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Le temps
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ARTICLE DE FOND PHYSIQUE THÉORIQUE
Le temps est-il une illusion ?
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Le temps n'est peut-être pas une entité fondamentale. D'après certains physiciens,

il pourrait émerger à notre perception dans le cadre d'un monde parfaitement statique.

Craig Callender



Dans certaines de ses œuvres, l’artiste américain Keith Peters explore l’idée qu’un monde intrinsèquement statique puisse néanmoins donner une impression de dynamisme.
Keith Peters
L'auteur
Craig CALLENDER est professeur de philosophie à l'Université de Californie à San Diego, aux États-Unis.

Pour en savoir plus
S. M. Carroll, From Eternity to Here : The Quest for the Ultimate Theory of Time, Dutton, 2010.
C. Callender, Introducing Time, Totem Books, 2005.
B. Greene, La magie du cosmos, Robert Laffont, 2005.
L. Smolin, Des atomes d'espace et de temps, Pour la Science, n° 316, février 2004.
R. Healey, « Can physics coherently deny the reality of time ? », dans C. Callender, Time, Reality & Experience, University of Cambridge, 2002.
C. Rovelli, Relational quantum mechanics, International Journal of Theoretical Physics, vol. 35(8), pp. 1637-1678, 1996. arxiv.org/abs/quant-ph/9609002

FQXi FORUM : The Nature of Time Essay Contest , sur :http://www.fqxi.org/community/ forum/category/10 (voir en particulier les essais de Claus Kiefer, Carlo Rovelli, Julian Barbour et Craig Callender).


Pendant que vous lisez cette phrase, vous pensez probablement que le moment présent, là maintenant, correspond à ce qui est en train de se passer. Vous sentez que l'instant présent a quelque chose de particulier. Il est réel. Vous pouvez vous rappeler le passé ou anticiper l'avenir, mais vous vivez dans le présent. Bien sûr, le moment où vous avez lu cette première phrase n'a plus cours. Le moment où vous lisez celle-ci l'a remplacé. En d'autres termes, nous avons la sensation d'un écoulement du temps. Notre intuition profonde est que le futur est ouvert jusqu'à ce qu'il devienne le présent, et que le passé est fixé. À mesure que le temps s'écoule, cette structure de passé fixé, présent immédiat et avenir ouvert se décale dans un sens, toujours le même. Cette structure est inscrite dans notre langage, nos pensées et notre comportement.

Pourtant, aussi naturelle que soit cette conception, la science ne la reflète pas. Les équations de la physique ne nous disent pas quels événements sont en train de se passer juste maintenant ; on peut en effet comparer ces équations à une carte où le symbole « Vous êtes ici » est absent. De plus, les théories de la relativité d'Albert Einstein suggèrent non seulement qu'il n'existe pas un unique présent particulier, mais que tous les instants sont également réels.

La divergence entre la compréhension scientifique du temps et l'intuition que nous en avons préoccupe les penseurs depuis longtemps. Elle n'a fait qu'augmenter à mesure que les physiciens dépouillaient le temps de la plupart des attributs dont nous le revêtons d'ordinaire. Aujourd'hui, le fossé entre le temps de la physique et le temps de l'expérience humaine atteint sa conclusion logique : beaucoup de théoriciens sont arrivés à croire que, fondamentalement, le temps n'existe même pas.

L'idée de l'inexistence du temps est si étonnante qu'il est difficile de voir comment elle pourrait être cohérente. Tout ce que nous faisons est ancré dans le temps. Le monde est une série d'événements reliés les uns aux autres par les fils du temps. N'importe qui peut constater que mes cheveux grisonnent, que les objets bougent, etc. Nous observons du changement, qui correspond à des variations de propriétés par rapport au temps. Sans le temps, le monde serait immobile. Mais comment une théorie dépourvue de temps pourrait-elle expliquer que nous observons des changements ?

Le temps vu comme un concept émergent
Même si le temps n'existe pas au niveau fondamental, il peut apparaître à des niveaux supérieurs, de la même façon qu'une table est solide alors qu'elle n'est qu'un assemblage de particules constituées, pour l'essentiel, d'espace vide. La solidité est une propriété collective, ou émergente, des particules. Le temps aussi pourrait être une propriété émergente des ingrédients élémentaires du monde.

Ce concept de temps émergent est potentiellement révolutionnaire. Einstein affirmait que l'étape clef du développement de la théorie de la relativité avait été de repenser le temps. À l'heure où les théoriciens poursuivent son ambition d'unir la relativité générale avec la physique quantique, beaucoup jugent que sans une réflexion approfondie sur le temps, il sera impossible de progresser.

L'idée intuitive que nous avons du temps a connu une succession de revers au fil des progrès de la physique. Commençons par le temps de la physique classique, dite newtonienne. Les lois du mouvement de Newton sous-entendent que le temps est doté d'un certain nombre de caractéristiques.

Tous les observateurs s'accordent en général sur l'ordre dans lequel les événements se déroulent. Quels que soient l'instant et le lieu où un événement se produit, la physique classique suppose que l'on peut objectivement dire s'il a eu lieu avant, après ou en même temps que n'importe quel autre événement. Le temps permet donc d'ordonner complètement tous les événements de l'Univers. La simultanéité est une propriété absolue, indépendante de l'observateur. De plus, le temps doit être continu afin que l'on puisse définir la vitesse et l'accélération.

Le temps classique doit également être doté d'une notion de durée permettant de quantifier ce qui sépare les événements dans le temps. Pour dire qu'un guépard peut courir à 110 kilomètres par heure, nous devons avoir une mesure de ce qu'est une heure. Et tout comme l'ordre des événements, la durée est indépendante de l'observateur en physique newtonienne.

Pour l'essentiel, Newton supposait donc que le monde est muni d'une horloge maîtresse. La physique newtonienne écoute le tic-tac de cette horloge et d'aucune autre. Newton pensait en outre que le temps s'écoule et que cet écoulement définit une flèche indiquant le futur ; mais ces caractéristiques supplémentaires ne sont pas strictement exigées par les lois newtoniennes.

Le temps de Newton peut nous sembler suranné, mais en y réfléchissant un peu, on peut remarquer à quel point cette conception est étonnante. Ses nombreuses caractéristiques (ordre, continuité, durée, caractère absolu de la simultanéité, écoulement et flèche d'écoulement) sont, en toute logique, indépendantes ; mais l'horloge maîtresse que Newton nommait « temps » les regroupe toutes. Et ce cocktail de caractéristiques était si performant qu'il est resté intact durant près de deux siècles.

Puis vinrent les assauts de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Le premier fut donné par Ludwig Boltzmann. Ce physicien autrichien fit remarquer que comme les lois de Newton sont tout aussi valides lorsqu'on renverse le temps (autrement dit, ces lois restent inchangées si l'on y change la variable temporelle t en son opposée, –t), le temps n'est pas doté d'une flèche intrinsèque. Pour Boltzmann, la distinction entre passé et futur n'est pas inhérente au temps, mais émerge des asy- métries dans l'organisation de la matière dans l'Univers. Bien que les détails de cette proposition soient encore débattus, Boltzmann avait de manière convaincante dépossédé le temps newtonien de l'une de ses caractéristiques.

Einstein lança l'assaut suivant en éliminant la simultanéité absolue. D'après sa théorie de la relativité restreinte, la détermination des événements qui se produisent au même instant dépend du mou­- vement de l'observateur. La véritable arène des événements n'est ni le temps ni l'espace, mais leur réunion : l'espace-temps. Deux observateurs se déplaçant à des vitesses différentes ne seront pas d'accord sur l'instant ni sur le lieu où se produit un événement, mais ils seront d'accord sur sa localisation dans l'espace-temps. L'espace et le temps sont ainsi des concepts plus secondaires.

Einstein n'a fait qu'empirer les choses en 1915 avec sa théorie de la relativité générale, qui étend la relativité restreinte à des situations où la gravitation est présente. La gravitation déforme le temps, de telle sorte que l'écoulement d'une seconde ici peut ne pas signifier la même chose que l'écoulement d'une seconde ailleurs. Sauf dans de rares cas, il est alors impossible de synchroniser des horloges et d'obtenir qu'elles restent synchronisées. Il n'est plus possible de considérer que le monde évolue seconde après seconde en étant régi par un unique paramètre temporel. Il devient alors impossible de dire qu'un événement s'est produit avant ou après un autre (voir l'article de Marc Lachièze-Rey).

Le temps était déjà déchu en 1915
La relativité générale met en jeu de nombreuses notions où apparaît le mot « temps » : coordonnée temporelle, temps propre, temps global... Elles remplissent collectivement de nombreuses tâches qui incombaient au temps unique de Newton, mais, isolément, aucune d'elles ne s'impose. Soit la physique n'écoute pas ces horloges, soit, si elle le fait, ces horloges ne s'appliquent qu'à de petites portions de l'Univers ou à des observateurs particuliers. Les physiciens d'aujourd'hui s'émeuvent de ce qu'une théorie unifiée devra éliminer le temps, mais on peut raisonnablement dire que le temps était déjà passé à la trappe en 1915 et que nous ne l'avons pas encore tout à fait intégré.

On serait tenté de penser que la différence entre l'espace et le temps a presque disparu, et que la véritable arène des événements est quadridimensionnelle. La relativité semble transformer le temps en une simple dimension (ou direction) supplémentaire dans cette arène. L'espace-temps est comme une miche de pain que l'on peut découper en tranches de différentes façons, arbitrairement nommées « espace » ou « temps ».

Pourtant, même en relativité générale, le temps conserve une fonction distincte et importante : celle de distinguer localement entre les directions « du genre temps » et celles « du genre espace ». Les événements séparés par un intervalle du genre temps sont ceux qui peuvent être causalement reliés (voir la figure 2) – des événements tels qu'un objet ou un signal peut passer de l'un à l'autre, et ainsi l'influencer. Deux événements séparés par un intervalle du genre espace sont sans relation causale. Aucun objet ou signal ne peut passer de l'un à l'autre.

Les différents observateurs ne sont pas d'accord sur la succession des événements séparés par des intervalles du genre espace, mais ils sont tous d'accord sur l'ordre des événements séparés par des intervalles du genre temps. Et si, pour un observateur, un événement peut en provoquer un autre (par causalité), il en est de même pour tous les autres observateurs.

Il y a deux ans, dans un essai, j'explorais ce que signifie cette caractéristique du temps. Imaginons que l'on découpe en tranches l'espace-temps du passé vers le futur ; chaque tranche est la totalité tridimensionnelle de l'espace à un instant donné (voir l'encadré page précédente). La somme de toutes ces tranches d'événements (dans chaque tranche, les événements sont séparés par des intervalles du genre espace) est l'espace-temps quadridimensionnel. Alternativement, imaginons que l'on regarde le monde de travers et qu'on le découpe dans ce sens. Dans cette perspective, chaque tranche tridimensionnelle est un étrange amalgame d'événements séparés par des intervalles du genre espace et d'autres séparés par des intervalles du genre temps.

La première méthode est familière aux physiciens ou aux cinéphiles. Les images d'un film représentent des tranches d'espace-temps : elles montrent l'espace à des instants successifs. Un peu comme les passionnés de cinéma qui devinent l'intrigue et prédisent la suite de l'histoire racontée par le film, les physiciens peuvent prendre une seule tranche spatiale complète et reconstruire ce qui se passe dans les autres tranches spatiales, simplement en appliquant les lois de la physique.

Un découpage étrange
La seconde méthode de découpage n'a pas d'analogie simple. Elle correspond au découpage de l'espace-temps non pas du passé vers le futur, mais d'Est en Ouest. Un exemple d'une telle tranche pourrait être le mur Nord d'une maison et tout ce qui arrivera à ce mur dans le futur. À partir de cette tranche, les lois de la physique permettraient de reconstituer le reste de la maison (et même le reste de l'Univers).

Cela vous semble étrange ? C'est normal. Il n'est pas évident que les lois de la physique vous permettent de le faire. Mais comme le mathématicien Walter Craig, de l'Université McMaster au Canada, et le philosophe Steven Weinstein, de l'Université de Waterloo (Canada), l'ont récemment montré, c'est possible, du moins dans certaines situations simples.

Bien qu'en principe, les deux méthodes de découpage de l'espace-temps soient possibles, elles diffèrent profondément. Dans le découpage usuel, du passé vers le futur, les données qu'il est nécessaire de recueillir sur une tranche sont, en théorie, assez faciles à obtenir. Par exemple, si l'on mesure les vitesses de toutes les particules, la vitesse d'une particule en un endroit est indépendante de la vitesse d'une autre particule ailleurs. Mais dans la seconde méthode de découpage, les propriétés des particules ne sont pas indépendantes ; elles sont entremêlées de façon très particulière. Il faudrait combiner des mesures extrêmement compliquées sur ces particules pour obtenir les informations nécessaires. Et encore, ces mesures ne permettraient de reconstituer l'espace-temps entier que dans des cas particuliers, comme ceux découverts par W. Craig et S. Weinstein.

Le temps, une direction qui simplifie les choses
Dans un sens bien précis, le temps est la direction de l'espace-temps dans laquelle de bonnes prédictions sont possibles, la direction dans laquelle nous pouvons raconter les histoires les plus informatives. Le récit de l'Univers ne se déroule pas dans l'espace ; il se déroule dans le temps.

L'un des objectifs les plus ambitieux de la physique moderne est de réunir la relativité générale et la physique quantique en une théorie unique qui prenne en compte les aspects tant gravitationnels que quantiques de la matière : une théorie quantique de la gravitation. Cette ambition se heurte à plusieurs écueils ; en particulier, la mécanique quantique impose au temps certaines propriétés qui contredisent ce que j'ai dit jusqu'ici.

La mécanique quantique affirme que les objets ont un répertoire de comportements bien plus riche que ce que nous pouvons saisir avec des grandeurs classiques telles que position et vitesse. La description complète d'un objet est donnée par une entité mathématique nommée état quantique. Cet état évolue de façon continue dans le temps, et les physiciens sont capables de calculer la probabilité que tel ou tel résultat expérimental soit obtenu à tel ou tel instant. Si l'on envoie un électron à travers un dispositif qui le défléchit soit vers le haut, soit vers le bas, la mécanique quantique peut ne pas être en mesure de nous dire avec certitude à quel résultat s'attendre. Au

lieu de cela, l'état quantique ne donne que la probabilité des différents résultats possibles ; par exemple, 25 pour cent de chances que l'électron parte vers le haut, et 75 pour cent de chances qu'il soit dévié vers le bas. Deux systèmes décrits par des états quantiques identiques peuvent ainsi donner des résultats différents.

Les prédictions probabilistes de la théorie exigent du temps certaines caractéristiques. Tout d'abord, le temps est ce qui rend les contradictions possibles. Quand on lance un dé, il ne peut pas tomber sur 3 et sur 5 en même temps. Il ne peut le faire qu'à des instants différents. Cette caractéristique est liée au fait que la probabilité de tomber sur chacune des six faces doit être égale à 100 pour cent, sinon le concept de probabilité perdrait tout son sens. Les probabilités s'additionnent à un instant donné, pas à un endroit donné. Il en va de même des probabilités que les particules quantiques aient une position ou une quantité de mouvement données.

Ensuite, l'ordre temporel des mesures quantiques importe. Supposons que l'on fasse passer un électron à travers un dispositif qui le défléchit d'abord verticalement, puis horizontalement, et que l'on mesure son moment cinétique lorsqu'il sort du dispositif. On répète l'expérience, cette fois en déviant l'électron horizontalement, puis verticalement, et l'on mesure à nouveau le moment cinétique. Les valeurs obtenues seront très différentes.

Un écueil quantique
Enfin, un état quantique fournit les probabilités pour tout l'espace à un instant donné. Si l'état englobe une paire de particules, alors le fait de mesurer l'une des particules affecte instantanément l'autre, indépendamment de l'endroit où elle se trouve ; c'est la célèbre « fantomatique action à distance » qui troublait tant Einstein à propos de la mécanique quantique. Cette corrélation instantanée le chagrinait pour la bonne raison que si les particules réagissent en même temps, alors cela signifie que l'Univers est muni d'une horloge maîtresse, ce que la relativité interdit expressément.

Bien que certaines de ces questions restent controversées, le temps en mécanique quantique est essentiellement une régression au temps de la mécanique newtonienne. Les physiciens se préoccupent de l'absence de temps en relativité, mais le rôle central du temps en mécanique quantique pose peut-être un problème plus grave. C'est pour cette raison profonde que l'unification de la relativité générale et de la physique quantique est si difficile.

De nombreux programmes de recherche ont visé à unir la relativité générale et la physique quantique. Ils se répartissent schématiquement en deux groupes. Les physiciens qui pensent que la mécanique quantique offre le fondement le plus solide, comme les théoriciens des supercordes, ont pour point de départ un temps pur et dur. Ceux qui croient que la relativité générale fournit le meilleur point de départ démarrent avec une théorie où le temps est déjà déchu et sont donc plus ouverts à l'idée d'une réalité atemporelle.

Certes, la distinction entre ces deux approches est floue. Les théoriciens des supercordes ont récemment envisagé des théories dépourvues de temps. Mais pour bien faire comprendre les problèmes fondamentaux que pose le temps, je vais me concentrer sur la seconde approche, dont le principal exemple est la théorie de la gravitation quantique à boucles, elle-même issue de la première théorie de la gravitation quantique, dite canonique.

La théorie canonique a émergé dans les années 1950 et 1960, quand les physiciens ont exprimé les équations de la gravitation d'Einstein sous la même forme que les équations de l'électromagnétisme. L'idée était que les techniques ayant été utilisées pour construire la théorie quantique de l'électromagnétisme s'appliqueraient aussi à la gravité. Ainsi, à la fin des années 1960, les physiciens John Wheeler et Bryce DeWitt sont parvenus à un étrange résultat. L'équation (dite de Wheeler-DeWitt) était totalement dépourvue de variable temporelle. Le symbole t désignant le temps avait tout bonnement disparu.

Des équations où le temps a disparu
Les physiciens sont restés perplexes des décennies durant. Si l'on prend le résultat à la lettre, le temps n'existe pas vraiment. Carlo Rovelli, de l'Université de la Méditerranée Aix-Marseille II, l'un des créateurs de la gravitation quantique à boucles, et le physicien anglais Julian Barbour sont les deux partisans les plus en vue de cette idée. Ils ont tenté de réécrire la mécanique quantique d'une façon qui ne fasse pas intervenir le temps, comme semble l'exiger la relativité (voir l'article de Carlo Rovelli).

Ils pensent que cette manœuvre est possible parce que la relativité générale, bien que dépourvue de temps global, parvient encore à décrire le changement. Pour l'essentiel, cette théorie le fait en reliant les systèmes physiques directement les uns aux autres plutôt qu'à travers une notion abstraite de temps global.

Dans les expériences de pensée d'Einstein, les observateurs établissent la chronologie des événements en comparant des horloges utilisant des signaux lumineux. On pourrait décrire la variation de la position d'un satellite en orbite autour de la Terre en termes des battements de l'horloge de votre cuisine, ou vice-versa. Ce que l'on fait, c'est décrire les corrélations entre deux objets physiques sans faire intervenir de temps global comme intermédiaire. Au lieu de décrire la couleur de mes cheveux comme changeante dans le temps, on peut la corréler avec l'orbite du satellite. Au lieu de dire qu'une balle de base-ball accélère à dix mètres par seconde carrée, on peut la corréler aux changements d'un glacier. Et ainsi de suite. Le temps devient redondant. Le changement peut être décrit sans lui.

Ce vaste réseau de corrélations est si bien organisé que l'on peut y définir une entité nommée « temps » et tout y relier ; on se débarrasse ainsi du fardeau consistant à suivre toutes les relations directes entre les phénomènes. Les physiciens sont ainsi en mesure de résumer de manière compacte les rouages de l'Univers, en termes de lois physiques qui se jouent dans le temps.

Virtuel comme l'argent
Mais cette commodité ne doit pas nous faire croire que le temps est une entité fondamentale. L'argent aussi nous facilite beaucoup la vie, en nous évitant de faire du troc à chaque fois que nous voulons boire un café ou manger un morceau de pain. Mais c'est une grandeur fictive inventée pour les choses auxquelles nous accordons de la valeur, pas une entité qui a de la valeur en soi. De façon analogue, le temps nous permet de relier

des systèmes physiques les uns aux autres sans qu'il soit nécessaire de comprendre exactement comment un glacier est relié à une balle de base-ball. Mais le temps est lui aussi une invention commode qui n'existe pas plus fondamentalement dans la nature que l'argent.

Se débarrasser du temps a un certain attrait, mais cela entraîne certaines difficultés. Entre autres, il faut repenser la mécanique quantique. Prenons le célèbre exemple du chat de Schrödinger. Ce chat, dont le sort dépend de l'état d'une particule quantique, est suspendu entre la vie et la mort. Dans la représentation classique, le chat devient l'un ou l'autre après une mesure ou un processus équivalent. Mais C. Rovelli prétendrait que le sort du chat n'est jamais déterminé. La pauvre bête peut être morte vis-à-vis d'elle-même, vivante par rapport à un humain présent dans la pièce, morte par rapport à un autre humain dans la pièce d'à côté, et ainsi de suite.

Une chose est de faire dépendre de l'observateur le moment de la mort du chat, comme dans la relativité restreinte ; une autre, encore plus surprenante, est que la mort du chat elle-même soit relative, comme le suggère C. Rovelli, en poussant l'esprit de la relativité à son extrême. Le temps fait tellement partie de notre intuition que son éviction transformerait la vision que les physiciens ont du monde.

Une question pressante pour quiconque épouse la gravitation quantique atemporelle est d'expliquer pourquoi le monde a une temporalité apparente. La relativité générale elle non plus n'intègre pas le temps au sens newtonien, mais au moins elle possède divers substituts partiels qui, ensemble, se comportent comme le temps newtonien quand la gravité est faible et les vitesses relatives petites. L'équation de Wheeler-DeWitt ne laisse même pas la place à ces substituts. J. Barbour et C. Rovelli ont chacun proposé des suggestions sur la manière dont le temps, ou du moins son illusion, pourrait surgir de rien. Mais la gravitation quantique canonique offre déjà une idée plus développée.

Connue sous le nom de temps semi-classique, elle remonte à un article de 1931 du physicien anglais Nevill Mott qui décrivait la collision entre un noyau d'hélium et un atome plus gros. Pour modéliser le système total, Mott utilisait une équation où le temps ne figure pas, et qu'on n'applique généralement qu'aux systèmes statiques. Il décomposait alors le système en deux sous-systèmes et utilisait le noyau d'hélium comme « horloge » pour l'atome. Remarquablement, l'atome obéit, par rapport au noyau, à l'équation usuelle de la mécanique quantique, mais où une fonction spatiale remplace le paramètre temps.

Ainsi, même quand le système dans son ensemble est atemporel, les éléments individuels ne le sont pas. Un temps pour le sous-système se cache dans l'équation atemporelle du système total.

Quelque chose d'assez similaire a lieu avec la gravitation quantique, comme l'a argumenté Claus Kiefer, de l'Université de Cologne, suivant en cela les pas de Thomas Banks, de l'Université de Californie à Santa Cruz, et d'autres. L'Univers est peut-être dépourvu de temps, mais si on le décompose, certaines de ses parties peuvent servir d'horloges aux autres. Le temps émerge ainsi de l'atemporalité. Nous percevons le temps parce que nous sommes, par nature, un de ces éléments de l'Univers.

Reconstituer le temps de l'expérience
Pour intéressante et étrange que soit cette idée, elle nous laisse un peu sur notre faim. L'Univers ne peut pas toujours être décomposé en éléments qui servent d'horloges et, dans ce cas, la théorie ne fait pas de prédictions probabilistes. Le traitement de ces situations nécessitera une théorie complète de la gravitation quantique, et il faudra repenser le temps encore plus en profondeur.

Les physiciens sont partis du temps structuré de l'expérience, le temps d'un passé fixé, du présent et d'un futur ouvert. Ils l'ont petit à petit démantelé, et il n'en reste plus grand-chose. Les chercheurs doivent désormais inverser ce raisonnement et reconstruire le temps de l'expérience, peut-être à partir d'un réseau de corrélations entre éléments d'un monde fondamentalement statique.

Le philosophe français Maurice Merleau-Ponty avançait que le temps lui-même ne s’écoule pas vraiment, et que cet écoulement apparent est un produit du fait « que nous mettons subrepticement dans le ruisseau un témoin de sa course ». En d’autres termes, la tendance à croire que le temps s’écoule vient du fait que nous oublions de nous mettre nous-mêmes et nos relations avec le monde dans le tableau. Merleau-Ponty parlait de notre expérience subjective du temps, et jusque récemment personne n’avait deviné que le temps objectif pourrait lui-même s’expliquer comme résultant de ces relations. Le temps pourrait n’exister qu’en éclatant le monde en sous-systèmes et en regardant ce qui les relie. Dans ce tableau, le temps physique émerge parce que nous nous considérons comme distincts de tout le reste.

Posté le : 29/07/2014 11:46
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A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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