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Sénéque
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Le 12 avril 65 ap.J.C à Rome, meurt Sénèque

en latin Lucius Annaeus Seneca, né dans l'actuelle Cordoue au sud de l'Espagne entre l'an 4 av. J.-C. et l'an 1 ap. J.-C., philosophe de l'école stoïcienne, un dramaturge et un homme d'État romain du Ier siècle de l'ère chrétienne. Il est influencé par Épicure, Socrate, Stilpon, Démétrios, Hécaton, et il a influencé le stoïcisme ultérieur, la philosophie chrétienne, Eckhart, Descartes
Il est parfois nommé Sénèque le Philosophe, Sénèque le Tragique ou Sénèque le Jeune pour le distinguer de son père, Sénèque l'Ancien.
Conseiller à la cour impériale sous Caligula et précepteur de Néron, Sénèque joue un rôle important de conseiller auprès de ce dernier avant d'être discrédité et acculé au suicide. Ses traités philosophiques comme De la colère, De la vie heureuse en latin, De vita beata ou De la brièveté de la vie De Brevitate vitæ, et surtout ses Lettres à Lucilius exposent ses conceptions philosophiques stoïciennes : "Le souverain bien c'est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu." Ses tragédies constituent l'un des meilleurs exemples du théâtre tragique latin avec des œuvres qui nourriront le théâtre classique français du xviie siècle comme Médée, Œdipe ou Phèdre.

En bref

Philosophe latin Cordoue vers 4 avant J.-C.-65 après J.-C., fils de Sénèque le Rhéteur.
Philosophe d'abord proche du pouvoir à l'époque où Néron régnait sur Rome, Sénèque s'inspira des préceptes du stoïcisme pour élaborer une morale qui fût à la portée de ses concitoyens. Ses écrits, dont l'un des grands admirateurs devait être Montaigne, ont de tout temps contribué au prestige des lettres latines.
Lucius Annaeus Seneca, homme d'État, philosophe stoïcien, auteur de tragédies, précepteur de prince, représente, par la variété même des aspects de son activité, une des figures les plus intéressantes de l'époque impériale. Son œuvre de moraliste a exercé une influence capitale sur la formation de la pensée occidentale. Elle enthousiasma le Moyen Âge et la Renaissance, tout spécialement Montaigne. Dans le monde moderne, l'intérêt pour la morale de Sénèque a beaucoup diminué, mais, avec les progrès des méthodes historiques et philologiques, son œuvre apparaît de plus en plus comme une source précieuse pour la connaissance des courants philosophiques de l'époque hellénistique et impériale.
Né à Cordoue, Sénèque vint, encore assez jeune, à Rome, avec sa tante qui l'introduisit dans des cercles influents. Il commença très tôt à s'intéresser à la philosophie et il s'attacha à l'école plus ou moins stoïcisante des Sextii ainsi qu'au stoïcien Attalus. Après un long séjour en Égypte avec son oncle et sa tante, il obtint peu après son retour 31-32 une charge de questeur. L'empereur Claude l'exila en Corse 41 sous le prétexte qu'il aurait eu des relations adultères avec une sœur de Caligula, Julia Livilla. En fait, il semble bien que Sénèque ait été victime d'intrigues politiques. Agrippine, après son mariage avec l'empereur Claude, le fit rappeler d'exil 49 et lui confia l'éducation de son fils Néron, le futur empereur. Au moment de l'assassinat de Claude, Néron n'avait que dix-sept ans. Sénèque se trouva donc être, en tant que précepteur du jeune empereur, le véritable régent de l'Empire, avec le préfet de la garde, Burrus. Dans les premières années du règne de Néron, Sénèque put exercer une bonne influence sur son disciple, et les effets bienfaisants en furent ressentis dans l'ensemble de l'Empire. Mais, avec le temps, Néron échappa à la direction de son précepteur, et les difficultés s'accrurent. Après la mort de Burrus (62), qui fut probablement un assassinat, Sénèque se retira de la vie politique et se consacra exclusivement à la philosophie. Accusé d'avoir participé à la conspiration de Pison, il se suicida sur l'ordre de Néron.

Sa vie

Sénèque est né à Corduba en Bétique actuelle Andalousie. La date précise de sa naissance n'est pas connue, mais on la situe habituellement entre l'an 4 av. J.-C. et 1 ap. J.-C.1. Sa famille n'était pas espagnole, mais semble avoir été originaire d'Italie du Nord. Il était le deuxième fils d'Helvia et de Marcus Lucius Annaeus Seneca dit Sénèque l'Ancien, un rhéteur aisé de rang équestre. Gallion, son frère aîné, fut proconsul d'Achaïe à Corinthe, où, selon les Actes des Apôtres, Paul de Tarse comparut devant lui en 51. Sénèque le Jeune était aussi l'oncle de l'écrivain Lucain, fils de son frère cadet.
Il était encore très jeune lorsque sa famille vint à Rome, où son père lui donna une éducation soignée. Il fut d'abord attiré par le pythagorisme. Vers 20 ans, il tomba gravement malade et on l'envoya en Égypte se rétablir. De retour à Rome en 31, il commence le cursus honorum.
Conseiller à la cour impériale sous Caligula - qui, semble-t-il, le jalousait -, il fut plus tard victime des intrigues de Messaline, la troisième épouse de Claude et, sous prétexte d'adultère avec Julia Livilla, sœur d'Agrippine la Jeune, relégué en 41 en Corse. Il tente dans sa Consolation à Polybe de plaire au secrétaire de Claude qui venait de perdre son frère. Ce texte est si chargé de flatteries que certains comme Paul Albert 1827-1880 estiment que Sénèque n'en est pas l'auteur. Le texte de Sénèque n'eut pas l'effet espéré, il ne fut rappelé qu'en 48 ou 49 après la mort de Messaline et à la demande d'Agrippine, devenue la nouvelle épouse de Claude. En 50, il est préteur. Vers cette époque, il épouse Pauline, originaire d'Arles, sans doute fille de Pompeius Paulinus, préfet de l'annone, c’est-à-dire chargé de l’approvisionnement de Rome, auquel il dédie le traité De la brièveté de la vie De brevitate vitae.
Il fut le précepteur de Néron : c'est d'ailleurs lui qui composa l'éloge funèbre prononcé par Néron à la mort de Claude, comme il composa, par la suite, bon nombre des discours du nouvel empereur. Plus tard, Sénèque composa une pièce moins sérieuse sur l'apothéose de Claude : l’Apocoloquintose. Avec le préfet du prétoire Sextus Afranius Burrus, Sénèque fut l'un des principaux conseillers de Néron durant les cinq premières années du règne de l'empereur : le quinquennium Neronis.

En mai-juin 55, il est consul suffect. En 56, il publie le De Clementia.

En 58, Sénèque est diffamé par P. Suillius, qui lui reproche son immense fortune 300 millions de sesterces acquise par ses amitiés, et sa tentative de débaucher des femmes de la maison princière. Mais le philosophe s'en tire sans dommage.
Sénèque parvient à rompre le lien quasi incestueux de Néron et de sa mère, isole Agrippine et participe activement, quoique indirectement, à son assassinat en 59. Aussi n'était-ce plus Néron, dont la monstruosité était au-delà de toute plainte, mais Sénèque que la rumeur publique condamnait, pour avoir avoué, en faisant écrire cela, le crime.

En 62, l'étoile du conseiller philosophe finit par pâlir :

La mort de Burrus brisa la puissance de Sénèque, parce que la politique du bien n'avait plus le même pouvoir, maintenant que l'un de ceux que l'on pourrait appeler ses chefs était mort et que Néron penchait vers les hommes du pire. Ces mêmes hommes lancent contre Sénèque des accusations variées, lui reprochant de chercher encore à accroître ses richesses, déjà immenses, et qui dépassaient déjà la mesure convenant à un particulier, de vouloir s'attirer la faveur des citoyens et, par la beauté de ses jardins et la magnificence de ses villas, surpasser même le prince. On lui faisait grief aussi de sa gloire d'homme de lettres et de composer plus fréquemment des poèmes depuis que Néron s'était mis à les aimer. Ennemi affiché des divertissements du prince, il dépréciait son habileté à conduire les chevaux, se moquait de sa voix chaque fois qu'il chantait. Jusqu'à quand n'y aurait-il rien de beau dans l'État qui ne passât pour être l'œuvre de cet homme ? Assurément, Néron était sorti de l'enfance et était dans la force de sa jeunesse ; qu'il renvoyât son instituteur, puisqu'il avait pour l'instruire des personnages suffisamment illustres, ses propres ancêtres.
— Tacite, Annales, XIV, 52.:
"À la suite de sa mise en cause, Sénèque demande à Néron d'être relevé de sa charge d’ami du prince et propose de lui restituer sa fortune. Néron refuse, mais en 64, bien que Sénèque se soit retiré de la vie publique, Néron, qui a fini par le haïr, tente vainement de l'empoisonner.
En 65, il est compromis malgré lui dans la Conjuration de Pison et condamné à mourir. Il se donne la mort en s'ouvrant les veines sur l'ordre de Néron.
Ensuite le fer lui ouvre les veines des bras. Sénèque, dont le corps affaibli par les années et par l'abstinence laissait trop lentement échapper le sang, se fait aussi couper les veines des jambes et des jarrets. Bientôt, dompté par d'affreuses douleurs, il craignit que ses souffrances n'abattissent le courage de sa femme, et que lui-même, en voyant les tourments qu'elle endurait, ne se laissât aller à quelque faiblesse ; il la pria de passer dans une chambre voisine. Puis, retrouvant jusqu'en ses derniers moments toute son éloquence, il appela des secrétaires et leur dicta un assez long discours. ... Comme le sang coulait péniblement et que la mort était lente à venir, il pria Statius Annaeus, qu'il avait reconnu par une longue expérience pour un ami sûr et un habile médecin, de lui apporter le poison dont il s'était pourvu depuis longtemps, le même qu'on emploie dans Athènes contre ceux qu'un jugement public a condamnés à mourir. Sénèque prit en vain ce breuvage : ses membres déjà froids et ses vaisseaux rétrécis se refusaient à l'activité du poison. Enfin il entra dans un bain chaud, et répandit de l'eau sur les esclaves qui l'entouraient, en disant: J'offre cette libation à Jupiter Libérateur. Il se fit ensuite porter dans une étuve, dont la vapeur le suffoqua. Son corps fut brûlé sans aucune pompe ; il l'avait ainsi ordonné par un codicille, lorsque, riche encore et très puissant, il s'occupait déjà de sa fin. "

Apport philosophique et moral

Paul Albert 1827-1880 dans son Histoire de la littérature romaine fait une analyse détaillée de la philosophie de Sénèque, résumée ci-dessous.
Sénèque est le représentant le plus complet de la doctrine stoïcienne, bien qu'il ne soit pas jugé comme le plus exact, car il n'est pas un simple interprète. Sur plus d'un point il s'émancipe et substitue à l'autorité des maîtres de la Grèce sa propre réflexion. En cela, on a pu juger qu'il était bien un Romain, Je ne me suis fait l'esclave de personne, je ne porte le nom de personne . Non me cuiquam mancipaui, nullius nomen fero.
Outre le fait qu'il a conservé sa propre originalité, son œuvre n'a pas l'unité d'un système.

Conception de la religion

Longtemps avant Sénèque, la religion ancienne était tombée en désuétude : il n'y avait sans doute pas à Rome un esprit éclairé qui acceptât les fables du polythéisme ou les pratiques de superstition empruntées aux cultes de l'Orient. Sénèque méprise profondément toutes ces puérilités. Il est fort regrettable que nous ayons perdu son ouvrage sur la superstition, dont Lactance et Augustin d'Hippone ont tiré tant d'arguments contre le polythéisme.
La théologie des poètes lui paraît également absurde et irrévérencieuse. Quant aux pratiques superstitieuses, il les condamne en deux mots : elles substituent à l'amour la crainte ; au lieu d'être un culte, elles sont un outrage. Mais la religion est alors une institution de l'État, institution nécessaire, et que maintenaient des hommes comme Cicéron et Varron. Sénèque s'occupe peu du polythéisme officiel : de son temps la religion, comme tous les aspects de la vie romaine, était dans la main d'un seul, et elle avait perdu beaucoup de son importance comme instrument politique. Cependant il approuve que le sage se soumette aux prescriptions de la cité, non qu'il les regarde comme agréables aux dieux, mais parce qu'elles sont ordonnées par la loi.
Reste la théologie naturelle, c'est-à-dire la religion du philosophe : en quoi consiste-t-elle ? Sénèque emploie indifféremment, en parlant de la puissance divine, le singulier et le pluriel, Dieu et les dieux : c'est peut-être par un reste de respect pour la croyance populaire. Car pour lui, il n'y a manifestement qu'un seul Dieu. Mais ce Dieu se présente pour ainsi dire à l'esprit sous une foule d'aspects différents : de là les noms divers qu'il a reçus et cette espèce de fractionnement de la puissance divine en une foule d'êtres divers.
Tout nom que vous voudrez lui donner s'appliquera merveilleusement à lui, pourvu que ce nom caractérise quelque attribut, quelque effet de la puissance céleste. Dieu peut avoir autant de noms qu'il est de bienfaits émanant de lui.
Ainsi se justifient ces noms de Jupiter, de Liber, d'Hercule, de Mercure, etc. Mais il ne s'arrête pas là, il consent encore à ce qu'on donne à Dieu des noms plus larges.
Voulez-vous l'appeler nature ? Vous ne vous tromperiez point ; car c'est de lui que tout est né, lui dont le souffle nous fait vivre. Voulez-vous l'appeler monde ? Vous en avez le droit. Car il est le grand tout que vous voyez ; il est tout entier dans ses parties, il se soutient par sa propre force.
On peut encore l'appeler destin, car le destin n'est pas autre chose que la série des causes qui s'enchaînent, et il est la première de toutes les causes, celle dont dépendent toutes les autres. Qu'est-ce que Dieu ? L'âme de l'univers. Il échappe aux yeux, c'est la pensée seule qui peut l'atteindre.
Toutes ces définitions sont plus ou moins empruntées au stoïcisme scientifique. Mais Sénèque va bien au-delà. Ce dieu, destin, nature, monde, est pour ainsi dire transcendant et immanent à l'univers ; il est entièrement présent en toutes ses parties, pourtant il le domine, il le gouverne, il le conserve, il a souci de l'homme, parfois même de tel ou tel homme en particulier, Interdum curiosi singulorum. Il a prodigué au genre humain d'innombrables bienfaits, et l'ingratitude ne peut en borner le cours. Du reste Dieu est forcé par sa nature d'être bienfaisant : la bienfaisance est comme la condition de son être.

Quel culte réclament les dieux ?

Le premier culte à leur rendre, c'est de croire à leur existence, puis de reconnaître leur majesté, leur bonté, sans laquelle il n'y a pas de majesté, de savoir que ce sont eux qui président au monde, qui gouvernent l'univers par leur puissance, qui sont les protecteurs du genre humain.
Ils ne peuvent ni faire ni recevoir une injustice.
Donc ne cherchez pas à vous les rendre favorables par des prières, des offrandes, des sacrifices. Celui-là rend un culte à Dieu qui le connaît. Deum coluit qui novit.
Il serait difficile de tirer de toutes ces définitions une théodicée logique et Sénèque ne l'a jamais essayé. Il a des aspirations très hautes, et comme le sentiment du divin en lui ; mais jamais sur ce point ses idées n'ont pris cette précision rigoureuse qu'exige la science. Cette sorte d'enthousiasme religieux est exprimée dans ce passage :
En vain élèverez-vous les mains vers le ciel ; en vain obtiendrez-vous du gardien des autels qu'il vous approche de l'oreille du simulacre, pour être mieux entendu : ce Dieu que vous implorez est près de vous ; il est avec vous, il est en vous. Oui, Lucilius, un esprit saint réside dans nos âmes ; il observe nos vices, il surveille nos vertus, et il nous traite comme nous le traitons. Point d'homme de bien qui n'ait au-dedans de lui un Dieu. Sans son assistance, quel mortel s'élèverait au-dessus de la fortune ? De lui nous viennent les résolutions grandes et fortes. Dans le sein de tout homme vertueux, j'ignore quel Dieu, mais il habite un Dieu. S'il s'offre à vos regards une forêt peuplée d'arbres antiques dont les cimes montent jusqu'aux nues, et dont les rameaux pressés vous cachent l'aspect du ciel ; cette hauteur démesurée, ce silence profond, ces masses d'ombre qui de loin forment continuité, tant de signes ne vous annoncent-ils pas la présence d'un Dieu ? Sur un antre formé dans le roc, s'il s'élève une haute montagne, cette immense cavité, creusée par la nature, et non par la main des hommes, ne frappera-t-elle pas votre âme d'une terreur religieuse ? On vénère les sources des grandes rivières, l'éruption soudaine d'un fleuve souterrain fait dresser des autels ; les fontaines des eaux thermales ont un culte, et l'opacité, la profondeur de certains lacs les a rendus sacrés : et si vous rencontrez un homme intrépide dans le péril, inaccessible aux désirs, heureux dans l'adversité, tranquille au sein des orages, qui voit les autres hommes sous ses pieds, et les dieux sur sa ligne, votre âme ne serait-elle pas pénétrée de vénération ? Ne direz-vous pas qu'il se trouve en lui quelque chose de trop grand, de trop élevé, pour ressembler à ce corps chétif qui lui sert d'enveloppe ? Ici le souffle divin se manifeste.
En examinant de près les œuvres de Sénèque, nous pouvons nous faire une idée plus précise de ce qu'est son Dieu.
C'est l'homme, non l'homme vulgaire, mais celui qu'il appelle le sage. Celui-là en effet est non seulement placé sur la même ligne que les dieux, mais il leur est supérieur :
Le sage ne diffère de Dieu que par la durée.Bonus tempore tantum a Deo differt.
Si Dieu est exempt de toute crainte, le sage aussi. Si Dieu est affranchi de la crainte par le bienfait de sa nature, le sage a l'avantage de l’être par lui-même :
Supportez courageusement ; c'est par là que vous surpassez Dieu. Dieu est placé hors de l'atteinte des maux, vous, au-dessus d'eux.
C'est là le point par lequel la philosophie religieuse de Sénèque se noue à sa philosophie morale. La métaphysique chez lui tient fort peu de place ; il raille ceux qui s'occupent de ces chimères. A-t-on le loisir de poursuivre la solution de ces questions oiseuses ? Les malheureux nous appellent ad miseros advocalus es. C'est de l'homme qu'il faut s'occuper ; c’est lui qu'il faut affermir, consoler, encourager. Que de misères pesaient alors sur lui ! que de dangers l'environnaient ! Il fallait tremper fortement les âmes, les armer contre toutes les terreurs ; et puisque les dieux semblaient morts ou indifférents aux choses humaines, puisqu'ils toléraient les épouvantables désordres qui s'étalaient alors, et que de ce côté l'innocence et la vertu ne pouvaient espérer un appui, il fallait élever l'homme lui-même à une telle hauteur, qu'il pût braver ou mépriser toutes les misères, tous les périls, tous les ennemis, tous les Césars, tous les bourreaux.
Voilà le stoïcisme romain : sous les empereurs les cieux sont vides, les dieux sont partis, ou ils sont favorables aux scélérats ; l'homme de cœur se fera Dieu. Il tendra vers une vertu parfaite, âme inaccessible à toute passion, sévère, grave, inébranlable. C'est l'idéal qui semble hanter alors toutes les imaginations. En effet, selon le vers célèbre de Lucain : Victrix causa Diis placuit, sed victa Catoni.La cause des vainqueurs plut aux dieux, mais celle des vaincus à Caton, Caton est supérieur aux dieux. Conception démesurée, étrange, d'un orgueil colossal, expression de la force d'une âme noble, qui est soutenue par une telle vénération d'elle-même.

Une doctrine du bon savoir vivre

Cet être parfait existe, quoiqu'assez rare, c'est un phénix qui ne naît que tous les cinq cents ans. Le but que tout homme doit se proposer, c'est de s'approcher de plus en plus de cet idéal. Si l'on ne peut être le sage arrivé à la perfection perfectus, on peut être le sage en marche pour y arriver proficiens. Il y a bien des obstacles sur la route.
Sénèque, fidèle à la doctrine stoïcienne, place au premier rang les passions. Les péripatéticiens se bornaient à les régler, les stoïciens les supprimaient. Nostri expellunt, Peripatetici temperant. L'âme jouissait alors de cet heureux état qu'ils appelaient insensibilité, sérénité ataraxia. Les passions sont un mal, car la vertu aussi bien que la raison choses identiques pour les stoïciens, c'est la ligne droite ; les passions au contraire sont l'écart ; la joie et la douleur élèvent ou abaissent l'âme à l'excès, la font sortir de cette tension qui est l'invariable état de la raison. Les passions fondamentales sont quatre : la peine, la crainte, le désir et le plaisir. Ce sont des "mouvements irrationnels de l’âme". Mais aux trois dernières correspondent trois bonnes affections : la joie correspond au plaisir, la défiance eulabeia est une crainte ressentie a bon escient par le sage, l'aspiration boulêsis que Cicéron traduit par voluntas est le correspondant rationnel du désir. Le sage ne doit donc ressentir ni la joie, ni le désir, ni la crainte.
Cependant, comment bannir entièrement ces mouvements involontaires qui surprennent l'âme ? Sénèque ne nie pas ces impressions fatales : comment se défendre d'un mouvement d'effroi, si l'on est transporté au sommet d'une tour et suspendu au-dessus d'un abîme ? Comment empêcher les larmes de couler quand la mort ravit à nos côtés un être cher ?

Dans ces assauts subits, la partie raisonnable de nous-mêmes ressentira un léger mouvement. Elle éprouvera comme une ombre, un soupçon de passions ; mais elle en restera exempte
En vain les péripatéticiens prétendent que les passions ont leur raison d'être, qu'elles sont naturelles et doivent aider à la vertu. A natura ad virtutem datas. Sénèque ne veut pas de ces dangereux auxiliaires ; c'est déjà bien assez qu'elles troublent parfois la raison d'un choc imprévu. Mais, lui dit-on, ces mouvements nous déterminent souvent au bien. Ainsi la colère peut produire la valeur, la crainte peut former la prudence ; il suffit de contenir et de diriger l'impulsion première.
Sénèque les repousse comme des maladies : une fois admises, elles envahiraient tout l'être ; leur élan est celui d'un cheval emporté, d'un corps entraîné sur une pente rapide : dès lors plus de repos pour le sage. Il bannit même la pitié. C'est un sentiment douloureux qui trouble l'âme. Mais, lui dit-on, ce sentiment nous pousse à soulager le malheureux. Le sage n'a pas besoin d'y être poussé par une impression pénible : il sait ce qu'il doit à ses semblables ; il viendra à leur aide, mais il n'éprouvera pas la pitié. Ergo non miserebitur sapiens, sed succurret.
Ainsi armé, le sage descend dans l'arène. Il ne s'attache à aucun des prétendus biens où les hommes font consister leur félicité, il ne redoute aucun des maux qui les effrayent. Il n'y a d'autre bien et d'autre mal que le bien et le mal moraux. Nul ne peut nuire à celui qui ne se nuit pas à lui-même. On redoute l'exil, la pauvreté, la mort : il faut prouver à ces poltrons que ces objets de leur épouvante ne sont que de vains fantômes. Qu'importe le lieu assigné pour demeure à l'homme de bien. Ne peut-il partout être vertueux ? La paix de son âme dépend-elle du climat ? Qu'est-ce que la pauvreté ? le manque de choses superflues, absolument inutiles ; il faut si peu de chose pour vivre. Qu'est-ce enfin que la mort ? une nécessité de la nature. Qu'importe l'heure à laquelle il faudra payer la dette ? Quoi ! une femme qui accouche, un gladiateur dans l'arène, braveront la mort, et le sage s'en effrayerait ! Tels sont les réflexions de Sénèque.
Pourquoi ce luxe de démonstrations éloquentes, passionnées, fiévreuses souvent ? Montaigne en a été frappé et le lui a reproché :
À voir les efforts que Sénèque se donne pour se préparer contre la mort, à le voir suer d'ahan pour se roidir et pour s'assurer et se débattre si longtemps en cette perche, j'eusse ébranlé sa réputation, s'il ne l'eût en mourant très vaillamment maintenue.
Rappelons-nous le temps où écrit Sénèque. Nul n'était sûr du lendemain : le caprice de César, la haine d'un affranchi, la rancune d'une femme pouvaient être chaque jour un arrêt d'exil, de confiscation, de mort. Un danger incessant menaçait tout homme qui était, avait été ou pouvait être quelqu'un d'influent. Il fallait donc s'attendre à tout. On voyait des riches qui s'exerçaient de temps en temps à vivre misérablement ; ils quittaient leurs palais, allaient s'installer dans des galetas, couchaient sur un grabat, se nourrissaient des plus vils aliments, se préparaient enfin à ne plus posséder cette opulence qui pouvait chaque jour leur être ravie. Lui-même avait essayé de se dépouiller de ces biens que lui avait imposés Néron, sentant bien qu'ils seraient plus tard une des causes de sa perte. D'où l'éloquence dans ses mots :
Ah ! que ne peuvent-ils consulter les riches, ceux qui désirent la richesse ?
Quant à la mort, il fallait être toujours prêt, se fortifier, s'encourager les uns les autres. On rappelait les beaux exemples de courage, les trépas héroïques ; ce n'était point pour exercer son esprit, comme dit Sénèque, Non in hoc exempla nunc congero ut ingenium exerceam, mais pour fortifier l'âme. Quand on y avait peu à peu accoutumé sa pensée, on éprouvait un véritable mépris pour les tyrans, les bourreaux et leurs instruments de torture. Il fallait s'aguerrir contre ce péril toujours suspendu. Mais les stoïciens de ce temps avaient en mains la délivrance : ils étaient tous décidés à ne pas attendre l'ordre de mourir. Le suicide, voilà leur dernière arme et la plus sûre de toutes. On peut s'étonner de la facilité avec laquelle les meilleurs s'empressaient de quitter la vie. Sénèque combat parfois, mais faiblement, ce qu'il appelle le désir de mourir libido moriendi : Le sage ne doit point fuir de la vie, mais en sortir.
Mais dans quelles circonstances ? On se donnait souvent la mort pour échapper aux ennuis et aux incommodités de la vieillesse. Il faut les supporter, dit Sénèque, tant que l'âme n'en sera point diminuée ou l'intelligence menacée. Mais si les supplices, si l'ignominie nous menacent, nous redevenons libres d'y échapper par la mort, car nous avons le droit de nous soustraire à tout ce qui trouble notre repos. Il va même jusqu'à accorder ce droit le jour où la fortune commencera à être suspecte. C'est là que réside pour lui la véritable liberté.
Méditer la mort, c'est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus être esclave. Et ailleurs, le sage vit autant qu'il le doit, non autant qu'il le peut. Sapiens vivit quantum debet, non quantum potest. Ce que la vie a de meilleur, c'est qu'elle ne force personne à la subir.
Doctrine désolée qui, dans cette universelle dégradation de tout et de tous, par cette certitude d'échapper à l'infamie, au supplice, gardait les âmes de toute souillure. Quand on est toujours prêt à quitter la vie, on ne fait aucune bassesse pour la conserver.
Ce serait une erreur et une injustice que de traiter de déclamations vaines, les incessantes exhortations de Sénèque. La théorie pure tient peu de place dans Sénèque. C'est un moraliste pratique, mais il enseigne plutôt l'indifférence que l'usage de la vie. Dans une de ses premières lettres à Lucilius, il le presse de renoncer aux dignités, aux emplois, à toutes les préoccupations étrangères à la sagesse, ou tout simplement de renoncer à la vie elle-même.
Censeo aut ex vita ista exeundum, aut e vita exeundum.
On lui doit aussi cette citation célèbre : "Ce n'est pas parce que les choses nous paraissent difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles nous paraissent difficiles"
Cependant, il faut saisir toutes les secondes de notre temps. Pour le préserver, Sénèque nous invite concrètement par exemple à lire les lettres de Lucilius. Il reste très romain dans son approche de la mort : la vie est pour lui un bien au sens patrimonial du terme.
Perdre la vie est perdre le seul bien que l'on ne pourra regretter d'avoir perdu puisque l'on ne sera plus là pour s'en rendre compte.

Signification philosophique de l'Å“uvre

L'œuvre de Sénèque constitue une source précieuse pour la connaissance de la philosophie d'époque hellénistique et impériale. Pour toute la période qui va de la fondation de l'école stoïcienne, vers 300 avant J.-C., jusqu'au Ier siècle après J.-C., ses écrits représentent la seule œuvre d'envergure composée par un stoïcien qui nous soit parvenue presque intégralement, sans être réduite à l'état de fragments.
Pourtant, on a parfois contesté la valeur de ce témoignage : les écrits de Sénèque n'auraient pas la structure systématique d'un exposé de doctrine philosophique ; on y trouverait presque exclusivement des développements consacrés à l'éthique ; les répétitions, les déclamations rhétoriques, le style sentencieux nuiraient à la rigueur philosophique.
Les interprétations les plus diverses ont d'ailleurs été proposées en ce qui concerne les doctrines de Sénèque. Les uns le considèrent comme un stoïcien orthodoxe, les autres rattachent son œuvre à la doctrine du moyen stoïcisme, conformément auquel il aurait refusé le rigorisme de l'ancien stoïcisme. D'autres encore découvrent chez lui une évolution par laquelle il serait passé du monisme propre au stoïcisme orthodoxe au dualisme caractéristique du moyen stoïcisme. Certains enfin le considèrent comme un éclectique.
Ces divergences d'interprétation ont de quoi surprendre. D'une part, on possède une partie relativement considérable de l'œuvre de Sénèque. Dans ce vaste ensemble, les différents traités tournent tous, en partant de différents points de vue, autour du même thème fondamental : le souverain bien de l'homme, c'est-à-dire, dans la perspective stoïcienne, la conduite morale de la vie. Ces traités se complètent mutuellement et peuvent offrir une image assez riche des idées morales de Sénèque. On ne devrait donc pas s'attendre à rencontrer de grandes difficultés dans l'interprétation de sa pensée. En fait, ces difficultés résultent des problèmes plus généraux que pose l'histoire du stoïcisme.
Une des causes principales de ces divergences d'interprétation est, sans aucun doute, l'opposition fondamentale que des historiens comme A. Schmekel et K. Reinhardt ont voulu introduire entre l'ancien et le moyen stoïcisme l'Antiquité ne connaissait pas une telle distinction. C'est en s'efforçant de reconstruire l'œuvre de Panetius et celle de Posidonius, toutes deux presque complètement perdues, que les historiens ont été conduits à cette hypothèse. Mais la critique contemporaine (P. Boyancé) a démontré que bien des attributions de Reinhardt n'étaient pas exactes ; par suite, l'ensemble de sa thèse peut être remise en question. En outre, de nouvelles recherches d'ensemble sur l'histoire du stoïcisme ont rendu problématiques les résultats de Schmekel. Aujourd'hui se fait jour une tendance à considérer comme homogène l'évolution de l'école stoïcienne. Plusieurs travaux récents(I. G. Kidd, O. Luschnat, I. Hadot ont montré que la doctrine de l'ancien stoïcisme a contenu dès l'origine des éléments caractéristiques que l'on croyait être des innovations radicales datant de l'époque du moyen stoïcisme. Il a bien existé, vers le milieu du IIe siècle avant J.-C., sous l'impulsion de Diogène de Babylone, une tendance doctrinale particulière au sein de l'école stoïcienne, celle-là même que l'on voudrait appeler le moyen stoïcisme. Mais son originalité semble, en fait, se réduire à déplacer l'accent lors de l'interprétation de certains dogmes fondamentaux du stoïcisme, sous l'influence de l'aristotélisme et du platonisme. La tendance issue de Diogène n'a joué qu'un rôle éphémère dans l'histoire du stoïcisme, d'autant que, même à ce moment, certains stoïciens ont défendu l'interprétation traditionnelle, la transmettant ainsi, sans rupture de continuité, à l'école stoïcienne de l'époque impériale. Ainsi se trouve considérablement réduite l'importance de ce courant auquel on aurait voulu donner le nom de moyen stoïcisme, considérablement réduite aussi l'opposition que l'on voulait découvrir entre ancien et moyen stoïcisme. Les discussions sur l'orthodoxie du stoïcisme de Sénèque devraient donc prendre fin.
Si d'autres historiens ont rangé Sénèque parmi les éclectiques, la raison en est surtout que l'on trouve dans les trois Consolationes écrites par Sénèque des éléments empruntés à des traditions philosophiques étrangères au stoïcisme et que, dans les trente premières lettres à Lucilius, Sénèque a utilisé de nombreuses sentences épicuriennes, alors que, dans les lettres postérieures, il s'oppose clairement à Épicure. Mais cette thèse de l'éclectisme de Sénèque est insoutenable. Ainsi qu'on le verra, les traditions propres au genre littéraire de la consolation et les exigences pratiques de la direction spirituelle suffisent à expliquer ces emprunts.
D'autres critiques, enfin, reprochent à Sénèque d'employer trop d'effets stylistiques empruntés à la rhétorique et de manquer totalement de l'esprit systématique propre à la philosophie. Ces critiques ignorent la véritable finalité de l'œuvre du penseur. Celui-ci ne cherche pas, en premier, à démontrer à son lecteur une doctrine philosophique, mais à la lui faire assimiler. Cela veut dire que la composition des écrits de Sénèque s'explique avant tout par les traditions très anciennes de la direction spirituelle et par les exigences propres au genre littéraire parénétique, plus soucieux d'efficacité rhétorique que de rigueur systématique. Les écrits de Sénèque sont à la fois enseignement philosophique et exercice de méditation. Ces exercices de méditation n'étaient pas des opérations purement intellectuelles, mais visaient à transformer les enseignements philosophiques en un habitus éthique et à provoquer une transformation intérieure. Pour atteindre ce but, il fallait utiliser des moyens stylistiques qui, selon une tradition plus qu'archaïque, pouvaient provoquer la conviction et l'émotion, bref avoir un effet psychique intense. Ces moyens étaient le style sentencieux, le style gnomique et aussi, pour présenter l'exemple moral par excellence, c'est-à-dire faire le portrait du sage stoïcien, le style sublime.

Le directeur spirituel

Toute l'œuvre de Sénèque y compris ses tragédies et mis à part une satire tout à fait marginale, l'Apocolocynthosis, est consacrée à la direction spirituelle. Pourtant, seules les œuvres en prose font connaître la forme de direction spirituelle que Sénèque considérait comme idéale : le colloque entre amis. Plus que l'instruction théorique, c'est en effet le modèle vivant, l'autorité du directeur spirituel qui ont à ses yeux la plus grande efficacité. L'idéal serait la cohabitation continuelle du disciple avec le maître qu'il a choisi : c'était ce qui était pratiqué dans l'école d'Épicure. Si cela n'est pas possible, il faut tout au moins que les rapports entre maître et disciple soient fondés sur la confiance et la sympathie mutuelles, inséparables de l'amitié. À cette exigence, le caractère institutionnel des relations d'amitié, dans le monde antique, fournissait un cadre favorable. Ce caractère était destiné à donner une certaine protection aux individus, à favoriser les relations sociales, mais aussi à assurer une direction de conscience dans une atmosphère amicale. De même que, dans les institutions romaines, il existait une fonction officielle de censeur, de même, dans la vie privée, on se choisissait un ou deux amis que distinguaient l'âge, l'expérience, l'autorité. Ces « censeurs » avaient non seulement le droit, mais le devoir d'exercer, par leurs conseils, leurs exhortations, leurs blâmes, une influence sur le perfectionnement moral de l'individu qui se confiait à eux. La direction spirituelle de Sénèque se situe dans cette tradition. Elle se rattache également à un usage romain particulièrement en honneur au IIe siècle avant J.-C. : des jeunes gens se plaçaient sous la direction de jurisconsultes célèbres, d'autorité reconnue, la plupart du temps déjà d'âge avancé, et ils se confiaient à eux pour achever leur éducation et les introduire dans la carrière des charges publiques. Sénèque lui-même met en parallèle l'autorité du jurisconsulte (souvent équivalente à une preuve juridique) et l'autorité du directeur de conscience. Mais c'est en même temps et surtout dans la tradition de la philosophie hellénistique que s'enracine l'idée que Sénèque se fait de lui-même comme directeur spirituel.

L'Å“uvre tragique

Neuf tragédies attribuées à Sénèque ont été conservées : Hercule furieux Hercules furens, Les Troyennes Troades, Les Phéniciennes Phoenissae, Médée Medea, Phèdre Phaedra, Œdipe Oedipus, Agamemnon, Thyeste Thyestes, et Hercule sur l'Œta Hercules Oetaeus, auxquelles s'ajoute Octavia, une praetexta (tragédie à sujet latin, et non d'inspiration grecque. Leur authenticité n'est discutée que pour Hercules Oetaeus et l'Octavia. En faisant de ses tragédies une sorte de propédeutique philosophique, Sénèque met la poésie au service de la direction spirituelle, afin de s'adresser au public le plus étendu possible. En effet, selon les stoïciens, le public se divisait en deux groupes : les ignorants et les personnes de formation libérale. Un public ignorant est incapable de comprendre un discours philosophique ; il lui faut donc être gagné à la philosophie par d'autres moyens : la poésie et la musique. Ces deux arts sont ainsi considérés comme une sorte de préparation à la philosophie, ou même comme une première philosophie. Le plaisir que ces arts procurent dispose favorablement l'auditeur à admettre les idées impliquées dans l'œuvre littéraire, et il sert ainsi à son éducation. Le poète inspire l'horreur du vice en donnant des exemples effrayants de la méchanceté, et il provoque l'enthousiasme pour le bien en proposant à l'imitation des modèles de vertu. Ainsi, les tragédies de Sénèque sont de grandes fresques qui dépeignent la folie humaine, des exemples frappants accompagnés de funestes présages et d'effets terrifiants. Elles se situent dans la tradition de la tragédie philosophique hellénistique, dont nous connaissons, grâce à Diogène Laërce, quelques représentants, comme Diogène de Sinope et Cratès de Thèbes.

Les Å“uvres en prose

La date de composition de la Consolation à Marcia, adressée à la fille de l'historien romain Cremutius Cordus, condamné sous Tibère à cause de ses idées républicaines, ne peut se placer qu'après la mort de cet empereur, c'est-à-dire après l'avènement de Caligula 37 apr. J.-C.. C'est pendant le temps de l'exil de Sénèque 41-49 qu'il faut situer la consolation adressée à sa mère Helvia, destinée à la réconforter en cette circonstance, et la consolation adressée à l'affranchi Polybe, favori de l'empereur Claude et chargé de la fonction de secrétaire des requêtes. Cette dernière consolation, qui est, en fait, une pétition déguisée en vue d'obtenir son rappel d'exil, prend pour prétexte la mort du frère de Polybe et se perd en flatteries assez indignes à l'égard de celui-ci. On peut situer avec précision sa composition au cours de l'année 43. En ce qui concerne les tendances philosophiques de Sénèque, ces œuvres n'apportent qu'un témoignage de valeur très limitée. L'écrit de consolation, qui se situe dans une tradition que l'on peut faire remonter jusqu'aux sophistes, ne s'adresse pas aux adeptes de la philosophie, mais aux profanes. Ce n'est donc pas un texte d'enseignement philosophique au sens propre du terme. Il s'efforce toujours d'énumérer tous les motifs de consolation que l'on peut trouver, sans chercher à savoir s'ils sont compatibles ou non avec un système philosophique déterminé. C'est pourquoi il n'y avait certainement pas de différence fondamentale entre une consolation écrite par un académicien ou par un stoïcien, ou même par un auteur de formation purement rhétorique. Il ne faut donc pas accorder aux affirmations de Sénèque contenues dans ses écrits de consolation la même valeur philosophique qu'à celles de ses lettres et de ses écrits dogmatiques. Le corpus des lettres de Cicéron (surtout Ad familiares et celui des lettres de Pline le Jeune nous montrent que ces écrits de consolation étaient extrêmement répandus et avaient une sorte de caractère institutionnel à la fin de la République romaine et à l'époque impériale.
L'Apocolocynthosis la métamorphose en citrouille est une satire ménippée, fort spirituelle, sur la mort de l'empereur Claude. La virulence haineuse de cet ouvrage laisse supposer qu'il a été composé peu de temps après la mort de l'empereur 54, c'est-à-dire dans un temps où l'amertume de Sénèque était encore vive.
Trois écrits en prose composés par Sénèque pourraient être désignés dans le langage technique de la philosophie antique comme des ethologiae ou des characterismoi. Ils correspondent en effet à cette partie bien déterminée de la parénèse philosophique dans laquelle on fait la description d'une vertu ou d'un vice ; on en donne la définition, on en décrit les caractéristiques, souvent en y ajoutant celles de la vertu ou du vice contraire, et l'on indique les moyens et les méthodes pour acquérir cette vertu ou corriger ce vice.
Le premier ouvrage de ce type paraît être le traité Sur la colère De ira, probablement écrit peu de temps après la mort de Caligula 41 et adressé au frère aîné de Sénèque, Novatus. Le traité Sur la clémence De clementia, dédié à Néron et dont une partie est perdue, a été composé vraisemblablement peu après l'avènement de l'empereur. Le plan annoncé au début de l'ouvrage II, 3 est bien celui d'une ethologia. Mais, par l'application qui est faite à Néron, l'écrit se transforme très habilement en une sorte de miroir des princes. La description de la vertu idéale du souverain, la clémence à laquelle Sénèque oppose la cruauté, se transforme en une description du souverain idéal, qui concorde en beaucoup de traits avec les descriptions hellénistiques de la royauté idéale. La troisième ethologia, Sur la tranquillité de l'âme De tranquillitate animi, adressée à Serenus, ami intime de Sénèque, semble avoir été écrite à une époque où l'auteur menait avec optimisme ses activités d'homme d'État. À côté d'une courte description de la tranquillité d'âme, on y trouve de longs développements sur l'état d'âme opposé à cette vertu, état auquel Sénèque ne parvient pas à donner de nom précis et qui est une sorte de mécontentement à l'égard de soi-même. La partie de l'ouvrage qui doit traiter des moyens à employer pour atteindre à la tranquillité d'âme constitue un petit traité sur le choix du genre de vie. Sénèque y conseille la vie mixte, c'est-à-dire cette synthèse de vie contemplative et de vie active que les stoïciens appelaient la vie selon la raison. L'otium, c'est-à-dire le loisir contemplatif, n'est admissible, selon Sénèque, que si les circonstances nous empêchent d'exercer une activité politique : sur ce point, Sénèque est en accord avec Cicéron.
Le problème du genre de vie réapparaît dans deux autres traités de Sénèque, Sur la brièveté de la vie De brevitate vitae et Sur l'oisiveté De otio. Le thème de la brièveté de la vie, de la valeur du temps, de la nécessité de l'utiliser d'une manière raisonnable était un des éléments du genre littéraire protreptique fort en honneur au début de la direction spirituelle. Ce n'est pas un hasard si ce thème apparaît au début des Lettres à Lucilius et s'il constitue le leitmotiv du premier tiers de cet ouvrage. Dans le De brevitate vitae, Sénèque conseille le loisir à Paulinus, préfet de l'annone, écrasé de responsabilités publiques. Quoi qu'on en ait dit, il n'y a là aucune contradiction avec la théorie proposée dans le De tranquillitate animi. Car le loisir que Sénèque conseille maintenant à Paulinus n'est plus un genre de vie parmi d'autres ; il ne s'agit plus ici de la vie contemplative, qui s'opposerait à la vie vertueuse menée selon les principes stoïciens, mais seulement du temps libre qu'il faut se garder comme condition indispensable pour pouvoir commencer une vie vertueuse et s'adonner à la philosophie. L'homme doit se libérer d'un excès de travail, que le zèle ou l'urgence ont poussé à un point tel que l'individu n'a plus de temps pour réfléchir sur lui-même et sur le sens de sa vie. Au contraire, c'est un changement radical d'opinion que l'on trouve dans le De otio, également adressé à Serenus. Dans le De tranquillitate animi, Sénèque avait conseillé à Serenus une vie mixte, dans laquelle l'activité politique devait jouer le rôle prédominant. Cette fois, c'est la démonstration qu'une vie exclusivement consacrée à la contemplation peut se concilier avec les principes stoïciens. Ce sont, semble-t-il, d'amères expériences qui l'ont conduit à admettre à son tour l'opinion d'Athénodore qu'il avait combattue dans le De tranquillitate animi III, 2 : Comme, dans la folle mêlée des ambitions, parmi tant de mauvais esprits qui calomnient nos meilleurs intentions, la droiture n'est plus en sûreté et que nous y aurons toujours plus de déboires que de satisfactions, notre devoir est de renoncer au forum et à la vie publique. C'est également à Serenus qu'est adressé le traité Sur la constance du sage De constantia sapientis qui défend le paradoxe stoïcien : le sage ne peut subir l'outrage.
Le traité Sur la clémence De clementia avait décrit les devoirs du souverain. Ce sont les devoirs des aristocrates et des citoyens riches que décrit le traité Sur les bienfaits De beneficiis, dédié à Aebutius Liberalis. Il s'agit principalement de savoir comment donner et recevoir des bienfaits. Ce traité représente donc, pour l'époque impériale, ce qu'avait été le traité Des devoirs de Cicéron pour l'époque républicaine : un manuel des vertus sociales fondé sur la philosophie stoïcienne. Si on les rapproche des correspondances contemporaines celle de Cicéron et celle de Pline, l'ouvrage de Cicéron et celui de Sénèque sont des mines de renseignements sur les usages mondains de leur époque.

Le traité Sur la vie heureuse De vita beata est dédié à nouveau à son frère aîné Novatus, désigné cette fois par son nom d'adoption, Gallio. Dans la première partie, Sénèque exhorte son frère à se consacrer à la philosophie stoïcienne et à parvenir grâce à elle à la vie bienheureuse, qui n'est autre que la vertu, le souverain bien des stoïciens, qu'il oppose au souverain bien des épicuriens et des péripatéticiens. La seconde partie expose et réfute les objections que l'on pouvait opposer à cette propagande stoïcienne : pourquoi les principaux adeptes de l'école ne se contentent-ils pas de la vertu ? Pourquoi désirent-ils les richesses et les charges publiques ? Pourquoi parlent-ils autrement qu'ils ne vivent ? Sénèque réfute ces différents points d'une manière très générale et par des arguments traditionnels, mais on ne peut s'empêcher de penser que c'est d'abord lui-même que Sénèque veut défendre, en un temps (aux environs de 58) où des accusations publiques de ce genre avaient été formulées contre lui.
Les trois dernières œuvres qui restent à mentionner : Sur la providence De providentia, les Questions naturelles (Naturales Quaestiones et les Lettres à Lucilius Senecae ad Lucilium epistolae morales, sont adressées à son ami Lucilius. On s'accorde à reconnaître que les lettres datent des dernières années de la vie de Sénèque, mais on discute pour savoir si elles s'adressent à un destinataire fictif ou réel. En tout cas, elles constituent un cours complet de philosophie, en même temps qu'elles réalisent un programme achevé de direction spirituelle, depuis les premiers rudiments jusqu'aux stades les plus avancés. Dans la première phase, ou période des sentences, Sénèque s'adapte aux tendances épicuriennes de Lucilius, en lui adressant des lettres courtes, se rapportant à des sentences provenant d'Épicure et à partir desquelles il développe des dogmes fondamentaux du stoïcisme. Cette méthode correspond exactement aux principes énoncés dans le Therapeutikos de Chrysippe 280-206 : celui-ci conseillait au directeur de conscience de se tenir d'abord à l'écart de tout dogmatisme et de s'adapter plutôt aux idées du disciple. Les citations épicuriennes des premières lettres ne correspondent donc qu'à une méthode de direction spirituelle ; elles n'ont aucune signification dogmatique. Dans la deuxième phase, ou période des résumés, Sénèque annonce expressément lettre 33 qu'il renonce à l'usage des sentences, qui effectivement cessent à partir de la lettre 31. Sénèque exhorte Lucilius à une étude plus développée et lui envoie des résumés philosophiques breviaria. Dans la troisième phase, ou période des commentaria, Lucilius lui-même réclame des traités développés et Sénèque lui en envoie. Les Naturales Quaestiones sont précisément un traité développé qui présente un vaste domaine de la physique stoïcienne. Sénèque projetait également un vaste ouvrage sur l'éthique stoïcienne. Le De providentia se rapporte à l'une des questions s'y référant. À cette troisième phase de l'enseignement correspondent également l'exposé et la discussion des opinions des autres écoles philosophiques. Sénèque introduit alors dans ses lettres des critiques adressées aux péripatéticiens, aux épicuriens et aux cyniques. Ce groupe d'écrits est donc l'un des plus précieux témoignages que l'Antiquité nous ait laissés sur la pratique concrète de la direction spirituelle. Ilsetraut Hadot

Références littéraires à Sénèque

Dante cite Sénèque au Chant IV de l'Enfer, première partie de la Divine Comédie : Tous l’admiraient, tous lui rendaient honneur. Là je vis Socrate et Platon, qui se tiennent plus près de lui que les autres ….. ; je vis Orphée, Tullius et Livius, et Sénèque le philosophe moral ; Euclide le géomètre, Ptolémée

Bibliographie

Répertoires de ressources philosophiques antiques :
Bibliotheca Classica Selecta
CNRS
Remacle
Site Académique Toulouse
Dictionnaires :
Leclant, Jean, Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, PUF, 2008.
Howatson, Margaret C, Dictionnaire de l'Antiquité: Mythologie, Littérature, Civilisation, Paris, Robert Laffont, 1993.

Œuvres de Sénèque

Consolations :
Consolation à Marcia Ad Marciam consolatio
Consolation à ma mère Helvia (Ad Helviam matrem Consolatio
Consolation à Polybe Ad Polybium consolatio
Questions naturelles
Dialogues :
La Constance du sage (De constantia sapientis
Sur la tranquillité de l'âme De tranquillitate animi
L'oisiveté De otio entre 62 et 65 L'oisiveté
De la vie heureuse De vita beata
De la brièveté de la vie De breuitate uitæ
De la colère entre 41 et 49
De la providence De prouidentia entre 37 et 65 en latin, en français
De la clémence De clementia Sur la clémence
Des bienfaits De beneficiis Des bienfaits
Lettres à Lucilius Epistulae morales ad Lucilium 63 et 64. Entretiens. Lettres à Lucilius, édition établie par Paul Veyne, Robert Laffont, coll. "Bouquins". Trad. en ligne I, 1 à 12 et II, 13 à 21, III, 22-29, IV, 30-41, V, 42-52, VI, 53-62, VII, 63-69, VIII, 70-74, IX, 75-80, X, 81-83, XI, 84-88, XIV-XV (89-95), XVI (96-100), XVII-XVIII 101-109, XIX 110-117, XX-XXI 118-124 Lettres à Lucilius
Apocoloquintose La transformation de l'empereur Claude en citrouille
Tragédies Dix de ses tragédies nous sont parvenues :
Médée
Å’dipe
Agamemnon une tragédie, écrite en 53
Octavie mais l'attribution de ce texte pose problème car c'est une tragédie prétexte et elle n'est donc certainement pas de Sénèque.
Phèdre
Thyeste
Hercule furieux
Troades, adaptation des Troyennes d'Euripide.
Les Phéniciennes.
Hercule sur l'Œta mais des doutes subsistent sur son authenticité.

Études sur Sénèque

Paul Albert 1827-1880, Histoire de la littérature romaine une partie du présent article est extraite de cet ouvrage.
Denis Diderot, Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits, et sur les règnes de Claude et Néron, 1778.
Florence Dupont, Les Monstres de Sénèque, Belin, 1995.
Pierre Grimal, Sénèque ou la conscience de l'Empire, 1re éd., Belles Lettres, 1978 ; rééd., Fayard, 1991.


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Posté le : 11/04/2015 19:03
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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