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Anton Tchekhov 2
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Maria Iermolova

L'actrice Maria Iermolova 1853-1928, qui fut l'actrice la plus connue de son temps de la troupe du théâtre Maly de Moscou, fit l'admiration de Tchekhov dès sa jeunesse. Il est connu, que sa première pièce de théâtre Sans Père Platonov fut écrite pour elle dans l'espoir qu'elle soit mise en scène au théâtre Maly avec Iermolova dans le rôle principal. Depuis, un brouillon de lettre trouvé en 1920 parmi les manuscrits de ses pièces indique que l'étudiant Tchekhov appréciait déjà Iermolova. Tchekhov et Iermolova se rencontrèrent pour la première fois en 1890. Après le déjeuner avec la star, ma tête resta pendant deux jours baignée par la lumière des étoiles écrira-t-il le 15 février. Iermolova qui n'avait pas encore joué dans une pièce de Tchekhov, pris un plaisir véritable à la création des Trois Sœurs ; à propos de quoi Tchekhov écrira à sa sœur Maria le 17 février 1903 : Iermolova était en coulisses, fit un éloge enthousiaste du jeu, dit qu'elle avait ressenti là pour la première fois ce qu'était notre théâtre.

Léon Tolstoï

Parmi les personnalités de la littérature russe Léon Tolstoï 1828-1910 est sans conteste le contemporain de Tchekhov le plus important. Dès 1892, il fait l’éloge, dans une lettre, du nouveau récit de Tchekhov La Salle n° 675, qui fut pour Tchekhov un jugement des plus flatteurs qu'il puisse recevoir, d’autant que Tolstoï était en général très critique vis-à-vis des nouveaux auteurs. En mars 1899, la fille de Tolstoï, Tatiana, écrit à Tchekhov : Votre récit De l'amour est ravissant ! Père l’a lu quatre soirs de suite et a dit que cette œuvre l'avait rendu plus prudent. Tolstoï dira par la suite de Tchekhov qu’il est un des rares écrivains, que l’on peut, à l'image d'un Dickens ou d’un Pouchkine, lire et relire de manière toujours différente, par contre, il n’appréciera pas ses pièces de théâtre. Les deux auteurs se rencontrent pour la première fois en août 1895, lorsque Tchekhov est invité dans la propriété de Tolstoï de Iasnaïa Poliana. Je me sens aussi serein qu’à la maison, et les discussions avec Lev Nikolaïevitch sont agréables écrira Tchekhov deux mois plus tard. Ils se rencontreront de nouveau entre autres en 1897 quand Tolstoï rend visite à l’hôpital de Moscou à Tchekhov luttant contre la tuberculose, ainsi qu'en 1901 lors d'un séjour de Tolstoï à Yalta.
Tchekhov lui aussi admira l'auteur Tolstoï et loua à plusieurs reprises ses œuvres les plus connues comme Anna Karenine ou le roman historique Guerre et Paix. Tchekhov écrivit ainsi, alors que Tolstoï était gravement malade en janvier 1900 :
Je crains la mort de Tolstoï … Tant que dans la littérature il y a un Tolstoï, cela est facile et agréable d'être un littérateur ; même la conscience de n’avoir rien fait ou de ne rien faire n’est pas si terrible, car Tolstoï fait pour tous. Son travail est l’accomplissement de tous les espoirs et de toutes les attentes, que l'on peut placer dans la littérature.
Indépendamment du respect dont témoigne Tchekhov pour Tolstoï en tant qu'auteur, il prend soin à partir des années 1890 de dénoncer toujours plus la philosophie de Tolstoï avec ses idées d'amour universel, de soumission fataliste comme du romanesque exagéré de sa description de la paysannerie russe, contre quoi il s'opposa sans relâche. Sa fameuse lettre adressée à son éditeur Souvorine en 1894 témoigne de ce rapport, où il est dit:
La morale tolstoïenne a cessé de me toucher et du fond de mon âme je lui suis hostile … Dans mes veines coule du sang de moujik, et ce n’est pas avec des vertus de moujik qu’on peut m’étonner. Depuis l’enfance, je crois au progrès et je ne peux pas ne pas y croire, car la différence entre l’époque où l’on me battait et celle où l’on a cessé de me battre a été terrible … La raison et la justice me disent que dans l'électricité et la valeur il y a plus d'amour de l’homme que dans la chasteté et l’abstinence.
Ainsi la nouvelle Les Moujiks, qui paraît en 1897, avec sa description mesurée et sombre de la vie quotidienne d'un village russe passe pour être une réponse à un récit de Tolstoï, dans lequel celui-ci voit que les paysans ne sont nullement les principaux responsables des désordres sociaux du pays au contraire de la haute société.

Ivan Bounine

Le futur lauréat du prix Nobel de littérature Ivan Bounine 1870-1953, désigna à plusieurs reprises Tchekhov comme l’un de ses modèles littéraires, ce qu'il reconnaîtra dans une lettre adressée à Tchekhov en janvier 1891 … Vous êtes mon auteur préféré parmi les écrivains contemporains. Il rencontra Tchekhov à Moscou à la fin 1895 puis fut un des visiteurs les plus réguliers de sa résidence de Yalta. En 1904, Bounine entreprit de rédiger une biographie de Tchekhov, qu’il laissa inachevée.

Maxime Gorki

L'écrivain Maxime Gorki 1868-1936 se lia d'amitié avec Tchekhov dès leur première rencontre en 1899 à Yalta. Gorki est connu pour avoir indiqué son admiration envers le talent de Tchekhov dans plusieurs lettres et persistera dans ce sens dans son ouvrage publié en 1905. De son côté, Tchekhov apprécie certaines œuvres de Gorki il écrit ainsi à propos des Bas-fonds : Cette pièce est novatrice et incontestablement bonne, bien qu'il y ait de grosses différences de style entre les deux auteurs, différences que l'on ne peut pas ne pas remarquer dans les propos de Tchekhov. Ainsi dans une lettre de fin 1898, il décrit Gorki comme un vrai, un grand talent, mais ajoute également : Je commence par cela, que d'après moi vous manquez de retenue. Vous êtes comme un spectateur au théâtre, qui exprime son enthousiasme avec si peu de retenue qu’il empêche d’écouter les autres et lui-même..
Dans les dernières années de Tchekhov, à plusieurs reprises, Gorki incitera Tchekhov à dénoncer ou au moins à renégocier le contrat qui le liait avec l'éditeur Marx depuis 1899, par lequel il cédait ses droits sur son œuvre contre 75 000 roubles, ce qui paraissait désavantageux du point de vue de l'auteur. Ce qui fut rejeté à chaque fois par Tchekhov.
Il est à noter, que malgré ses bonnes relations avec Gorki, Tchekhov ne partageait pas avec celui-ci ses idées révolutionnaires. Durant toute sa vie, il refusa toute forme de violence, et voyait dans le travail acharné et les l’exploitation du progrès technique la seule et unique porte de sortie à la misère sociale et non par le recours à une mutation sociale brutale. La citation suivante d'une lettre de Tchekhov en est une illustration :
Je ne crois pas en notre intelligentsia, qui est fourbe, fausse, hystérique, idiote et pourrie, je ne la crois pas non plus, quand elle souffre et qu’elle se plaint, car son oppresseur provient de ses propres rangs. Je crois dans les individus séparés, je vois le salut dans les personnalités individuelles, dispersées çà et là à travers la Russie – qu’ils soient de l’intelligentsia ou paysans – c’est en eux qu’est la vraie force, bien qu’ils soient peu. … La science ne cesse d’aller de l'avant, la prise de conscience de la société grandit, les questions de morale commencent à nous préoccuper et tant et plus – et tout cela se passe sans se soucier qui des fonctionnaires, qui des ingénieurs, qui des gouverneurs, sans se soucier de l'intelligence massivement et en dépit de tout.

Émile Zola

Dans une lettre à Souvorine de janvier 1898, il est dit entre autres L'affaire Dreyfus a repris et s'amplifie toujours, mais elle n'est toujours pas réglée. Zola en est une des bonnes âmes, et je […] suis en accord avec son coup de colère. La France est un beau pays, et elle a de magnifiques écrivains. Sous cette remarque concernant Émile Zola 1840-1902, que Tchekhov ne connaissait pas personnellement, il y a l'Affaire Dreyfus, qui atteint son sommet alors que Tchekhov passe l'hiver 1897/1898 à Nice. Tchekhov, qui dans ses dernières années montra un intérêt croissant pour les événements politiques de l'époque, étudia à Nice la presse française et rencontra en avril 1898 le journaliste anarchiste Bernard Lazare qui le renseigna sur la condamnation injuste d'Alfred Dreyfus. Tchekhov fut impressionné par l'article J'accuse…! dans lequel Zola prend le parti de Dreyfus. Cela trouve des échos dans ses lettres de cette époque, qui apportent aussi des éclaircissements, sur la nécessité selon Tchekhov - qui ne prit jamais de position claire sur la scène politique - de séparer l'œuvre d'écrivain de la politique :
« À supposer que Dreyfus soit coupable – Zola aurait tout de même raison, car c’est le devoir d’un écrivain, que ne de pas accuser ou de ne pas poursuivre, mais de se battre pour les accusés, même s’ils sont déjà condamnés ou si leur peine est prononcée. On doit se demander : Qu’en est-il de la politique ? Des raisons d’État ? Mais les grands écrivains et artistes doivent se mêler pour autant de politique, comme ils doivent s’en préserver. Il ne manque pas de procureurs, fonctionnaires, gendarmes […].

Le voyage à Sakhaline

La renommée littéraire de Tchekhov croît sans cesse. Il vit dans la confortable « commode » (surnom donné à sa maison) moscovite, entouré de soins, d'affection, d'amitié. Mais il traverse une sorte de crise morale, prend de plus en plus conscience de ce que doit être le rôle d'un écrivain digne de ce nom : rappeler aux hommes certaines vérités fondamentales, éveiller leur conscience, leur montrer que « le bonheur et la joie de la vie ne sont ni dans l'argent, ni dans l'amour, mais dans la vérité ». Il fait alors le procès de ce qu'on appelle le bonheur dans une étonnante nouvelle, Groseilles à maquereau (Kryžovnik, 1898) : « Nous ne voyons pas, nous n'entendons pas ceux qui souffrent, et tout ce qu'il y a d'effrayant dans la vie se déroule quelque part dans les coulisses. C'est une hypnose générale. En réalité, il n'y a pas de bonheur et il ne doit pas y en avoir. Mais si notre vie a un sens et un but, ce sens et ce but ne sont pas notre bonheur personnel, mais quelque chose de plus sage et de plus grand. » Rejetant cette « hypnose » générale, il veut se rendre compte par lui-même de la condition des plus misérables d'entre les hommes : les millions de condamnés déportés dans les bagnes de Sakhaline ; à la surprise de tous ses amis, Tchekhov décide de visiter l'île maudite. Il ne se laisse pas détourner de son projet. Et cependant, il est malade. Entre 1884 et 1889, il a eu onze crachements de sang. Les crises se produisaient deux ou trois fois par an et allaient en s'aggravant. En décembre 1889, Tchekhov décline l'invitation de Souvorine qui lui demande de venir à Saint-Pétersbourg : il a peur des secousses du train qui pourraient provoquer une nouvelle hémorragie. Pourtant, le 2 avril 1890, il s'embarque pour un voyage qui dura cinquante jours. Aux observations de Souvorine, il répond : « Vous dites que personne n'a besoin de Sakhaline et que cette île n'intéresse personne. Est-ce juste ? Nous avons chassé des hommes enchaînés, dans le froid, pendant des dizaines de milliers de verstes, nous les avons rendus syphilitiques, nous les avons dépravés, nous avons procréé des criminels... Nous avons fait pourrir en prison des millions d'hommes, fait pourrir inutilement, sans raison d'une manière barbare, en rejetant la responsabilité de tout cela sur les surveillants de prison aux nez rouges d'ivrognes. Non, je vous assure, aller à Sakhaline est nécessaire et intéressant, et on ne peut que regretter que ce soit moi qui y aille et non quelqu'un d'autre, plus qualifié et plus capable d'émouvoir l'opinion » (9 mars 1890).
Tchekhov passe trois mois dans l'île. Il en étudie tous les aspects : « J'ai tout vu. Il n'y a pas à Sakhaline un seul forçat ou déporté à qui je n'aie parlé » (Lettre à Souvorine, 11 septembre 1890). En effet, il fut le premier à recenser la population de Sakhaline. Fiches en main, il visite chaque isba, chaque casernement, chaque mine, chaque lieu de déportation. Il voit chacun des dix mille habitants de l'île et remplit de sa main dix mille fiches. Les conclusions qu'il tire de cet immense travail sont terribles. L'abaissement, l'avilissement, le mépris de la personne humaine, il les relate, avec la sécheresse bouleversante d'un compte rendu, dans L'Île de Sakhaline (Ostrov Sakhalin, 1894).
Après son retour de Sakhaline, dans une longue nouvelle intitulée Récit d'un inconnu (Rasskaz neizvestnogo čeloveka, 1893), Tchekhov fit une importante profession de foi : « J'ai maintenant fermement compris que la destination de l'homme, ou bien n'existe pas du tout, ou bien n'existe que dans une seule chose : un amour plein d'abnégation pour son prochain. » Ce thème apparaîtra désormais en filigrane dans ses nouvelles et dans ses pièces.
Trois mois plus tard, en mars 1891, il fuit Moscou, sa table de travail et ses souvenirs et part avec Alexis Souvorine pour un premier voyage en Europe. Il en fera cinq, entre 1891 et 1904, en Italie, en France, en Allemagne et en Autriche. Enthousiasmé par l'Italie, il écrit de Florence : « Tout est merveilleux ici. Celui qui n'a pas vu l'Italie n'a pas vécu » (lettre à Olga Knipper, 19 janvier 1901). Mais cet enthousiasme est intermittent. Le 15 avril 1891, il écrivait à son frère Michel : « De tous les endroits que j'ai visités, c'est Venise qui m'a laissé l'impression la plus lumineuse. Rome ressemble, somme toute, à Kharkov, et Naples est sale. »
En fait, Tchekhov se languit toujours à l'étranger. À une période d'exaltation et de fièvre succèdent très vite l'ennui et le désenchantement. Loin de chez lui, loin de Moscou et des paysages moscovites, il se sent incapable de travailler, donc de vivre. Les plus beaux paysages de France ou d'Italie ne l'inspirent pas ; il apparaît avec évidence que l'Occident lui a laissé peu de souvenirs : quelques pages sur Venise et Nice dans le Récit d'un inconnu (1893), sur Abazzia et l'Italie dans Ariadna (1895) ; juste quelques lignes dans ce chef-d'œuvre de lyrisme qu'est L'Évêque (Arkhierej, 1902). Mais qui sait si, par un travail inconscient et invisible, les expériences vécues, les paysages et les êtres admirés ou simplement entrevus n'ont pas contribué à l'élaboration de ce composé subtil qu'est l'art poétique de Tchekhov ?

L'amour, le théâtre et la mort

À son retour, Tchekhov se rend compte que Moscou devient invivable. Sa notoriété grandit : amis, admirateurs, curieux assiègent sa demeure. Une « mauvaise grippe » ne le quitte plus. Il tousse, maigrit, « ressemble à un noyé ». En février 1892, il trouve enfin la propriété de ses rêves et, le 5 mars, Tchekhov et ses parents, sa sœur et son frère cadet Michel s'installent dans un village, à Melikhovo, à une vingtaine de kilomètres de Moscou.
Il avait fait construire un minuscule pavillon de bois au fond du verger, c'est là qu'il écrivit notamment La Salle no 6 (Palata no 6, 1892), Les Moujiks (Mužiki, 1897), Le Récit d'un inconnu (1893), Le Moine noir (Černyj monakh, 1891), Trois Années (Tri goda, 1895), Ariadna (1895) et enfin La Mouette (Čajka).
Durant les six années passées à Melikhovo, Tchekhov écrit plusieurs de ses plus belles œuvres et prend également part à la vie locale. Avec son habituelle efficacité, il lutte contre la misère et l'ignorance, procède au recensement de la population du district de Melikhovo, soigne des centaines de malades (surtout pendant l'épidémie de choléra de 1892-1893). N'ayant pas les moyens de « prendre l'année de repos nécessaire », il dépense néanmoins dix mille roubles pour faire bâtir trois écoles.
Cette double activité, sociale et littéraire, a un effet désastreux sur sa santé. Dans la nuit du 21 au 22 mars 1897, il a une forte hémoptysie. Pour la première fois, il se laisse ausculter par des médecins (exactement douze ans et trois mois après sa première hémoptysie), avoue à son ami Souvorine : « Mes collègues me disent à moi, médecin, que c'est une hémorragie intestinale ! Je sais pourtant bien que c'est la phtisie ! »
Il passa l'hiver 1897 à Nice pour rentrer à Melikhovo en mai 1898. Sa santé est à peine meilleure. Les médecins insistent pour qu'il passe les hivers en Crimée. Il doit abandonner Melikhovo, qui semble vide et mélancolique après la mort de son père (1898). Tchekhov écrit à Souvorine : « Au point de vue littéraire, Melikhovo s'est épuisé pour moi après Les Moujiks et a perdu toute valeur » (lettre du 26 juin 1899). Tchekhov considérait Les Moujiks comme une somme de ses expériences paysannes et comme un adieu à sa vie parmi eux.
Sur la côte sud de la Crimée, à la porte de Yalta, Tchekhov achète un terrain caillouteux et aride où il décide de bâtir. En septembre 1899, il s'y installe avec les siens. Ce sera sa dernière demeure. Convertie en musée, elle fut, entre 1919 et 1957, confiée à sa sœur Maria Pavlovna et devint un véritable lieu de pèlerinage.
En 1899, l'année même de son installation en Crimée, la famine se déclare dans la région de la basse et moyenne Volga. Malgré un état de santé de plus en plus précaire, Tchekhov s'emploie activement à rassembler des fonds, écrit des appels et des articles dans les journaux. Il s'efforce en même temps de venir en aide aux tuberculeux. Il parvient à rassembler quarante mille roubles, en ajoute cinq mille et fait construire (en 1902) un sanatorium qui porte son nom.
Pendant les dernières années de sa vie, Tchekhov a cruellement souffert. Sa tuberculose pulmonaire s'est compliquée d'une tuberculose intestinale (qu'il appelle dans ses lettres « catarrhe »).
Très malade, exilé dans ce Sud qu'il ne peut pas aimer, dont la végétation lui semble « découpée dans de la tôle », il se sent irrémédiablement seul. « Comme je serai couché seul dans ma tombe, de même toute ma vie j'ai vécu seul », écrit-il dans ses Carnets.
Pourtant, depuis 1898, il y a dans sa vie une femme qu'il aime tendrement et qu'il épouse en mai 1901. Olga Leonardovna Knipper est une jeune actrice du théâtre d'Art de Moscou fondé en 1897 et dirigé par Constantin Stanislavski et Vladimir Nemirovitch-Dantchenko. Le 17 octobre 1898, La Mouette, qui deux ans plus tôt avait subi un échec retentissant au théâtre Alexandre de Saint-Pétersbourg, remporte un triomphe au théâtre d'Art. Durant les six dernières années de sa vie, Tchekhov fut en contact constant et étroit avec cette jeune troupe d'avant-garde pour laquelle il écrivit ses pièces les plus célèbres : Oncle Vania (Djadja Vanja, 1899), Les Trois Sœurs (Tri sestry, 1901), La Cerisaie (Višněvyj sad, 1903). Mais le théâtre d'Art est loin, et Olga Knipper retenue par son métier à Moscou. Tchekhov est seul avec sa mère dans la maison silencieuse. C'est dans ce modeste bureau de Yalta que cet homme qui se voyait mourir écrit des chefs-d'œuvre tels que Dans le ravin (V ovrage, 1900), La Dame au petit chien (Dama s sobačkoj, 1899), L'Évêque, ainsi que ses trois grandes pièces.
Élu à l'Académie des sciences de Russie (section belles-lettres) en janvier 1900, il renonce, en 1902, au titre d'académicien pour protester contre l'exclusion de Maxime Gorki. Anobli par Nicolas II (« noblesse héréditaire »), décoré, il n'en fit jamais mention.
Sa maladie progresse et les souffrances augmentent. Cependant l'amour est là, profond, tendre, désespéré, comme il se doit quand on est Tchekhov, hypersensible et supralucide, et qu'on aime une femme brillante, célèbre, coquette, lointaine.
Le dialogue avec le public, sous la forme du théâtre, est un ultime recours, le seul moyen de s'exprimer, de s'épancher, de partager tout ce qu'on pense, tout ce qu'on a appris pendant ces longs mois de tête-à-tête avec la solitude et la mort.
Le dernier hiver de sa vie, Tchekhov le passe à Moscou et assiste le 17 janvier 1904 à la première de La Cerisaie. En mai, il part avec sa femme pour Berlin et la Forêt-Noire (« je m'en vais pour crever », dit-il à Bounine). Il meurt à Badenweiler ; son corps est ramené à Moscou et inhumé au cimetière Novodevitchiï.

Un art très personnel

L'art de Tchekhov, allusif, riche de résonances cachées, est le plus elliptique, le plus concentré qu'il y ait eu dans les lettres russes. « Plus c'est court, mieux ça vaut... La brièveté est sœur du talent », dit Tchekhov. Simple, quotidienne, banale en apparence, telle est souvent l'anecdote qui sert de support à ses nouvelles. Mais elle n'apparaît ainsi qu'au regard superficiel qui ne sait pas discerner le grand et le profond dissimulés dans les petits faits de la vie courante (« meloči žizni »). Tchekhov réussit ce tour de force d'attacher et de passionner le lecteur ou le spectateur par des récits et des drames dénués d'affabulation romanesque, de toute péripétie, de toute concession à la facilité quelle qu'elle soit. « Dans la vie, il n'y a pas d'effets, ni de sujets bien tranchés ; tout y est mêlé, le profond et le mesquin, le tragique et le ridicule », disait Tchekhov à A. Kouprine.
« Un homme de lettres doit être aussi objectif qu'un chimiste, il doit renoncer au subjectivisme de la vie quotidienne... Il doit être avant tout un témoin impartial » (lettres à M. Kiseleva, 14 janvier 1887 et à A. Souvorine, 30 mai 1888). De toute évidence, Tchekhov était loin d'être seulement un témoin impartial. Mais l'élément personnel qui étoffe les matériaux offerts par l'observation directe de la vie est toujours dépersonnalisé, sublimé jusqu'à acquérir une valeur générale et supérieure. Par exemple, Trigorine et Treplev dans La Mouette sont tous les deux des porte-parole de l'auteur, chacun d'eux incarne un aspect de sa personnalité ; de même, le docteur Astrov dans Oncle Vania ; et Gourov, le héros de La Dame au petit chien ; enfin et surtout, Mgr Pierre dans L'Évêque. « Le subjectivisme, écrit-il à son frère, est une chose terrible [...] Surtout, il faut fuir l'élément personnel. »
Tchekhov avait défini ses canons esthétiques dès 1886 : « l'objectivité absolue ; la vérité dans la description des personnages et des objets ; une brièveté maximale ; l'audace et l'originalité ; la tendresse » (lettre à son frère Alexandre, 10 mai 1886), et, treize ans plus tard, il affirme : « La beauté et l'expression dans les descriptions ne s'obtiennent que par la simplicité, par des phrases aussi unies que : le soleil se couche, il fait sombre » (lettre à Maxime Gorki, 3 janvier 1899).
Cette simplicité, il l'applique tout d'abord à la composition de ses nouvelles. Le prologue ou introduction au récit est en général omis ou réduit à une courte phrase qui fait d'emblée entrer dans le vif du sujet. Tout au long du développement de l'histoire proprement dite, le laconisme de l'expression est également frappant. Quant au dénouement, ou conclusion, Tchekhov en a toujours pressenti le rôle capital. Chez le grand Tchekhov des dernières années, la nouvelle ou la pièce s'arrête brusquement sur une sorte d'accord musical. Il n'y a plus, à strictement parler, de fin, mais, au contraire, une ouverture sur un immense lointain. Par exemple, dans La Dame au petit chien, dans La Fiancée, une étape de la vie des héros est terminée ; mais une autre ne fait que commencer. Une fenêtre s'ouvre sur un avenir encore mal défini, tout d'inconnu et de mystère.
Le rôle de la musique est fondamental chez Tchekhov. L'élément sonore est un des plus importants de son système poétique. Il se manifeste surtout à travers la musicalité du style. L'habituelle structure de cette phrase lyrique comporte trois membres : « Après notre mort, nous dirons ce que nous avons souffert, comme nous avons pleuré, comme notre vie fut amère. » Mais l'élément musical intervient aussi sous la forme de véritables morceaux de musique en prose. Dans La Steppe, En route (V doroge), Les Moujiks ou Le Pipeau (Svirel') un paysage sonore se superpose au paysage naturel. On peut rapprocher l'usage d'un « paysage sonore » d'une autre innovation de Tchekhov, caractérisée par la richesse, la variété et la fraîcheur de ses onomatopées. Là encore, il se refuse à appliquer les clichés et traduit à sa manière le bruit d'un train (En wagon), le coassement d'une grenouille (Dans le ravin) ou le cri d'un oiseau nocturne (Agathe).
Novateur dans ses procédés musicaux, Tchekhov l'est aussi dans ses procédés visuels. Son amour de la nature fait de lui un grand paysagiste.
L'anthropomorphisme, la peinture osée, les couleurs un peu floues du début font place, peu à peu, à une simplicité monochrome (« Tchekhov est un Pouchkine en prose », dira Tolstoï). La sentimentalité se mue en mélancolie. L'austérité du style s'accorde à la pureté des sentiments exprimés et l'ensemble produit une étonnante impression de spiritualité.

L'originalité du dramaturge

Tchekhov sera attiré tout au long de sa vie par le dialogue direct avec le public, où, à l'abri de ses héros, caché derrière le décor, il s'épanche et s'exprime en dehors du rigide carcan imposé par sa conception de la nouvelle brève. Dès sa vingtième année, Tchekhov avait écrit une pièce qui ne fut publiée qu'en 1923 (Une pièce inédite de Tchekhov) et jouée à Paris sous le titre Ce fou de Platonov ; en 1885, il avait écrit Sur la grande route (Na bol'šoj doroge), étude dramatique en un acte ; en 1886, Le Chant du cygne (Kalkhas) et La Nocivité du tabac (O vrede tabaka), scène-monologue en un acte ; puis L'Ours (Medved', 1888), La Demande en mariage (Predloženie, 1889) Le Tragédien malgré lui (Tragik po nevole), Le Mariage (Svad'ba) et Le Sylvain (Lešij, 1890) ; en 1892, Le Jubilé (Jubilej). Depuis leur création, ces sketches en un acte sont joués, avec le même succès, sur les scènes russes. En 1889, Tchekhov termine Ivanov (commencé deux ans plus tôt), drame où, pour la première fois, il tente d'appliquer ses idées révolutionnaires sur le théâtre. Pourtant, de cette œuvre, Tchekhov avait dit qu'elle « n'était pas scénique ». Mais sa deuxième grande pièce, La Mouette, écrite neuf ans plus tard (1896), est bien moins « scénique » encore : « En dépit de toutes les règles de l'art dramatique, j'ai commencé ma pièce forte et l'ai achevée pianissimo... Je constate une fois de plus que je ne suis pas du tout dramaturge » (lettre à Souvorine, 21 novembre). Et pourtant son théâtre : La Mouette, L'Oncle Vania, Les Trois Sœurs, La Cerisaie, a envoûté des générations de spectateurs par la vérité profonde et subtile qui se dégage de ses lents cheminements et de ses silences.
« À quoi bon expliquer quoi que ce soit au public ? Il faut l'effrayer et c'est tout : il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus », écrit Tchekhov à Souvorine (lettre du 17 décembre 1891). Une des clefs de son esthétique est de ne pas expliquer, mais de donner des chocs à la sensibilité et à l'imagination du lecteur ou du spectateur. L'un et l'autre doivent collaborer avec l'artiste, ne jamais rester passifs. C'est pourquoi Tchekhov ne fait que poser des jalons, entre lesquels il laisse des vides. Ces vides, ces pauses sont de plus en plus nombreux dans ses pièces, et leur rôle est primordial. Là encore, comme dans ses nouvelles, « sans commencement ni fin », Tchekhov triomphe des conventions les plus solidement établies. Une certaine forme d'imagination créatrice lui faisait défaut. Il n'avait jamais pu peindre une action de longue durée ou un caractère élaboré, dont les différentes faces se seraient exprimées dans des circonstances diverses. Son art n'est pas celui d'un romancier. Il est épigrammatique, percutant, allusif, et s'exprime en brefs coups de sonde, donnés de main de maître en ces points névralgiques où se forment les nœuds des destinées humaines. Or, le théâtre doit justement mettre l'accent sur ces moments privilégiés où se montrent à nu certains mouvements de l'âme. Tchekhov était éminemment doué pour une forme de théâtre lyrique, psychologique, « intériorisé ». Le drame de ses héros ne réside jamais dans l'action, mais plutôt dans leur incapacité d'agir : « les gens dînent, ils ne font que dîner, et pendant ce temps, s'édifie leur bonheur ou se défait leur existence tout entière » (paroles de Tchekhov rapportées par G. Ars, Quelques Souvenirs sur Tchekhov).
Sous cet art si nuancé couvait le sentiment tragique de la vie, si caractéristique du Tchekhov de la maturité et qui s'exprime dans ses Carnets, ses lettres et ses œuvres les plus marquantes.
Il existe pour Tchekhov deux paliers du tragique, l'un est un tragique métaphysique par essence, éternel et irrémédiable, le second un tragique social temporaire et perfectible.
Un des thèmes majeurs de Tchekhov, et sans doute le plus caractéristique et le plus profond, c'est celui de la solitude. Solitude métaphysique, inhérente à la condition humaine : les sentiments intimes sont incommunicables par essence. Mais au-dessous de ce tragique philosophique et inéluctable, le tragique social, lui, est un mal guérissable. La culture, l'instruction, une relative prospérité peuvent tempérer l'horreur de certaines vies, de certaines situations décrites dans des récits tels que Les Moujiks, Dans le ravin ou Vanka. La société peut être améliorée ; les hommes peuvent devenir plus policés, plus raffinés, plus heureux. Ils ne tortureront plus les enfants, seront moins grossiers, moins avides, moins cruels. Dans les finales d'Oncle Vania, de La Cerisaie, éclate l'espoir d'un avenir meilleur.
Comment concilier le tragique individuel, la solitude irrémédiable (qui fut le lot de Tchekhov lui-même et de la presque totalité de ses héros), avec cet espoir insensé d'un problématique bonheur futur ? On n'aperçoit pas de pont capable de relier ces deux conceptions si contradictoires. Et Tchekhov n'a pas tenté de le faire dans l'abstrait ni dans l'absolu. En véritable stoïcien – l'auteur le plus annoté de sa bibliothèque est Marc Aurèle –, il s'est contenté d'agir. Sophie Lafitte

L'œuvre

Caractéristiques
Au long de sa carrière d'écrivain qui dura tout juste vingt-cinq ans, Tchekhov publia plusieurs centaines de récits, nouvelles et chroniques ainsi qu'une bonne douzaine de pièces de théâtre.
Beaucoup de ses œuvres primitives du début des années 1880 - principalement des nouvelles, des billets humoristiques, des parodies - sont empreintes du style drolatique caractéristique de Tchekhov beaucoup, comme La Mort d'un fonctionnaire 1883, sont aussi satiriques, tandis que ses œuvres matures ressortent plutôt du domaine du réalisme, comme influencées par la connaissance de la société qu'il acquiert à la suite de ses études et par sa pratique de la médecine de campagne.
Un manuscrit original de Tchekhov
La plupart de ses nouvelles essentielles traitent de la vie de la petite bourgeoisie dans la Russie de la fin du XIXe siècle, du péché, du mal, du déclin de l’esprit, de la société.
L'action, dont le dénouement reste souvent indécis, a généralement pour cadre la campagne du centre ou du sud de la Russie ou les environs d'une petite ville de province.
Beaucoup de récits de ce genre se lisent dans un long et profond soupir.
La Salle n° 6, nouvelle publiée en 1893, qui prenant pour exemple le service fermé de psychiatrie d'un hôpital de province délabré une des situations typiques, où Tchekhov se sert de sa propre expérience de médecin, peint un tableau particulièrement sombre de la vie russe, et règle ses comptes de façon accablante à la passivité et à l’adaptation absolue stoïque face aux criantes injustices sociales. Dans quelques-unes de ses œuvres comme les récits très tristes Volodia 1887, L'Envie de dormir 1888 ou Typhus 1887, Tchekhov se révèle être un excellent psychologue, qui parvient à décrire, d'une façon concise et sans équivoque la pensée et les actes des hommes, quand ils se trouvent confrontés involontairement à une situation critique.
La nouvelle Une banale histoire 1889 qui sera particulièrement appréciée par Thomas Mann est également construite de manière psychologique, dont le narrateur, un ancien professeur de médecine, au crépuscule de sa vie, juge finalement son existence présumée remplie dépourvue de sens, à laquelle il manque un fil conducteur, et combien est trompeur le comportement fait d’adaptation et de suivisme de ses proches et de ses relations. Des réflexions similaires sur le sens de l'existence et la vision subjective du bonheur – toujours à travers de nombreux personnages différents - se retrouvent dans la trilogie sortie en 1898 composée de L'Homme à l'étui, Les Groseilliers et De l'amour ainsi que dans les instants de mélancolie du récit La Fortune 1887. L'opinion courante, que Tchekhov ait critiqué, avec ce genre de récit, la passivité de la vie sociale de la Russie tsariste, est exacte à condition toutefois de préciser, que Tchekhov n’a jamais chercher à influencer son lecteur - il préférait toujours mettre en avant dans ses œuvres, les personnalités les plus individualistes avec leurs problèmes spécifiques, sans expliquer clairement leurs actes ni les critiquer. Cet extrait d'une lettre de Tchekhov de 1888 illustre cette maxime : Il me semble que ce ne sont pas les écrivains qui doivent résoudre des questions telles que le pessimisme, Dieu, etc. L’affaire de l'écrivain est seulement de représenter les gens qui parlent de Dieu et du pessimisme ou qui y pensent, de quelles façons et dans quelles circonstances ils le font. L'artiste ne doit pas être le juge de ses personnages et de ce qu’ils disent, mais seulement un témoin impartial. Les appréciations reviennent aux jurés, c'est-à-dire les lecteurs. Mon affaire est seulement d’avoir du talent, c'est-à-dire de savoir distinguer les indices importants de ceux qui sont insignifiants, de savoir mettre en lumière des personnages, parler leur langue. Cette position d'observateur neutre et distancié, qui est typique de l'œuvre de Tchekhov, ne signifie par pour autant que l'auteur en soit éloigné, l'action de plusieurs récits étant composée d'éléments autobiographiques avérés. Il en est ainsi de La Steppe 1888, qui reprend les souvenirs d'enfance d'un voyage à travers les paysages du sud de la Russie et d'Ukraine, dans la nouvelle Trois années 1894, on retrouve l'atmosphère déprimante du piètre magasin paternel de Taganrog, et dans Arianne 1895 on reconnaît le récit, que fait Tchekhov lui-même à la première personne, d'une croisière en Crimée. Dans une de ses plus longues œuvres, le court roman Le Duel 1891, Tchekhov laisse se développer à travers un des personnages principaux un darwinisme social faisant l’apologie de la violence avant d'être contrecarré lors du dénouement de l'action, qui fait écho à l’intérêt qu’il portait étudiant pour les cours sur Darwin.
Le style narratif de Tchekhov ne se limite cependant pas à une vague critique de la société quelle qu'elle soit ou à une recherche psychologique des abîmes psychiques de l'homme. L'éventail des sujets, dont se sert Tchekhov dans son travail, est très large et riche en histoires comiques et légères Le Fruit du péché 1887, La Lotte 1885, Un drame 1887 entre autres, de contes animaliers destinés aux enfants Kachtanka 1887, Front blanc 1895 ou encore le récit Vanka 1886 écrit du point de vue de l’enfant, d’observations désenchantées du train-train quotidien des paysans ou de la petite bourgeoisie russe à l'avènement du capitalisme Les Moujiks 1897, La Nouvelle Villa 1898, Dans la combe 1899 jusqu'à la confrontation directe avec la mort et le caractère éphémère commun à tous les hommes Tristesse 1886, Goussiov 1890, L'Évêque 1902. Dans un de ses récits les plus réputés, La Dame au petit chien 1899, qu’il écrivit à Yalta et où se situe l'action, Tchekhov se présente de manière exemplaire comme un poète lyrique, qui tout en transformant cette simple histoire d'amour entre deux êtres mariés en drame à l'issue restant ouverte, laquelle fait sans cesse échouer ses deux protagonistes en raison de l’absurde mesquinerie de l’existence sociale — fait écho à son propre grand amour, qu’une telle banalité dans son cas : la maladie interdira de vivre à fond. Une part de son œuvre, permet cependant au lecteur de croire en un Tchekhov très optimiste, qui n'a pas perdu, malgré tous les abus et tous les revers, confiance dans l'homme de bien et surtout au progrès, à une vie future meilleure. On peut regrouper dans ce genre des œuvres comme l’étonnante miniature L'Étudiant 1894 par ses changements de tons radicaux, la nouvelle profondément philosophique Le Moine noir 1893 ou le court roman La Steppe rempli de descriptions marquantes de la campagne, qui font l’effet d’un hommage éclatant au monde et au genre humain. Indépendamment du sujet traité ou du ton utilisé, la particularité commune à toutes les œuvres de Tchekhov dans lesquelles l’homme est au centre de l’action, et que ses manières d’agir ou ses façons de penser puissent sembler étranges, ridicules, tristes ou autre, est que l'auteur cherche toujours à rester une observateur objectif et sans préjugés.
Cette préférence de la personnalité des caractères sur l'action associée à l’économie du principe narratif La brièveté est la sœur du talent, selon Tchekhov, les futurs penchants impressionnistes de Tchekhov pour les points de vue particuliers Je n'ai encore jamais écrit directement d’après nature. Il faut que ma mémoire ait filtré le sujet […] et qu’il ne reste que l’important et le typique et le refus des intrigues traditionnelles comptent pour ses innovations majeures, qui font que son style tranche considérablement avec ceux des autres auteurs russes renommés de cette époque.
Le fait que l'on trouve dans chaque récit de Tchekhov une représentation réaliste de l'homme, quelle que soit sa couche sociale, fait de l'ensemble de l'œuvre de Tchekhov une source documentaire très crédible de la société russe de la fin du XIXe siècle.
Tchekhov a conservé dans ses pièces de théâtre — écrites pour la plupart après 1885, alors que son style littéraire est depuis longtemps maitrisé outre sa composante purement humoristique — sa méthode descriptive objective élaborée dans ses récits.
Les pièces se distinguent en général par le fait qu’elles veulent montrer un tableau tragi-comique de la banalité de la vie de province et du caractère éphémère de la petite noblesse russe.
La plupart des personnages qui y sont décrits sont des gens convenables et sensibles, ils rêvent que leur vie va s'améliorer, beaucoup cependant en vain, face au sentiment d’impuissance et d'inutilité, de l'auto-compassion exagérée et du manque d'énergie et de volonté qui en découlent.
Certes, l'auteur indique toujours qu'il y a une échappatoire à cette apathie, en l’occurrence le travail convaincu et l'action pratique utile, pourtant les personnages se révèlent en général incapable ou bien sans réelle volonté de faire bouger ce qui s’avère être à l'origine de cette évanescence, l'affaiblissement intellectuel croissant de ces personnes pourtant intelligentes.
Il n’y a pas de héros dans le théâtre de Tchekhov. Pas de gentils et pas de méchants de manière tranchée. Il y a juste des personnages confrontés à la sclérose des habitudes et à l’usure du temps, auxquels rien ne résiste ; qui essaient de vivre avec ce que la nature leur a accordé comme talents ou comme défauts. Et qui s’aperçoivent, souvent trop tard, qu’ils n’y parviennent pas. Certains en meurent, comme Treplev dans La Mouette. Mais c’est sans bruit, à part celui du coup de feu. Et encore, ce coup de feu pourrait bien n’être qu’un flacon d’éther qui a explosé dans la pièce d’à côté. D’autres n’en meurent pas. Pas tout de suite. « Tu n’as pas connu de joies dans ta vie, oncle Vania, mais patiente un peu, patiente… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons…
Une autre particularité du travail de dramaturge de Tchekhov est qu’il désignait la majorité de ses pièces comme des comédies, bien que l'action – si on fait exception de ses premières pièces en un acte cousues de fil blanc telles que L'Ours ou Une demande en mariage – n’en soit pas comique ou amusante au sens où on l'entend généralement.
Ces singularités produisirent du temps de Tchekhov de fréquentes incompréhensions non seulement de la part du public, mais aussi des metteurs en scène qui s’emparèrent de ses pièces.
C’est seulement des décennies après la mort de Tchekhov que l’on comprit majoritairement que le soi-disant comique devait provenir avant tout du comportement des protagonistes des pièces, du fait de leur sentiment d’impuissance et en général de leur rapport décalé à la réalité, par suite desquels leurs émotions, leurs actions et surtout leurs négligences – et dans une moindre mesure l'intention de l'auteur – produisent un comique involontaire.
Cette incompréhension des intentions de Tchekhov est en grande partie à l'origine de l'échec de La Mouette lors de sa création en octobre 1896.
Le succès vient avec sa rencontre avec le Théâtre d'art de Moscou de Nemirovitch-Dantchenko et Constantin Stanislavski. Pour révéler un théâtre dont l’action ne progresse pas tant par ce qui est effectivement dit que, finalement, par ce qui ne l’est pas, il fallait avoir envie d’inventer une nouvelle approche du métier de comédien, plus sensible à ce qu’on allait appeler le sous-texte qu’au besoin de briller sur scène. Cette nouvelle approche n’allait pas seulement révolutionner le travail d’acteur au travers, notamment, de ses suites dans l’Actors Studio. À un moment où émergeait la notion de mise en scène, elle allait bousculer la notion même d’écriture théâtrale, grâce à une analyse plus fine du fonctionnement dramatique. Mais qu’aurait pu le metteur en scène Stanislavski si, en dépit de certaines frictions sans doute inévitables, le Théâtre d’art n’avait pas trouvé son auteur, un certain A. P. Tchekhov ? La naissance de cette nouvelle approche du métier de comédien, qui n'a été possible que par cette collaboration unique entre Stanislavski et Tchekhov, est visible dans les Cahiers de régie rédigés par Stanislavski, lors des créations des pièces La Cerisaie et Les Trois Sœurs.
Ces pièces les plus connues avec La Mouette sont la pièce en quatre actes Oncle Vania, le drame Les Trois Sœurs ainsi que d’ailleurs sa dernière œuvre, la comédie La Cerisaie.
Toutes ces pièces présentent des déroulements de l’action très variés, cependant elles comportent beaucoup de points communs dans leur construction : l'action se passe toujours dans la province russe au tournant du siècle, les personnages sont de la petite noblesse, ils finissent par échouer d'une façon ou d'une autre du fait de leur passivité et de leur sens déformé de la réalité, cependant une note d'optimisme et la foi dans un avenir meilleur s’immiscent toujours dans l’action comme dans la réplique remplie de nostalgie À Moscou !, qui est typique de l'ensemble de l'action des Trois Sœurs, ou bien le Bienvenue, une nouvelle vie ! de la réplique finale de Piotr Trofimov dans la scène d’adieux de La Cerisaie.
Tchekhov, qui n'a jamais écrit de long roman bien qu'il en ait eu l'intention à la fin des années 1880, a exercé de par sa manière d'écrire concise, discrète et sans jugement de valeur, une immense influence sur la forme des romans modernes et du théâtre. De ce fait, aujourd'hui encore, Tchekhov est considéré pour l'un des premiers maitres de la nouvelle.

Posté le : 16/01/2016 18:26
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Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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