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Wilhelm Furtwängler 3
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L'unité de l'œuvre et les théories de Schenker

Le chef d'orchestre Hans von Bülow. Il fut le premier chef permanent de l'Orchestre philharmonique de Berlin et l'ami personnel de Franz Liszt, Richard Wagner et Johannes Brahms. Richard Wagner, Hans von Bülow et Arthur Nikisch sont les trois principaux chefs d'orchestre de la tradition allemande de direction orchestrale dont Furtwängler allait hériter.
Mais la mise en valeur de la structure des œuvres musicales telle que le compositeur l'avait souhaitée était au centre de l'art de Furtwängler. En cela, il était l'héritier de Hans von Bülow qui travaillait en profondeur les partitions des musiciens contemporains dont il dirigeait les œuvres. Hans von Bülow entretenait une relation personnelle avec des compositeurs majeurs comme Richard Wagner, Franz Liszt ou Johannes Brahms, ce qui lui donnait un accès direct au travail de composition. On sait, par ailleurs, que von Bülow faisait souvent des variations de tempo comme Richard Wagner. De la même façon, Furtwängler avait passé toute sa jeunesse à étudier la composition car jusqu'à la fin de sa vie il se considéra, avant tout, comme un compositeur. D'autre part, la femme d'Arnold Schönberg rapporta que Furtwängler voulait absolument respecter ce que son mari avait voulu dire avant de diriger l'une de ses œuvres, le harcelant sans arrêt de questions : son souci était de respecter absolument l'intention du compositeur, Schönberg en l'occurrence.
En 1902-1903, Furtwängler étudia la composition avec le chef d'orchestre et compositeur Max von Schillings. Comme le remarqua Pierre Brunel, pour Furtwängler création et interprétation vont de pair. Günther Birkner ajouta : dès le début, Furtwängler est un créateur et se définit comme tel. Cet aspect de sa personnalité déborde le cadre de la composition et inspire l'activité du chef, comme le montrent ses interprétations, véritablement marquées par une volonté de recréation de l’œuvre. Même si le destin lui réserve un rôle exceptionnel d'exécutant, son aspiration la plus profonde tend à la création.
En plus de sa formation solide en composition, sa compréhension de la structure des œuvres du répertoire symphonique austro-allemand a été très fortement enrichie et élargie par les théories du musicologue juif viennois Heinrich Schenkergg. On doit à Heinrich Schenker une théorie de la musique tonale fondée sur une lecture extrêmement attentive des partitions appelée Analyse schenkérienne. Il est considéré comme le fondateur de l'analyse musicale moderne. Furtwängler lut pour la première fois la monographie d'Heinrich Schenker sur la neuvième symphonie de Beethoven en 1911 qui l'impressionna au plus haut point. Dès cette époque, il chercha à acquérir tous les ouvrages du musicologue. Avant même sa rencontre avec Furtwängler, Schenker avait perçu le caractère exceptionnel de Furtwängler comme chef d'orchestre. Schenker écrivit, en effet, dans son journal personnel après avoir assisté à un concert de la cinquième de Beethoven par Furtwängler : aucun doute que ce jeune chef l'emporte sur Felix Weingartner, Arthur Nikisch et Richard Strauss ; il faut simplement regretter qu'il n'ait pas encore exploré davantage le domaine de la composition.
Furtwängler eut tout le temps d'étudier la composition avec Schenker qu'il rencontra enfin en mai 1919. Ils entretinrent une longue relation jusqu'à la disparition du musicologue en 1935 ce qui permit à Furtwängler d'étudier auprès de lui régulièrement et de travailler ensemble les partitions que Furtwängler dirigeait peu après. Il semble que leur relation eut des hauts et des bas mais ne s'arrêta jamais même après l'arrivée d'Hitler au pouvoir Schenker était juif et vivait à Vienne. Furtwängler resta longtemps en contact avec la femme de Schenker et certains de ses disciples après la mort du musicologue en 1935. En raison de ses idées musicologiques très novatrices pour l'époque, Schenker ne réussit jamais à obtenir un poste académique malgré les efforts de Furtwängler dans ce sens. Schenker vécut surtout grâce à des mécènes dont Furtwängler faisait partie. Elisabeth Furtwängler témoigna de l'importance de la pensée de Schenker sur son mari même bien après la guerre: Furtwängler se passionnait pour le concept d'écoute structurelle fernhörennote 29 que Heinrich Schenker, comme l'écrivit Furtwängler en 1947, situe au centre de toutes ses considérations. L'écoute structurelle, c'est-à-dire le fait d'entendre ou de percevoir sur une longue distance une grande continuité dont les éléments partent souvent dans de nombreuses directions est, pour Schenker, le signe distinctif de la grande musique classique allemande.
Furtwängler était, en effet, l'héritier d'une tradition philosophique cherchant avant tout à retrouver l'idée ce que Schenker appelle l'écoute structurelle d'un point de vue musicologique dans la multitude des phénomènes, l’œuvre n'est pas qu'une succession d'éléments le tempo, les variations d'intensité, etc. dont le rendu suppose la résolution de problèmes techniques.
C'est en raison de l'importance que Furtwängler attachait à la mise en valeur de la cohérence des œuvres, qu'il faisait jouer un rôle central aux transitions car c'est elles qui permettaient d'articuler clairement les différentes parties du morceau. Daniel Barenboïm, qui assista à de nombreuses répétitions avec Furtwängler, déclara qu'il avait l'impression qu'il ne travaillait que les transitions. Furtwängler excellait à conserver la ligne mélodique et la cohérence de la symphonie l'écoute structurelle même si le nombre d'instruments était très important et que la ligne mélodique pouvait passer d'un pupitre à l'autre très rapidement c'est-à-dire dans de nombreuses directions pour reprendre l'expression de Heinrich Schenker à propos de la musique allemande. Sami Habra déclara en effet : la beauté de Furtwängler des fortissimo dans le discours musical, la continuité dans le discours mélodique qui part d'un bout à l'autre de l'orchestre, qui séjourne dans un pupitre, passe dans les autres et revient à la source, c'est admirable. On ne la perd jamais.

L'expressivité et l'importance de Nikisch

En outre, les interprétations de Furtwängler se caractérisent par une richesse sonore exceptionnelle : tous les instruments et tous les timbres de l'orchestre sont parfaitement audible. Patrick Szersnovicz expliqua : mais on ne parle jamais de ce qui semble le plus évident à propos de la musique de Furtwängler : l'incroyable intensité sonore, la luminosité des couleurs, une sonorité orchestrale inouïe, fondées sur des basses puissantes, notamment un pupitre de violoncelles sans égal dans le monde entier.
David Cairns ajouta : on reconnaît un trait typique de Furtwängler dans la manière dont se distingue si clairement la section des bois, comme par exemple dans la grande » symphonie en ut majeur de Schubert. Écoutez ... comment, à la fin du développement du premier mouvement de cette même œuvre, le léger motif du cor, d'importance capitale, vient rappeler le rythme pointé omniprésent jusque-là mais absent des vingt mesures précédentes, et indiquer l'imminence de la réexposition. Les chefs d'orchestre sont bien souvent incapables de faire en sorte que ce motif soit parfaitement audible. Aux mains de Furtwängler, aucun danger qu'il ne le soit pasac.
Le chef d'orchestre Arthur Nikisch qui, avec le musicologue Heinrich Schenker, fut toujours la référence pour Furtwängler.
D'autre part, contrairement à un chef d'orchestre comme Otto Klemperer qui se déclarait pas du tout romantique, Furtwängler ne refoulait pas les émotions dans ses interprétations. Au contraire, l'intensité émotionnelle qui se dégage de ses enregistrements est tellement forte qu'elle devient presque insoutenable dans les interprétations entre 1938 et 1945, période durant laquelle Furtwängler vit une crise émotionnelle extrême. Mais, chose tout à fait exceptionnelle, même lorsque l'intensité émotionnelle atteint son paroxysme, Furtwängler gardait toujours un contrôle parfait de la structure de l’œuvre qu'il dirigeait. Comme le dit Patrick Szersnovicz : c'est ce potentiel dramatique qui lui permettait de prendre d'extravagantes libertés avec une partition tout en lui donnant une unité qu'aucun autre chef n'a obtenu .
La mise en valeur des sonorités fut héritée en partie d'Arthur Nikisch. Elisabeth Furtwängler raconta : Furtwängler affirmait qu'il n'avait appris que d'Arthur Nikisch. Bien sûr, l'immense personnalité de Hans Pfitzner, son maître à Strasbourg, avait beaucoup compté, mais sur un autre plan. À ses yeux, parmi les chefs d'orchestre, nul autre qu'Arthur Nikisch n'était digne de considération. ...De lui j'ai appris le son, la façon d'obtenir le son.
Chez Furtwängler, qui, mieux que quiconque, sait conjuguer les dimensions apollinienne et dionysiaque de la musique au sens nietzschéen, l'aspect émotif et la compréhension intellectuelle de la structure des œuvres sont toujours complètement liés. Daniel Barenboim déclara : je ne sais pas précisément jusqu'à quel point il réfléchissait aux choses de façon rationnelle, ni quelle dose de sentiments il investissait. Ces deux éléments sont parfois si étroitement liés chez lui qu'on a l'impression qu'il avait établi un équilibre idéal : penser avec le cœur et sentir avec l'esprit.
La dimension hyperromantique de l'art de Furtwängler était pleinement assumée par le chef d'orchestre qui écrivit en 1951 : je prends le risque de m'attirer la pire injure que l'on puisse lancer à un musicien de l'Allemagne d'aujourd'hui - je prends le risque d'être romantique. Mais s'il exaltait les émotions à l'extrême ce n'était pas pour suivre les humeurs de l'ego. Comme le dit Pierre Brunel, Furtwängler était romantique, oui, mais dans la tradition la plus haute du Romantisme allemand - de Goethe déjà, de Höderlin, de Novalis. Furtwängler ne cherche pas à se prendre pour sujet il le déteste, et il le refuse, il ne veut pas parler de soi mais de faits et de travaux. Wilhelm Furtwängler, pèlerin de l'absolu, à la fois dans son temps et hors du temps ne cherchait pas à suivre la subjectivité de l'ego mais au contraire à la dépasser.

La dimension spirituelle Une conception idéaliste de l'art

Statue d'Hermès attribuée à Praxitèle, dans la pure tradition idéaliste grecque, découverte à Olympie où le père de Furtwängler dirigea longtemps les fouilles archéologiques.
Tous les éléments précédents : la construction rationnelle de l'œuvre, ses aspects émotifs, la richesse des sonorités qui en découlent participent tous à cette « écoute structurelle fernhören dont parlait Heinrich Schenker, qui peut se traduire, d'un point de vue philosophique, par l’idée au sens platonicien que se fit l'artiste de son œuvre. Cette idée dépasse nécessairement les plans rationnels, émotifs ou liés aux perceptions de l'ouïe puisque justement elle leur donne naissance. Elle les transcende et cela amène à l'aspect le plus élevé de l'art d'interprétation de Furtwängler : sa recherche de la transcendance et de la spiritualité qui a été soulignée par de nombreux commentateurs.
Paul Hindemith disait, en effet, qu' il savait transformer les expériences musicales en quasi-connaissances religieuses,André Tubeuf déclara : un mysticisme inné en Wilhelm Furtwängler lui faisait trouver dans la musique le souffle même dont vit l'Univers, - Dieu qui se fait sensibleacd et Yehudi Menuhin : lorsqu'on interprétait la grande musique allemande avec Furtwängler, on éprouvait un sentiment d'une intensité quasi religieuse. Le chef d'orchestre Paul Kletzki déclara quant à lui : le plus important pour lui était la valeur spirituelle de la musique et par dessus tout, il accordait la plus grande importance à ce qui est derrière la note écrite. Il était toujours en quête de la grande structure, de l'idée. Dans les transitions d'un passage à l'autre, c'était précisément cela qui comptait, bien plus que le flux continu et consistant de la musique...
De même, Sergiu Celibidache expliqua que le vrai but de Furtwängler était d'atteindre des dimensions spirituelles transcendantes et que ceux qui étaient hermétiques à ces dimensions ne pouvaient pas comprendre son art. Il déclara, en effet : tout le monde était influencé par Arturo Toscanini - ce qu'il faisait était perceptible immédiatement, sans aucune référence aux dimensions spirituelles. Il y avait un certain ordre dans la matière musicale. Mais chez Arturo Toscanini, je n'ai rien perçu de spirituel. Chez Furtwängler, par contre, j'ai compris qu'il s'agissait de tout autre chose : de la métaphysique, de la transcendance, des rapports entre les sons et les sonorités. ... Un jour je lui ai demandé : her Monsieur, à quelle vitesse se fait ce passage, cette transition ? Furtwängler me répondit : cela dépend de la manière dont ça sonne. Donc, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'une discipline extérieure comme le temps physique, qui n'a rien à voir avec la musique. Le tempo est une condition afin que ce qui doit résonner, puisse résonner. ...Mais qu'est-ce qu'il se passe si vous n'entendez pas ces résonances ? Alors chaque tempo est trop lent pour vous. Car la lenteur ou la rapidité sont déterminées par la complexité de ces manifestations. Furtwängler avait cette oreille-là : mais l'oreille en soi n'est même pas essentielle, il s'agit d'une oreille spirituelle capable de percevoir ces apparitions parallèles.
Furtwängler essayait d'atteindre cette dimension transcendante dans laquelle l'artiste avait puisé l' idée qui avait donné naissance à son œuvre et à toutes ses manifestations rationnelles, émotives, etc.. Il s'agissait de la retrouver par un acte de recréation lors du concert et de la partager avec le public dans un acte de communion. Tout cela était conçu de façon dynamique et non pas statique : l’œuvre apparaissant comme un tout organique, un être vivant. Si avec certains chefs d'orchestre, les musiciens semblent jouer de façon géniale, il se passe quelque chose de tout à fait différent avec Furtwängler : les musiciens et le chef d'orchestre disparaissent complètement et la musique semble vivre par elle-même. Elle semble même respirer : Sergiu Celibidache et Dietrich Fischer-Dieskau ont fait référence de nombreuses fois à cette respiration de la musique chez Furtwängler. Cette impression de vie est liée aux continuelles variations du tempo bien sûr, mais aussi, et surtout, au fait que Furtwängler garde une parfaite maîtrise de l' écoute structurelle c'est-à-dire de sa cohérence qui en fait un tout. Un être vivant ne peut pas vivre sans cette unité, cette cohérence permanente, son essence d'un point de vue philosophique.
On comprend que si Furtwängler a été admiré par les chefs d'orchestre des générations suivantes, ces derniers se sont réclamés beaucoup plus souvent d'Arturo Toscanini qui gardait le tempo indiqué au début de la partition. Car, si on commence à faire varier le tempo mais que l'on n'a pas une compréhension très profonde de l'« écoute structurelle » de l’œuvre, on ne peut faire que n'importe quoi. D'ailleurs, Furtwängler lui-même se trompait souvent et Celibidache disait qu'il était souvent déçu par ses propres interprétations.

Une approche structurelle

Le nom de Furtwängler reste indissociable du grand répertoire romantique allemand, de Beethoven à Wagner et Richard Strauss. Mais il est aussi un étonnant mozartien, surtout à l'opéra, où son sens dramatique donne à Don Giovanni ou à La Flûte enchantée une profondeur auparavant insoupçonnée. Cette prédilection romantique ne le rend pas insensible à la musique de son temps : il prend fait et cause pour Hindemith lorsque Hitler et Göring interdisent les représentations de Mathis le peintre à l'Opéra de Berlin et il crée, envers et contre tout, la symphonie tirée de cet ouvrage (1934). Il dirige en première audition des œuvres de Schönberg (Cinq Pièces pour orchestre, op. 16, seconde version, 1922 ; Variations pour orchestre, op. 31, 1928), Bartók (Concerto pour piano no 1, 1927), Prokofiev (Concerto pour piano no 5, 1932), Honegger (Mouvement symphonique no 3, 1933), Richard Strauss (Quatre Derniers Lieder, 1950).
Furtwängler appartient à la première génération de chefs d'orchestre qui se sont enfin trouvés libérés des limites techniques des instrumentistes. Wagner se plaignait de l'incompétence de bien des musiciens d'orchestre. Hans Richter, Hans von Bülow, Arthur Nikisch ou même Arturo Toscanini étaient autant des pédagogues que des chefs d'orchestre, dans l'acception moderne du terme. Après la Première Guerre mondiale, une page est tournée, surtout au sein d'orchestres comme les Philharmonies de Vienne et de Berlin ou l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, qui seront les trois partenaires privilégiés de Furtwängler. Il est donc l'un des premiers chefs d'orchestre qui puisse s'adonner en toute liberté à l'élaboration d'une interprétation transmise à des musiciens responsables et capables de la mettre en œuvre. Furtwängler a certainement été profondément marqué par l'analyse schenkérienne des symphonies de Beethoven. Mais aurait-il pu concrétiser cette démarche d'interprétation structurelle, intellectuelle, qui émane totalement de l'intérieur, s'il n'avait pas disposé des moyens adaptés à cette approche ?
La construction est l'élément fondamental de la démarche de Furtwängler : pour les instrumentistes qui ont joué sous sa direction, elle s'imposait comme une évidence sans qu'il soit nécessaire de l'expliquer. Ses répétitions, rarement d'un nombre excessif, étaient d'ailleurs d'une grande sobriété : on y parlait peu ; on jouait, afin de parvenir à un état de mise en place qui n'était pas une fin en soi, mais le moyen d'approcher la conception unique de l'œuvre : « Il n'y a qu'une seule conception d'une symphonie de Beethoven et tout ce que l'on peut espérer, c'est de s'en approcher le plus près que l'on en est capable. »
Furtwängler appartenait encore à ces générations de chefs pour qui la musique naissait du silence d'une partition et non de l'écoute d'un enregistrement. Et il ne se reconnaissait qu'un seul maître en la matière, Arthur Nikisch : « De lui, j'ai appris le son, la façon d'obtenir le son. » Il ne faudrait pas comparer cette conception du son à celle de certains magiciens de la baguette de notre époque, véritables alchimistes des couleurs orchestrales : les données n'ont rien de commun, à commencer par les orchestres, qui ont connu depuis un demi-siècle une évolution encore plus profonde que celle dont bénéficia Furtwängler à ses débuts. « Obtenir le son », c'est simplement traduire : « Quel que soit le geste sobre de Nikisch, il s'adresse exclusivement à l'orchestre, afin précisément d'y être traduit en musique. »

Une gestique énigmatique

La gestique de Furtwängler est un des éléments les plus mystérieux de sa personnalité. Incompréhensible à tous ceux qui n'avaient pas l'habitude de jouer sous sa direction, elle n'était qu'un code librement élaboré dans un contexte d'échange : il savait mieux que quiconque l'importance du geste et faisait souvent reprendre l'orchestre parce qu'il avait mal battu certain passage et n'était pas parvenu, pour cette raison, au résultat escompté : « Il est absolument nécessaire que l'orchestre et le chef créent entre eux un langage de signes. Tout chef d'orchestre a une battue qui lui est propre et cette battue influence la sonorité. » Replacée dans son contexte, la gestique prétendument incompréhensible de Furtwängler s'explique aisément : ses prédécesseurs devaient se limiter à une gestique dont la base restait claire pour des raisons pédagogiques évidentes. Le surplus venait du tempérament de l'individu et d'un certain nombre d'attitudes qu'il avait pris l'habitude d'adopter après en avoir constaté l'efficacité. Chez Furtwängler, le premier stade semble réduit à sa plus simple expression. La gestique de Furtwängler peut s'expliquer par le fait qu'il ne dirigeait régulièrement qu'un petit nombre d'orchestres qui le comprenaient sans difficulté, le geste s'étant formé en fonction de ce qu'il exprimait et des réactions de ceux à qui il était destiné ; mais se limiter à cette seule explication ferait abstraction du pouvoir magique de communication qu'il possédait au plus haut degré et qui lui permettait de se faire comprendre, mystérieusement, mais aussi aisément, des orchestres français ou italiens qu'il dirigea souvent à la fin de sa vie.
La présence permanente de Wilhelm Furtwängler dans le domaine de l'interprétation musicale semble le situer hors du temps. Personne n'est parvenu à l'imiter avec succès ; seuls ceux qui se réclament de son héritage intellectuel ont pu tirer profit de sa démarche. L'histoire a prouvé que Furtwängler n'était pas ce chef démesurément lent – réputation fabriquée par des comparaisons hâtives – mais que son approche de la musique était avant tout humaine, sans cesse différente, capable de se mouvoir au sein d'une œuvre tout en restant indépendante du métronome, et qu'elle procédait d'un souffle qui n'existait peut-être qu'en présence du public.
Avant d'opter pour la direction d'orchestre, Furtwängler se destinait à la composition : ses premières œuvres datent de son enfance, mais les grandes fresques postromantiques qui le situent dans la mouvance de Bruckner ont été écrites dans les années trente ou pendant son séjour en Suisse à la fin de la guerre : Quintette avec piano 1934, Concerto symphonique pour piano et orchestre (1937), deux sonates pour piano et violon 1935 et 1938, Deuxième Symphonie 1943-1946. Son testament, la Troisième Symphonie 1954, reste inachevé. Tout aussi importants, ses écrits traduisent cette réflexion profonde qui situait Furtwängler en marge des autres interprètes, et qui fait de lui un véritable créateur de la musique dans la lignée de Berlioz ou de Wagner.

Un sacerdoce

Dans sa conception de l'art, Furtwängler pouvait être considéré comme l'héritier de la tradition philosophique idéaliste de la Grèce antique, dans la lignée de laquelle la philosophie allemande et la musique symphonique germanique se situaientnote 31. Dans ce contexte, il faut se rappeler que Furtwängler était le fils aîné du plus grand spécialiste de la Grèce antique de son époque, l'archéologue Adolf Furtwängleracd 54. Klaus Geitel le dit explicitement dans son histoire de l'Orchestre philharmonique de Berlin :
L'autorité musicale de Furtwängler, la conscience qu'il avait de son propre charisme, son art expressif parvenu à un niveau extrêmement élevé firent de l'Orchestre philharmonique de Berlin le vicaire terrestre de la musique symphonique occidentale. L'idéalisme allemand y trouva, ainsi, son compte puisqu'il cultivait continuellement une telle préoccupation de grandeur. Les membres du Philharmonique de Berlin semblaient faire plus que de la musique ; ils donnaient l'impression de jouer pour exprimer une conception du monde, la Weltanschauung des philosophes.
Si Furtwängler fut considéré par certains comme le vicaire de la musique symphonique germanique, il est absolument certain qu'il ne s'est jamais considéré comme tel. Furtwängler s'est toujours considéré, avant tout, comme un compositeur contrarié et raté. Il écrivit à son ancien précepteur, Ludwig Curtius, en 1946 : en fait, la direction d'orchestre a été le refuge qui m'a sauvé la vie, car j'étais sur le point de périr compositeur. Son père et sa femme notèrent qu'il était constamment en proie à l'autocritique.
Plusieurs anecdotes célèbres illustrent la modestie du chef d'orchestre. On lui proposa un jour de jouer au piano de Ludwig van Beethoven, il refusa se considérant indigne d'utiliser l'instrument. D'autre part, jeune, il refusa de diriger la Missa Solemnis de Beethoven qu'il considérait, pourtant, comme le sommet de l’œuvre du compositeur. Il déclara qu'il ne l'avait pas assez bien comprise et donc qu'il n'était pas digne de la jouer bien qu'il rajouta qu'il la connaissait. Cette humilité était, probablement, nécessaire pour que son ego n'interfère pas avec l' idée que le compositeur s'était faite de son œuvre : Furtwängler se considérait comme le serviteur de musiciens qu'il savait infiniment supérieurs à lui. Tous les musiciens qui ont connu Furtwängler, même ceux qui comme Gregor Piatigorsky lui ont reproché d'être resté en Allemagne, sont unanimes pour dire que Furtwängler ne fut jamais un carriériste. Il n'est pas resté en Allemagne pour sa carrière. Comme il l'a dit lui-même, s'il était allé à New York en 1936, sa carrière aurait été bien plus facile. En effet, le poste de New York était un vrai pont d'or : il aurait régné en maître sur la vie musicale américaine et aurait été considéré jusqu'à sa mort comme un hérosnote 32. Plus important, tous les musiciens qui l'ont approché déclarèrent qu'il ne vivait que pour servir la musique et que jamais il n'utilisa la musique pour le servir. C'est ce qui ressort de l'autobiographie de Gregor Piatigorsky, même si ce dernier critique les faiblesses psychologiques de Furtwängler.
Cette recherche du spirituel est à mettre en relation directe avec l'importance considérable que Furtwängler attachait au finale des œuvres qu'il dirigeait, importance soulignée par de nombreux critiques surtout pour les principales symphonies de Beethoven, la 3e, la 5e, la 7e et surtout la 9e ainsi que pour la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach. Toute l'interprétation devait tendre vers ce point ultime : le silence qui s'en suivait devait, lui, ouvrir sur une dimension réellement illimitée. Cela est particulièrement évident dans le finale de la 9e de 1942 où Furtwängler semble donner la clef de la plus grande de toutes les symphonies. On a souvent dit, en effet, que Beethoven n'avait pas su comment finir cette symphonie. Dans la version de 1942, l'impression de transcendance est telle, au moment où la musique s'arrête, que Furtwängler nous montre que si cette symphonie semble ne pas avoir été finie c'est que, justement, elle s'ouvre sur l'Infini. Elisabeth Furtwängler rapporta, à ce propos, qu'à la fin de la Marcia funebre, le deuxième mouvement de la 3e symphonie de Beethoven, Furtwängler s'arrêtait et faisait une longue pause. Elle regrette que l'on ne puisse plus revivre l'impression que produisait ce silence. Le son ne semblait avoir été là que pour souligner l'infinité du silence, pour reprendre une expression commune à de nombreux mystiques.
L'importance de la dimension spirituelle chez Furtwängler explique aussi pourquoi Anton Bruckner joua un rôle très important dans sa vie : il dirigea la symphonie no 9 d'Anton Bruckner, même durant son tout premier concert en 1906. Dans son texte sur Bruckner daté de 1939, Furtwängler compara la vie du compositeur à celle des plus grands mystiques comme Maître Eckhart ou Jakob Böhme. Furtwängler déclara : il ne travaillait pas pour le présent ; dans sa créativité artistique, il ne pensait qu'à l'éternité et il œuvrait pour l'éternité. Furtwängler fut l'interprète privilégié de l'adagio des symphonies de Bruckner où la dimension spirituelle est particulièrement marquées.

Furtwängler et Beethoven

Ludwig van Beethoven, l'artiste auquel Furtwängler s'identifia dès son enfance.La musique comme catharsis
Si Furtwängler fut un chef d'orchestre romantique en raison de l'importance considérable qu'il accordait à l'émotivité et à l'expressivité, il fut tout autant un chef d'orchestre classique par sa compréhension profonde de la structure formelle des œuvres. S'il sait conjuguer les dimensions dionysiaques et apolliniennes de l'art, il dépasse ces plans par sa capacité à atteindre le spirituel. Beethoven est le musicien par excellence qui synthétise tous ces aspects. Furtwängler déclara, en effet, en 1951 : dans la musique, derrière les rythmes non-rationnels, il y a l'ivresse primitive définitivement rebelle à toute articulation ; derrière l'articulation rationnelle, il y a la forme qui, de son côté, a la volonté et la force d'absorber et d'ordonner toute vie,et donc finalement l'ivresse elle-même ! C'est Nietzsche qui a, pour la première fois, formulé de façon grandiose cette dualité grâce aux concepts de Dionysiaque et d'Apollinien. Mais pour nous, aujourd'hui, qui considérons la musique de Beethoven, il s'agit de nous rendre compte que ces deux éléments ne sont pas contradictoires - ou, plutôt, qu'ils ne doivent pas l'être nécessairement. Cela semble être la tâche de l'art, de l'art au sens de Beethoven de les concilier.
Tous les aspects du psychisme humain pensée rationnelle, sensations, émotions qui sont normalement désunis et en conflit les uns avec les autres sont unifiés dans une dimension transcendante par Beethoven. Furtwängler écrivit, en effet, en 1942 : Beethoven renferme en lui-même toute la nature de l'homme. Il n'est pas essentiellement chantant comme Mozart, il n'a pas l'élan architectural de Bach, ni le sensualisme dramatique de Wagner. il unit tout cela en lui, chaque chose étant à sa place : là est l'essence de son originalité. ... Jamais un musicien n'a mieux ressenti et exprimé l'harmonie des sphères, le chant de la Nature Divine.
Cela explique pourquoi la musique et surtout celle de Beethoven a pu lui servir de refuge intérieur pendant la période nazie. L'âme anxieuse de l'homme moderne, perdue dans un monde hostile, peut, grâce à la musique, rentrer en contact avec une réalité supérieure qui lui permet de sortir de son isolement et de son fractionnement. Furtwängler déclara, en effet, en 1951 : ainsi la musique de Beethoven reste pour nous un grand exemple d'accord unanime où se rejoignent toutes les tendances, un exemple d'harmonie entre la langue de l'âme, entre l'architecture musicale et le déroulement d'un drame enraciné dans la vie psychique, mais surtout entre le Moi et l'Humanité, entre l'âme anxieuse de l'individu isolé, et la communauté dans son universalité. Les paroles de Schiller : Frères, au-dessus de la voûte des étoiles Doit régner un père aimant, que Beethoven a proclamées avec une clarté divinatoire dans le message de sa dernière symphonie n'étaient pas dans sa bouche paroles de prédicateur ou de démagogue ; c'est ce que lui-même a vécu concrètement tout au long de sa vie, depuis le début de son activité artistique.
Dans les Entretiens sur la musique réalisés avec Walter Abendroth, Furtwängler souligna longuement la dimension spirituelle de l'art de Beethoven. Ce dernier détruit dans un premier temps le psychisme de l'auditeur mais c'est dans le sens d'une catharsis au sens aristotélicien du terme. C'est-à-dire, qu'au lieu de laisser l'individu déstructuré, Beethoven rassemble ce qui est épars pour réunir le psychisme sur un plan supérieur non-duel où les oppositions sont surmontées : c'est à partir de Beethoven que la musique sera à même d'exprimer, dans l'ordre de l'art, ce qui, dans l'ordre de la nature, prend la forme de la catastrophe qui n'est qu'une autre forme de la nature. La musique accède maintenant au dramatique car la catastrophe, destruction des forces qui s'entrechoquent, exalte l'âme, donnant le sens de la catharsis et après la catastrophe l'harmonie est reconquise sur un plan supérieur. ... Beethoven possède au plus haut degré le sens des contrastes qui, par leur synthèse, amènent l'unité supérieure et c'est cette hantise de la synthèse qui engendre la diversité inouïe de Beethoven qui recherche délibérément des contrastes semblant inconciliables, ... en déchaînant dans toute leur véhémence beethovénienne, les forces tragiques et dionysiaques de la musique.

La Neuvième et la culture européenne

Furtwängler s'identifia toujours à la Neuvième symphonie. La plupart des critiques considèrent, encore aujourd'hui, qu'il est le plus grand interprète de cette œuvreacd 56. Furtwängler ne dirigeait cette symphonie que dans certaines circonstances jugées importantes et l'interprétation de cette œuvre devenait, sous ses mains, un acte quasi-religieux. Il déclara : la Neuvième symphonie est assurément l'aboutissement et le couronnement des symphonies de Beethoven. Contrairement à ce que pensait Wagner, elle n'est aucunement la fin de la production symphonique, comme le développement ultérieur de la symphonie l'a montré. Furtwängler s'opposait à l'idée de Wagner selon laquelle cette symphonie aurait été la fin de la production symphonique. De plus, par sa profonde compréhension de l'œuvre qu'il avait acquise grâce à Schenker, il montrait clairement dans ses interprétations le lien de filiation de la Neuvième avec les grandes compositions symphoniques ultérieures. Le musicologue Harry Halbreich écrivit, en effet, à propos de l'interprétation de cette symphonie, que Furtwängler a toujours marqué le fossé séparant la Neuvième des autres symphonies et n'hésitait pas à la projeter dans l'avenir de la Musique. Les morceaux les plus lourds d'avenir de l'œuvre sont le premier mouvement et surtout l'adagio. Cet avenir s'appelle Anton Bruckner dans le premier cas Symphonie nº 9 de Bruckner et Gustav Mahler dans le second Symphonie no 3 de Mahler et no 4 de Mahler.
Pour Furtwängler, Beethoven était le compositeur de la musique pure par excellence. De la musique pure dans le sens d'une musique qui s'exprime indépendamment de tout contenu explicite. Même dans l'hymne à la Joie, Beethoven ne cherche pas à accompagner l'idée de joie comme on le ferait dans une musique à programme mais de la traduire directement sous forme de son. Furtwängler déclara, en effet : Beethoven n'a jamais songé à écrire une œuvre d'inspiration populaire. S'il était quelqu'un qui avait une véritable personnalité, c'était bien Beethoven. Mais il était conscient de la valeur que prenait pour lui, dans son isolement, son interprétation dans la grande confraternité humaine et c'est précisément pour se délivrer de cet isolement qu'il eut recours à l'union spirituelle qui le liait aux autres hommes. C'est dans la recherche de l'humain que se révèle le véritable Beethoven que nous vénérons comme un Saint. Comme le montre l'analyse de l'œuvre, la Neuvième symphonie est constamment une œuvre de musique pure. Plus précisément, il dit si Beethoven fut amené à utiliser la voix humaine, il le fut par des considérations purement musicales, parce que les trois premiers mouvements avaient en quelque sorte préparé le terrain. La voix humaine n'est que le timbre qui vient fournir son instrumentation à cette mélodie parfaite. Dans toute l'histoire de la Musique, je ne vois guère d'exemple montrant plus clairement jusqu'où peut aller l'autonomie formelle de la musique pure. Ce qui informe ce finale, ce n'est pas l'idée de célébrer la joie, mais la puissante imagination musicale de Beethoven capable de métamorphoser cette idée en musique.
Le chef d'orchestre voyait en cette symphonie le sommet le plus élevé de la civilisation européenne, le symbole de cette culture. Il écrivit, semblant même anticiper son utilisation comme hymne de l'Union européenne : autant que je sache, la Neuvième ne fut exécutée qu'une seule fois du vivant de Beethoven et ce n'est qu'avec un certain recul du temps qu'on a pu saisir quels problèmes cette œuvre nouvelle posait aux exécutants. Son exécution par Richard Wagner fut un évènement décisif et il ne faut pas oublier que la tradition n'a de sens que si elle reste vivante et se renouvelle. On ne peut conserver en vase clos des œuvres telles que les symphonies de Beethoven car, comme toute œuvre d'art, celles-ci deviennent lettre morte là où la confraternité humaine à laquelle elles s'adressent, aurait cessé d'exister. Une musique représentative du génie européen n'existera qu'autant que l'Europe elle-même sera réalité.
Comme le souligne Pierre Brunel dans sa postface de Carnets 1924-1954, Furtwängler n'était pas seulement un porte-parole de la culture germanique, il était aussi un homme profondément européen comme Goethe et Beethoven. Européen, il l'était par sa culture : il adorait l'Italie, son attachement à la France était sincère, il se passionnait depuis l'enfance pour la littérature anglaise, la Grèce antique dont son père fut le plus grand spécialiste de son temps demeura toujours sa référence. Mais, plus important, Furtwängler était européen dans sa conception de l'art occidental comme un moyen de dépasser les conflits entre les peuples du vieux continent, dont il fut le témoin tragique. Comme son ami de toujours, Yehudi Menuhin, il concevait l'art avant tout comme un acte de réconciliation, de paix et de commununion. Son attachement à la culture européenne était tel que Pierre Brunel conclut Carnets 1924-1954 par ces mots : se souvenant de ce que le maître a dit de Wagner, de Beethoven et de Michel-Ange, il ne peut s'empêcher de se demander et de demander au lecteur de ces pages si Wilhelm Furtwängler n'a pas été un de ces hommes qui appartiennent au destin de l'Occident.

Furtwängler et Jean-Sébastien Bach

Jean-Sébastien Bach, le saint inaccessible
Contrairement à ce que l'on pourrait facilement penser, Furtwängler ne considérait pas que Ludwig van Beethoven était le plus grand compositeur du monde occidental. Il plaçait Jean-Sébastien Bach encore plus haut. Il écrivit en 1951 : aujourd'hui comme autrefois, Bach est le saint qui trône, inaccessible, au-dessus des nuages. Il expliqua également : Bach fut le plus grand des musiciens, l'Homère de la musique, dont la lumière resplendit au ciel de l'Europe musicale et, qu'en un sens, nous n'avons toujours pas dépassé.
Furtwängler déclara, à plusieurs reprises, que la Passion selon saint Matthieu de Bach était, de très loin, la plus grande œuvre jamais composée. Il fut bouleversé en l'entendant pour la première fois alors qu'il n'avait que douze ans. Il n'existe que peu d'enregistrements de Bach par Furtwängler et souvent dans un très mauvais état. Pourtant, Furtwängler l'a souvent dirigé. Il semble qu'Adolf Hitler n'aimait pas ce compositeur et que, durant la période nazie, les concerts de Bach n'ont pas été enregistrés pour cette raison.
Trois enregistrements de la Passion selon saint Matthieu nous sont cependant parvenus. Le premier, celui de 1950, à Buenos Aires est dans un état catastrophique, ce qui est d'autant plus regrettable que l'interprétation semble du plus haut niveau. On y entend de façon à peu près audible tous les airs de la deuxième partie et le finale. Le deuxième est le plus important : c'est l'enregistrement de Vienne en 1952. Malgré quelques accidents de concert et quelques saturations dans les chœurs, la bande sonore est bien meilleure que dans l'enregistrement de 1950. La valeur intrinsèque de l'œuvre et la qualité de l'interprétation particulièrement élevée rendent absolument catastrophique que seule la première moitié du concert ait été conservée33. Le dernier enregistrement, celui de 1954 avec l'orchestre de Vienne, est le seul à être en parfait état. Malheureusement, la qualité de l'interprétation à l'exception du finale et des interventions de Dietrich Fischer-Dieskau est bien inférieure aux deux premières. Toujours est-il que le finale des versions de 1954 et 1950 et la version de 1952 sont du même niveau que les plus grands enregistrements de Beethoven par Furtwängler.

Critique

Après la guerre, et pendant une assez longue période, une partie de la critique britannique et américaine n'apprécia pas le style de direction de Furtwängler. Ils prétendaient que Furtwängler, par sa subjectivité, déformait les œuvres et brisait leur unité formelle, mettant en avant des chefs d'orchestre de premier plan comme Arturo Toscanini ou Otto Klemperer jugés plus objectifs. Ce qu'ils appelaient la subjectivité de Furtwängler était, en fait, l'apogée et la synthèse de la plus grande tradition allemande de direction orchestrale Richard Wagner, Hans von Bülow et Arthur Nikisch, le tout couronné par les théories du grand musicologue Heinrich Schenker qui portaient précisément sur une compréhension très profonde de l'unité des œuvres symphoniques. Ce malentendu a plusieurs explications.
Premièrement, les relations de Furtwängler avec les États-Unis ont toujours posé problème : elles ont été étudiées en détail par D. Gillis. Furtwängler a réalisé une série de tournées en Amérique du Nord durant les années 1925-27 qui furent un grand succès auprès du public mais pas du tout auprès de la critique. En fait, une vraie cabale avait été organisée par une partie du monde musical contre Furtwängler: de nombreux critiques s'étaient donné le mot d'ordre d'attaquer sans concession le chef d'orchestre allemand. Les raisons de cette cabale n'avaient rien de politique et ne concernaient pas le contenu réel de l'art de Furtwängler. Cette cabale provenait de la peur de la concurrence gigantesque que représentait la personnalité de Furtwängler. Ce dernier aurait dû essayer d'être accepté par ce monde musical très fermé mais, comme l'expliqua sa femme, Furtwängler n'avait aucun goût pour les mondanités et les intrigues. Comme souvent, il préféra se dérober et ce qui explique probablement pourquoi il ne retourna pas aux États-Unis entre 1927 et 1933. En 1936, il accepta le poste à New York que lui proposait Arturo Toscanini mais la fausse annonce d'Hermann Göring déclencha un immense tollé qui l'en dissuada. Les historiens ont montré que ce sont les mêmes milieux musicaux qui, en 1925-1927, amplifièrent le tollé en question, toujours pour empêcher la venue du chef d'orchestre allemand, surtout à un poste aussi prestigieux que celui de directeur musical de l'Orchestre philharmonique de New York. Furtwängler faillit revenir en 1949 mais un boycott fut organisé contre sa venue en 1948. En 1949, l'aspect politique était plus important : la guerre n'était finie que depuis quatre ans et Furtwängler n'avait retrouvé son poste que depuis 1947. Mais, comme l'a dit à de nombreuses reprises Yehudi Menuhin, la vraie raison était toujours la volonté d'empêcher la venue du chef allemand en raison de son poids artistique écrasant. La tournée prévue pour 1955 bénéficiait d'un fort soutien politique des gouvernements allemand et américain ce qui aurait certainement empêché toute nouvelle cabale. Cette tournée aurait, certainement, profondément changé la perception des Américains à propos de Furtwängler, l'homme mais surtout l'interprète. Mais Furtwängler mourut juste avant.
Deuxièmement, les théories d'Heinrich Schenker étaient probablement peu connues. Elles font souvent aujourd'hui autorité dans les universités américaines pour l'interprétation des symphonies. Mais il fallut probablement beaucoup de temps aux critiques pour les assimiler et surtout pour réaliser que l'art de Furtwängler se basait en grande partie sur les théories de Schenker. Comme l'a expliqué Elisabeth Furtwängler, Schenker était extrêmement critique et détectait les moindres petites erreurs dans l'interprétation des symphonies. Or, Heinrich Schenker disait que Furtwängler était le seul chef d'orchestre à avoir compris Beethoven ce point est d'autant plus remarquable que Schenker avait dû forcément assister à de nombreux concerts d'Arturo Toscanini, d'Arthur Nikisch et de Gustav Mahler et il fit dans son journal personnel des compliments de la 9e symphonie de Beethoven par Furtwängler après avoir assisté à ses concert. Ces compliments, venant d'un musicologue de ce niveau et aussi exigeant, prouvent que la subjectivité de Furtwängler ne détruisait en aucune façon l'unité formelle des œuvres.
Troisièmement, Furtwängler était l'héritier de la grande tradition allemande de direction orchestrale. Mais, après la guerre, les nazis avaient rendu tout ce qui était allemand suspect. Le fait de mettre en avant des chefs d'orchestre comme Arturo Toscanini ou Otto Klemperer avait, outre leurs qualités musicales indiscutables, aussi un caractère clairement politique. Toscanini avait été un modèle parfait d'antifascisme. En particulier, il avait dirigé la première américaine de la Symphonie no 7 de Dmitri Chostakovitch diffusée pendant le siège de Léningrad sur toutes les radios alliées. Ce concert eut une forte portée symbolique. Sur bien des aspects, Toscanini apparaissait comme un musicien porte-drapeau des forces alliées dans leur lutte contre les forces de l'axe. Or, du point de vue américain, Furtwängler pouvait sembler jouer un rôle symétrique mais du mauvais côté, Joseph Goebbels diffusant ses enregistrements sur les radios du Reich. En fait, cette symétrie n'a jamais existé car Furtwängler n'a jamais soutenu politiquement le régime hitlérien alors que Toscanini joua un rôle volontaire et actif dans la lutte politique contre le fascisme. En ce qui concerne Otto Klemperer, ce dernier avait commencé une carrière brillante jouant un rôle décisif dans la mise en valeur de la musique contemporaineR 45 mais sa carrière avait été brusquement brisée par l'arrivée des nazis et en raison de ses origines juives. Après la guerre, il prit la direction de l'Orchestre Philharmonia de Londres, cet orchestre jouant à partir de cette époque un rôle central dans la vie musicale anglo-saxonne. De fait, certains spécialistes considèrent, qu'après la mort de Furtwängler, c'est Otto Klemperer avec son Orchestre Philharmonia qui devint le plus grand interprète au monde de la musique symphonique germanique.
Mais la tradition dans laquelle s'enracinait Furtwängler était beaucoup trop profonde et ces critiques finirent par disparaître complètement. Ainsi, la BBC a consacré une série d'émissions à Furtwängler en 2004 où les critiques parlaient du plus grand chef d'orchestre de tous les temps, the greatest conductor of all time.
On parle aujourd'hui encore de tradition subjective pour l'art de Furtwängler, non plus dans un sens péjoratif mais dans le sens d'une interprétation qui se place dans la longue tradition germanique et qui tient compte de l'exégèse des œuvres par les musicologues, par opposition à la tradition objective de Toscanini qui préconisait une relation directe avec la partition. L'enracinement de l'art de Furtwängler au cœur même de la tradition qui a donné naissance à la musique symphonique explique qu'Alain Pâris ait pu écrire dans l'Encyclopædia Universalis :
Dans le monde de la direction d'orchestre, Wilhelm Furtwängler fait figure d'exception : plus d'un siècle après sa naissance, il est le seul chef dont les témoignages sonores n'ont connu aucune éclipse, continuant à susciter l'admiration ou à provoquer la discussion. ... Il reste celui dont Fred Goldbeck a dit qu'il était l'art de diriger fait homme.

Œuvre musicale Discographie Discographie de Wilhelm Furtwängler.
Créations

Anton Bruckner. Furtwängler s'inspira toute sa vie de Bruckner pour ses compositions. Furtwängler joua un rôle capital dans la mise en valeur de sa musique qui était très peu connue au début du XXe siècle.
La liste qui suit n'est pas exhaustive.
Bartók, Concerto pour piano no 1, le compositeur comme soliste, Francfort-sur-le-Main, le 1er juillet 1927.
Schoenberg, Variations pour Orchestre, Op. 31, Orchestre philharmonique de Berlin, Berlin, 2 décembre 1928.
Prokofiev, Concerto pour piano no 5, le compositeur comme soliste, Orchestre Philharmonique de Berlin, 31 octobre 1932.
Hindemith, suite tirée de Mathis le peintre, Orchestre Philharmonique de Berlin, Berlin, 11 mars 1934.
Richard Strauss, Vier letzte Lieder, avec Kirsten Flagstad, Orchestre Philharmonia, Londres, 22 mai 1950.

Compositions Å’uvres orchestrales

Ouverture en mi bémol majeur op. 3 (1899)
Symphonie en ré majeur (1903)
Symphonie no 1 en si mineur (1938-1941)
Symphonie no 2 en mi mineur (1944-1945)
Symphonie no 3 en ut dièse mineur (1947-1954)
Concerto symphonique pour piano & orchestra (1924-1936)

Musique de chambre

Sonate pour violon et piano en fa majeur (1896)
Petite Sonate pour violoncelle et piano en mi majeur (1986)
Trio avec piano en fa majeur (1896)
Quatuor à cordes no 1 « Quartetto quasi una fantasia » (1896)
Trio à cordes (2 violons et violoncelle) (1896-1897)
Variations pour quatuor à cordes (1897)
Sonate pour violon et piano en la mineur (1898-1899)
Quintette avec piano en ut majeur (1899)
Quatuor avec piano en ut mineur (1899)
Trio avec piano en mi majeur (1900)
Quatuor à cordes no 2 en fa dièse mineur (1901)
Trio avec piano en sol majeur (1902)
Quintette avec piano en ut majeur (1924-1935)
Sonate pour violon et piano no 1 en ré mineur (1935)
Sonate pour violon et piano no 2 en ré majeur (1938)

Musique vocale

Te Deum pour chœur et orchestre

Postérité Théâtre

Son procès en dénazification en 1946 a fait l'objet d'une pièce de théâtre de Ronald Harwood, Taking sides, créée à Chichester Angleterre en 1995. La version française de la pièce mise en scène par Marcel Bluwal, À torts et à raisons, a connu un grand succès en 1999 et onze nominations aux Molières 2000. Le rôle de Furtwängler était tenu par Michel Bouquet, et celui de l'officier américain, par Claude Brasseur.

Cinéma

Ronald Harwood a également écrit le scénario d'une adaptation cinématographique de sa pièce, Taking sides, le cas Furtwängler, réalisée par István Szabó en 2002.


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Posté le : 24/01/2015 19:28
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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