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règle de métrique
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Notions de versification française

Première partie : le vers


« Les poètes trouvent d’abord et ne cherchent qu’après. »
Jean Cocteau
La poésie est un art et un genre littéraire.
Elle ne se réduit pas aux vers, mais pendant plusieurs siècles, et encore aujourd’hui pour certaines productions, elle a utilisé ce mode d’écriture qui l’a distinguée de la prose. La poésie versifiée demande donc à être étudiée dans ses règles pour être correctement appréciée. Cette forme de la poésie traditionnelle a requis habileté, savoir-faire, recherche de l’expressivité. C’est la contrainte qui a permis aux poètes de tirer tous les effets possibles du jeu langagier. Comme l’a exprimé Mallarmé1, ces règles librement acceptées (parce qu’utiles et nécessaires au raffinement de la langue) ont permis en partie d’élaborer un langage subtil, riche, puissamment évocateur, de plus en plus éloigné de la fonction utilitaire qu’employait spontanément la prose.

Ces règles et ces formes ont évolué au cours de l’histoire littéraire
, ce qui tendrait à démontrer qu’elles n’ont jamais été arbitraires ou gratuites. Une fois explorées toutes les voies d’expressivité qu’elles permettaient, elles ont été aménagées par certains poètes jusqu’à la rupture parfois afin d’éviter la sclérose. Il apparaît cependant que toute expression poétique véritable nécessite des règles même implicites. Par exemple dans la prose poétique en forme de verset, il existe souvent la reprise d’une même structure syntaxique comme dans les litanies. Les poèmes en prose de Baudelaire utilisent souvent les parallélismes et l’anaphore avec de subtiles variations.

Les pages qui suivent n’ont pas pour vocation d’étudier la fonction poétique du langage, seulement de donner quelques indications utiles pour essayer de comprendre les enjeux de la poésie versifiée et de ses codes. Nous parlerons de poésie formelle, une part de son expressivité résultant des formes utilisées, ou de poésie régulière, c’est-à-dire de poésie obéissant à des règles.

Préalablement, si l’on veut comprendre l’origine de ces règles, il faut rattacher la poésie à la tradition orale, à la musique, voire à la danse. Les pauses et les retours réguliers qui la caractérisent ont été liés aux exigences de la déclamation, de la mémorisation et de la communication. Ces récurrences, ces structures parallèles ont facilité le travail du récitant comme elles ont permis la mémorisation de la part de l’auditoire. Voilà pourquoi aujourd’hui, le système scolaire utilise encore les poèmes versifiés pour cultiver la mémoire des petits écoliers. Ces règles ont donc servi dès le début à assurer la production d’une parole travaillée, bien différente de la langue ordinaire informe, à donner à cette parole une valeur incantatoire, liturgique, avant qu’elle ne serve plus tard à exprimer les réalités profanes tout en gardant la force acquise au service du sacré.


Posté le : 22/08/2012 13:17
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Re: règle de métrique
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La versification

Le vers régulier

En guise de remarque préalable, rappelons qu’il ne faut pas confondre vers et phrase : la phrase est une unité de sens alors que le vers est une unité métrique. Ainsi la phrase peut-elle être plus courte que le vers ou se propager sur plusieurs vers.

À l’origine, le vers est chanté, d’où, comme la musique, le vers est mesuré. L’unité de mesure est la syllabe2. Le vers est aussi rythmé selon trois modes :

les rimes : retour du même son en fin de vers,
les accents : retour des accents toniques,
les poses : les coupures dans le vers qui isolent des groupes de syllabes.
Le compte des syllabes

Sous peine de dire des vers faux, il faut respecter les règles suivantes :

L’élision

Toute syllabe terminée par un E muet s’élide devant un mot commençant par une voyelle ou un H muet.
« Non, Madam(e) : il vous aim(e) et je n’en doute plus. » Racine, Andromaque
« Jamais mensong(e) heureux n’eut un effet si prompt » Racine, Athalie
En revanche le E muet qui est élidé dans la langue ordinaire doit être prononcé s’il est suivi d’une consonne. Cette pratique donne au vers limpidité, sonorité et équilibre avec la séquence consonne + voyelle + consonne.
« C’était l’heure tranquill(e) où les lions vont boir(e). » Hugo, La Légende des siècles
Le E muet ne compte jamais à la fin d’un vers.
« Et les siècles obscurs devant moi se découvr(ent). » Racine, Athalie
Le E muet ne compte pas à l’intérieur d’un mot s’il est précédé d’une voyelle.
Gai(e)té, dévou(e)ment, il pai(e)ra…
Il faut que ce E soit effectivement la dernière lettre du mot pour pouvoir être élidé. Ainsi dans le vers suivant de Toulet : « En Arles où sont les Aliscans […] », le E d’Arles ne peut être élidé et l’apparent octosyllabe devient faux.
La diphtongue : diérèse et synérèse

On appelle diphtongue la réunion, dans un même mot, de deux sons entendus distinctement, mais produits en une seule émission de voix. Il est donc indispensable pour mesurer le mètre de savoir quand deux ou plusieurs voyelles successives forment une ou plusieurs syllabes.

Pour apprécier si l’on doit recourir à la synérèse (émission de deux voyelles en une seule syllabe) ou à la diérèse (émission de deux voyelles en deux syllabes), il faut revenir à l’étymologie du mot. En principe, la diphtongue comptera pour une ou deux syllabes selon qu’elle est issue d’une ou deux syllabes latines.

Généralement, lorsque la première voyelle est précédée d’un R ou d’un L précédés eux-mêmes d’une consonne, la diphtongue compte pour deux syllabes. Exemples : « nous ne pli-ons pas ! », « j’ai cri-é », « plu-ie ».

Diphtongue 1 syllabe
2 syllabes Exceptions
IA
OUI diamant, pria, cordial… diacre, fiacre, diable, pléiade…
YA OUI
IÉ, YÉ ou IÈ
OUI ex. : pièce, acier, moitié, ciel, noyé

Hier prononcé par le passé, sauf dans avant-hier
Hier prononcé à notre époque

les verbes en -ier du 1er groupe à l’infinitif, à la seconde personne du pluriel du présent de l’indicatif ou de l’impératif, et au participe passé, ainsi que les adjectifs de même famille : relier, reliez, relié…

mots en -iété : société
IAI
Biais, biaiser (synérèse)
Niais, biais, biaiser (diérèse)

les personnes des temps passés de ces verbes en IAI se prononçant IÉ :
je déliais, tu, il, ils…
IEZ
rire et sourire, au présent de l’indicatif et de l’impératif : souriez, riez
IAN, IEN avec le même son
À l’intérieur du mot : fiente, science…
viande, diantre, et faïence et dans tous les mots écrits YAN et YEN : fuyant
IEN
En finale des noms substantifs à part entière, des pronoms possessifs, des verbes et des adverbes : chien, tien, rien, je tiens (sauf li-en), ainsi que dans les mots où il s’écrit yen : citoyen.
quand il termine un nom dérivé d’un adjectif d’état, de profession ou de pays comme calaisien, comédien…
sauf chrétien
IEU dans le corps du mot : dieu, lieutenant, ou en finale sans être suivie d’une consonne ainsi que dans les mots où elle s’écrit YEU
: yeux, soyeux, crayeux.
en terminaison des mots lorsqu’elle est suivie d’une consonne : pieux, antérieur
1 syll. : mieux, vieux, cieux, plusieurs.
IO et IAU
OUI et dans les mots en yau : violon, myope, joyau.
mioche, pioche, fiole, kiosque
ION et IONS
OUI : lion, + 1re personne du pluriel des verbes en ier : délions, ainsi que rions. 1re personne du pluriel des autres verbes sauf s’il y a devant un R ou un L ou 2 consonnes : chanterions, appelions, parlions.
YON OUI 2 syll. dans Lyon, Alcyon, embryon, amphitryon et amphictyon.
IU
dans les mots où elle est précédée d’une voyelle : Pompéius

dans les mots où elle s’écrit YU : rayure
dans les mots où elle est précédée d’une consonne : diurne
OE OUI moelle, poêle
2 syll. dans poésie, poème, poète
OI
OUI : loi, toit, voici
OIN, OUIN, UIN
OUI : témoin, marsouin
OUA
OUI 1 syll. : douane ;

zouave, ouate = 1 ou 2
OUÉ
OUI : doué, jouet…
1 syll. : fouet, fouetter, ouest
OUAN et OUEN
OUI : Rouen Chouan = 1 ou 2
OUI
OUI : ouï, jouir 1 syll. : oui
UAN et UEN
OUI : affluant, affluent Don Juan = 1 ou 2
UE
OUI : conflictuel, tuer 1 syll. : duègne, duel
UI OUI : celui, ruisseler
2 syll. : ruine, bruine, bruire


Ces indications ont parfois été contredites par des théoriciens ou par les poètes eux-mêmes. Il convient donc de décompter attentivement les mètres pour les restituer dans l’intention première de leur auteur.

Les chevilles

Les chevilles sont des mots superflus placés dans un vers, afin de faire uniquement syllabes. Elles sont à éviter, car leur emploi exige beaucoup de goût pour ne pas choquer. Surtout, elles traduisent le poète débutant qui n’arrive pas à surmonter les difficultés de la versification, ou pis, le poète laxiste.

« Oh mort ! Que nous apportes-tu ? »

Le mètre ou mesure du vers

Un vers est terminé par le retour à la ligne suivante3. Il est également terminé par la rime.

Le vers suivant commence par une majuscule.

Il existe des mètres pairs et impairs.

Les vers sont appelés :

monosyllabe pour un vers d’une syllabe
disyllabe pour un vers de deux syllabes
trisyllabe pour 3
quadrisyllabe pour 4
pentasyllabe pour 5
hexasyllabe pour 6
Les vers inférieurs à 7 syllabes sont très rares. Ils permettent le jeu poétique.
En effet leur brièveté provoque un rapide retour à la ligne et marque de ce fait fortement le rythme. Avec eux le poème se rapproche de la chanson populaire.

Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize
Mais voilà l’oiseau-lyre
qui passe dans le ciel
l’enfant le voit
l’enfant l’entend
l’enfant l’appelle
sauve-moi
joue avec moi
oiseau !

Jacques Prévert, Paroles, « Page d’écriture »

Ce poème, par l’utilisation des mètres de deux à six syllabes, évoque les comptines familières au monde écolier.

heptasyllabe pour 7, vers assez peu utilisé
C’est un vers plus sautillant qui convient aux pièces courtes.
Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs
D’une façon fort civile
À des reliefs d’ortolan.

La Fontaine, Fables

octosyllabe pour 8
C’est le vers le plus facile d’emploi, c’est aussi le plus long des vers sans césure. Il est utilisé dans les chansonnettes, les impromptus, les bouts-rimés.
ennéasyllabe pour 9, vers rare
Ce type de vers permet un rythme de chanson. C’est le vers musical prôné par Verlaine dans son « Art poétique » :
De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

En fait l’imparité crée une instabilité qui éloigne le vers de l’équilibre parfois anesthésiant des alexandrins. Dans tous les cas, l’accent de relais détermine des groupes dissymétriques.

décasyllabe pour 10
Le décasyllabe permet un rythme alerte en distribuant de manière dissymétrique les deux hémistiches (4+6) ou en créant deux hémistiches impairs (5+5) :
Puis me faisant admirer la clôture,
Triple la porte et triple la serrure,
Grilles, verrous, barreaux de tout côté :
« C’est, me dit-il, pour votre sûreté. »

Voltaire, Sur mon emprisonnement à la Bastille

hendécasyllabe pour 11, vers rare
alexandrin pour 12
C’est le vers le plus long de la poésie régulière. Il tire son nom du Roman d’Alexandre, œuvre du XIIe siècle. Il se révèle majestueux et permet beaucoup d’effets variés par le jeu des accents mobiles. C’est aussi le mètre qui correspond le mieux à la longueur moyenne d’un énoncé en français, ce qui explique sa prédominance dans de nombreux genres poétiques (tragédie, épopée, grande comédie, lyrisme…) et à toute époque.
Les vers de plus de 12 syllabes existent : Apollinaire et Aragon les ont parfois employés. La longueur de ces vers dans lesquels la phrase peut se déployer amplement amenuise les différences avec la prose. De fait, dans l’exemple qui suit, le sujet et son mode d’expression sont très banals comme des propos échangés à un comptoir, si bien que le vers de 16 syllabes et ses pauses irrégulières ressemble à la prose familière :
Je change ici de mètre pour dissiper en moi l’amertume.
Les choses sont comme elles sont le détail n’est pas l’important.
L’homme apprendra c’est sûr à faire à jamais régner le beau temps.

Louis Aragon, Le Roman inachevé

Certaines pièces mélangeant différentes strophes de mètres croissants puis décroissants sont de véritables morceaux de bravoure. On peut citer « Le pas d’arme du roi Jean » et « Les Djinns » de Victor Hugo.


Posté le : 22/08/2012 13:25
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Re: règle de métrique
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Les licences

En poésie, le mot licence signifie permission.
Le cas le plus souvent rencontré est celui de l’adverbe encore écrit encor.
Ces licences servent à modifier la métrique du vers, parfois à bon compte.
Indiquons les plus courantes :
• On peut ajouter un S à la fin de quelques mots et écrire : grâces à, jusques à, guères, naguères, pour grâce à, jusqu’à, guère, naguère.
• On peut supprimer la lettre finale d’autres mots et écrire : blé, pie, encor, remord, zéphyr, certe, au lieu de bled, pied, encore, remords, zéphire, certes.
• De même, il est possible, pour les noms propres, de retrancher le S final suivant un e muet : Londre, Athène, Versaille, Charle… pour Londres, Athènes, Versailles, Charles…

Les accents toniques ou le rythme

Le rythme est une composante musicale de la langue. Il permet de mettre en valeur certains mots dans l’énoncé. Il souligne souvent certains sons renforçant le sens des mots qui sont ainsi mis en relief.

En français, certaines syllabes sont plus marquées que d’autres : la principale règle d’accentuation consiste à marquer la dernière syllabe du mot (mots à terminaison masculine), sauf s’il s’agit d’un E muet, auquel cas c’est la syllabe précédente qui est accentuée (mots à terminaison féminine).
Les syllabes autres qu’accentuées sont dénommées atones.

À la différence d’un énoncé courant qui neutralise l’accent tonique dans les mots pour ne garder que l’accent sur le dernier mot du groupe de sens4, la diction poétique est soignée, presque emphatique, elle marque les accents toniques sur tous les mots avec un renforcement sur le dernier mot du groupe de sens (notamment à la césure et en fin de vers).

Le rythme est donné par les accents toniques (syllabe plus longue, plus forte ou plus aiguë). La syllabe accentuée et la syllabe qui la suit sont séparées par une coupe où la voix marque une pause.

« J’ai longtemps / habité // sous de vas /tes portiqu(es) »
(Baudelaire, « La Vie antérieure »)

La succession des accents toniques découpe ce vers en 4 groupes de 3 syllabes et produit une cadence uniforme. Cette découpe du vers est réalisée selon des accents fixes et d’autres mobiles.

Accents fixes, les césures

Dans les vers de plus de 8 syllabes, il doit y avoir un accent de relais appelé césure, il doit coïncider avec une séparation de mots. Dans les vers de 10 syllabes, la césure se produit après la 4e ou la 5e syllabe. Dans les alexandrins, elle est placée après la 6e syllabe. La césure coupe donc l’alexandrin en deux hémistiches (ou demi-vers) égaux.

Dans l’idéal, la césure (qui est un concept métrique) devrait correspondre à une coupe franche (concept énonciatif) et à une unité de sens. C’est pourquoi elle est le plus souvent marquée par ce cumul comme dans « Ô ce cri sur la mer // cette voix dans les bois ! », Jadis et naguère de Verlaine, mais elle peut être aussi en partie estompée comme dans ce vers de Molière tiré des Femmes savantes : « Ah ! ma fille, je suis // bien aise de vous voir. »

Ce qui était une règle intangible pour la métrique classique a été dénoncé par les poètes romantiques soucieux d’insuffler au mètre une vie nouvelle. Ils ont ainsi découpé parfois l’alexandrin en trois groupes de quatre syllabes appelés « trimètre romantique ».

« Empanaché/ d’indépendan /c(e) et de franchise »
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

En aucun cas l’hémistiche ne pouvait s’achever sur un E muet dans la métrique classique. L’élision était indispensable, aussi la versification traditionnelle a-t-elle choisi le plus souvent, à cette place, des mots sans E à élider.

Lorsque l’E est tonique comme dans « venge-le », il pouvait figurer à la césure.

« Eh bien ! achève-le : voilà ce cou tout prêt. » Rotrou




Posté le : 22/08/2012 13:26
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Re: règle de métrique
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Le XIXe siècle a introduit des licences :

La césure lyrique ou épique5 : le premier hémistiche finit par un E caduc interconsonantique :
« Périssez ! Puissance, // justic(e), histoire, à bas ! » Rimbaud
La césure enjambante ou italienne si le second hémistiche commence par un E caduc interconsonantique :
« Bonté, respect ! Car qu’est-//ce qui nous accompagne » Verlaine, Sagesse
Si ces types de césure ont été admis jusqu’à la Renaissance, c’est que l’E caduc était prononcé même en fin de mot. Par la suite, l’E caduc s’est estompé dans la diction si bien que sa prononciation en fin d’hémistiche est devenue impossible ou difficile lorsqu’il est suivi par une césure – qui nécessite une pause – ou lorsqu’il est rejeté dans l’hémistiche suivant. C’est pourquoi, depuis le XVIe siècle, de telles césures ont été interdites. Cependant elles ont été réintroduites à la fin du XIXe siècle dans un désir de libération à l’égard du mètre classique. Elles sont dans la continuité du cri de révolte hugolien : « J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin6. » De telles transgressions ont favorisé l’effondrement de ce mètre.

Notons que la division classique de l’alexandrin en deux hémistiches égaux a notablement contribué à faire de ce mètre un « moule à antithèses ».

« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Corneille, Le Cid
« Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses. » Corneille, Héraclius

Accents mobiles

Outre la césure, les alexandrins classiques proposent deux autres accents mobiles qui subdivisent les hémistiches si bien qu’un tel mètre présente quatre groupes. Notons que les poètes romantiques ont « disloqué » ces quatre groupes en supprimant parfois la césure pour obtenir le « trimètre ».

« Juste ciel ! Tout mon sang dans mes veines se glace. » Jean Racine, Phèdre

Il faut donc d’abord repérer les accents toniques pour déterminer les groupes rythmiques. Le vers précédent comporte 4 groupes de 3/3//3/3.

« J’arrive. Levez-vous, vertu, courage, foi ! » Victor Hugo, Les Châtiments, « Stella »

Dans cet alexandrin, la ponctuation joue un rôle prépondérant pour déterminer la structure rythmique : 3/3//2/2/2. Notons quand même l’incohérence structurelle de la dernière virgule nécessitée par la grammaire mais qui ne supporte pas une pause.

L’enjambement, le rejet, le contre-rejet

Ces trois termes marquent les différences existantes entre les longueurs respectives du vers et de la phrase. Ces différences de longueur peuvent prendre trois formes :

L’enjambement, quand la phrase ne s’arrête pas à la fin du vers, mais déborde jusqu’à la césure ou à la fin du vers suivant. Il marque en général un mouvement qui se développe, un sentiment qui s’amplifie, un temps qui s’étire…
« Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués. »
Alfred de Vigny, Les Destinées, « La mort du loup »
Le rejet, lorsqu’un ou deux mots de la phrase sont placés au début du vers suivant. Selon Littré, cette forme d’enjambement est « l’état ou le défaut du vers qui enjambe sur le suivant. L’enjambement est surtout usité dans la poésie familière ; ailleurs on ne l’emploie guère que pour produire un effet. » Dans la poésie classique, les écrivains ont essayé de faire coïncider l’énoncé avec le vers ou l’hémistiche ; ils ne s’autorisaient l’expansion sur le vers suivant qu’exceptionnellement à des fins expressives.
« Même, il m’est arrivé quelques fois de manger
Le berger. »
Jean de La Fontaine, Fables, VII, 1
En revanche, cette forme de l’enjambement est fréquente dans la poésie romantique.
« Comment vous nommez-vous ? Il me dit : – Je me nomme
Le pauvre. »
Victor Hugo, Les Contemplations (V, 9), « Le mendiant »
Ce rejet au début du vers suivant crée un effet de mise en valeur.
Le contre-rejet, quand la fin d’un vers contient quelques éléments de la phrase qui se développe au vers suivant.
« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone. »
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
Le contre-rejet crée une rupture rythmique, qui sollicite l’attention du lecteur ou de l’auditeur.



Posté le : 22/08/2012 13:27
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Re: règle de métrique
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Le rythme

Le retour périodique des accents toniques crée le rythme. Le rythme crée des effets divers (régularité ou irrégularité, fermeté ou dilution, équilibre ou déséquilibre…) en lien avec le sens du poème.
On distinguera un rythme binaire quand le vers ou les hémistiches sont divisés en deux moitiés égales.
« Son regard / est pareil // aux regards / des statues. »
Paul Verlaine , Poèmes saturniens, « Mon rêve familier »

« Ô rage ! Ô désespoir ! // Ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc / tant vécu // que pour cet / te infamie ? »
Pierre Corneille, Le Cid

Le rythme binaire a souvent une valeur affective, il traduit des émotions qui n’arrivent pas à se poser, qui sont extériorisées par jets.

Le rythme ternaire découpe le vers en trois mesures égales. Il exprime l’ordre, l’équilibre, l’immuabilité.
« Je marcherai / les yeux fixés / sur mes pensées. »
Victor Hugo, Les Contemplations, « Demain, dès l’aube »

« Toujours aimer, / toujours souffrir, / toujours mourir »
Pierre Corneille, Suréna

Dans le premier extrait, le découpage en trois groupes égaux évoque peut-être le balancement régulier de la marche, mais surtout l’absorption du père meurtri dans ses pensées lancinantes ; dans le second, il souligne la force contraignante du destin et l’accablement qui en résulte.

Le passage d’un rythme à un autre est souvent significatif d’un changement dans les faits ou les sentiments.

L’enjambement, le rejet et le contre-rejet produisent des ruptures rythmiques à des fins expressives.

Le rythme peut être croissant quand les groupes sont de plus en plus longs. Il traduit alors une amplification.
« Ainsi, / de peu à peu // crût / l’empire romain. »
Joachim du Bellay, Les Antiquités de Rome

« Ô ra / ge ! Ô désespoir ! // Ô vieillesse ennemie ! »
Pierre Corneille, Le Cid

Un vers a un rythme décroissant quand les segments se font de plus en plus courts.
Ce rythme marque le déclin, la chute.

Et de longs / corbillards, // sans tambours / ni musique,
Défi / lent lentement // dans mon â / me ; l’Espoir,
Vaincu, / pleu / re, et l’angoi /sse atro / ce, despotique,
Sur mon crâ / ne incliné // plante son / drapeau noir.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen IV »

À un rythme régulier, cérémoniel, funèbre, succède un tempo brutalement décroissant et souligné par le contre-rejet : le désespoir absolu vient de prendre brutalement possession de l’âme du poète.

Le rythme est accumulatif quand le nombre d’accents toniques est supérieur à quatre dans l’alexandrin. Il traduit l’exubérance, la richesse de la vie.
« Le lait tom / be : adieu, / veau, / va /che, cochon, / couvée. »
Jean de La Fontaine, Fables, « Pierrette et le pot au lait »

« Nais, / grandis, / rê / ve, sou / ffre, ai / me, vis, / vieillis, / tombe. »
Victor Hugo, Les Contemplations, « Dolor »

L’ordre des mots

La poésie autorise un ordre des mots différent de la prose.

L’ellipse

L’ellipse est une figure de construction par laquelle on supprime un ou plusieurs termes déjà énoncés mais qui ne sont pas indispensables.
« Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre
Les bras d’agir, les jambes de marcher : […] »
→ Ellipse de « cessent ».
Jean de La Fontaine, Fables

L’ellipse devient licence lorsque le mot sous-entendu change de nombre, de personne ou de genre.
« Implorant le Seigneur, cette longue prière
Sera-t-elle entendue et vos vœux exaucés ? »
→ pour « seront-ils exaucés ? »
Maurice Siegward

L’inversion

L’inversion consiste à placer les mots dans un autre ordre que celui de l’usage courant. Les poètes se sont servis de cet arrangement pour apporter à l’énoncé une tournure touchante ou pittoresque. Elle peut également servir à mettre en valeur une expression ou une pensée.
« En vain il a des mers fouillé la profondeur ; »
Alfred de Musset, La nuit de mai

« Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
Doit être à tes desseins un instrument utile […] »
Jean Racine, Athalie

Notes
1 « Exclus-en si tu commences
Le réel parce que vil
Le sens trop précis rature
Ta vague littérature »
Dans « Toute l’âme résumée… » ↑
2 On préférera le terme de syllabe pour désigner les unités du vers français et l’on gardera celui de pied pour la métrique latine. ↑
3 En latin, versus signifie d’abord le sillon (dans la terre), mais aussi la ligne, la rangée, le rang. Le vers poétique a bien hérité de ces allers et retours du laboureur. Plus curieusement il a aussi le sens de danse, de pas, ce qui ouvre sur la métrique, la musique et le rythme. ↑
4 De Wikipédia : « Dans une phrase, seul le dernier mot de chaque syntagme portera l’accent, d’autant plus dans une diction rapide et courante. On parle alors d’un « accent de groupe de sens ». Par exemple, les mots polysyllabiques suivants sont accentués quand ils sont isolés comme indiqué dans une diction soignée : petite /pə’tit/, maison /mɛ’zɔ̃/, prairie /pʁɛ’ʁi/, diffusée /dify’ze/. Dans la phrase « La Petite Maison dans la prairie n’est plus diffusée », on entendra /lapətitmɛ’zɔ̃ dɑ̃lapʁɛ’ʁi neplydify’ze/ voire /laptitmɛzɔ̃dɑ̃lapʁɛ’ʁi neplydify’ze/. En effet, la notion de « groupe de sens » est variable : on peut considérer que « la petite maison dans la prairie » est composé de deux syntagmes : « la petite maison » + « dans la prairie » ou bien que le tout forme un syntagme unique. » ↑
5 Une césure de ce type est courante dans les Chanson de geste du Moyen Âge, d’où l’appellation de césure épique qu’on lui attribue parfois. ↑
6 « Quelques mots à un autre » Les Contemplations ↑

Posté le : 22/08/2012 13:28
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Re: règle de métrique
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Les groupements de vers

Si un poème est organisé horizontalement par une structure interne : mètre, césure, coupes, récurrences phoniques, il se déroule aussi selon un rythme vertical qui constitue une structuration externe : rimes, strophes…

La disposition des vers, les vers irréguliers ou le changement de mètre

La succession des vers peut être réalisée à mètre égal (on parlera alors de vers isométriques). Lorsque le poète utilise plus d’un mètre dans une pièce, on parle de vers irréguliers (ou de vers hétérométriques), mais dans ces mètres, les règles de la rime et de l’alternance du genre des rimes sont respectées. L’inégalité métrique peut se reproduire régulièrement (on parlera de strophe symétrique, par exemple : 12-12-6-12-12-6) ou irrégulièrement (on parlera de strophe asymétrique, par exemple : 12-12-12-12-12-6).

La Fontaine, friand du procédé, en a expliqué son choix dans la préface de ses premiers Contes : « L’auteur a voulu éprouver lequel caractère est le plus propre pour rimer des contes. Il a cru que les vers irréguliers ayant un air qui tient beaucoup de la prose, cette manière pourrait sembler la plus naturelle, et par conséquent la meilleure ». Molière a utilisé de tels vers dans son Amphitryon. Même Racine, avec Athalie, a mélangé les mètres parce que le dramaturge a utilisé un chœur nécessitant un accompagnement musical.

Lorsque le poète mélange des mètres pairs et impairs il ne doit pas utiliser des mètres qui présentent une seule syllabe de différence entre eux. En effet, l’un des deux paraîtrait faux.

Ce changement de mètre produit plusieurs effets :

variété :
« Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
II côtoyait une rivière,
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours. »
Jean de la Fontaine, Fables, VII. 4.
Ici, l’emploi d’un octosyllabe entre deux alexandrins permet de mettre en valeur un élément du décor.
rupture :
« Je peux me consumer de tout l’enfer du monde
Jamais je ne perdrai cet émerveillement
Du langage. »
Louis Aragon, Les Poètes
Les alexandrins chutent sur un vers de trois syllabes créant ainsi une rupture rythmique mettant en valeur le mot important pour le poète : la force et la beauté du langage.
amplification :
« Si belles soyez-vous
avec vos yeux de lacs et de lacs et de flammes
avec vos yeux de pièges à loup
avec vos yeux couleur de nuit de jour d’aube et de marjolaine. »
Robert Desnos, Bagatelles
Le recours à des mètres qui s’allongent (ici il s’agit plutôt de vers libres, voir plus bas) permet une accumulation des images pour célébrer la beauté du regard féminin.
balancement :
« À te voir marcher en cadence
Belle d’abandon
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton. »
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le serpent qui danse »
L’alternance régulière d’octosyllabes et de pentasyllabes souligne le déhanchement séducteur de la mulâtresse.
Les différents groupements de vers

La strophe est un groupement de 2 à 12 vers. Dans la page, la strophe est repérable par les blancs qui l’isolent. Ce groupe se répète habituellement dans le poème. La plupart du temps, une strophe constitue une unité de sens autonome.

Une strophe de 2 vers s’appelle un distique. Elle est construite sur une seule rime (AA) : elle est souvent isométrique, et assez rarement employée seule.

Une strophe de 3 vers s’appelle un tercet. Le tercet construit sur une seule rime (AAA) entre surtout dans la composition de certains poèmes à forme fixe.

Une strophe de 4 vers s’appelle un quatrain. Le quatrain construit sur deux rimes (ABAB ou ABBA) est beaucoup employé, il est rarement utilisé seul.

Une strophe de 5 vers, un quintil. Le quintil ou cinquain est construit sur deux rimes. (ABAAB ou AABAB ou ABBBA).

Une strophe de 6 vers, un sizain. Le sizain ou sixain est construit de préférence sur deux rimes (ABBABA), mais peut l’être également sur trois rimes (AABCCB).

Une strophe de 7 vers, un septain. Le septain est construit généralement sur trois rimes (ABABCCB ou ABBACAC ou AABCBCB ou ABBACCA).

Une strophe de 8 vers, un huitain. Le huitain est construit sur trois rimes (AAABCCCB). Une forme très classique présente huit décasyllabes selon le schéma ABABBCBC.

Une strophe de 9 vers, un neuvain. Le neuvain est construit sur trois ou quatre rimes selon le schéma à 3 rimes : ABABCBCBC ou ABABBBCBC, et AABCCBDDB pour 4 rimes.

Une strophe de 10 vers, un dizain. Le dizain est construit sur deux, quatre ou cinq rimes selon le schéma AAABBBAABB pour 2 rimes, ABABCBCDCD pour 4 rimes, ABBACCEDED pour 5 rimes. Deux formes très classiques nous offrent :

une strophe de dix vers de dix syllabes (schéma : ABABBCCDCD) ;
une strophe de dix vers de huit syllabes (schéma : ABABCCDEED).
Une strophe de 11 vers, un onzain. Le onzain est construit sur quatre rimes selon le schéma ABAABCCBDDB ou AABCCCBEEEB.

Une strophe de 12 vers, un douzain. Le douzain est construit sur quatre rimes selon le schéma AAABCCCBDDDB.

La répétition de ces strophes constitue une pièce en poésie.

Dans ce cas, cette répétition peut être symétrique (par exemple 12-12-6-12-12-6) ou asymétrique (par exemple 12-12-12-12-12-6).

Le genre de la rime qui commence une strophe doit être l’inverse de celui qui termine le dernier vers de la strophe précédente.

Dans une pièce de poésie, les strophes sont :

régulières : lorsqu’elles sont toutes semblables,
mixtes : lorsqu’elles alternent sous deux formes différentes,
irrégulières : lorsqu’elles n’ont point de ressemblance entre elles.
Les stances sont des strophes lyriques ou religieuses, organisées en groupements de 4, 5, 6 ou 8 vers « qui forment un sens complet, et qui sont assujettis, pour le genre de vers et pour la rime, à un certain ordre qui se répète dans toute la pièce. » Littré.

Le refrain1

Lorsqu’une même strophe revient régulièrement dans un poème, on parle alors de refrain comme dans une chanson. Cette répétition rythme la pièce et la structure d’autant plus que le refrain porte souvent l’essentiel du sens à accorder au poème.

Dans « La Rose et le Réséda » qui appartient à La Diane française, Louis Aragon utilise un refrain célèbre :
« Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas »

Grâce à cette reprise lancinante, le poète transforme son récit en chanson. Mais surtout il donne à son poème une force particulière pour appeler solennellement à l’unité en cette période difficile de l’Histoire de la France.


Posté le : 22/08/2012 13:29
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Re: règle de métrique
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Les poèmes à forme fixe

Le rondel

Très gracieux, le rondel, appelé aussi rondeau ancien, est construit tout entier sur deux rimes (A et B), la première pouvant être indifféremment masculine ou féminine.

C’est un poème de treize vers le plus souvent octosyllabiques disposés en deux quatrains et un quintil. Les deux premiers vers du premier quatrain constituent un refrain et forment la seconde moitié du deuxième quatrain. Le premier vers forme aussi le treizième, soit le dernier du quintil selon le schéma : A1BBA – ABA1B – ABBAA1.

Les rimes sont embrassées dans le premier quatrain, croisées dans le deuxième quatrain, et de nouveau embrassées dans les quatre premiers vers du quintil.

Variante peu usitée : le quintil peut être remplacé par un sizain dont les deux derniers vers sont formés par le refrain complet : le rondel, dans ce cas, offre 14 vers selon le schéma : A1B1BA – ABA1B1 – ABBAA1B1.

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.

Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chant ou crie :
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent et d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau.
Le temps a laissié son manteau.

Charles d’Orléans, « Le Printemps »

Le rondeau

Le rondeau est le fils du rondel. Il tient de son père le petit refrain en ritournelle, la disposition des rimes et des vers Le rondeau, ou rondeau nouveau, compte 13 octosyllabes ou décasyllabes, construits sur deux rimes (A et B). Il est composé de 2 strophes, mais la disposition graphique en présente trois.

La première strophe est un huitain, écrit sous la forme d’un quintil suivi d’un tercet : AABBA - AAB. La deuxième strophe, troisième dans la disposition graphique, est un quintil : AABBA.

De plus, les premiers mots du premier vers sont répétés sous forme de refrain en dehors des rimes, une fois à la fin du tercet et une fois à la fin du dernier quintil selon le schéma : AABBA - AAB refrain - AABBA refrain.

Ma foi, c’est fait de moi, car Isabeau
M’a commandé de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême !
Je lui ferais aussi tôt un bateau.

En voilà cinq pourtant en un monceau.
Formons-en huit en invoquant Brodeau ;
Et puis mettons, par quelque stratagème,
Ma foi, c’est fait.

Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau.
Mais cependant me voilà dans l’onzième ;
Et si je crois que je fais le douzième ;
En voilà treize ajustés au niveau.
Ma foi, c’est fait.

Voiture, « Rondeau »

Le rondeau redoublé

Très peu usité, il n’est écrit que sur deux rimes, comme le rondeau ordinaire.

Il est composé de six quatrains d’octosyllabes à rimes croisées. Les vers du premier quatrain forment successivement le dernier vers des quatrains suivants. Les premiers mots du premier vers sont répétés, en refrain, tout à fait à la fin, en dehors des rimes ce qui donne le schéma suivant : A1B1A2B2 - BABA1 - ABAB1 - BABA2 - ABAB2 - BABA - Refrain.

Si l’on en trouve, on n’en trouvera guère
De ces rondeaux qu’on nomme redoublés,
Beaux et tournés d’une fine manière,
Si qu’à bon droit la plupart sont sifflés.

A six quatrains les vers en sont réglés
Sur double rime et d’espèce contraire.
Rimes où soient douze mots accouplés,
Si l’on en trouve, on n’en trouvera guère.

Doit au surplus fermer son quaternaire
Chacun des vers au premier assemblés,
Pour varier toujours l’intercadaire
De ces rondeaux qu’on nomme redoublés.

Puis par un tour, tour des plus endiablés,
Vont à pieds joints, sautant la pièce entière,
Les premiers mots qu’au bout vous enfilez,
Beaux et tournés d’une fine manière.

Dame Paresse, à parler sans mystère,
Tient nos rimeurs de sa cape affublés :
Tout ce qui gène est sûr de leur déplaire,
Si qu’à bon droit la plupart sont sifflés.

Ceux qui de gloire étaient jadis comblés,
Par beau labeur en gagnaient le salaire :
Ces forts esprits aujourd’hui cherchez-les ;
Signe de croix on aura lieu de faire,
Si l’on en trouve.

Auteur anonyme

Le lai

Le lai est une des plus anciennes formes de la poésie française. Il n’est presque plus pratiqué de nos jours.

Ce poème narratif était à l’origine écrit en octosyllabes. Puis il est devenu lyrique. Au XIVe siècle, Guillaume de Machaut précise ses règles : division en deux parties de huit vers, chaque huitain se divisant lui-même en deux parties qui forment un quart de la strophe. Chaque quart de strophe, à rimes embrassées, est hétérométrique, c’est-à-dire constitué de vers de longueur différente (sept et quatre syllabes le plus souvent).

Les vers les plus courts, n’étant pas écrits en retrait mais à partir du début de la ligne, il a été surnommé « arbre fourchu ».

Le nombre de couplets est indéterminé. Le nombre de vers par couplet n’est pas fixé.

Longuement me sui tenus
De faire lais,
Car d’amours estoie nus ;
Mais dès or mais
Feray chans et virelais :
G’i sui tenus,
Qu’en amours me sui rendus
A tous jours mais.

S’un petit ay esté mus,
Je n’en puis mais,
Car pris sui et retenus
Et au cuer trais
Tout en un leu de ij trais
D’un yex fendus,
Varis, dous, poingnans, ses et agus,
Rians et gais.

Guillaume de Machaut, Début du « Lay de Bonne Esperance »

Le virelai

Dans sa forme la plus simple, le virelai se compose d’un distique suivi d’un refrain à reprendre en chœur, le tout sur deux rimes. Le terme vient du mot virer (tourner) et évoque la répétition des formules ou les figures de la danse. Il existe aussi des formes plus complexes qui mélangent plusieurs mètres. Il peut aussi commencer comme un rondeau, par une strophe et une formule refrain qui est reprise à distance régulière (tous les huit vers, toutes les deux ou trois strophes).

Quant je sui mis au retour de veoir ma Dame,
Il n’est peinne ne dolour que j’aie, par m’ame.
Dieus ! c’est drois que je l’aim, sans blame de loial amour

Sa biauté, sa grant doucour d’amoureuse flame,
Par souvenir, nuit et jour m’espient et enflame
Dieus ! c’est drois que je l’aim, sans blame de loial amour

Et quant sa haute valour mon fin cuer entame,
Servir la weil sans fotour penser ne diffame.
Dieus ! c’est drois que je l’aim, sans blame de loial amour.
Guillaume de Machaut

La ballade

La ballade est un poème de trois strophes suivies d’un envoi. Le dernier vers de la première strophe revient à la fin des deux autres strophes et de l’envoi, ce vers joue donc le rôle d’un refrain. Les strophes sont soit des dizains, soit des huitains. L’envoi est égal à une demi-strophe. Il débute toujours par une invocation : Prince, Sire, etc.

Si la ballade utilise des dizains, elle comptera 35 vers décasyllabiques (10+10+10+5) à césure classique (4-6). Si elle emploie des huitains, on dénombrera 28 vers octosyllabiques (8+8+8+4). La ballade en dizains est construite sur quatre rimes, celle en huitains sur trois rimes.

Le retour des rimes et leur alternance sont d’une rigueur complexe.

Frères humains qui apres nous vivez
N’ayez les cuers contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassiz ;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz :
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A luy n’avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n’a point de mocquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.

François Villon, « Ballade des pendus »

La villanelle

La villanelle est une forme poétique pastorale d’origine italienne chargée d’évoquer la douceur. Elle est bâtie au moyen de tercets en nombre impair et d’un quatrain final.
Le mètre est l’heptasyllabe. La villanelle est écrite sur deux rimes avec des rimes féminines dominantes pour apporter la fluidité propre à cette forme. La rime masculine se trouve au deuxième vers de chaque tercet et du quatrain final.
Le premier et le troisième vers du premier tercet sont repris chacun à tour de rôle à la fin de chaque autre tercet puis ensemble à la fin du quatrain final. Le quatrain final se compose d’un vers féminin et d’un vers masculin, suivis des premier et troisième vers du premier tercet.
Le schéma d’ensemble de la villanelle est donc le suivant : A1 B A2 - A B A1 - A B A2 - A B A1 A2.

J’ay perdu ma tourterelle ;
Est-ce point elle que j’oy ?
Je veux aller après elle.

Tu regrettes ta femelle ;
Hélas ! aussy fay-je, moy,
J’ay perdu ma tourterelle.

Si ton amour est fidèle,
Aussy est ferme ma foy :
Je veux aller après elle.

Mort que tant de fois j’appelle,
Prends ce qui se donne à toy !
J’ay perdu ma tourterelle,
Je veux aller après elle.

Passerat, La Tourterelle envolée

Le triolet

Le triolet est composé de trois strophes. Ce nombre peut parfois être réduit ou augmenté.
Chaque strophe compte huit octosyllabes. Le triolet est construit sur deux rimes distribuées en A1 B1 A A1 A B A1 B1.
Le quatrième vers répète le premier, et les deux derniers répètent les deux premiers.

Le sonnet

Des poèmes à forme fixe, le sonnet, d’origine italienne, est le plus connu.

Il compte quatorze mètres (le plus souvent des alexandrins, mais aussi parfois des décasyllabes et plus rarement des octosyllabes) répartis en deux quatrains, construits sur deux rimes embrassées (ABBA) ou parfois croisées (ABAB), et un sixain formant deux tercets, construit sur trois rimes.

Le sonnet a été sans doute la forme la plus employée en raison de ses étonnantes ressources de symétrie et de contraste. Le contenu des deux quatrains s’oppose à celui des deux tercets (sizain) dans le contraste de la parité (2 fois 4 mètres) avec l’imparité (2 fois 3 mètres). Ce contraste formel relaie les jeux sur le sens. Jakobson a relevé trois grandes structures significatives dénommées par analogie aux types de rimes :

« disposition plate » où quatrains et tercets s’opposent ;
« disposition croisée » où les strophes impaires s’opposent aux strophes paires ;
« disposition embrassée » où le 1er quatrain et le 2e tercet s’opposent au 2e quatrain et au 1er tercet.
Notons enfin que le dernier vers du sonnet doit proposer une pointe ou une chute qui rassemble la visée du poème, ou souligne un détail formant contraste, ou crée un effet inattendu.

Le sonnet français est représenté par deux schémas fondamentaux. C’est la forme du sizain qui détermine celle du sonnet. Les deux structures traditionnelles sont donc :

le sonnet marotique ou forme ancienne : ABBA - ABBA - CCD - EED,
le sonnet à forme française ou forme nouvelle : ABBA - ABBA - CCD - EDE. Cette dernière forme est la plus usitée.
Dans la forme classique et traditionnelle, il est prescrit de n’employer qu’une seule fois chaque mot à l’exception des mots outils.

Le genre (masculin ou féminin) de la rime du dernier vers est opposé au genre de la rime du premier vers. Tout sonnet construit selon un autre schéma, une autre disposition des rimes, ou avec des vers autres que des alexandrins, est dit irrégulier2.

Les poèmes à formes fixes étrangères

La terza rima

Ce poème également d’origine italienne, est composé de tercets dont le nombre n’est pas déterminé. Le premier vers de chaque tercet rime avec le deuxième vers du tercet précèdent.

Il se termine par un seul vers qui rime avec le deuxième vers du dernier tercet.

Ce poème utilise des alexandrins.

Les rimes de la terza-rima sont distribuées en ABA - BCB - CDC - DEC - YZY - Z.

Voir un exemple de terza rima dans la disposition des rimes à la rubrique rimes tiercées.

Le pantoum

Le pantoum ou pantoun, d’origine malaise, peu usité, est proche des poèmes fantaisistes.

Il se compose de six quatrains à rimes croisées.

Le deuxième et le quatrième vers de chacun d’eux deviennent le premier et le troisième vers du quatrain suivant. De plus, le premier vers du premier quatrain forme le dernier vers du dernier quatrain.

Il peut se lire de haut en bas et de bas en haut.

L’originalité du pantoum réside dans le sens : il développe dans chaque strophe, tout au long du poème, deux idées différentes, l’une contenue dans les 2 premiers vers de chaque strophe, l’autre contenue dans les 2 derniers vers de chaque strophe.

Il utilise plutôt des alexandrins ou des décasyllabes. Le même mètre est conservé dans tout le poème. Les rimes sont distribuées en A1B1AB2 - B1C1B2C2 - C1D1C2D2 - D1E1D2E2 - E1F1E2F2 - F1A1F2A1

Un exemple : le dernier des cinq Pantouns malais de Leconte de Lisle :

Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
J’ai dans l’âme un chagrin amer.
Le vent bombe la voile emplie,
L’écume argente au loin la mer.

J’ai dans l’âme un chagrin amer :
Voici sa belle tête morte !
L’écume argente au loin la mer,
Le praho rapide m’emporte.

Voici sa belle tête morte !
Je l’ai coupée avec mon kriss.
Le praho rapide m’emporte
En bondissant comme l’axis.

Je l’ai coupée avec mon kriss ;
Elle saigne au mât qui la berce.
En bondissant comme l’axis
Le praho plonge ou se renverse.

Elle saigne au mât qui la berce ;
Son dernier râle me poursuit.
Le praho plonge ou se renverse,
La mer blême asperge la nuit.

Son dernier râle me poursuit.
Est-ce bien toi que j’ai tuée ?
La mer blême asperge la nuit,
L’éclair fend la noire nuée.

Est-ce bien toi que j’ai tuée ?
C’était le destin, je t’aimais !
L’éclair fend la noire nuée,
L’abîme s’ouvre pour jamais.

C’était le destin, je t’aimais !
Que je meure afin que j’oublie !
L’abîme s’ouvre pour jamais.
Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !

On pourrait citer « Harmonie du soir » de Baudelaire, mais ce poème est un pantoum irrégulier car son dernier vers diffère du premier.

Le haï-kaï

Ce poème, d’origine japonaise, très court, doit être extrêmement concis.

Il ne contient que 17 syllabes au total, réparties en 3 vers de 5 - 7 et 5 syllabes.

Pas de règles en ce qui concerne les rimes.

Le tanka

Autre poème d’origine japonaise, il contient 31 syllabes réparties en 5 vers de 5-7-5-7 et 7 syllabes.

Pas de règles en ce qui concerne les rimes.

Le ghazel

Le ghazel est un court poème lyrique de la poésie turque et persane. Ce poème est un dizain d’alexandrins construit sur trois rimes et divisé en trois strophes de 2 - 4 et 4 vers.

En principe, les deux premiers vers sont à rimes masculines.

Les rimes sont distribuées en AA - BBBA - CCCA.

Les formes fantaisistes

Certaines formes fantaisistes sont employées plutôt pour le divertissement. Elles expriment souvent une virtuosité gratuite. Parmi elles figurent les acrostiches, les contrerimes et les pantorimes.

Majuscule et acrostiche

Le vers, formant un tout, commence toujours par une majuscule.

Cette règle est indispensable à la beauté de la mise en page du poème. La majuscule contribue aussi à la lisibilité du vers et distingue l’énoncé poétique de la prose.

Dans certaines compositions, et tout particulièrement dans les acrostiches, elle acquiert encore une autre valeur expressive. Cette forme poétique est composée de telle façon que la lecture, dans le sens vertical, de la première lettre de chaque vers donne un mot, souvent le sujet de ce poème. Apollinaire en a dédié à Lou3. Arvers en a dissimulé un dans son fameux sonnet.

Contrerime

La contrerime est un poème assez court de trois à cinq quatrains bâtis sur une alternance d’octosyllabe et d’hexasyllabe. Elle a été employée par Leconte de Lisle et surtout Paul-Jean Toulet. Cette alternance des mètres se combine avec des rimes embrassées (ABBA). Cette forme dégage un effet de claudication caractéristique. La rigueur de sa construction et sa forme ramassée auraient dû la rattacher à la poésie classique. Mais ce déhanchement et cette brièveté peu favorables au lyrisme n’ont pas trouvé de nombreux illustrateurs si bien que la contrerime est restée un genre en marge.

Pâle matin de Février
Couleur de tourterelle
Viens, apaise notre querelle,
Je suis las de crier ;

Las d’avoir fait saigner pour elle
Plus d’un noir encrier…
Pâle matin de Février
Couleur de tourterelle.

Paul-Jean Toulet, Contrerimes

Pantorimes ou homorimes, …

Les pantorimes sont des vers qui riment intégralement. On parle aussi de vers holorimes (ou olorimes). Voir plus bas les rimes « milliardaires ». Alphonse Allais en a produit de superbes. En voici un exemple de Maurice Siegward :

MUSE
Demoiselle "conte"
De moi zèle conte.
Amoureusement
Amoureuse ment :
Sans doute ma muse
Message vint ! Cœur.
Mais, sage vainqueur,
L’amante fidèle
L’amant te fit d’elle.

Le vers libre ou libéré

Traditionnellement on attribue l’invention du vers libre ou vers libéré à deux poètes du XIXe siècle, Aloysius Bertrand, dans son Gaspard de la nuit (1842), puis Rimbaud, avec les Illuminations. Ils ont voulu s’affranchir des règles de la métrique traditionnelle pour trouver une forme nouvelle convenant mieux à leur projet poétique. En fait il faudrait remonter à Blaise de Vigenère (1523-1596), secrétaire de Henri III, et à son « Psaultier de David torné en prose mesurée ou vers libres », en 1588 pour trouver une première attestation explicite d’un tel vers. C’est pourtant le XIXe siècle qui s’est montré soucieux de libérer le vers de ses règles jugées trop contraignantes. Les poètes se sont alors trouvés à l’étroit dans une métrique ou des formes qui ne leur permettaient pas d’inventer de nouvelles voies d’expressivité. On oublie les contributions de Charles Baudelaire4 comme son « Épilogue » inachevé aux Fleurs du Mal pour acclimater le vers libre dans une production assez classique et lui donner ainsi un début de succès auprès du grand public, ce que n’avait pas réussi Aloysius Bertrand.

Émile Verhaeren explique le besoin de cette mutation : « Le rythme est le mouvement même de la pensée […] la poétique nouvelle supprime les formes fixes, confère à l’idée-image le droit de se créer sa forme en se développant, comme le fleuve crée son lit. »

Un vers libre est un vers qui n’obéit à aucune structure régulière : ni mètre, ni rimes, ni strophes. Cependant, le vers libre conserve certaines caractéristiques du vers traditionnel :

la présence d’alinéas d’une longueur inférieure à la phrase ;
la présence de majuscules en début de ligne, mais pas toujours ;
des blancs encadrant largement et irrégulièrement le poème ;
des groupes de vers de différentes longueurs séparés par un saut de ligne ;
des longueurs métriques variables mais repérables ;
des enjambements ;
des échos sonores ;
des anaphores…
Dans cet aperçu sur le vers libre, il faudrait mentionner spécialement le verset.

Cette forme poétique issue de la Bible est une incantation, une célébration. Elle recourt à un langage mystique, mélodieux s’appuyant sur les reprises anaphoriques, les exclamations…. pour produire le chant sacré de l’invocation. Le verset se distingue de la prose poétique par des structures strophiques et surtout le retour à la ligne, usage qui caractérise essentiellement la poésie, par le rythme particulier déclamatoire qu’il confère au texte. Paul Claudel et Saint-John Perse s’y sont illustrés.

Ah, je suis ivre ! ah, je suis livré au dieu ! j’entends une voix en moi et la mesure qui s’accélère, le mouvement de la joie,
L’ébranlement de la cohorte Olympique, la marche divinement tempérée !
Que m’importent tous les hommes à présent ! Ce n’est pas pour eux que je suis fait, mais pour le
Transport de cette mesure sacrée !
Ô le cri de la trompette bouchée ! ô le coup sourd sur la tonne orgiaque !
Que m’importe aucun d’eux ? Ce rythme seul ! Qu’ils me suivent ou non ? Que m’importe qu’ils m’entendent ou pas ?
Voici le dépliement de la grande Aile poétique !
Que me parlez-vous de la musique ? laissez-moi seulement mettre mes sandales d’or !
Je n’ai pas besoin de tout cet attirail qu’il lui faut. Je ne demande pas que vous bouchiez les yeux.
Les mots que j’emploie,
Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes !
Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucun sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. Pas aucune de vos phrases que je ne sache reprendre !
Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas.
Et ces pieds sont vos pieds, mais voici que je marche sur la mer et que je foule les eaux de la mer en triomphe !

Posté le : 22/08/2012 13:34
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Re: règle de métrique
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La prosodie

La prosodie est l’étude des phénomènes de l’accentuation et de l’intonation (variation de hauteur, de durée et d’intensité) permettant de véhiculer de l’information liée au sens telle que la mise en relief, mais aussi l’assertion, l’interrogation, l’injonction, l’exclamation…. Elle contribue grandement à la musicalité de la poésie.

Sons et sens

Le poète joue d’abord avec les sons pour accompagner et soutenir le sens de son propos. Quand on parle de sens en poésie, il s’agit plutôt de sentiments, d’impressions, d’expérience à partager. Les sons aident souvent à créer ce climat particulier à chaque poète, à évoquer l’implicite ou l’indicible, cette « sorcellerie évocatoire » appelée de tous ses vœux par Baudelaire, « cette musique avant toute chose » réclamée par Verlaine.

L’harmonie résulte donc du choix et de la combinaison des syllabes pour obtenir les sonorités désirées. Aussi le choix des mots est-il le premier souci du poète.

Selon les traditions poétiques françaises, certains sons correspondent à des effets précis.

Voyelles aiguës : [i] (ville, île), [e] (thé, jouer, courai), [ε] (amer, sèche, aimais, teigne), [y] (sur, j’eus), [ø] (jeûne, cheveu, œufs), [ɶ] (œuf, veuf, œil), effet aigu, clair, doux, léger.

Voyelles graves : [a] (vache, ma), [o] (pôle, saule, sot), [Ɔ] (col, botte, Paul), [ɑ] (lâche, tas, pâte), [u] (tous, goût), effet grave.

Voyelles fermées : [i], [y], [u],[e],[ø], [o], effet sombre, grave, sourd. Les voyelles fermées seront recherchées pour exprimer la mélancolie, l’angoisse, la lenteur ou la majesté.

Voyelles ouvertes : [a], [œ], [ε], [ɑ], [Ɔ], éclatant.

Voyelles nasales : [ɑ̃] (champ, ange, emballer, ennui, vengeance), [œ̃] (parfum, aucun, brun, à jeun), [ɛ̃] (limbe, instinct, main, saint, dessein, lymphe, syncope), [ɔ̃] (plomb, ongle, mon), effet voilé, muté, attenué, mou, lent.

L’impression laissée par une syllabe dépend de sa longueur et de sa sonorité. Les syllabes brèves, surtout lorsqu’elles sont répétées, conviennent peur exprimer la vivacité, la rapidité. Par contre, les syllabes longues seront recherchées pour produire la nonchalance, la lenteur.

La répétition de sons produit un énoncé monotone.

Les voyelles aiguës exprimeront tour à tour la joie, la douleur, l’aigreur, la vivacité, selon qu’elles seront isolées, répétées, accompagnées de consonnes instantanées ou continues, et employées dans des syllabes longues ou brèves. Une voyelle aiguë entourée de voyelles claires et éclatantes conviendra pour lancer un cri de joie.

Les voyelles aiguës répétées conviennent bien pour exprimer la douleur. Dans une suite de syllabes brèves, les voyelles aiguës et ouvertes favorisent la vivacité.

Les voyelles orales (a-e-i-o-u-eu-ou) seront plus vives que les voyelles nasales (a : an ; e : en ; eu : eun ; o : on).

Pour les consonnes, certaines sont sonores : b-v-d-z-g-j-, d’autres sont sourdes : p-f-t-s-c-ch. Elles sont instantanées (prononcées brusquement) : b-p-d-t-g-c-, ou continues (son prolongé) : v-f-z-s-j-ch. Les consonnes instantanées expriment la dureté.

Consonnes momentanées [p, t, k, b, d, g] : effet sec, hésitant.

Consonnes continues [f, v, l, m, n, s, z, ] : effet soutenu, onomatopée. Les consonnes continues conviennent aussi pour exprimer la douceur.

Consonnes nasales [n, m] : effet doux, mou, languissant.

Consonnes spirantes [s, z] : effet sifflant.

Il y a également les consonnes dites nasales : m, n, gn, et celles qui sont dites liquides (prononciation coulante) : l, r.

S’y ajoutent les trois semi-consonnes :

i, ou yod, écrite i - y ou il (ill) : (l’amitié, lien, yeux, émail, charmille) ;
eu, ou wou, écrite ou, o ou u : (oui, joie, square) ;
u, ou wu, écrite u : (huile).
[R] + voyelles ouvertes : effet grinçant.

[R] + voyelles fermées : effet grondant.

L’E muet apporte toujours une longueur supplémentaire convenant pour la douceur.

L’allitération est une répétition de consonnes ou de sons consonantiques voisins
(par ex. D et T) qui constitue un procédé suggestif reposant sur le retour, dans plusieurs syllabes rapprochées, d’un même trait phonique.

« Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne »
Guillaume Apollinaire, Alcools, « Chanson du Mal-Aimé »
→ On peut noter la reprise des F, consonne continue, qui expriment ici la douceur trompeuse de cette affection féminine.

L’assonance est la répétition d’un même son vocalique ou de sons vocaliques voisins (par ex. A et OI) dans plusieurs syllabes rapprochées.

« Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. »
Jean Racine, Phèdre
→ Ce vers contient une assonance en I. La voyelle aiguë présente l’acuité de la souffrance de la reine, et son aspect fermé exprime son angoisse. L’assonance vient souligner la reprise du verbe nuire, manifestation de l’acharnement caché divin (ou de l’hérédité) sur la fille de Minos et de Pasiphaé.

Pour étudier les correspondances entre sons et sens dans un texte, il faut passer par les étapes suivantes :

la lecture lente et attentive (à haute voix dans sa tête) pour repérer allitérations et assonances principales,
le regroupement des mots à phonèmes voisins,
étudier les champs sémantiques de ces mots pour voir s’ils appartiennent au même champ lexical,
rendre compte de la valeur suggestive de certains phonèmes.
Appliquons la méthode à cet extrait des Romances sans paroles de Verlaine :

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Le poète y exprime son chagrin, sa tristesse : voilà le fil conducteur ! Quels éléments du poème soutiennent cette déclaration élégiaque ? D’abord le vocabulaire, langueur et cœur (2), indique le champ lexical de l’affectivité. Ensuite la comparaison met en correspondance les larmes et la pluie ; le climat est à l’unisson de l’affliction du poète. La tristesse s’insinue dans l’esprit comme la pluie imbibe les vêtements. Enfin Verlaine joue sur la paronomase : « pleut » s’épand en « pleure ». La tournure impersonnelle « il pleure » décalque le vocabulaire météorologique (il pleut, il neige, il vente). Verlaine utilise des vers courts (hexasyllabes) pour une plainte rapide et accablante. Les trois derniers vers présentent un rythme binaire en 3 / 3 affectif et monotone.

Concernant les sons, nous pouvons relever plusieurs allitérations :

K (cœur, comme, quelle, qui, cœur) : le clapotis de la pluie ?
L (il, pleure, il, pleut, la, ville, quelle, langueur), consonne liquide comme les pleurs ou la pluie.
Mais aussi,

une assonance en E (pleure, cœur, langueur, cœur) doublée d’une allitération en R : voyelles aiguës ouvertes assorties du R liquide pour exprimer la souffrance vive.
et une forte proportion de voyelles nasalisées/dénasalisées (dans, mon, comme, langueur, pénètre, mon). Là, l’effet produit est l’allongement du son qui traduit l’amollissement, l’ennui et la tristesse.
Tout contribue à renforcer le sens premier perçu.

Posté le : 22/08/2012 13:55
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Re: règle de métrique
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L’hiatus

L’hiatus est la rencontre de deux voyelles, sans élision. Dans le corps d’un vers, il y a hiatus chaque fois qu’un mot terminé par une voyelle sonore est immédiatement suivi par un mot commençant par une voyelle ou par un H muet (comme dans tu as, tu es, j’ai aiguisé, j’ai honoré). La conjonction de coordination et, dont le T n’est jamais prononcé, produit un hiatus avec toute voyelle sonore qui la précède ou la suit (Il a apprécié et acheté ce recueil).

En revanche l’adverbe monosyllabique oui qui se prononce sur une aspiration peut succéder à une voyelle sonore (Eh oui !). Si un E muet précède oui, il peut être élidé, sauf dans ce, le, que car il perd son caractère muet en servant d’appui à la voix (ce oui, le oui traditionnel du mariage).

Les interjections ah ! eh ! oh ! dont le H final est aspiré, peuvent également être répétées sans produire d’hiatus. De même, elles peuvent être placées devant un mot commençant par une voyelle.

L’hiatus est en principe désagréable à l’oreille. Il s’intègre mal dans des vers qui voudraient célébrer la douceur de la vie.

La rime

Généralités, rime sémantique

La rime se définit comme la reprise de la dernière voyelle sonore et éventuellement des consonnes qui la suivent. Ainsi barbu rime avec pointu, espoir avec soir, sarcelle avec aile (du moins selon la phonétique car la rime n’impose pas une similitude orthographique : une orthographe équivalente est suffisante). On distingue les rimes masculines terminées par une syllabe tonique comme clerc et chair des rimes féminines terminées par un E caduc comme claire et chère. La rime concourt notablement au rythme du poème.

Une rime est dite féminine quand elle se termine par un E muet suivi ou non de la marque du pluriel par les consonnes S ou NT. Ainsi cède rime avec Mède, plantes avec sentes, tombent avec plombent. Pour les 3es personnes du pluriel dans lesquelles la terminaison ENT suit une consonne, la rime est considérée comme féminine : ils surent, ils lurent. Pour les verbes au subjonctif, lorsque la terminaison ENT est placée après une voyelle, la rime est considérée comme féminine si la terminaison est prononcée de la même manière au pluriel et au singulier : qu’ils prient et qu’il prie.

La rime est masculine dans tous les autres cas. Pour les 3es personnes du pluriel dans lesquelles la terminaison ENT suit une voyelle avec laquelle elle forme une seule syllabe, la rime est considérée comme masculine : plantaient, chantaient. Dans ce cas, la terminaison ENT ne peut rimer qu’avec elle-même.

La rime doit tout à la fois satisfaire l’œil, l’oreille et l’esprit. Scandant la fin des vers, elle crée une accoutumance et une attente chez le lecteur/auditeur, elle joue le rôle d’une balise dans les énoncés successifs. Elle constitue donc un endroit privilégié pour le sens car le mot placé à la fin du vers sera mieux mémorisé.

L’étude des rimes ne doit donc pas seulement concerner leur forme, mais encore le rapport de sens (la rime sémantique) qui résulte de l’appariement des mots. Ce rapport souligne parfois des mots voisins par le sens ou au contraire leur opposition. Parfois leur mise en relation se révèle plus complexe.

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Lamartine, Méditations poétiques, « Le lac »

Dans cet extrait, la rime renforce l’antithèse entre les mots « bonheur » et « malheur ». « Ivresse » et « vitesse » sont, quant à eux, liés par le rapport de cause à effet.

L’importance de la rime sémantique est mise en valeur par un genre poétique particulier qui a connu un grand succès aux XVIIe et XVIIIe siècles : les bouts-rimés. Cet exercice de virtuosité consiste à rendre une forme poétique (genre et mètres donnés) en utilisant des rimes (mots) imposées à l’avance par le donneur d’ordre en trouvant un réseau de sens cohérent et vraisemblable entre les mots fournis.

Valeur des rimes


La rime est appréciée suivant le nombre de phonèmes qui sont repris. La rime est assurée au minimum par l’identité de la voyelle tonique finale. Elle doit en outre satisfaire à la fois l’œil et l’oreille. Les lettres terminales de la rime doivent être identiques, ou appartenir au même groupe vocal : ce sont les consonnes finales équivalentes.

Ainsi en va-t-il avec les consonnes muettes S-X–Z (pris rime avec prix ; épais avec paix ; mois avec noix), B-C-D-G-T-P (marchand rime avec champ et chant ; descend avec récent), M et N (faim rime avec fin ; nom avec non), S du pluriel et des mots terminés en S non prononcé au singulier (dais rime avec dés).

Mais aussi avec les consonnes finales sonores C-K-CH-Q… (stick rime avec hic ; roc rime avec Bangkok ou Koch).

L’identité des lettres terminales ou de même groupe vocal est nécessaire pour les mots au singulier. La marque du pluriel ne retire pas aux mots l’équivalence finale nécessaire.

Les syllabes terminées par la consonne muette R dans le son É ne peuvent rimer qu’entre elles, au singulier comme au pluriel (souper ne peut rimer avec santé).

Certaines rimes seront seulement acceptées si elles présentent une consonne d’appui équivalente. Ces consonnes d’appui équivalentes sont B et P (tombé avec râpé), D et T (scindé avec tenté), F et V (effet avec revêt), J et CH (jais avec penché), le son K et G (bancal et égal), N et GN (puîné avec désigné), X - S et Z (mixé avec rasé et Azay).

En revanche les rimes suivantes seront considérées comme impropres :

Toute rime dont la lettre finale n’est pas identique ou équivalente (soi ne rime pas avec soit).
Un pluriel avec un singulier (fruit ne rime pas avec cuits). En revanche cette rime est acceptée si la graphie est la même entre singulier et pluriel (un dais peut rimer avec des rais).
Une voyelle brève et une voyelle longue (cache ne rime pas avec bâche).
Deux graphies ER ne riment pas si l’une offre le son É, l’autre le son È (piaffer ne rime pas avec enfer)1.
Une terminaison sourde et une terminaison sonore (rébus ne rime pas avec autobus).
Une terminaison ayant un ou deux L mouillés et une terminaison ayant un ou deux L non mouillés (cheville ne rime pas avec bacille).
On parle d’assonance lorsque la dernière voyelle est suivie de consonnes différentes comme dans clerc et chef.

La rime est dite pauvre quand seule la dernière voyelle est reprise comme dans barbu et chenu.

La rime est dite suffisante quand deux phonèmes sont repris : consonne précédente + voyelle comme dans pointu et battu ; voyelle + consonne suivante comme dans mer et ver.

La rime est dite riche quand plus de deux phonèmes sont repris comme dans fer et enfer.

La rime est dite léonine quand deux syllabes (ou plus) sont répétées de vers en vers.
« Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature ! »
Stéphane Mallarmé, « Brise marine »

Pour favoriser la richesse des rimes, dès le XVIIe siècle, les théoriciens recommandent de ne pas faire rimer des éléments de même catégorie grammaticale (verbes : prient et rient, adverbes : modestement et humblement…), dérivés l’un de l’autre ou de même famille (rit et sourit…), de mots qui s’appellent trop automatiquement (amours et toujours…), de mots opposés directement (largesse et étroitesse).

On parle de rimes équivoquées quand les mots à la fin de chaque vers sont repris à la rime du vers suivant par des mots consonants mais qui diffèrent de sens selon le principe du calembour.

La « Petite épître au roi » de Clément Marot en est un exemple fameux :

En m’ébattant je fais rondeaux en rime,
Et en rimant bien souvent, je m’enrime ;
Bref, c’est pitié d’entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime ailleurs,
Et quand vous plait, mieux que moi rimassez,
Des biens avez et de la rime assez :
Mais moi, à tout ma rime et ma rimaille,
Je ne soutiens (dont je suis marri) maille.
Or ce me dit (un jour quelque rimart)
« Vien ça, Marot, trouves tu en rime art
Qui serve aux gens, toi qui as rimassé ?
– Oui vraiment, réponds-je, Henry Macé ;
Car, vois-tu bien, la personne rimante
Qui va au jardin de son sens la rime ente,
Si elle n’a des biens en rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime oyant.
Et m’est avis, qui si je ne rimois,
Mon pauvre corps ne serait nourri mois,
Ne demi-jour. Car la moindre rimette,
C’est le plaisir, où faut que mon ris mette. »
Si vous supplie, qu’à ce jeune rimeur
Fassiez avoir par sa rime heur,
Affin qu’on dise, en prose ou en rimant ;
« Ce rimailleur, qui s’allait enrimant,
Tant rimassa, rima et rimonna,
Qu’il a connu quel bien par rime on a. »

La rime « milliardaire » est un jeu de l’esprit utilisé dans les vers holorimes (olorimes) ou pantorimes.
Ce type de rimes utilise aussi le calembour.

« Par les bois du Djinn où s’entasse de l’effroi.
Parle et bois du gin ou cent tasses de lait froid. »
Alphonse Allais

« Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses,
Danse, aime, bleu laquais, ris d’oser des mots roses. »
Charles Cros

Ce type de rimes a pu exceptionnellement allier la virtuosité à l’expression des sentiments :

« Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas ! »
Louise de Vilmorin, L’Alphabet des aveux

Posté le : 22/08/2012 14:00
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Re: règle de métrique
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Disposition des rimes

Dans les rimes continues, tous les vers se terminent par la même rime selon le schéma AAAA. Il n’y a donc nulle alternance entre les rimes féminines et masculines. On trouve de telles assonances dans la Chanson de Roland :

« Roland frappe sur une pierre bise
Il en abat plus que je ne sais vous dire
L’épée grince, elle n’éclate ni ne brise
Vers le ciel en haut, elle rebondit. »

et de telles rimes dans les pièces légères du XVIIe ou du XVIIIe siècle comme dans ces octosyllabes de Le Franc De Pompignan :

« Or nous fûmes au Château d’If.
C’est un lieu peu récréatif
Défendu par le fer oisif
De plus d’un soldat maladif. »
Cette disposition crée une monotonie certaine, mais permet aussi des reprises amusantes.

Dans les rimes suivies ou plates, on fait alterner régulièrement deux rimes masculines et deux rimes féminines ou vice versa selon le schéma AA BB CC DD

« Une heure est à Venise, – heure des sérénades,
Lorsqu’autour de Saint-Marc, sous les sombres arcades,
Les pieds dans la rosée et son masque à la main,
Une nuit de printemps joue avec le matin. »
Alfred de Musset, Premières poésies, « Portia »

Les rimes croisées font alterner une rime masculine avec une rime féminine selon le schéma ABABCDCD…

« Depuis longtemps déjà je t’ai laissé tout seul
Cependant me voici t’apportant mon mensonge
Poète sois joyeux tu sembles un linceul
Regarde-moi c’est moi je ne suis pas un songe »
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, « La ceinture »

Les rimes embrassées font précéder et suivre deux rimes masculines (ou féminines) d’une rime féminine (ou masculine) selon le schéma ABBA CDDC…

« La tzigane savait d’avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l’Espérance »
Guillaume Apollinaire, Alcools, « La Tzigane »

Dans les rimes redoublées, la même rime est reprise au moins trois fois selon l’un des schémas ABAAB ou AABAB ou AAAB ou ABBB…

« Que ne suis-je, prince ou poète,
D’un monde à la fois base et faîte,
Que leur temps ne peut contenir,
Qui, dans le calme ou dans l’orage,
Qu’on les adore ou les outrage,
Devançant le pas de leur âge,
Marchent un pied dans l’avenir ! »
Victor Hugo, les Feuilles d’Automne, « À M. David, statuaire »

On trouve seulement les rimes tiercées dans la terza-rima selon la disposition ABA-BCB-CDC-DED-E. Le schéma d’alternance des rimes féminines et masculines sera le suivant :
si l’on commence par une rime masculine : MFM - FMF - MFM - FMF – M,
si l’on commence par une rime féminine : FMF - MFM - FMF - MFM – F.

Comme un poison subtil redoutons la pensée.
Moi, si j’avais vingt fils, ils auraient vingt chevaux
Qui, sous les grands soleils ou la bise glacée,

Les emportant joyeux, et par monts et par vaux,
Devanceraient la flèche et l’oiseau dans leurs courses ;
Ils n’entendraient jamais parler de leurs cerveaux ;

La matière partout leur créerait des ressources,
Tout leur serait festin ; leur soif à tous moments
Boirait le Malvoisie ou l’eau froide des sources ;

Des chiens de tous poils les suivraient écumants.
Ils s’époumoneraient dans un cornet d’ivoire
À sonner le trépas aux sangliers fumants ;

Des broussailles pour lit, un étang pour baignoire,
Ils dormiraient beaucoup, et rêveraient fort peu,
Se portant comme Hercule, et mettant là leur gloire ;

Puis l’hiver, ils auraient et l’orgie et le jeu,
Tout ce qui ne sent pas la science et l’école…
Des cartes ? en voilà… mais un livre, grand Dieu !

Un livre ! ils y pourraient trouver une parole
Qui desséchât leur sang, épouvantât leurs nuits,
Bouleversât leurs nerfs, rendît leur raison folle.

Ils pourraient devenir, un jour, ce que je suis !

Émile Deschamps, Le Parnasse contemporain, « Terza Rima »

Les rimes triplées (AAA BBB CCC) ont été proscrites dans la poésie classique du XVIIe siècle mais ont été remises à l’honneur par certains poètes romantiques.

Les rimes mêlées ne sont pas disposées dans un ordre uniforme. Nous les trouvons dans les vers hétérométriques (ou irréguliers) composant surtout les fables. La règle de l’alternance des rimes masculines et féminines doit cependant être respectée.

En effet, dans tout poème, rimes masculines et féminines doivent alterner. Commencer le poème par une rime masculine ou féminine est laissé au choix du poète, sauf pour les poèmes à forme fixe.

Rimes complexes ou ouvragées

On parle de rime intérieure lorsqu’un mot placé à l’intérieur d’un vers rime avec les mots placés à la fin du vers.

« Ainsi font pleurs, tristesses et malheurs […] » Lemaire de Belges

On emploie le terme de rimes internes ou brisées ou rime asynartète quand les vers riment à la césure2 :

« De cœur parfait - chassez toute douleur,
Soyez soigneux, - n’usez de nulle feinte,
Sans vilain fait - entretenez douceur,
Vaillant et pieux, - abandonnez la feinte. »
Octavien de Saint-Gelais

Ce type d’écho fait rimer les césures principales à l’intérieur du vers si bien que le mètre peut être scindé en deux demi-vers distincts3.

La rime serpentine ou batelée est caractérisée par la reprise de la finale sonore d’un vers à l’hémistiche du vers suivant :

« La grace dans sa fueille, et l’amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d’odeur ;
Mais battue ou de pluye, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille declose. »
Ronsard, Amours de Marie, II,4

« Je rêve en mon dortoir des lumières sereines,
Une éclatante reine en un pompeux manoir
Mais dans le profond noir s’envolent des phalènes,
Mille flocons de laine en un sombre miroir »
Marcel Schwob

Les poètes de la fin du XVe siècle et du début du XVIe, ceux que l’on a appelés les « grands Rhétoriqueurs » se sont montrés très friands de rimes complexes et riches parmi lesquelles on peut citer :

Les rimes couronnées qui reprennent deux fois la dernière syllabe du vers, voire les deux ou trois dernières :
« La blanche colombelle, belle,
Souvent je vais priant, criant ;
Mais dessous la cordelle d’elle,
Me jecte un œil friand, riant »
Clément Marot, L’Adolescence clémentine, « Dieu gard ma Maîtresse et Régente »

Dans les rimes à double couronne, nous avons le redoublement de la dernière syllabe du vers avec une reprise à la césure suivante4.
Les rimes emperières ou impériales qui répètent trois fois la même syllabe à la fin du vers :
« Prenez en gré mes imparfaitz, faictz, faitz
Benins lecteurs, très diligents, gents, gens,
De maintes sortes je vous promets metz mais
Qu’indigestibles aux indécents sans sens. »
Les rimes annexées ou concaténées dans lesquelles le vers suivant commence par la rime du vers précédent :
« Dieu gard ma maîtresse et régente
Gente de corps et de façon,
Son cœur tient le mien en sa tente
Tant et plus d’un ardent frisson.
S’on m’oyt pousser sur ma chanson
Son de luth ou harpes doucettes,
C’est espoir qui sans marrisson
Songer me fait en amourettes. »
Clément Marot, L’Adolescence clémentine, « Dieu gard ma Maîtresse et Régente »
Les rimes enchaînées ou fratrisées dans lesquelles la dernière ou les deux dernières syllabes du vers sont répétées au début du vers suivant, mais avec une acception différente :
« Metz voyle au vent, single vers nous, Caron,
Car on t’attend ; et quand seras en tente
Tant et plus boy, bonum vinum carum. »
Clément Marot, Les Opuscules, « L’Enfer »
Les rimes sénées dans lesquelles tous les mots commencent par la même lettre. Un poème dont tous les vers commençaient par une même lettre s’appelait poème en rimes sénées. On parle aussi de tautogrammes.
« Ardent amour, adorable Angélique. » cité par l’Encyclopédie de Diderot

« C’est Clément Contre Chagrin Cloué
Et Est Estienne Esveillé, Enjoué. »
Clément Marot, L’Adolescence clémentine, « Rondeaux »
Les rimes rétrogrades : dans chaque vers, la lecture peut s’effectuer de gauche à droite ou de droite à gauche sans que la signification soit altérée et en conservant les rimes.
« Triomphamment cherchez honneur et prix,
Désolez cueurs, méchants infortunez ;
Terriblement estes moquez et pris »
→ La lecture en sens inverse donne :
« Prix et honneur cherchez triomphamment,
Infortunez, méchants cueurs désolez
Pris et moquez estes terriblement. »

Bon courage à tous

Posté le : 22/08/2012 14:08
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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