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Nicolas de Malebranche
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Le 13 octobre 1715 meurt Nicolas Malebranche philosophe, prêtre oratorien et théologien français, penseur de métaphysique, morale et religion


Dans ses œuvres, il a cherché à synthétiser la pensée de saint Augustin et Descartes. Malebranche est surtout connu pour ses doctrines de la Vision des idées en Dieu et de l'occasionnalisme qui lui permettent de démontrer le rôle actif de Dieu dans chaque aspect du monde ainsi que l'entière dépendance de l'âme vis-à-vis de Dieu
.

Nicolas Malebranche, né à Paris le 5 août 1638 et mort à Paris, à 77 ans, le 13 octobre 1715, est un philosophe, prêtre oratorien et théologien français, penseur de métaphysique, morale et religion, il met en avant la vision de Dieu et un certain occasionalisme, considéré comme un cartésien, il est également influencé par Saint Augustin, et influencera à son tour, Hume, de Bonald, Leibniz, J.-J. Rousseau, de Maistre, Antoine Charma
Ecclésiastique conquis par le cartésianisme, Nicolas Malebranche s’en éloigna cependant en inféodant de plus en plus sa pensée au dogme religieux. Pour lui, la raison humaine se conçoit comme une participation à la Raison éternelle, qui n’est autre que le Verbe divin – Dieu étant à la source même de nos idées.
Un héritier de la pensée cartésienne

Sa vie

D'un père trésorier de Richelieu, dernier des treize enfants d’un secrétaire du roi, disgracieux de nature et de santé délicate, à cause d’une malformation de la colonne vertébrale, il suit des cours chez lui jusqu'à l'âge de 16 ans et fait ensuite des études au Collège de la Marche où il obtient en 1656 le grade de maître des arts à l'université de Paris.
Nicolas Malebranche ne songe qu’à se retirer du monde. Après des études de philosophie et de théologie au collège de la Marche, puis à la Sorbonne où il étudie la théologie pendant trois années.
Après avoir été nommé secrétaire du roi en 1658, il entre à l’Oratoire en 1660, après la mort de sa mère, puis de son père, à quelques semaines d'intervalle, il reçoit la prêtrise en 1664.
Cette même année, il découvre par hasard le Traité de l’homme de Descartes. La révélation est telle pour lui qu’il se vouera désormais à la philosophie comme disciple de Descartes, avant de prendre progressivement ses distances avec celui-ci.
En 1699, il devient membre honoraire de l’Académie royale des sciences.
La chronologie des œuvres de Malebranche rend compte de l’évolution interne de sa pensée.
Par surcroît, ses ouvrages sont le plus souvent le reflet de querelles doctrinales avec de grands esprits, Leibniz, Bossuet, Fénelon….
Parmi les principaux : De la recherche de la vérité 1674-1678 ;
Conversations chrétiennes, 1677;
Traité de la nature et de la grâce, 1680 ;
Traité de morale, 1684;
Entretiens sur la métaphysique et sur la religion, 1688;
Traité de l’amour de Dieu, 1697.
Parus en 1708, les Entretiens d’un philosophe chrétien et d’un philosophe chinois sur l’existence et la nature de Dieu déclenchent une vive polémique avec les jésuites.
La métaphysique propre à Malebranche

Métaphysique

Retenant du cartésianisme qu'il n'est de vraie connaissance que par les idées claires et distinctes, Malebranche, qui se veut disciple de Descartes – en même temps que de saint Augustin –, s'éloigne de lui pour le reste. Substituant le Verbe à la lumière naturelle créée, la vision en Dieu à l'innéisme, faisant coïncider la philosophie et la religion, il transporte le philosophe dans cette "région heureuse et enchantée" où la lumière intelligible pénètre les" abîmes" profonds de la Providence et illumine le système entier de l'univers, incréé autant que créé, invisible autant que visible.
Dieu, qui renferme en soi toute la lumière et toute la puissance efficace, consulte sa Sagesse pour porter à l'existence le monde qui exprime le mieux ses perfections. Ainsi, l'ordre commande une immense machinerie où, de Dieu jusqu'à sa plus infime créature, tout est soumis à des lois strictement réglées ; univers que domine le drame chrétien, lui-même haussé au niveau de la raison ; univers, enfin, où Dieu, qui fait tout, n'est point responsable du mal, où l'homme, qui ne fait rien, demeure le maître de sa destinée, ayant le libre pouvoir d'arrêter ou de laisser s'accomplir le mouvement infini par lequel Dieu l'unit à lui dans un amour de pure lumière.
Il est extrêmement regrettable que l'aspect parfois théologique de cette réflexion en ait, depuis le XVIIIe siècle, si souvent masqué la puissance et l'originalité philosophiques.

L'auteur de la "Recherche de la vérité"


Les années de formation

Nicolas Malebranche fut, selon l'expression heureuse de Voltaire, l'un des plus profonds méditatifs qui aient jamais écrit.
Il naquit à Paris un mois avant Louis XIV. Et sa philosophie porte, plus que toute autre, cet "air grand et magnifique", le mot est d'Arnauld, parlant de Malebranche qui scelle le règne de ce prince.
Il sortait d'une famille de parlementaires.
Son père était conseiller du roi et trésorier général des cinq Grosses Fermes de France ; sa mère, Catherine de Lauzon, eut un frère intendant de Provence et de Guyenne, gouverneur du Canada, puis conseiller d'État.
Le dernier de dix ou de treize enfants, Malebranche était de complexion débile et de conformation irrégulière, ce qui fit écrire au malicieux Fontenelle qu'il s'était toujours destiné à l'état ecclésiastique, où la nature et la grâce l'appelaient également Éloge de Malebranche.
Il dut à sa constitution maladive de faire ses humanités dans la maison familiale, où le marqua l'empreinte de sa mère.
C'était, nous dit son ami et biographe le père André, une dame d'un esprit rare et d'une grande vertu, qui s'était occupée particulièrement à le former.
Malebranche aimait l'étude et, en peu de temps, poursuit le père André, il dévora les premières difficultés des sciences avec une facilité d'esprit qui étonnait.
À seize ans, en 1654, il alla faire sa philosophie au collège de la Marche, où son maître, M. Rouillard, péripatéticien zélé et plus tard recteur de l'Université de Paris, lisait et commentait Aristote. Reçu maître ès arts en 1656, et déjà décidé à recevoir les ordres, il suivit, jusqu'en 1659, les cours de théologie à la Sorbonne. Quoiqu'il eût assez bien appris le latin et le grec, observe le père Lelong, il ne s'appliqua pas à la philosophie et à la théologie, parce qu'il n'y trouvait point de goût.
Et Fontenelle : Il fit ses études en homme d'esprit et non en génie supérieur.
Ce que le père André explique en ces termes :
"Accoutumé de bonne heure à réfléchir, voici ce qu'il trouvait bizarre dans la méthode des Écoles : dans la philosophie, qui est tout entière du ressort de la raison, on voulait qu'il se payât de l'autorité d'Aristote, et dans la théologie, qui doit être uniquement appuyée sur l'autorité divine, qu'il se payât de raisons ou plutôt de raisonnements qui, pour l'ordinaire, ne sont rien moins que raisonnables."

En 1659, Malebranche était orphelin. Plus rien ne l'attachait au monde.
Il refusa un canonicat à Notre-Dame, et entra, l'année suivante, dans la congrégation de l' Oratoire, alors gouvernée par le père Bourgoing.
Il y trouva le sentiment de la liberté individuelle, l'amour de la science désintéressée et le goût de cette méditation intérieure qui, déjà, l'éloignait de l'histoire, de l'érudition, ou de cette critique sacrée dont l'entretenait Richard Simon.
Mais, là non plus, il ne se sentit d'abord aucune inclination particulière pour la philosophie, dont l'enseignement, comme l'a justement établi Henri Gouhier, était alors dominé par la hantise du cartésianisme, la Vocation de Malebranche.
On cultivait saint Augustin et, sans abandonner Aristote, on se tournait vers Platon, dont la philosophie paraissait mieux s'accorder avec la spiritualité.
Ordonné prêtre en 1664, ce fut cette même année, vraisemblablement, qu'une rencontre fortuite lui révéla sa vocation de philosophe. Écoutons Fontenelle :
"Un jour où il passait rue Saint-Jacques, un libraire lui présenta le Traité de l'homme de M. Descartes, qui venait de paraître. Il avait vingt-six ans et ne connaissait Descartes que de nom et par quelques objections de ses cahiers de philosophie. Il se mit à feuilleter le livre, et fut frappé comme d'une lumière qui en sortit toute nouvelle à ses yeux. Il entrevit une science dont il n'avait point d'idée, et sentit qu'elle lui convenait ....
Il acheta ce livre, le lut avec empressement, et, ce qu'on aura peut-être peine à croire, avec un tel transport qu'il lui prenait des battements de cœur qui l'obligeaient quelquefois d'interrompre sa lecture."
Malebranche venait de découvrir une science et une méthode de raisonner fondées sur les idées claires et distinctes. Sans doute aussi percevait-il déjà que, réduisant la matière à l'étendue, posant que les qualités sensibles sont dans l'âme et non dans les choses, cette science nous fait juger des choses, non par les sentiments que nous en avons, mais par les idées claires et distinctes qui nous les représentent selon leur essence intelligible.
Descartes allait lui permettre de parfaire la métaphysique augustinienne des idées : ne déclarait-il pas plus tard que ce qui avait manqué à saint Augustin, c'était d'avoir appris de Descartes qu'on ne voit pas les corps en eux-mêmes ? Enfin, le principe dont se prévaut le mécanisme du Traité de l'homme n'a point dû laisser de le frapper :
"La Nature agit toujours par les moyens qui sont les plus faciles de tous et les plus simples" Descartes.
Après le Traité de l'homme, il lit le Discours de la méthode, les Méditations, les Principes. Et, pour les bien comprendre, il s'attache aux mathématiques.
Il s'informe aussi très exactement de la physique, de l'astronomie, de l'histoire naturelle.
Au cours de ces études philosophiques et scientifiques, qui l'occupèrent trois ou quatre ans, il lui apparut que Descartes et saint Augustin se complétaient heureusement : Descartes avait mieux compris le corps, saint Augustin l'âme, chacun avait apporté certaines vérités touchant la nature de l'idée.
Malebranche tenait alors les grandes lignes de son dessein : instaurer une philosophie chrétienne où la fin de la philosophie vînt coïncider avec celle de la religion, l'intelligence avec la foi, la métaphysique avec l'apologétique.
L'histoire de sa vie n'est plus désormais que celle de l'élaboration progressive de sa doctrine, l'histoire de ses ouvrages, celle des polémiques où il fut entraîné.

Les principaux ouvrages

Dès 1668, semble-t-il, Malebranche travaillait à son premier traité : Recherche de la vérité, qui marque son double attachement à la méthode et à la physique cartésiennes, d'une part, au platonisme augustinien, de l'autre.
Les trois premiers livres, réunis en un volume, furent publiés en 1674, après en avoir été empêchés à cause de leur cartésianisme. Le second volume, contenant les trois derniers livres, parut en 1675, avec une seconde édition du premier.
La Recherche obtint un grand succès, recueillant les suffrages illustres et pieux, comme dit Sainte-Beuve, de ceux mêmes qui, plus tard, combattirent son auteur. Arnauld fut un des premiers à lui donner vogue, et les pères de l'Oratoire décidèrent qu'on remercierait le père Malebranche de ce qu'il travaillait aussi utilement pour le public.
C'est que, négligeant un examen particulier, on ne retint qu'une impression générale de cartésianisme.
L'ouvrage eut six éditions du vivant de Malebranche, et il devint l'une des lectures favorites de la princesse Élisabeth, qui avait été la disciple et l'amie de Descartes.
Au vrai, la Recherche ne se détache guère des problèmes cartésiens : problème de l'erreur, problème de la nature des idées, méthode pour avancer dans les sciences. Pourtant, elle est déjà quelque chose de plus, esquissant des thèmes variés qui n'ont plus rien de cartésien : primauté de la fin religieuse, accord de la philosophie nouvelle avec l'esprit du christianisme, réfutation de l'innéisme, réfutation implicite, puis explicite, de la libre création des vérités éternelles, position de la doctrine de la vision en Dieu, union en un des problèmes de l'erreur et du péché, explication de la chute d'Adam et du rôle de la grâce médicinale, négation de la substance composée, explication de la création par l'amour de Dieu pour soi, affirmation que Dieu agit par les voies les plus simples, qu'il est la cause générale et la seule cause efficace, que les causes naturelles ne sont que des causes occasionnelles dépourvues d'efficace, etc.
Mais ces éléments nouveaux restent épars.
Aucune unité systématique ne se constitue encore. Aussi tient-on plutôt des matériaux pour une doctrine nouvelle que cette doctrine elle-même.
En outre, des notions majeures, comme celle de l'ordre, demeurent imprécises ; des démonstrations, comme celle de l'accord de la raison et de la foi, s'administrent de façon contradictoire, tantôt par l'exaltation de la recherche rationnelle, tantôt par sa dépréciation au regard de la voie courte et certaine de la foi.
À tous ces points de vue, le tome III de la Recherche, qui contient plusieurs Éclaircissements sur les principales difficultés des précédents volumes, marque, en 1678, un progrès considérable.
L'année précédente, en 1677, les Conversations chrétiennes avaient déjà précisé la nature des rapports de l'intelligence et de la foi. L'apologie du christianisme s'y substituant à l'apologie du cartésianisme, Malebranche justifiait non plus le cartésianisme par son accord avec l'augustinisme et l'esprit du christianisme, mais la religion chrétienne par le moyen des idées claires et distinctes de la nouvelle philosophie.
Les Éclaircissements de 1678 développent ces vues, précisent les concepts d'ordre, de simplicité des voies, d'occasion, d'occasionnalisme, etc., mettent au jour des traits nouveaux : opposition entre la perfection de l'ouvrage et celle de la conduite, prévalence de la seconde, explication de la présence du mal dans l'univers créé, invisible aussi bien que visible. Mais l'unité systématique n'est toujours point dessinée.
C'est deux ans plus tard, avec le Traité de la nature et de la grâce, paru en 1680 à Amsterdam, que le malebranchisme commence à se constituer comme un nouveau système du monde. Né d'une discussion sur la grâce qui, au mois de mai 1679, avait vivement opposé Malebranche et Arnauld, il eut un grand retentissement et suscita tant de passion qu'il en fallut quatre éditions en moins de quatre ans.
Le dessein principal de l'ouvrage, c'est d'apporter au problème de la grâce et de la prédestination une solution qui réfutât l'erreur janséniste : il est faux que Dieu ne veuille sauver que les prédestinés, car il veut sauver tous les hommes, sans restriction aucune, même si tous ne sont pas sauvés.
Le principe de la solution étant la simplicité des voies, c'est l'univers tout entier qui se trouve pensé par le philosophe au point de vue d'une raison qui n'est plus, comme la lumière naturelle cartésienne, simplement humaine, mais qui est la Raison ou le Verbe de Dieu même.
Le Traité exprime directement l'inspiration maîtresse de la réflexion malebranchiste.
On y voit une doctrine née du cartésianisme, l'occasionnalisme, dénouer un problème essentiellement religieux.
On y saisit un moment capital de cet effort de rationalisation que, contrairement à Descartes, Malebranche veut étendre aux questions qui relèvent de la théologie. Au Dieu cartésien de la toute-puissance incompréhensible se substitue le Dieu malebranchiste de la Sagesse, créateur d'un univers où la surnature, autant que la nature, se découvre à l'homme dans une claire lumière intelligible.

Pourtant, en 1680, Malebranche n'avait point aperçu encore comment la hiérarchie des attributs divins fonde la proportion constante entre ces deux perfections différentes que sont celle des voies et celle de l'ouvrage. Il faudra pour cela un nouvel effort, celui qui anime les Entretiens sur la métaphysique et sur la religion, publiés en 1688.
Dès lors le Traité comme la Recherche sont corrigés en ce sens.
Le Traité eut sept éditions du vivant de son auteur. La quatrième s'était augmentée de plusieurs Éclaircissements et aussi d'Additions intercalées entre les articles. Le philosophe répondait ainsi aux exigences de la polémique, mais la première édition gardait sa préférence.
Voici ce qu'en écrit Sainte-Beuve :
"Chaque discours, qui a lui-même deux portions, se compose de paragraphes plus ou moins longs, proportionnés toutefois, espèces d'aphorismes, d'oracles métaphysiques, qui marchent plus ou moins comme des strophes, comme des octaves. Ou, si vous voulez, tout ce livre a la beauté d'un temple. Dans les éditions suivantes, l'auteur a fait suivre chaque paragraphe d'additions ou commentaires qui rompent la première beauté ; aussi, pour en jouir, faut-il ne lire que la série des stances du texte primitif. On conçoit l'ennui de Malebranche obligé de déranger ainsi toute la beauté de son ordonnance architecturale pour appuyer la solidité. C'est comme un architecte qui, entre chaque ornement d'un temple, bâti par lui, et chaque colonne, serait obligé par ses critiques à intercaler des supports de bois sur lesquels seraient affichées les objections géométriques qui y ont donné lieu" Port-Royal.
Après le Traité, les Méditations chrétiennes et métaphysiques marquent à leur tour, en 1683, la coïncidence parfaite de la réflexion philosophique avec le point de vue du Verbe. Puis, en 1684, le Traité de morale fonde la morale sur des principes rationnels.
Malebranche conçut alors le projet d'un exposé parfaitement systématique de sa doctrine, où, sans disputer, il répondrait à ses adversaires.
Ce furent les Entretiens sur la métaphysique et sur la religion, le plus beau de ses ouvrages, écrit sur un ton élevé, dans un langage lumineux et serein.
En 1696, une nouvelle édition s'augmentait de trois Entretiens sur la mort.
Entre-temps, en 1692, Malebranche avait publié un traité Des lois de la communication des mouvements où, sous l'influence de Leibniz, il corrigeait les lois cartésiennes du choc et aussi ce que lui-même en avait écrit dans la Recherche de la vérité.
Il ne devait pas cesser, d'ailleurs, de se corriger sur ce point au cours des éditions ultérieures de la Recherche, y compris la dernière.
Le père François Lamy ayant, dans le troisième tome de La Connaissance de soi-même, invoqué l'autorité de Malebranche en faveur du quiétisme, l'oratorien se défendit par un court Traité de l'amour de Dieu, publié à Lyon, en 1697, dans une réédition du Traité de morale.
En 1708, sur l'insistance de Monsieur de Lyonne, évêque de Rosalie et vicaire apostolique, il donnait, à Paris, l'Entretien d'un philosophe chrétien avec un philosophe chinois sur l'existence et la nature de Dieu.
Enfin, en 1715, il répondait, par les Réflexions sur la prémotion physique, à l'Action de Dieu sur les créatures ou De la prémotion physique, ouvrage dans lequel le père Boursier avait, en 1713, défendu la thèse thomiste de la prémotion et attaqué Malebranche sur les lois générales de la nature et de la grâce.
Pour fonder solidement la liberté du consentement à la grâce, Malebranche fut conduit à démontrer, avec une vigueur nouvelle, que l'acte du libre consentement n'est pas une modalité physique de l'âme et que, par conséquent, il n'a point à être soutenu par Dieu.

Sa Mort

Ce fut son dernier livre. Déjà languissant, il tomba gravement malade en juin 1715. Après quatre mois de souffrances aiguës, qu'il supporta avec un courage digne de sa vertu et de sa piété, appliquant aux circonstances de sa maladie un esprit dont la curiosité pour les sciences ne s'était point affaiblie depuis la lecture du Traité de l'homme, il mourut, parfaitement lucide, à Paris.


Les polémiques

Le nom de Malebranche retentissait dans toute l'Europe.
" Je sais, dit plaisamment Fontenelle, que, dans la guerre du roi Guillaume, un officier anglais prisonnier se consolait de venir ici parce qu'il avait toujours eu envie de voir le roi Louis XIV et Malebranche."
Et Sainte-Beuve :
"Malebranche faisait école : la beauté de son génie, la lumière de son langage, la sincérité de sa piété et la candeur de ses mœurs, une physionomie singulièrement expressive et qui laissait transpirer l'esprit, tout attirait et attachait les jeunes imaginations ; il y avait des malebranchistes fervents ".
Mais il y avait également des ennemis non moins passionnés, auxquels le père se devait de répondre, encore qu'il eût les polémiques en horreur. Il s'y montrait irritable et caustique, moins fait, peut-être, pour parer l'attaque que pour reprendre librement l'exposé de ses idées.
Dès la publication du premier volume de la Recherche de la vérité, il fut pris à partie par Foucher, chanoine de Dijon, auquel il répondit prestement dans la préface du deuxième volume de la Recherche, H. Gouhier, La Première Polémique de Malebranche.
En 1680, le père Le Valois, jésuite, sous le nom de Louis de La Ville, dénonça l'incompatibilité de la doctrine de Malebranche, comme du cartésianisme en général, avec le mystère de l'eucharistie :
" Philosophie chrétienne et théologie. À propos de la seconde polémique de Malebranche".
Malebranche lui fit une Réponse anonyme, à laquelle il joignit un Mémoire pour expliquer la possibilité de la transsubstantiation, dont il ne reconnut jamais expressément qu'il fût sien ; peut-être parce que son explication l'avait amené à certaines vues qui, pour profondes qu'elles fussent, s'accordaient difficilement avec la réduction cartésienne et malebranchiste de l'essence des corps à l'étendue.
Puis ce sont les multiples controverses touchant le Traité de la nature et de la grâce.
La plus importante fut celle qui commença en 1683 avec l'ouvrage d' Arnauld : Des vraies et des fausses idées contre ce qu'enseigne l'auteur de la Recherche de la vérité. Elle se poursuivit dans une série d'attaques, de ripostes et de contre-ripostes, dont le moment essentiel fut la publication, par Arnauld, des Réflexions philosophiques et théologiques sur le nouveau système de la nature et de la grâce, en trois livres, dont le premier parut en 1685.
Elle ne se termina qu'en 1704, dix ans après la mort d'Arnauld, par un petit traité intitulé Contre la prévention : un Malebranche à l'esprit mordant y démontre que les vertus qu'on prête à Arnauld interdisent de le croire l'auteur des ouvrages qu'on lui attribue.
Bossuet, lui aussi, était hostile. S'étant vainement opposé à la publication du Traité, il l'attaque ouvertement au cours de son oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse :
" Que je méprise ces philosophes qui, mesurant les conseils de Dieu à leurs pensées, ne le font auteur que d'un certain ordre général d'où le reste se développe comme il peut, comme s'il avait à notre manière des vues générales et confuses, et comme si la souveraine Intelligence pouvait ne pas comprendre dans ses desseins les choses particulières, qui seules subsistent véritablement !"
Une belle lettre de Bossuet au marquis d'Allemans, du 21 mai 1687, témoigne que, s'il entendait alors un peu mieux la doctrine de Malebranche, il continuait d'y voir une hérésie. Les Entretiens sur la métaphysique le firent entrer davantage dans la pensée du père et une réconciliation s'amorça.
Elle fut complète en 1697, lorsque Bossuet trouva en Malebranche son allié le plus illustre contre Fénelon.
Bossuet avait incité Fénelon à écrire, vers la fin de 1687, la Réfutation du système du père Malebranche sur la nature et la grâce, et il y aurait mis lui-même la main. Pourtant, l'ouvrage ne parut point, peut-être parce que la lecture des Entretiens sur la métaphysique en avait adouci l'instigateur.
Publiée en 1820, la Réfutation de Fénelon est très supérieure aux Réflexions d'Arnauld. Elle part des principes reconnus par Malebranche pour en tirer les conséquences : ces conséquences, Malebranche doit soit les récuser et abandonner son système, soit les maintenir et cesser d'être chrétien.
Ce faisant, Fénelon n'est point sans mettre le doigt sur certaines difficultés internes de la doctrine.
Bayle, qui s'était montré favorable au Traité en 1682, dans sa Lettre sur les comètes, changea d'avis après avoir lu les Réflexions philosophiques et théologiques d'Arnauld.
Ses jugements ont surtout cet intérêt que Leibniz les examinera et défendra Malebranche, sinon dans le détail, du moins pour l'essentiel, encore que les deux philosophes s'accordent davantage sur les mots que sur les choses.

Malebranche et Leibniz étaient en rapport depuis quelques années. Ils devaient s'opposer au cours de la longue controverse scientifique, ouverte en 1686, sur les lois de la communication des mouvements.
À en croire le père André, elle se serait achevée par la capitulation de Malebranche :
"Il avoua son erreur, écrit-il, avec autant de joie que s'il eût publié une découverte .... Monsieur Leibniz, charmé de sa vertu, lui rendit une réponse telle qu'il la méritait."
Mais Pierre Costabel a mis les choses au point, ses introductions et notes dans le tome XVII des Œuvres complètes de Malebranche et sa communication aux journées Malebranche de 1965, in Malebranche, Paris, 1967.
Certes, Malebranche a subi l'influence de Leibniz, mais sa réflexion personnelle l'avait déjà mis sur la voie. De surcroît, il ne se rendit jamais complètement puisque, en 1712 encore, dans la dernière édition de la Recherche de la vérité, il refusait la force vive, estimant qu'elle se réclame d'une métaphysique obscure. On retrouve ici l'attitude générale de Malebranche savant.
Qu'il ait affaire à Leibniz, à Mariotte, à Huygens, à Newton, il est toujours prêt à modifier ses conceptions ; mais il veut que les données de l'expérience puissent être intégrées dans une explication rationnelle satisfaisante, le dernier mot restant à l'esprit qui juge. Ainsi, tout en suivant Leibniz, ou un autre, jusqu'en un certain point, il ne quitte jamais la voie qui est la sienne. En un mot, comme dit le père Costabel, il apporte aux savants un " exemple extraordinaire ... au point de vue de l'ouverture d'esprit, de la fermeté de la pensée et de l'aptitude à se corriger" et son œuvre scientifique, modeste dans ses dimensions, est dense dans son contenu. Ajoutons, pour le piquant, que le père Costabel, outre qu'il cite certaines questions dont Malebranche rend compte
" en des termes qu'un moderne ne peut qu'admirer", aperçoit, dans sa théorie de la matière subtile, " une lointaine ébauche de la notion d'énergie atomique".
Contre Régis, cartésien superficiel, Malebranche dut se défendre, en 1693 et 1694, sur la nature des idées, sur les plaisirs des sens, sur les diverses apparences de grandeur du Soleil et de la Lune.
Touchant cette dernière question, il eut pour lui les mathématiciens les plus illustres de l'Académie des sciences, dont il devint membre honoraire en 1699.
Le Traité de l'amour de Dieu suscita les répliques du père Lamy, auxquelles Malebranche répondit par trois lettres et un opuscule, voir l'ouvrage d'Yves de Montcheuil, Malebranche et le quiétisme, Paris, 1946.
Les Jésuites, s'estimant visés par l'Entretien d'un philosophe chrétien avec un philosophe chinois, l'attaquèrent dans les Mémoires de Trévoux, en juillet 1708. Malebranche riposta par un Avis qu'il annexa à l'Entretien, et auquel les Mémoires de Trévoux répliquèrent en décembre 1708.
La publication, en 1713, du Traité de l'existence de Dieu de Fénelon fut l'occasion d'une nouvelle et brève controverse avec les Jésuites, laquelle tourna à l'avantage de Malebranche.

La philosophie de Malebranche

Avec Malebranche, le point d'appui de la philosophie, ce n'est plus, comme avec Descartes, la lumière naturelle créée, ce n'est plus la réflexion de l'esprit sur soi, ce n'est plus le cogito : c'est la lumière divine elle-même, c'est le Verbe de Dieu, avec lequel notre union est si étroite qu'elle ne pourrait se rompre sans que notre être en fût détruit.
Aussi la philosophie ne connaît-elle plus de bornes : le domaine que Descartes réservait à la théologie, ou Pascal au cœur, devient celui de la plus haute philosophie. Et si, pour la créature, l'infiniment infini garde quelque chose d'incompréhensible, du moins, de cette incompréhensibilité, saisit-elle la raison.
Sans doute, depuis le péché d'Adam, qui eut pour conséquence la subordination de l'âme au corps, l'homme est incapable d'apercevoir par ses propres forces la lumière qui l'éclaire, de même que les aveugles et ceux qui ferment les yeux ne sont point éclairés par la lumière du Soleil qui, pourtant, les environne. Aussi le Verbe s'est-il incarné pour parler aux hommes charnels et grossiers un langage sensible accommodé à leur faiblesse. Mais, puisque c'est la même Raison de Dieu qui nous parle par l'évidence de la lumière et par l'autorité de la révélation, la religion peut et doit s'achever dans la philosophie, la foi doit nous conduire à l'intelligence :
" La foi passera, mais l'intelligence subsistera éternellement ",Traité de morale.
Que la raison de l'homme soit le Verbe de Dieu, c'est ce que Malebranche établit par une multitude d'arguments, qu'il ne cessera de diversifier.
La Raison est universelle, puisque tous les hommes voient que 2 fois 2 font 4 et qu'il faut préférer son ami à son chien. Elle est immuable et nécessaire, puisqu'il ne peut se faire que le triangle n'ait pas la somme de ses angles égale à deux droits, ou qu'il ne faille pas préférer son ami à son chien.
Elle est infinie, puisque je conçois qu'il peut y avoir un nombre infini de triangles, ou d'autres figures, puisque je conçois l'infini de l'étendue, l'infini des nombres, puisque, surtout, toute idée est infinie, l'idée du cercle, par exemple, étant, non point l'idée de tel cercle particulier, mais celle de tous les cercles possibles, ou encore l'infinité des cercles en un.
Universelle, immuable, nécessaire, infinie, donc incréée, cette Raison ne peut être que celle de Dieu,
" car, écrit Malebranche, il n'y a que l'être universel et infini qui renferme en soi-même une raison universelle et infinie »Recherche de la vérité " Xe Éclaircissement.
Des considérations psychologiques confirment la conclusion ainsi tirée de la nature de la raison.
Je ne puis penser le particulier de façon claire qu'en partant de la connaissance confuse de tous les êtres, laquelle suppose la présence à notre esprit de Dieu, qui seul les renferme tous dans la simplicité de son être. Le sentiment intérieur que j'ai de moi-même m'enseigne que toutes les modifications de mon âme sont obscures, confuses, changeantes, particulières, donc radicalement hétérogènes aux idées, qui sont claires, distinctes, immuables, universelles.

Certes, la thèse du caractère divin de la lumière qui nous éclaire est fort ancienne, puisque, avant Augustin, on la trouve déjà chez des Pères qui, tels Justin ou Clément d'Alexandrie, l'avaient apprise, dit Malebranche,
" dans les livres des platoniciens estimés alors ou dans ceux de Philon et des autres juifs ; et ils s'en étaient convaincus par le huitième chapitre des Proverbes de Salomon, et surtout par l'Évangile de saint Jean " préface aux Entretiens métaphysiques.
Mais elle devient, chez Malebranche, l'assise d'une doctrine tout à fait originale.
D'abord, pour tous ces penseurs, nous n'apercevons dans la Raison que les idées et les vérités intelligibles, non les choses corruptibles, qui ne peuvent trouver place dans l'Être infiniment parfait.
La philosophie cartésienne, en démontrant la subjectivité des sensations, permet à Malebranche de faire de Dieu le lieu de la connaissance sensible autant que de la connaissance rationnelle. Ce qui constitue proprement la théorie de la vision en Dieu.
D'autre part, en proclamant contre Descartes, Arnauld et Bossuet que la volonté de Dieu se subordonne à la Sagesse, Malebranche met dans la Raison le principe du système entier de l'univers.
Et puisque l'homme participe à la Raison souveraine, ce système lui devient intelligible, du moins dans ses principes fondamentaux.
On examinera d'abord la théorie de la vision en Dieu, ce qui conduira à préciser la nature de la connaissance de Dieu, puis le système de la Providence.

La vision en Dieu

Les songes, les hallucinations, l'illusion des amputés, les erreurs des sens, etc., montrent clairement que les sens et l'imagination ne nous représentent aucun objet distinct de nous : les sensations ne sont pas autre chose que les modifications subjectives de notre âme, destinées à assurer, par la voie courte et incontestable du sentiment, la conservation de notre corps.
D'autre part, les corps ne sont point visibles en eux-mêmes, car le corps ne peut agir sur l'âme, et ce pour deux raisons, empruntées l'une à Descartes, l'autre à saint Augustin : corps et âme sont deux substances sans commune mesure, et le corps est inférieur à l'âme.
Il reste donc que, lorsque nous croyons percevoir un corps, nous percevons en réalité une idée. Cette idée ne saurait être en nous, puisque l'idée est infinie et l'âme finie, puisque la connaissance par idée est claire, distincte, nécessaire, universelle, immuable, et nos modifications subjectives, finies, obscures, confuses, changeantes.
C'est donc en Dieu que nous apercevons les idées des corps, qui sont des déterminations de l'idée d'étendue, ou étendue intelligible, archétype de la matière créée. Cette solution est conforme à la simplicité des voies, et elle assure notre entière dépendance à l'égard de Dieu, puisque c'est lui-même qui nous fait voir ce que nous voyons.
Mais, objectera-t-on, c'est par une perception sensible que je saisis les corps existants.
Or, les sensations sont des modifications subjectives de mon âme. Comment dire, dans ces conditions, que la perception des corps soit leur vision en Dieu ?
Il faut ici distinguer l'idée elle-même d'avec l'effet, dans mon âme, de son efficace.
Toute connaissance suppose que Dieu imprime l'idée dans mon âme, ce par quoi celle-ci subit une modification. Lorsque l'impression est légère, la modification l'est aussi, et la perception est intellectuelle, telle la perception des figures géométriques ; lorsque l'impression est profonde, la modification l'est aussi, et la perception est sensible, telle la perception des corps existants.
Or, les sensations que l'idée produit en elle, l'âme les projette sur l'idée qu'elle aperçoit en Dieu.
C'est ainsi que la connaissance sensible elle-même est vision en Dieu.
Il résulte de là que rien ne serait changé dans notre perception du monde des corps si Dieu anéantissait la matière, mais continuait d'affecter pareillement notre âme. Comme, d'autre part, Dieu ne renferme rien qui l'oblige de créer, l'existence de la matière est radicalement indémontrable, et seules l'attestent les Écritures. Descartes, on le sait, n'allait pas aussi loin, fondant sur la véracité divine la valeur objective de l'inclination qui nous fait poser la matière comme cause de nos sensations.
Mais Malebranche lui conteste le droit d'étendre au sentiment la véracité divine.

La connaissance de Dieu

Voir les corps en Dieu, ce n'est pas voir l'être même de Dieu, car les idées ne sont les perfections de Dieu qu'en tant que celles-ci représentent les imperfections des créatures. Aussi bien la preuve essentielle de l'existence de Dieu, il en est de variées s'appuie-t-elle sur l'irréductibilité du mode de notre connaissance de Dieu au mode de notre connaissance des corps.
En effet, il n'y a d'idée que du créé ; il n'y a donc pas d'idée de Dieu ; pourtant, je connais Dieu ; par conséquent, je ne le connais point par idée, d'où il s'ensuit que je perçois directement son être.
Autrement dit, contrairement aux corps, dont je puis avoir l'idée sans qu'ils existent, Dieu existe du moment que j'y pense.
En démontrant ainsi que nous ne connaissons pas Dieu par son idée, mais que nous avons l'intuition immédiate de son être, Malebranche s'oppose tant à Descartes qu'à Spinoza. Cette intuition nous est toujours présente, même si elle ne se précise que lorsque, nous détournant des objets finis, nous concentrons sur elle notre capacité finie de penser.
Mais, à aucun degré, elle n'opère une fusion entre Dieu et mon âme, comme c'est le cas chez un Plotin, par exemple. Dieu reste une réalité extérieure à moi, qui affecte comme du dehors mon âme, en elle-même ténébreuse et passive.

D'autre part, encore que, voyant toutes choses en Dieu, Dieu nous soit, de ce fait, plus connu que les choses que nous imaginons le mieux connaître, la connaissance que nous avons de lui demeure inéluctablement imparfaite. D'abord, l'infinité dépasse la capacité finie de notre faculté de connaître.
Certes, puisque notre raison est la Raison de Dieu, ce que nous connaissons clairement et distinctement, nous le connaissons comme Dieu le connaît. Mais nous ne connaissons pas tout ce que renferme son Verbe. En second lieu, puisque notre raison est le Verbe, nous ne connaissons directement de Dieu que ce que renferme son Verbe, c'est-à-dire d'une part la hiérarchie de ses perfections, ou ordre, d'autre part les idées des choses créées et leurs relations ou vérités éternelles. Nous ne percevons donc pas la simplicité absolue de son être, ni non plus la volonté divine, ni la toute-puissance de son efficace, puisqu'en Dieu la volonté est distincte du Verbe.
Partant, Dieu demeure d'une certaine façon le "Dieu caché, inconnu, invisible, et qui par conséquent ne paraît point être la cause efficace des effets visibles" Prémotion physique.
Néanmoins, ce Dieu caché ne se dérobe point entièrement à notre connaissance rationnelle.
Et c'est ici que la philosophie de Malebranche se révèle pleinement une philosophie chrétienne. Si la raison éclaire la foi pour les vérités que renferme le Verbe, en revanche la raison s'appuie sur la foi pour s'intégrer les vérités que le Verbe ne renferme point :
"Que les philosophes ... sont obligés à la religion, car il n'y a qu'elle qui les puisse tirer de l'embarras où ils se trouvent !" Entretiens métaphysiques
Sans doute, les mystères de la Trinité, de l'Incarnation, de l'eucharistie nous demeurent incompréhensibles dans leur texture propre. Mais, en comblant très exactement, si l'on peut dire, les lacunes d'intelligibilité que la raison, livrée à elle-même, laisse subsister dans l'explication rationnelle de l'univers, les données de la foi, dès lors éclairées par la lumière, parachèvent cette explication.
Le Dieu caché, qui ne peut être aperçu directement dans la clarté du Verbe, devient l'objet d'une construction rationnelle indirecte, dont le point de départ est l' expérience de la foi, de même que l'expérience sensible est le point de départ de la physique dans la mesure où, étant la science des corps existants, elle ne se réduit point à la mathématique, qui est la science des essences.
La raison et la foi se prêtant un mutuel concours, la connaissance du Créateur devient possible, et, du même coup, celle de son ouvrage.

Le système de l'univers

Le souci de dégager Dieu de la responsabilité du mal inspire, pour l'essentiel, la construction malebranchiste du monde. Tâche d'autant plus ardue que, d'une part, on tient Dieu pour la seule cause efficace et que, d'autre part, se refusant à réduire, avec Descartes ou Leibniz, le mal à une simple apparence, à un simple defectus, on affirme son caractère positif.
Le nœud de la solution, c'est le principe de la simplicité des voies, lui-même fondé dans l'ordre, ou hiérarchie des perfections divines, auquel se subordonne le vouloir de Dieu.

L'ordre, certes, ne commande point à Dieu de créer, car l'infinitude de l'Être divin assure son autosuffisance. C'est donc par un libre décret que Dieu décide de sortir de lui-même, pour se glorifier dans un ouvrage que la personne divine qui s'unit à lui, par l'Incarnation, hausse au niveau de l'infini.
Mais, supposé la libre décision de créer, l'ordre exige que Dieu produise l'ouvrage qui exprime le mieux la hiérarchie de ses attributs, c'est-à-dire l'ouvrage le plus parfait, compte tenu, non seulement de la perfection de l'ouvrage considéré en soi, mais aussi de la perfection des voies de son exécution.
De ces deux perfections, la seconde est prévalente, car la conduite de Dieu, c'est Dieu lui-même, tandis que l'ouvrage n'est que son effet extérieur.
Or, contrairement à Leibniz, fidèle à l'optimisme augustinien, Malebranche démontre que la perfection des voies ne coïncide point avec la perfection de l'ouvrage, que, tout au contraire, elle la limite. D'où l'existence du mal positif.
En effet, les voies expriment le mieux la perfection de l'Ouvrier lorsqu'elles sont les plus simples, c'est-à-dire lorsque Dieu agit par des volontés générales, autrement dit lorsqu'il exécute son ouvrage selon des lois générales, ou selon le rapport immuable qu'il institue entre telle cause occasionnelle, inefficace par elle-même, et tel effet.
D'où les cinq lois générales du système de l' occasionnalisme, dont trois de la nature et deux de la grâce : les lois de la communication des mouvements, dont le choc des corps est la cause occasionnelle ; la loi de l'union de l'âme et du corps, les modifications de chacune de ces substances étant causes occasionnelles des modifications de l'autre ; la loi de l'union de l'âme avec la Raison universelle, dont la cause occasionnelle est l'attention ; la loi de la distribution des grâces du Nouveau Testament, dont les désirs de Jésus-Christ sont les causes occasionnelles ; enfin la loi de la distribution des grâces temporelles de l'Ancien Testament, dont les anges sont les causes occasionnelles.
Dieu ne peut se dispenser d'agir selon ces lois que dans les cas, exceptionnels, où, s'il s'y conformait, le total de perfection, constitué par la somme des perfections de l'ouvrage et des voies, s'en trouverait diminué : il agit alors par des voies pratiques particulières, qui sont les miracles.
Or, une action par des lois générales ne permettant point un ajustement précis de l'action à son effet, elle a pour conséquence inéluctable des défauts dans l'ouvrage. Au surplus, la cause occasionnelle ne devant pas se confondre avec la cause véritable et seule efficace, ou Dieu, elle est nécessairement finie, voire imparfaite ; ce par quoi, d'ailleurs, la conduite de Dieu manifeste son excellence, l'ouvrage étant d'autant plus admirable qu'il est produit par de plus petits moyens.
Le choc des corps est aveugle et nécessaire, d'où les désordres du monde physique ; l'attention de l'homme, éclairée et libre, est faillible, d'où les désordres du monde moral, l'erreur et le péché ; Jésus-Christ, comme cause occasionnelle, c'est-à-dire comme homme, est éclairé, libre et infaillible, mais il est fini, d'où la disproportion entre le degré de la grâce et celui de la concupiscence, qui a pour conséquence la limitation du nombre des élus.
Dieu ne veut donc point le mal, ne voulant que la perfection de l'ouvrage.
Il ne fait que le permettre, et cela parce que, pour l'empêcher ou pour le corriger, il devrait agir par des volontés particulières pratiques, ce qui aurait pour effet de diminuer la perfection totale de la création.
La solution ainsi apportée au problème général du mal enveloppe une conception très profonde de la liberté de l'homme, seule responsable de l'erreur et du péché.
Ici encore, la tâche est ardue, car la volonté, loin de s'identifier, comme chez Descartes, avec la liberté, semblerait devoir l'exclure.
En effet, la volonté de l'homme, c'est la volonté même de Dieu, c'est l'amour que Dieu se porte, traversant, pour ainsi dire, la créature. Or, Dieu s'aimant d'un amour nécessaire et invincible, notre volonté est par nature amour nécessaire et invincible de Dieu.
Comment, dans ces conditions, trouver place pour notre liberté ?
Ce à quoi s'ajoute une autre difficulté : comment concilier l'affirmation de la liberté de l'homme avec la concentration en Dieu de toute efficace ?
Deux ordres de considérations dénouent les problèmes :
-Tandis que la lumière qui éclaire la volonté de Dieu a son siège en Dieu, c'est hors de la créature que se situe la lumière qui éclaire sa volonté. De ce fait, celle-ci n'est, considérée en soi, qu'un mouvement aveugle et indéterminé, qu'il appartient précisément à la liberté et d'éclairer par la libre attention et de déterminer par le libre consentement au bien, vrai ou faux, la liberté supérieure étant celle du consentement au vrai bien.
- Tandis que la volonté a, pour reprendre les termes de Malebranche, une réalité physique, la liberté, au contraire, a une réalité simplement morale ; partant, elle n'a point à être soutenue par l'efficace de Dieu.
Mais, dira-t-on, depuis le péché, qui a subordonné l'âme au corps, l'homme est incapable d'user de sa liberté ; la délectation prévenante de la grâce est nécessaire pour qu'il se porte à l'amour du vrai bien. Comment donc parler de la liberté du pécheur ? C'est que la grâce n'a d'autre effet que de remettre la liberté dans l'équilibre, en contrebalançant, par une sainte concupiscence, la concupiscence criminelle.
Ainsi, la grâce n'altère point la liberté du consentement à la grâce. Et le consentement libre à la grâce rend possible une nouvelle initiative de la liberté, par laquelle l'homme, s'élevant jusqu'à la connaissance rationnelle de Dieu, passe de l'amour du simple chrétien à l'amour du chrétien philosophe.

Le problème de l'infini et du fini

On vient de voir comment, qu'il s'agisse de la théorie de la connaissance ou du système de la Providence, Malebranche, se situant au point de vue de Dieu et récusant tout anthropomorphisme, s'efforce d'expliquer cette jonction de l'infini et du fini dont Descartes ne s'était occupé qu'à propos de la preuve de Dieu par les effets, c'est-à-dire fort peu.
Mais la difficulté de l'entreprise est à la mesure de sa grandeur. Ainsi, la lumière étant en Dieu, et mon âme, considérée en soi, n'étant que ténèbres, comment la lumière illuminante peut-elle devenir lumière illuminée ?
L'idée est infinie, mais l'archétype des créatures finies ne doit-il pas être déterminé ? Dieu crée librement pour se glorifier, mais comment une volonté subordonnée à l'ordre peut-elle trouver hors de l'ordre un motif de son action ?
Dieu est libre dans le choix de son dessein, mais l'ordre ne lui impose-t-il pas de créer le composé de l'ouvrage entier joint aux voies qui renferme le plus de perfection ?
Dieu ne veut pas le mal, mais ne le veut-il point lorsqu'il choisit librement de faire passer à l'existence ce meilleur des mondes possibles dont il sait qu'il le renferme ?
Réussit-on à rendre Dieu plus aimable lorsque, pour rejeter hors de sa volonté, dans sa sagesse, la raison du mal, on substitue au concept de l'incompréhensibilité des fins divines le mécanisme impersonnel d'une Providence où le souci de sa gloire interdit au Créateur de se pencher avec bonté sur chacune de ses créatures ?
D'autre part, s'il faut, pour parler de Dieu, repousser tout anthropomorphisme et n'écouter que la raison, il faut, pour parler de l'homme, consulter non seulement la raison, mais aussi le sentiment intérieur, dont l'enseignement, quoique obscur et confus, est incontestable.
Or, ce que m'apprend ce sentiment ne s'accorde parfois que de loin avec ce que m'apprend la raison.
Par exemple, je connais par la raison que, ma volonté étant la volonté de Dieu qui me traverse, elle est par nature amour de l'ordre ; mais je sais par le sentiment intérieur que le motif de mon vouloir, c'est le désir d'être heureux : comment ajuster exactement ces deux aspects de la volonté humaine ?
Corrélativement, on voit, à côté d'une morale rationnelle, se dessiner une morale de l'inclination : quels sont leurs rapports précis ?
Mais il est clair que ce que la doctrine perd en rigueur systématique, elle le gagne en richesse, annonçant quelques-unes des intuitions les plus originales des philosophies à venir : la conscience instinct divin de Rousseau ; le caractère mystérieux de l'impératif catégorique, les distinctions kantiennes entre la volonté objective et la volonté subjective, entre ces deux degrés de la liberté que sont le libre arbitre et l'autonomie ; l'identification fichtéenne de la liberté avec un néant d'être ; la conception schellingienne de l'acte moral comme issu d'une lumière dont la liberté est la condition ; la rupture moderne de l'identité classique de l'être et de la valeur ; la réduction humienne du lien causal entre les choses à une illusion ; l'irréductibilité bergsonienne de la qualité aux variations quantitatives de l'excitant.
Enfin, la forte puissance de rationalisation du philosophe ne cesse jamais de dominer les ressources d'une imagination métaphysique remarquablement féconde et d'un sens psychologique particulièrement averti.
S'il est donc vrai que le foisonnement des découvertes philosophiques ne se laisse pas enfermer dans une unité parfaitement systématique, cependant les grands ensembles s'équilibrent harmonieusement au sein de l'une des combinatoires les plus variées qu'un génie supérieur ait jamais conçues.
N'est-ce point là une leçon bien utile en des temps où certains se proclament d'autant plus proches de la vraie philosophie qu'ils raillent avec plus d'impertinence le souci de coordination, glorieux qu'ils sont de substituer à l'ajustement sévère des raisons le jeu facile des phraséologies et des vaines imaginations ?

Å’uvres de Malebranche

De la recherche de la vérité. Où l'on traite de la Nature de l'Esprit de l'homme, & de l'usage qu'il en doit faire pour éviter l'erreur dans les Sciences (1674-1675)
Traité de la nature et de la grâce (1680)
Conversations chrétiennes
Traité de morale
Entretiens sur la métaphysique, sur la religion et sur la mort (1688)
Traité de l'amour de Dieu
Entretien d'un philosophe chrétien et d'un philosophe chinois sur l'existence et la nature de Dieu (1708)
Lettres à Dortous de Mairan
Réflexions sur la prémotion physique
Recueil de toutes les réponses à M. Arnauld

Éditions de Malebranche

Œuvres complètes, aux Éditions du CNRS, sous la direction d'André Robinet, 20 volumes, 1958-1967
Œuvres, Gallimard, coll. "Pléiade", 2 vol., 1979
t. I : De la recherche de la vérité, Conversations chrétiennes, 1872 p.
t. II : Traité de la nature et de la grâce, Méditations chrétiennes et métaphysiques, Traité de morale, Entretiens sur la métaphysique, sur la religion et sur la mort, Lettre de Malebranche sur l'efficace des idées, Traité de l'amour de Dieu, Entretien d'un philosophe chrétien et d'un philosophe chinois, Lettres à Dortous de Mairan, 1424 p.

Études sur Malebranche

Ferdinand Alquié:
Le Cartésianisme de Malebranche, Paris, 1974. Texte partiellement en ligne.
Malebranche et le rationalisme chrétien, Paris, 1977.
Raffaele Carbone, Infini et science de l'homme. L'horizon et les paysages de l'anthropologie chez Malebranche, Naples-Paris, 2007.
Victor Delbos, Études de la philosophie de Malebranche, Paris, 1924.
Ginette Dreyfus:
La Volonté selon Malebranche, Vrin, Paris, 1958.
Commentaire philosophique du Traité du de la nature et de la grâce de Malebranche, Vrin, Paris, 1958.
(de) Stefan Ehrenberg, Gott, Geist und Körper in der philosophie von Nicolas Malebranche, Sankt Augustin, 1992.
Paolo Fabiani, La Philosophie de l'imagination chez Vico et Malebranche, Florence University press
Paolo Fabiani, The Philosophy of the Imagination in Vico and Malebranche, Florence University Press, Florence, 2009.
Henri Gouhier:
La Philosophie de Malebranche et son expérience religieuse, Vrin, 1926.
La Vocation de Malebranche, Vrin, 1926.
Martial Guéroult, Malebranche, 3 vol., 1955-9.
(en) Nicholas Jolley, The Light of the Soul: Theories of Ideas in Leibniz, Malebranche, and Descartes, Oxford 1990.
Maurice Merleau-Ponty, L'Union de l'âme et du corps chez Malebranche, Biran et Bergson, 1978, Vrin, 1997.
(en) Steven M. Nadler, Malebranche and Ideas, Oxford, 1993.
Léon Ollé-Laprune, La Philosophie de Malebranche, 1870.
(de) Josef Reiter, System und Praxis. Zur kritischen Analyse der Denformen neuzeitlicher Metaphysik im Werk von Malebranche, Fribourg-Munich, 1972.
André Robinet, Système et existence dans l'œuvre de Malebranche, Paris, 1965.
Geneviève Rodis-Lewis, Nicolas Malebranche, Paris, 1963

Liens

C' EST A PLEURER AUCUN LIEN EN FRANÇAIS SUR UN PHILOSOPHE FRANÇAIS CE N'EST PAS DE LA MODESTIE C'EST DE LA CONNERIE

http://youtu.be/xN8EV5yxcUQ Malebranche et le diable en Anglais
http://youtu.be/UnA_LmZnR70 Malebranche Espagnol
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Posté le : 12/10/2013 13:54
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
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Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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