contemporains. Pourtant, sans vouloir faire œuvre de réhabilitation, il convient de remarquer que la personne valait certainement mieux que sa réputation. En effet, étant une femme en vue, au cœur de toutes sortes d’intrigues et, pour reprendre le mot de Marivaux, à l’esprit supérieur, elle fut tout naturellement en butte à la jalousie et à la diffamation. De surcroît, ces calomnies, et c’est sans doute ce qui lui a causé le plus de tort, elle ne les a jamais réfutées, car, à l’instar du marquis de La Valette des Malheurs de l’amour, elle semble ne jamais avoir fait cas de sa réputation qu’autant qu’elle était appuyée du témoignage qu’elle se rendait à elle-même. Elle faisait ce qu’elle croyait devoir faire, et laissait juger le public.
À ce mépris pour sa réputation s’ajoute encore un activisme forcené qui n’a pu qu’irriter la bonne société de l’époque. On connaît le statut juridique de la femme de l’Ancien Régime : il équivaut à celui de serve. Son rôle social consistait, de par son sexe, à obéir. Ce point de vue était d’ailleurs partagé par la plupart des participants – tant masculins que féminins ! – au débat pour déterminer qui devait gouverner dans la société. Alexandrine n’a pu que souffrir de ce préjudice social, elle qui ne s’épanouissait que dans l’action et qui n’avait rien de la femme passive que l’on rencontre encore dans nombre de romans de la première moitié du siècle. En fait, elle était très peu femme. Son esprit, ainsi que l’écrit Marivaux dans les Étrennes aux Dames, possédait toute la force de celui de l’homme. L’aspect mâle de son caractère, également souligné par Delandine, était même si prédominant que la bonne baronne dut être rappelée à l’ordre par le cardinal de Fleury :
"Vous me permettrez de vous dire qu’il s’en faut beaucoup que vous meniez une vie retirée et que vous ne vous mêliez de rien. Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit et d’être de bonne compagnie; et la prudence demande qu’on se mêle – et surtout une personne de votre sexe – que des choses qui sont de sa sphère. Le roi est informé avec certitude que vous ne vous renfermez pas toujours dans ces bornes… lettre du 15 juin 1730 "
Ces bornes, elle eut bien de la peine à les respecter, tant elle méprisait son sexe. La femme, pour elle, n’est qu’un moyen pour contrôler les hommes. Et un moyen peu sûr encore, car la tête d’une femme est une étrange girouette quand il s’agit d’agir, gâtant tout par ses bavardages et son inintelligence du réel. À ses yeux, il est évident que les hommes dépassent de loin les femmes, et elle ne se prive pas de l’affirmer, avec une orthographe bien à elle, dans une de ses lettres autographe :
"Il auroit été mille fois plus galan de me convincre que j’avois tort quand je soutenois contre vous le comte de Hoym que les hommes l’emportoit sur les dames, mesme pour le stille. lettre manuscrite du 9 mai 1718 "

Femme forte que rien n’abat, femme au-dessus de bien des hommes, elle n’a pu que choquer par sa pugnacité devant les brimades sociales, son mépris pour la vertu traditionnelle, son extrémisme dans les passions et la toute puissance de sa raison que rien, pas même le cœur, n’arrêtait. À tel point que nombre de lecteurs se sont demandé comment une femme du caractère de Mme de Tencin avait pu concevoir des romans emplis de sensibilité où s’expriment des âmes tendres et délicates, des romans si pauvres de vice et de couleur. Pierre-Maurice Masson prétend même qu’on chercherait en vain la femme cynique et hardie que fut Mme de Tencin. Mais est-ce là bien lire ses romans ? Font-ils vraiment l’apologie de la vertu en consacrant des héroïnes douces et soumises ? Valorisent-ils vraiment la toute puissance du cœur sur la raison ? Rien n’est moins certain. En fait, nombre d’événements importants de la vie d’Alexandrine s’y trouvent transposés et certains traits audacieux de son caractère, certaines de ses valeurs subversives s’y trouvent également développés. L’examen de l’univers moral de ses romans, une fois le vernis classique enlevé, le prouve à l’envi : la distance entre l’œuvre et l’auteur n’est qu’apparente, confirmant ainsi la tradition orale de l’époque. Mme de Tencin y est tout entière, non pas incarnée dans tel ou tel personnage féminin, mais disséminée en chacun d’eux et ce n’est pas la moindre de nos surprises que de la voir apparaître soudain au détour de quelque page…

La fortune littéraire des œuvres

Après le coup de semonce de Fleury en 1730, Mme de Tencin jugea préférable de se consacrer désormais – quoique non exclusivement – à la tâche de présidente de sa ménagerie » dont la réputation allait devenir européenne. C’est là, qu’entourée des plus grands écrivains de l’époque, elle rédigea ses premières œuvres. Reconversion ? Désir de faire oublier des scandales qu’elle eût préférés moins notoires, de rendre hommage à l’homme qu’elle aimait ? Ou, ainsi que le pense P.-M. Masson, pour faire à sa manière œuvre d’art, pour purifier, en quelque sorte, son passé et reconquérir une certaine estime par le sérieux et la distinction de sa plume ? Il n’est guère aisé de trancher, Mme de Tencin ne s’étant jamais expliquée sur les raisons qui la poussèrent à prendre la plume. Toutefois, comme elle n’a jamais cessé d’intriguer ni reconnu publiquement aucun de ses ouvrages, il est préférable de penser avec Delandine qu’ en voyant les savants les plus goûtés dans la capitale, qu’en appréciant leurs ouvrages, elle eut envie d’en faire elle-même … et que la littérature fut pour elle un moyen de se délasser de ses orages, comme un voyageur à qui le désir d’être heureux, a fait braver les flots, les écueils et les tempêtes, profite d’un moment de calme pour écrire ses observations, et confier à ses amis éloignés, et ses espérances et ses dangers.
Quelles que fussent ses motivations réelles, elle publia anonymement chez Néaulme Paris en 1735, sans privilège, un court roman-mémoires de 184 pages in-12 : Mémoires du comte de Comminge. Le succès fut immédiat, comme le prouve le fait qu’il fut réédité l’année même. Et pour une fois, la critique et le public apprécièrent de concert : ils furent unanimes à apprécier les qualités littéraires de l’ouvrage. L’abbé Prévost, dans le Pour et contre, y loue la vivacité, l'élégance et la pureté du style, assurant que la nouvelle se fait lire de tout le monde avec goût, et le critique d’origine suisse La Harpe, dans son Lycée ou cours de littérature ancienne et moderne en 1799, ira même jusqu’à la considérer comme le pendant de la Princesse de Clèves. Le roman eut même une vogue européenne : très rapidement on en fit des traductions anglaise en 1746, puis italienne en 1754 et espagnole en 1828. Il inspira même une héroïde à Dorat et une nouvelle à Mme de Gomez. Pour Delandine, Madame de Tencin devrait servir de modèle. Et elle le fut, puisque sa nouvelle connut vers la fin du siècle cette forme populaire de la gloire que donnent les imitations et les contrefaçons. On l’adapta également au théâtre : Baculard d’Arnaud par exemple s’en inspira pour son drame Les Amans malheureux en 1764. Avec plus de cinquante rééditions jusqu’à la Première Guerre Mondiale, l’ouvrage est resté très présent sur la scène du livre. Après un purgatoire d’une cinquantaine d’années, il fut redécouvert dans les années soixante et depuis constamment réédité.
Quatre ans plus tard, en 1739, parut sans nom d’auteur à Paris et toujours sans privilège, le second ouvrage de Mme de Tencin : Le Siège de Calais, nouvelle historique, roman en deux volumes composé sous la forme d’un récit à tiroirs. Il souleva également un enthousiasme universel et tout comme le précédent se verra comparé au chef-d’œuvre de Mme de La Fayette. Comparaison pour le moins étrange en fait, car si le style est magnifique, la retenue des personnages l’est moins, le roman débutant là où finissent tous les autres… :
"Il étoit si tard quand le comte de Canaple arriva au château de Monsieur de Granson, et celui qui lui ouvrit la porte étoit si endormi, qu’à peine put-il obtenir qu’il lui donnât de la lumière. Il monta tout de suite dans son appartement dont il avoit toujours une clef; la lumière qu’il portoit s’éteignit dans le temps qu’il en ouvrit la porte; il se déshabilla, et se coucha le plus promptement qu’il put. Mais qu’elle fut sa surprise, quand il s’aperçut qu’il n’étoit pas seul, et qu’il comprit, par la délicatesse d’un pied qui vint s’appuyer sur lui, qu’il étoit couché avec une femme ! Il étoit jeune et sensible : cette aventure, où il ne comprenoit rien, lui donnoit déjà beaucoup d’émotion, quand cette femme, qui dormoit toujours, s’approcha de façon à lui faire juger très avantageusement de son corps. De pareils moments ne sont pas ceux de la réflexion. Le comte de Canaple n’en fit aucune, et profita du bonheur qui venoit s’offrir à lui."
On le voit, ces deux ouvrages ont été jugés dignes d’être placés au nombre des chefs-d’œuvre de la littérature féminine du temps et leur succès alla même croissant jusque vers le milieu du XIXe siècle, avec une réédition tous les deux ans entre 1810 et 1840. Ils furent, par ailleurs, encore souvent réédités entre 1860 et 1890 et leur gloire ne s’éteindra finalement qu’à l’aube du XXe siècle. C’est dire si le XIXe siècle les goûta encore énormément. Le critique Villemain, dans son Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle en 1838 écrira même que Mme de Tencin est l’auteur de quelques romans pleins de charme parmi lesquels les Mémoires du comte de Comminge, représente certainement le plus beau titre littéraire des femmes dans le XVIIIe siècle. Opinion partagée encore quelque cent ans plus tard par le critique Marcel Raymond.
C’est grâce à ces deux romans que le nom de Mme de Tencin survivra littérairement jusqu’à la fin du XIXe siècle. Elle est encore pourtant l’auteure de deux autres ouvrages : les Malheurs de l’amour en 1747, véritable perle de la littérature du XVIIIe, et d’un roman inachevé, de facture plus surannée, les Anecdotes de la cour et du règne d’Édouard II, roi d’Angleterre.
Les Anecdotes furent publiées après sa mort en 1776, chez le libraire Pissot à Paris, avec approbation et privilège du roi. Alexandrine n’est l’auteure que des deux premières parties, les suivantes sont l’œuvre de Anne-Louise Élie de Beaumont qui, vingt-cinq ans après la mort de Mme de Tencin, décida de finir l’ouvrage que celle-ci avait laissé inachevé. De toute évidence, Madame de Tencin jouissait donc encore dans ces années-là d’une grande réputation. Comment expliquer, sinon, qu’un écrivain aussi célèbre qu’Élie de Beaumont, l’auteure des fameuses Lettres du marquis de Rozelle en 1764, encensées de toute la critique, et femme du plus célèbre encore avocat des Calas, décidât de terminer le roman d’une autre au lieu de donner à nouveau au public une œuvre de son cru. Malgré tout son savoir-faire, l’ouvrage passa néanmoins presque inaperçu. Pierre-Maurice Masson nous indique qu’il n’a été réédité que huit fois jusqu’au début du XXe siècle, et toujours dans les œuvres complètes de Mme de Tencin, alors qu’on recense par exemple plus d’une quarantaine de rééditions des Mémoires du comte de Comminge. La critique est, quant à elle, généralement muette à son sujet. C’est probablement que la structure baroque de l’œuvre, faite d’histoires enchâssées et de rebondissements improbables, ne plaisait plus à l’époque et il y a fort à parier, ainsi que le pense Joël Pittet, que c’est là une œuvre de jeunesse que Mme de Tencin a tôt abandonnée.
Il reste à signaler, avant de revenir à l’examen des Malheurs de l’amour réédités au début du siècle, Desjonquères, 2001, qu’on lui attribue encore trois autres ouvrages. Elle aurait ainsi écrit vers 1720 une Chronique scandaleuse du genre humain, histoire ordurière et manuscrite des actions crapuleuses des libertins connus par l’histoire de toute l’antiquité et composée à l’usage de Dubois et du Régent écrit P.-M. Masson pour qui l’ouvrage serait assez du genre de la dame. Cette chronique n’a jamais été retrouvée. D’après Jules Gay, elle fut très probablement détruite par nos cafards molinistes ou jansénistes, méthodistes ou révolutionnaires. On lui attribuait également Chrysal ou les aventures d’une guinée en 1767 qui est en fait de l’Anglais Charles Johnstone. Reste enfin l’épineux problème que soulève l’Histoire d’une religieuse écrite par elle-même. En effet, en mai 1786 paraît à Paris, dans la Bibliothèque universelle des romans, cette courte nouvelle de vingt-quatre pages in-16, qu’une note des éditeurs attribue à Mme de Tencin : ce serait là le fruit des premiers amusements de la jeunesse de notre auteur, qu’elle aurait remis entre les mains de son ami l’abbé Trublet. Convient-il d’accorder quelque crédit à cette note ? La critique du XXe siècle – celle des deux siècles précédents ainsi que les répertoires bibliographiques du XIXe siècle passant complètement sous silence cette nouvelle qui n’eut jamais de réédition – reste partagée : Pierre-Maurice Masson, Georges May, Henri Coulet et Pierre Fauchery pensent qu’elle en est l’auteure, sans pourtant en fournir la preuve absolue, tandis que Jean Sareil, Jean Decottignies, Martina Bollmann, auteure d’une thèse remarquable sur les romans de Mme de Tencin, et Joël Pittet sont d’avis contraire. Une thématique différente, l’absence de tout dialogue, des différences importantes dans le traitement psychologique et dans le vocabulaire de cette œuvre semblent aller pourtant dans le sens de la non attribution. Un autre fait vient encore corroborer cette prise de position : l’abbé Trublet était mort depuis seize ans, quand parut cette histoire. Pourquoi alors avoir attendu si longtemps avant de la publier ? Selon le critique Franco Piva, elle serait en fait de Jean-François de Bastide.
S’il convient donc très certainement de considérer l’Histoire d’une religieuse comme un pastiche adroit, cette nouvelle n’en reste pas moins intéressante à plus d’un titre : elle souligne en premier lieu l’engouement pour Mme de Tencin vers la période révolutionnaire, engouement que confirment en 1786 les deux premières éditions de ses œuvres complètes ainsi que la publication de ses pseudo-mémoires secrets en 1792. Qui plus est, elle fournit de précieux renseignements sur la fortune littéraire des Malheurs de l’amour en montrant que ce roman, qui a largement inspiré Jean-François de Bastide, répondait encore au goût de la fin du XVIIIe siècle.
Avant que d’examiner plus avant ce dernier roman, petit chef-d’œuvre d’écriture classique qui exprime pourtant au mieux les idées novatrices et subversives de Mme de Tencin, il convient encore de dire un mot des problèmes d’attribution.

Une attribution quelque temps contestée

La fortune littéraire de Mme de Tencin ne coïncide pas avec celle de ses œuvres. En effet, si la critique de nos jours attribue unanimement à la divine baronne la maternité des quatre ouvrages précités, son œuvre lui fut longtemps disputée.
À l’instar la plupart des femmes de lettres de son époque, Alexandrine publia ses ouvrages sous le couvert de l’anonymat, jugeant qu’il ne seyait à une dame de qualité – on se souvient à cet effet que la marquise de Lambert se crut déshonorée lorsqu’elle vit imprimer les Avis d’une mère à sa fille – de condescendre à l’écriture. À moins que ce ne fût pour éviter de fournir elle-même des armes à ses ennemis, de peur qu’ils n’y trouvassent des aventures qui pouvaient paraître avoir été inspirées des siennes. Quoi qu’il en soit, par préjugé nobiliaire ou par peur du public, elle ne recueillit pas de son vivant le bénéfice de son succès.
Pas tout à fait, il est vrai, cependant, car ces sortes de secrets ne se gardent guère. C’est ainsi que le nom de Mme de Tencin ne tarda pas à circuler sous le manteau, comme le prouve une lettre de l’abbé Raynal en 1749 à un correspondant étranger, dans laquelle il signale qu’il convient d’attribuer à Alexandrine trois ouvrages pleins d’agrément, de délicatesse et de sentiments dont il donne les titres. Ses bêtes les familiers de son salon étaient d’ailleurs certainement dans la confidence et, bien qu’ils gardassent, pour la plupart, le silence, un poème de Piron, en termes à peine voilés, laisse entendre la véritable identité du plus accompli des trois romans. Il s’agit de Danchet aux Champs-Élysées qui décrit un cercle de neuf Muses, rencontré au séjour des Bienheureux, dont Alexandrine doit un jour occuper le siège présidentiel :

Car vous seule y devez prétendre,
Vous seule y monterez un jour,
Vous dont le pinceau noble et tendre
A peint les malheurs de l’Amour.

À part ces quelques indications éparses, dans les trente années qui suivirent la première publication de Mme de Tencin en 1735, on ne trouve aucun témoignage imprimé où le nom de l’auteur soit explicitement donné. Aussi la rumeur se plut à attribuer ces trois romans à d’autres écrivains, et principalement à ses propres neveux : d’Argental et Pont-de-Veyle, nouveaux Segrais d’une nouvelle Lafayette. Mais n’est-ce pas encore là en fin de compte la meilleure manière de les attribuer à Alexandrine ? Il est en effet pour le moins curieux que ces pères putatifs fussent choisis dans sa propre famille ; et de là à imaginer qu’elle ait elle-même attisé, sinon répandu, cette rumeur pour qu’on ne séparât pas tout à fait ces ouvrages de son lignage, il n’y a qu’un pas que l’on peut aisément franchir. Elle tient en tout cas d’Argental en piètre estime et, si l’on pourrait admettre qu’elle prit quelque collaborateur, elle l’eût certainement choisi moins sot :
"Vous ne connaissez pas d’Argental écrit-elle en 1743 au duc de Richelieu ; c’est une âme de chiffe, qui est incapable de prendre part aux choses qui ont quelque sérieux. Il n’est capable de rien que de nigauderies et de faiblesse. "
Quant à Pont-de-Veyle, ses comédies comme le Complaisant en 1733 ou le Fat puni en 1738 ressemblent trop peu aux romans sensibles et subversifs de Mme de Tencin pour qu’on puisse retrouver entre ceux-ci et celles-là quelque affinité littéraire.
Trois théories s’affrontent donc dans le public jusqu’en 1767 : il y a les gens instruits qui savent ce qu’il en est, ceux qui penchent pour une collaboration entre la tante et les neveux, et ceux qui n’accordent, comme Voltaire qui la détestait, la paternité des œuvres qu’aux seuls neveux. Ainsi ce dernier, dans un billet non daté tout à fait partial à Mme Denis, n’écrit-il pas :
"Carissima, sono in villeggiatura a Versailles …. Corre qui un romanzo il cui titolo, è Le Infelicita dell amore. La piu gran sciagura che in amore si possa risentire, e senza dubbio il vivere senza voi mia cara. Questo romanzo composto dal Signor de Pondeveile è non percio meglio. Mi pare una insipida e fastidiosa freddura. O que [sic] gran distanza da un uomo gentil, cortese e leggiadro, fino ad un uomo di spirito e d’ingegno ! ".
Le parti des instruits finira par l’emporter, car en 1767 apparaît le premier texte auquel on peut accorder tout crédit, qui divulgue enfin la véritable identité de l’auteur des trois romans. En effet, l’abbé de Guasco dans une note de son édition des Lettres familières du Président de Montesquieu nous apprend que son frère, le comte de Octavien de Guasco, demanda en 1742 à Montesquieu si Mme de Tencin était bien l’auteure des ouvrages que certains lui attribuaient. Ce dernier lui répondit qu’il avait promis à son amie de ne point révéler le secret. Ce ne sera que le jour de la mort d’Alexandrine qu’il avouera enfin la vérité au vieil abbé :
" À présent vous pouvez mander à Monsieur votre frère, que Mme de Tencin est bien l’auteur … des ouvrages qui ont été crus jusqu’ici de M. de Pont-de-Veyle, son neveu. Je crois qu’il n’y a que M. de Fontenelle et moi qui sachions ce secret."
Son opinion fait école, car dès cette date, le nom d’Alexandrine figure régulièrement dans les histoires littéraires et les dictionnaires de l’époque. Ainsi, vers 1780, la majorité du public et de la critique – à l’exception notable de l'abbé de Laporte dans son Histoire littéraire des femmes françoises en 1769 ! – pense qu’elle en est l’unique auteur. En tout cas on en est suffisamment convaincu pour, lors de la première édition de ses œuvres complètes en 1786, faire apparaître pour la première fois son nom sur la page de titre. Depuis l’ouvrage remarquable de Pierre-Maurice Masson 1909, revu et corrigé en 1910, consacré à la vie et aux romans d’Alexandrine, plus personne ne songe sérieusement à lui enlever ce modeste lot de gloire qui lui revient.

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Posté le : 26/04/2014 10:28
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
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Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
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