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Nicolas Chamfort
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Le 6 avril 1740 naît probablement à Clermont-Ferrand

Sébastien-Roch Nicolas, Chamfort


qui prit par la suite le nom de Chamfort, poète, journaliste et un moraliste français, mort à 54 ans à Paris le 13 avril 1794,

Après quelques discrets succès littéraires et mondains sous l'Ancien Régime, il applaudit à la Révolution pour se lancer dans le journalisme politique ; il rédige les Tableaux de la Révolution française 1790-1791, prête sa plume à Mirabeau Des académies, 1791, invente le mot d'ordre Guerre aux châteaux, paix aux chaumières , avant de mourir sous la Terreur. La publication posthume en 1795 de ses Maximes, pensées, caractères et anecdotes devait assurer sa postérité. On découvrit alors un moraliste amer et cynique, aux formules aussi efficaces qu'assassines, infiniment plus spirituel et subversif que son contemporain contre-révolutionnaire Rivarol. Tout en défendant la nécessité d'un point de vue raisonnable et en épinglant les ridicules, ses maximes tentent d'interroger les passions moins pour les condamner, comme nombre de ses devanciers, que pour y déceler les traces d'une origine perdue et mettre à nu les ressorts cachés des comportements. L'usage abondant du paradoxe sert une interrogation désenchantée des logiques d'une Histoire fondamentalement caractérisée par son ironie tragique, puisque le genre humain, mauvais de par sa nature, est devenu plus mauvais par la société. Son œuvre a pu ainsi influencer tant Stendhal que Nietzsche, qui rendit hommage à un homme jugeant le rire nécessaire, comme un remède à la vie, et même Albert Camus, qui en présenta une édition.

Sa vie

Aujourd’hui encore, la naissance de Chamfort est entourée de nombreux mystères. D'après le registre des naissances de la paroisse de Saint-Genès, à Clermont-Ferrand, Chamfort est né le 6 avril 1740, fils légitime de François Nicolas, marchand épicier, et de Thérèse Croiset, son épouse.
Toutefois, un second registre, le nommant Sébastien Roch le fait naître le 22 juin de parents inconnus. Selon Claude Arnaud, en revanche, il est baptisé le 22 juin en l'église Saint-Genès ; il reçoit exactement le même nom de baptême qu'un autre enfant mort, baptisé le 5 avril. Quoi qu'il en soit, tous ses biographes s'accordent à considérer que Chamfort était un enfant naturel. Selon la tradition locale, il est le fils naturel de Jacqueline de Montrodeix, née Cisternes de Vinzelles, et de Pierre Nicolas, un chanoine de la cathédrale Notre-Dame de Clermont-Ferrand, tandis que d'après Roederer, il s'agirait d'un chanoine de la Sainte-Chapelle. D'après cette version, l'enfant a été adopté par l'épicier François Nicolas, parent de Pierre Nicolas, et sa femme, Thérèse Creuzet ou Croizet, qui auraient, selon Joseph Epstein, perdu leur propre enfant, né le même jour que lui.
Par ailleurs, certains ouvrages le font naître le 6 avril 1741, voire le présentent comme le fils d'une paysanne, ou d'une dame de compagnie d'une riche famille, et d'un père inconnu.
À partir de 1750, il fit ses études comme boursier au collège des Grassins, sur la montagne Sainte-Geneviève, à Paris, et remporta les premiers prix de l'Université. Il s'y montra un élève brillant et fantasque, qui alla jusqu'à faire une fugue au cours de laquelle il pensa s'embarquer pour l'Amérique avec un camarade, Pierre Letourneur, le futur introducteur d'Ossian en France, et partit pour le port de Cherbourg. On lui pardonna et il put terminer ses études.
Il prit en entrant dans le monde le nom de Chamfort à la place du simple nom de Nicolas qu'il avait porté jusque-là.

Carrière littéraire

Débutant par quelques articles au Journal encyclopédique et une collaboration au Vocabulaire français, il se fit connaître de bonne heure par des prix de poésie remportés à l'Académie, donna au Théâtre-Français quelques comédies qui réussirent, et s'attacha pour vivre à diverses entreprises littéraires. Sa réputation le fit choisir par le prince de Condé pour être secrétaire de ses commandements ; il devint ensuite en 1784 secrétaire ordinaire et du Cabinet de Madame Elisabeth, sœur du roi Louis XVI.
Avant la Révolution, il fut un des écrivains les plus apprécié par les salons parisiens, brillant et spirituel, il écrivit des pièces de théâtre. Initié à la franc-maçonnerie en 1778, il fut élu à l'Académie française en 1781 au fauteuil no 6.
Il fit une carrière d'homme de lettres qui le conduisit à l'Académie, mais contracta très tôt la syphilis, maladie vénérienne dont il ne guérit jamais véritablement et qui, outre le tenant dans un état valétudinaire tout le reste de sa vie, donna à son œuvre une teinte d'amertume et de misanthropie.
L'œuvre la plus célèbre et la seule lue de Chamfort a été publiée en 1795 par son ami Pierre-Louis Ginguené : Maximes et pensées, caractères et anecdotes, tirée des notes manuscrites qu'il avait laissées de Maximes et Pensées et de Caractères et Anecdotes.
En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.
Sébastien-Roch-Nicolas de Chamfort, Œuvres complètes de Chamfort, vol. 2, éditées par Maradan, 1812
Quand il se fait quelque sottise publique, je songe à un petit nombre d'étrangers qui peuvent se trouver à Paris, et je suis prêt à m'affliger, car j'aime toujours ma patrie.
Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort souhaitait publier ses écrits sous le nom de Produits de la civilisation perfectionnée.

Vie sentimentale

À l'été 1781, il entama une liaison avec Anne-Marie Buffon, veuve d'un médecin du comte d'Artois, un peu plus âgée que lui, qui fut le grand amour de sa vie. Au printemps 1783, le couple se retira dans un manoir appartenant à Madame Buffon, où celle-ci mourut brusquement le 29 août suivant.
Dévasté par l'événement, Chamfort écrivit ce poème, où transparaît sa douleur :

Dans ce moment épouvantable,
Où des sens fatigués, des organes rompus,
La mort avec fureur déchire les tissus,
Lorsqu'en cet assaut redoutable
L'âme, par un dernier effort,
Lutte contre ses maux et dispute à la mort
Du corps qu'elle animait le débris périssable ;
Dans ces moments affreux où l'homme est sans appui,
Où l'amant fuit l'amante, où l'ami fuit l'ami,
Moi seul, en frémissant, j'ai forcé mon courage
À supporter pour toi cette effrayante image.
De tes derniers combats j'ai ressenti l'horreur ;
Le sanglot lamentable a passé dans mon cœur ;
Tes yeux fixes, muets, où la mort était peinte,
D'un sentiment plus doux semblaient porter l'empreinte ;
Ces yeux que j'avais vus par l'amour animés,
Ces yeux que j'adorais, ma main les a fermés !
À celle qui n'est plus, Œuvres complètes de Chamfort, chez Maradan, Paris, 1812, t. II, p. 406.

Révolution

Accueillant avec enthousiasme la venue de la Révolution française, il suivit les États généraux à Versailles. Engagé par Mirabeau comme rédacteur anonyme de son journal, il assista au serment du Jeu de Paume et applaudit à la prise de la Bastille. Éminence grise de Talleyrand et de Mirabeau, dont il rédigeait partiellement les discours et les rapports, il entra avec lui au Club des Trente. Lié à Sieyès, il trouva le titre de sa brochure : Qu'est-ce que le tiers état ?. Par ailleurs, plusieurs journaux, en particulier le Mercure de France, l'accueillaient dans leurs colonnes.
Il entra, avec Talleyrand et Mirabeau, à la Société de 1789, fondée par La Fayette en avril 1790, où il ne demeura qu'un an, avant de la quitter au moment de la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes, et rejoignit le Club des Jacobins, où il fut élu au comité de correspondance, avec pour mission d'empêcher l'adhésion des filiales provinciales au Club des Feuillants.
Quand l'Assemblée constituante se sépara, il quitta les Jacobins et se présenta, en vain, à l'Assemblée législative, avant de se consacrer à la publication des Tableaux de la Révolution française.
À l'époque, il appela à une radicalisation de la Révolution.
Opposé, comme Robespierre, à la guerre contre l'Autriche, il rallia cependant la Gironde, plus par affinité de personne que par choix politique. Rédacteur en chef de la Gazette de France, selon toute probabilité, de mai 1792 à janvier 1793, le ministre de l'Intérieu, Jean-Marie Roland de La Platière le nomma bibliothécaire de la Bibliothèque nationale, le 19 août 1792, cependant que Manon Roland l'accueillait dans son salon.
Il fut chargé Quand ? par le ministre des Affaires étrangères Lebrun d'une correspondance secrète avec les indépendantistes irlandais, afin de sonder leurs dispositions, correspondance qui fut saisie lors de son arrestation.
En effet, pour s'être réjoui de la mort de Marat, il fut dénoncé le 21 juillet 1793 par un employé de la bibliothèque et emprisonné aux Madelonnettes, le 2 septembre. Relâché deux jours plus tard sur ordre du Comité de sûreté générale, il demeura sous surveillance avec deux autres bibliothécaires, le neveu de l'abbé Barthélemy et Grégoire-Desaunays, et tenta en vain de se disculper. Le 9 septembre, il démissionna de la Bibliothèque nationale.

Suicide raté

Toutefois, de nouveau menacé d'arrestation, il tenta, le 14 novembre, de se suicider mais fut sauvé par une intervention chirurgicale. Il ne s'était pas remis de ses blessures quand, fin janvier 1794, les poursuites à son encontre furent abandonnées. Très affaibli, il s'éteignit le 13 avril suivant.
La mort de Chamfort représente le comble du suicide raté. Ne supportant l'idée de retourner en prison, il s'enferme dans son cabinet et se tire une balle dans le visage. Le pistolet fonctionne mal et, s'il perd le nez et une partie de la mâchoire, il ne parvient pas à se tuer. Il se saisit alors d'un coupe-papier et tente de s'égorger mais, malgré plusieurs tentatives, ne parvient pas à trouver d'artère. Il utilise alors le même coupe-papier pour fouiller sa poitrine et ses jarrets. Épuisé, il perd connaissance. Son valet, alerté, le retrouvera dans une mare de sang. Malgré tous les efforts de Chamfort pour se supprimer, on parviendra quand même à le sauver.
Il mourra quelques mois plus tard d'une humeur dartreuse.

En vain cherchera-t-on dans ce qui fut le bréviaire de plusieurs générations de lycéens laïques, l'Histoire de la littérature française de Lanson, quelque éclaircissement sur Sébastien Roch Nicolas, alias Chamfort. Son nom y paraît à peine, en appendice aux pages consacrées à son compagnon et ami, aristocrate révolutionnaire dont Chamfort écrivit les plus célèbres discours : Mirabeau. Il n'y aurait pas plus de profit à consulter un manuel d'histoire : son nom n'est pas même associé à celui de Sieyès, seul et dernier ami fidèle, qui osa suivre, en pleine Terreur, le cercueil de Chamfort. Il lui devait d'ailleurs le titre de la fameuse brochure : Qu'est-ce que le tiers état ?

Homme de lettres ou écrivain ?

Chamfort n'appartient-il donc ni à la littérature, ni à l'histoire ? Certes, les œuvres littéraires qu'il publia de son vivant ne révèlent pas le meilleur de ses qualités ; en cela Édouard Herriot avait sans doute raison de préférer ses essais ou articles politiques, son œuvre de chroniqueur de la Révolution. Car Chamfort ne parle bien que lorsqu'il s'échauffe, cingle et glace à la fois. En poésie, ses théories sont aussi conformistes que plate sa production. S'il goûte bien les vers de Racine, pourquoi faut-il qu'il voie en Delille et J.-B. Rousseau ses dignes et glorieux héritiers ? Au théâtre, en dépit de ses succès, il se montre timide pour la théorie, navrant pour l'invention : La Jeune Indienne 1764, Le Marchand de Smyrne, Mustapha et Zéangir 1770-1771. En vers ou en prose, c'est toujours du sous-Voltaire ou du sous-Diderot. Ce franc-diseur insolent trouve Beaumarchais trivial et grossier ; ce révolté aux tenailles mordicantes méprise sans doute si fort son public que, face à lui, il s'émousse. Chamfort ne se déchaîne que pour fustiger ce qu'il hait : la bêtise, les grands, le monde, l'injustice sociale. Alors tout lui est bon : l'Éloge de La Fontaine comme celui de Molière ; mais ce ne sont que de brefs éclairs de liberté dans une prose de futur académicien, honorable et solennelle. Style méconnaissable pour qui sait apprécier la formule abrupte et grave, la désinvolture crispée, le ton déchirant-déchiré de cet écorché vif, celui des Maximes et Pensées, des Caractères et Anecdotes, leur fraternelle causticité. Dès que Chamfort put retrouver dans l'intimité de l'écriture l'audace rageuse qui l'exaltait dans la conversation, il devint écrivain ; homme de lettres jusque-là, il méritait plutôt moins que sa réputation. Au reste, mieux vaut ne point devoir lui reprocher d'avoir trop bien réussi dans un domaine qui lui inspirait tant de dégoût. Homme de lettres, lui qui jugeait ainsi la corporation : des ânes ruant et se mordant devant un râtelier vide, pour amuser les gens de l'écurie ? Lui, avide de vraie gloire, prétendre à une célébrité qu'il considère comme une infamie faite pour révolter un caractère décent ? D'où ses réticences, ses atermoiements, les incohérences de sa carrière, qu'on prendrait à tort pour de l'inconstance ou des palinodies. Car on a beau parier, toujours, pour ceux qui ont plus d'appétit que de dînés contre ceux qui ont plus de dînés que d'appétit, il arrive que, faute de trouver à gagner son pain, on soit contraint de manger de la brioche. Surtout lorsque, fils naturel et roturier, on a refusé, par indifférence métaphysique, par goût et souci de sa liberté, par honnêteté, de se faire curé. Mais, fidèle à soi-même, dans tous les aléas de sa condition, avec une indépendance agressive, Chamfort se réserva de refuser les pensions et les honneurs qui lui eussent trop cher coûté. Il sut toujours fuir les tréteaux, de peur de devenir charlatan.

Le révolutionnaire

Avec plus de désintéressement et de fermeté que Mirabeau, Chamfort salua et servit une révolution que maintes fois il avait imprudemment, indécemment appelée. Il se dévoua corps et esprit à une action politique qui se proposait d'inverser l'ordre social abusif. Il le fit avec une lucidité, une véhémence, un courage aussi ne se manifestant vers la fin aux assemblées que lorsqu'il était dangereux d'y prendre la parole qui faisaient dire à Nietzsche que, privée de Chamfort, la Révolution serait restée un événement beaucoup plus bête et n'exercerait point cette fascination sur les esprits. Il faut lire les Tableaux de la Révolution française et les divers articles qu'il publia à propos d'une Pétition des juifs établis en France, d'un Essai sur la mendicité, des Mémoires du maréchal de Richelieu ou de Maurepas, bien d'autres encore, on verra comme il justifie une cause qui devait si mal le récompenser mais que, fidèle à soi, jusqu'au bûcher inclusivement, il tenta de défendre contre elle-même. Qu'on lise au moins, dans les débris de ce qui eût été l'une des plus belles correspondances du siècle, la lettre à Vaudreuil, du 13 décembre 1788 ; qu'on n'oublie point qu'elle s'adressait à un aristocrate, futur émigré, protecteur de Chamfort, son seul ami ou presque. On ne s'étonnera pas si, académicien et pensionné par l'Ancien Régime, ce même Chamfort a su écrire en 1790 : J'entends crier à mes oreilles tandis que je vous écris : Suppression de toutes les pensions de France ; et je dis : Supprime tout ce que tu voudras, je ne changerai ni de maximes, ni de sentiments. Les hommes marchaient sur la tête, et ils marchent sur les pieds ; je suis content : ils auront toujours des défauts, des vices même ; mais ils n'auront que ceux de leur nature, et non les difformités monstrueuses qui composaient un gouvernement monstrueux. Certes Chamfort conclut un peu vite à l'excellence de la roture ; mais quoi ? il avait choisi : Moi, tout ; le reste rien : voilà le despotisme, l'aristocratie, leurs partisans. Moi, c'est un autre ; un autre, c'est moi : voilà le régime populaire et ses partisans. Après cela, décidez. Entre autres choses, il avait décidé, lui, d'écrire pour Mirabeau le Discours contre les académies ; c'est dire l'homme et le citoyen qu'il était.

Mais cette image d'un Chamfort naïvement fidèle à une révolution qui l'accula au suicide, comme elle cadre mal avec celle du misanthrope acerbe et négateur ! C'est que la seconde est abusive et ne rend pas compte du débat intérieur et de l'homme même. Et ce suicide manqué, ce sombre massacre courageusement perpétré, pourquoi le confondre avec un acte politique, une accusation jetée à la face de la Révolution ? Suicide de philosophe et d'homme libre, c'est tout. Si j'avais su que ce fût au Luxembourg, disait Chamfort, je ne me serais peut-être pas tué.Car c'est aux Madelonnettes qu'il ne voulait point retourner, libre qu'il était de refuser la promiscuité des latrines et l'impossibilité de laver ses plaies. Ce n'est pas pour cela qu'il désespérait de la Révolution ou des hommes de sa classe. De fait, à peu près guéri, il reprenait goût à la vie et à la Révolution, lorsque la maladresse d'un médecin l'acheva, en mars 1794.

Le moraliste

Le grand ouvrage que Chamfort préparait c'est au secret de son cabinet qu'il s'élaborait : à travers ce qu'on en a pu reconstituer, nous apprenons à connaître son personnage contradictoire, ravagé de souffrances morales autant que de pustules et d'eczéma. On a voulu faire de sa vision du monde celle d'un doloriste, que seule la maladie expliquerait. Il semble plus probable que l'eczéma de Chamfort fut la marque de ses déchirements. Déjà, à l'époque où Rivarol voyait en lui un brin de muguet enté sur un pavot, jeune galant profitant largement de la fête continuelle que les dames lui donnaient, il jetait chaque jour sur de petits papiers les réflexions, les maximes ou les anecdotes que lui inspirait le monde. Il les destinait à un ouvrage d'ensemble, traité de morale et pamphlet, qu'il voulait intituler Produits de la civilisation perfectionnée ; ce qui témoigne du dégoût que lui causait la fréquentation d'un monde qu'il se méprisait peut-être en secret de devoir approcher. C'est donc une certaine société, bien définie, qu'il prétend accabler. La misanthropie de Chamfort est localisée.

Son désenchantement touche à l'ordre du cœur et de la sensibilité. La raison lui tient un autre langage, qu'il ne cesse d'écouter, ainsi : Pour devenir philosophe, il ne faut pas se rebuter de ce qu'on découvre chez l'homme, mais triompher de son dégoût. Chamfort n'est donc pas l'apôtre sarcastique d'un renoncement amer, il croit à la raison, aux passions, à la nature, à la vertu, à l'amitié, mots que sa plume emploie sans cesse, non pour les nier mais pour en affirmer la rareté ou l'excellence. Ce cynique serait-il donc un naïf ? Lui qui, dans le jouir et faire jouir, sans faire de mal à personne, voit tout le fondement de la morale, qui chante l'amitié entière qui développe toutes les qualités de l'âme et pense que, pour se faire une idée juste des choses, il suffit de prendre les mots au rebours de leur signification usuelle : misanthrope, par exemple, cela veut dire philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire bon citoyen qui indique certains abus monstrueux ; philosophe, homme simple qui croit que deux et deux font quatre .

Serait-ce édulcorer Chamfort que de lui savoir gré de ses actes de foi autant que de ses refus ? De celui-ci par exemple, le dernier mot des Maximes :
«Supposons qu'on eût employé, pour éclairer les dernières classes, le quart du temps et des soins qu'on a mis à les abrutir ... Supposez qu'au lieu de leur prêcher cette doctrine de patience, de souffrance, d'abnégation de soi-même et d'avilissement, si commode aux usurpateurs, on eût prêché celle de connaître leurs droits et le devoir de les défendre, on eût vu que la nature, qui a formé les hommes pour la société, leur a donné tout le bon sens nécessaire pour former une société raisonnable.

On voit bien qu'il faut aimer Chamfort pour ce qui fut, peut-être, son illusion autant que pour sa férocité. Solitaire, oui ; mais toujours solidaire, d'une classe au moins.

Maximes, pensées, caractères et anecdotes , livre de Chamfort

Enfant naturel, élève doué, lauréat de l'Académie, académicien et pourfendeur de cette même Académie, dramaturge, révolutionnaire, administrateur de la Bibliothèque nationale, Sébastien-Roch Nicolas, dit Chamfort 1740-1794, échappa à la Terreur en tentant de se suicider. La postérité n'a retenu de son œuvre que des notes, que son ami Guinguené publia après sa mort sous le titre Maximes et anecdotes.

Un livre qui n'en est pas un

Ce recueil, sans cesse réédité depuis 1795, correspond plus ou moins à un projet de Chamfort. Guinguéné trouva dans un carton des papiers qu'il y jetait pêle-mêle. Le carton portait un titre, Produits de la civilisation perfectionnée, et un plan : première partie, Maximes et pensées ; deuxième partie, Caractères ; troisième partie, Anecdotes. Le titre pourrait être de Voltaire : celui-ci a mis à la mode le mot civilisation et, malgré les errances de l'humanité, il croit au progrès de l'esprit et des mœurs, et se fait le chantre de la société et du luxe. Pourtant, cette référence ne résiste pas à la lecture. Le titre est ironique. Contre Voltaire, Chamfort choisit Rousseau. Comme l'affirme le Contrat social, il croit l'homme naturellement libre, mais aliéné par la société. La société n'est pas comme on le croit d'ordinaire, le développement de la nature, mais bien sa décomposition et sa refonte entière. Les fléaux physiques et les calamités de la nature humaine ont rendu la société nécessaire. La société a ajouté aux malheurs de la nature.La société corrompt l'homme, mais celui-ci ne peut vivre sans elle. La corruption sociale ou la solitude et la mort, voilà le choix. La société est entrée en déclin. Il faut se résigner à cette conscience amère de ce que sont l'homme et son destin.

Un pessimisme radical

Tout au long de son recueil, Chamfort accumule les traits et les pointes satiriques. Il se présente comme un écrivain en rupture, qui refuse d'être l'amuseur déconsidéré d'un public et d'une société qu'il méprise. Il se veut juge, comme Jean-Jacques Rousseau. Classés selon leurs thèmes, il est impossible de distinguer les maximes, les pensées, les caractères et les anecdotes. Chez Chamfort, on trouve même un refus de la maxime au sens traditionnel, qu'il estime l'ouvrage des gens d'esprit qui ont travaillé ... à l'usage des esprits médiocres et paresseux, et à laquelle il reproche de permettre au lecteur de généraliser trop vite. Il convient donc de considérer cet ensemble comme des notes rédigées au fil de la plume sur la décadence telle qu'elle se trouve saisie à travers les comportements, les croyances et les échanges de la vie sociale. Cohabitent observation des symptômes et énoncé du diagnostic.

L'idée de corruption obsède Chamfort. Elle tient aux préjugés et aux superstitions qui imprègnent toute société. Dès lors, pour lui, il est impossible de vivre sans jouer de temps en temps la comédie. C'est dire que, si Chamfort emprunte aux hommes des Lumières leur mise à distance critique, son constat n'est pas le leur. Au fond, là encore, il est plus proche de La Bruyère que de Voltaire. Des Caractères, il a retenu le sens du portrait ridicule réduit à l'essentiel, ce besoin aigu de montrer sous le masque social le néant de l'individu, et l'hypocrisie des mécanismes sociaux.

Autant que d'un idéal trahi, la critique chez Chamfort prend son sens à partir d'un pessimisme profond qui touche aussi bien l'homme que l'histoire, le devenir, le temps qui passe, l'absence de mémoire. En ce sens, elle se place tout entière sous le signe de la déperdition. À défaut d'histoire, on ne recueille que des anecdotes, des témoignages de l'échange mondain d'une société frivole. Il n'y a plus d'hommes, il n'y a que des caractères, sortes de personnages que modèle et défait le jeu social. Il n'y a pas non plus d'œuvre, mais des fragments, livrés au hasard de l'observation ou du jeu de la pensée. Les textes regroupés dans les sections Maximes générales représentent pourtant un effort pour atteindre un jugement apparemment universel. La maxime y devient la forme moderne de la sentence antique et traduit une volonté d'effacement du temps qui passe. Elle devrait être le marbre où une écriture pérenne devient enfin possible. Mais rien ne résiste au doute, à la mise en question, à l'absence de mémoire de l'homme contemporain. Rien n'échappe à cette autre corruption, que sont l'oubli et la mort : ni l'art, ni les hiérarchies sociales, ni les aristocraties reconnues, trompeuses et mesquines.

Il n'en faut pas moins vivre. L'optimisme militant des Lumières s'est révélé vain, même si le philosophe reste dans les Maximes une figure honorée. Pareillement, les espoirs mis dans la Révolution ont été trahis. La solitude que Chamfort a choisie, à bien juger, n'est qu'une dérobade. Au bout de cette pensée, il reste un humanisme lucide, ou la tentation de la mort. On comprend que, dans l'Europe de 1945, transformée en champ de ruines et hantée par les massacres, cette leçon de morale stoïque, sans illusion sur l'homme et le monde, ait fasciné Albert Camus, au point de le pousser à préfacer les Maximes et pensées.

Éloge de Molière, couronné 1769 ;
Éloge de La Fontaine 1774 ;
La jeune Indienne 1764 ;
Le Marchand de Smyrne, comédies 1770 ;
Maximes et pensées, caractères et anecdotes ;
Mustapha et Zéangir, tragédie 1778.
Plusieurs de ses ouvrages se sont perdus, entre autres un Commentaire sur La Fontaine (il n'en a paru qu'une partie dans les Trois Fabulistes, 1796.
Ses œuvres ont été rassemblées :
par Pierre Louis Ginguené, 1795, 4 vol. in-8°. ;
par Charles Joseph Colnet Du Ravel, 1808, 2 vol. in-8° ;
par Pierre René Auguis, 1824, 5 vol. in-8° ;
par Lionel Dax, 2009, 2 vol.
Chamfort brillait surtout par l'esprit : on a fait sous le titre de Chamfortiana un recueil de ses bons mots, 1800.

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Posté le : 06/04/2014 11:28

Edité par Loriane sur 06-04-2014 21:33:50
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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