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Ernst Jünger
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Le 29 mars 1895 naît Ernst Jünger

à Heidelberg dans l'empire Allemand, il meurt à 102 ans, à Riedlingen en Allemagne le 17 février 1998, écrivain allemand, Romancier, essayiste et diariste, distincté du prix pour le Mérite, le prix prix Goethe, le prix Prix mondial Cino Del Duc. Il es l'auteur de divers romans, récits, essais, journaux et souvenirs. Ses Œuvres principales sont Orages d'acier en 1920, Sur les falaises de marbre en 1939, Héliopolis en 1949, Soixante-dix s'efface entre 1977 et 1997.
En tant que contemporain et témoin de l'histoire européenne du xxe siècle, Jünger a participé aux deux guerres mondiales dans les troupes de choc au cours de la première et sous l'uniforme de la Wehrmacht comme officier de l'administration militaire d'occupation à Paris à partir de 1941. Devenu célèbre après la publication dans Orages d'acier 1920 de ses souvenirs de la Première Guerre mondiale, il a été une figure intellectuelle majeure de la révolution conservatrice à l'époque de Weimar, mais s'est tenu éloigné de la vie politique à partir de l'accession des nazis au pouvoir. Jusqu'à la fin de sa vie à plus de cent ans, il a publié des récits et de nombreux essais ainsi qu'un journal des années 1939 à 1948 puis de 1965 à 1996. Parmi ses récits, Sur les falaises de marbre 1939 est l'un des plus connus. Francophile et francophone, Ernst Jünger a vu son œuvre intégralement traduite en français et ... fait partie, avec Günter Grass et Heinrich Böll, des auteurs allemands les plus traduits en France. Figure publique très controversée à partir de l'après-guerre dans son pays, il a reçu le Prix Goethe en 1982 pour l'ensemble de son œuvre.Julien Hervier, qui a dirigé l'édition des Journaux de guerre de Jünger dans la Bibliothèque de la Pléiade a écrit : Si l'on voulait conclure sur Jünger, il faudrait avant tout éviter la facilité qui tend à accorder autant d'importance, sinon plus, à sa légende d'homme d'action, engagé dans la guerre, la politique et l'aventure, qu'aux milliers de pages de son œuvre d'écrivain.

En bref

Peu d'écrivains allemands contemporains ont fait l'objet de controverses aussi vives qu'Ernst Jünger. Sa personnalité comme son œuvre – et chacune témoigne pour l'autre dans un échange réciproque – ont suscité autant d'enthousiasmes sans réserve que d'attaques passionnées. Même si l'hostilité politique nuit parfois outre-Rhin à une appréciation impartiale de ses écrits, le nombre des études universitaires qui lui sont consacrées, la richesse de ses correspondances, dont les publications posthumes se multiplient, confirment sa stature d'écrivain majeur. En France, où l'impeccable perfection de son style lui avait longtemps assuré un statut littéraire privilégié, l'orientation moralisante de certains critiques allemands fait aujourd’hui quelques émules, sans toutefois remettre en cause la réception généralement favorable de l'écrivain.
Né le 29 mars 1895 à Heidelberg, dans un milieu aisé, Ernst Jünger prend vite en horreur les valeurs bourgeoises et fait une fugue, en 1913, pour s'engager dans la Légion étrangère. Mais il a l'intention de déserter le plus vite possible, afin de courir l'aventure en Afrique : son père le fera rapatrier de justesse. Lorsque la guerre éclate, il est aussitôt volontaire pour les troupes de choc ; son héroïsme lui vaut quatorze blessures et il est décoré de la plus haute distinction allemande : l'ordre Pour le Mérite . Après la défaite, il reste quatre ans dans l'armée, puis demande son congé et va étudier la zoologie et la philosophie à Leipzig et à Naples. Entre 1925 et 1930, il déploie une importante activité journalistique dans des publications militaristes d'extrême droite Die Standarte, Arminius, Der Vormarsch dont il est parfois le principal rédacteur. Ses derniers articles paraissent en 1933 et son hostilité au nazisme lui fait refuser fermement toutes les avances du régime. En 1939, Sur les falaises de marbre lui attire des difficultés avec le parti, mais Hitler, qui se souvient du héros de 1914, décide de le laisser en paix. Mobilisé en septembre, Jünger se distingue surtout en allant sauver un blessé sous le feu et en protégeant les richesses artistiques de Laon. Il passe l'essentiel de la guerre à l'état-major parisien ; quoique très lié au cercle de Stauffenberg, il ne participe pas directement à l'attentat fomenté par celui-ci contre Hitler. Lorsque son échec entraîne une vague d'arrestations, Jünger est simplement renvoyé dans ses foyers, à Kirchhorst en Saxe, où il vit la débâcle. À partir de 1950, il habite, entre ses nombreux voyages autour du monde, un petit village de Souabe, Wilflingen, et poursuit son activité d'écrivain. Il publie ainsi cinq volumes de son journal de vieillesse, couvrant la période de 1965 à 1995, l'année de ses cent ans. Mais son œuvre de romancier et d'essayiste ne s'était pas pour autant interrompue, puisque l'on notera, parmi ses dernières publications, le roman Une dangereuse rencontre en 1985 et, surtout, en 1990, Les Ciseaux, méditation sereine aux approches de la mort, où il développe une sorte d'espoir matérialiste en une survie qui échappe à toute définition précise. Avant son décès, survenu le 17 février 1998, il ajoutera encore quelques pages à son journal : la dernière est datée du 17 mars 1996.

Sa vie

Ernst Jünger arborant ses décorations après la Première Guerre mondiale. Photo illustrant la troisième édition allemande d'Orages d'acier.
Ernst Jünger est l'aîné d'une famille de cinq enfants parmi lesquels son frère, Friedrich Georg, devient un de ses compagnons privilégiés. Leur père devient chimiste et pharmacien après avoir été l'assistant de Viktor Meyer à l'Université. Ernst se révèle assez vite rétif à la discipline scolaire. À l'âge de seize ans il rejoint le groupe de jeunesse Wandervogel, les oiseaux migrateurs, puis fugue à l'âge de dix-sept ans pour s'engager dans la Légion étrangère française. Il revient sur cette aventure vingt ans après dans le roman autobiographique Jeux africains publié en 1936.
Il se porte volontaire dès que l’empereur Guillaume II ordonne la mobilisation en août 1914. Il participe, comme de nombreux autres compatriotes, avec ardeur et enthousiasme à la Première Guerre mondiale. Promu sous-officier, puis officier lieutenant, il est blessé quatorze fois et reçoit, quelques semaines avant la fin de la guerre, la plus haute décoration allemande, la croix Pour le Mérite.
Il raconte après guerre son expérience de la guerre des tranchées, comme simple soldat d'abord, puis comme officier des Sturmtruppen, ancêtres de commandos, dans le livre Orages d'acier publié à compte d'auteur en 1920 sur les conseils de son père. Il y décrit notamment les horreurs vécues, mais aussi la fascination que l'expérience du feu a exercé sur lui. Ce livre connut un grand succès auprès du public et reste aujourd'hui encore son livre le plus lu. André Gide écrit : Le livre d'Ernst Jünger sur la guerre de 14, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'ai lu, d'une bonne foi, d'une honnêteté, d'une véracité parfaites. Il y décrit notamment la défaite de l'armée allemande, à l'encontre du mythe du coup de poignard dans le dos.
En 1922, il écrit La Guerre comme expérience intérieure Der Kampf als inneres Erlebnis, à la fois roman et essai, où figurent, outre ses souvenirs de la Grande Guerre et l'effet sur l'âme des soldats de conditions de vie extrêmes dans les tranchées, ses premières réflexions philosophiques et politiques sur la bravoure et le pacifisme.
Jünger nourrit de son expérience de la guerre et du combat son analyse historique et politique de la situation allemande après la défaite. Il s'inscrit dans la Kriegsideologie qui anime de nombreux intellectuels au temps de la République de Weimar.

Le guerrier déconcertant

Même si les solutions qu'il suggère ne sont pas toujours de celles que valorisent les modes intellectuelles, sa méditation se situe au cœur même d'une problématique de la modernité : réflexion sur la violence et la guerre, l'avènement de la technique et la signification de l'histoire, la liberté individuelle et l'oppression de l'État, la permanence du sacré et la mort de Dieu, les puissances de la langue comme fondement du séjour humain. Héros exemplaire au sortir de la Première Guerre mondiale, il tire de notes éparses prises sur le champ de bataille un grand livre, Orages d'acier, qui lui vaut la célébrité immédiate et l'admiration de ces anciens combattants que regroupe l'association des « Casques d'acier ». Après avoir vécu les équivoques de l'engagement politique à leurs côtés, il redevient un homme privé, mais retrouve, en 1939, un large public avec Sur les falaises de marbre, où beaucoup voient une dénonciation mythique de la montée du nazisme. Pourtant, son Journal de la Seconde Guerre mondiale, à l'opposé de l'apologie militariste d'Orages d'acier, déconcerte ses premiers admirateurs nationalistes, tandis que ses liens avec le haut état-major, son hostilité au rationalisme progressiste, son absence de goût pour l'autocritique le rendent suspect à une large part de la critique marxiste et libérale, qui va parfois jusqu'à contester la valeur de son style, taxé d'académisme et de froideur. Le désarroi intellectuel qu'a entraîné depuis 1989, chez les marxistes les plus traditionalistes, la chute de l'espoir communiste en U.R.S.S. a suscité paradoxalement, plus encore en France peut-être qu'en Allemagne, un regain d'hostilité idéologique à son égard.

À l'écoute du temps

Encore presque adolescent, Jünger a été pris à partie par l'histoire, sous la forme impérieuse du premier conflit mondial, qui sonna pour beaucoup le glas du monde bourgeois. Orages d'acier 1920 et ses autres récits de guerre constituent la description fascinée d'un monde retourné à l'élémentaire, où la seule issue pour l'individu semble être le « réalisme héroïque » et une implacable objectivité qui isole l'artiste dans une contemplation distanciée. Mais, par-delà les immédiats problèmes politiques dans lesquels Jünger s'attarde quelque temps sans efficacité, c'est déjà aux virages de la civilisation qu'il applique sa passion de comprendre. À travers l'expérience de la guerre, il a vu s'instaurer la surpuissance de la technique qui échappe au domaine moral pour provoquer un bouleversement métaphysique. En 1932, un essai majeur, Le Travailleur, tente de cerner la nouvelle figure du Travailleur qui remplace le Paysan, le Soldat et le Prêtre à l'arrière-plan de notre destin. La conscience aiguë de l'horreur nazie multipliera ses réticences envers la modernité à laquelle il n'apportait jusqu'alors qu'une adhésion volontariste. Les journaux de la Seconde Guerre mondiale marquent un approfondissement humaniste et moral qui s'enrichira encore dans les œuvres ultérieures : Le Traité du rebelle prône contre l'État-Léviathan une dissidence de tout l'individu qui ajoute aux armes du partisan celles du penseur ; Le Mur du temps minimise les révolutions politiques, simple écume à la surface d'une réalité magique, d'une vérité quasi platonicienne dont l'histoire ne constitue que le scintillement kaléidoscopique. Sa passion conjointe des voyages et de l'entomologie, qui s'est exprimée en particulier dans Chasses subtiles et Sous le signe de Halley, l'oriente prioritairement dans ses derniers textes vers une défense des ressources naturelles de la planète dont le gaspillage par l'inconscience humaine le terrifie. Presque aussi grave que l'oubli des dieux, la méconnaissance des animaux et de la vie constitue à ses yeux une faiblesse majeure de l'homme moderne : sous ce jour, Jünger apparaît comme un pionnier de la défense des valeurs écologiques dans la littérature du XXe siècle.

Entre-deux-guerres : nationalisme et révolution

Après la défaite et sa démobilisation, il travaille un temps pour le ministère de la Reichswehr à Hanovre. Il collabore à la rédaction de manuels destinés aux troupes d'infanterie. Le 31 août 1923, il quitte l'armée et entame des études de sciences naturelles et d'entomologie à Leipzig. Il suit également des cours de philosophie auprès de Hans Driesch et Felix Krüger, et lit abondamment, notamment Nietzsche et Spengler. Il effectue plusieurs voyages d'étude de la zoologie à Naples dont un de février à avril 1925. Il quitte l'Université le 26 mai 1926. Il s'installe à son compte comme écrivain et journaliste politique. Il écrit alors dans diverses publications nationalistes une bonne centaine d'articles en un lustre, celles des ligues d'anciens combattants notamment, et fréquente les cercles nationaux révolutionnaires, constitutifs d'un mouvement de pensée appelé la Révolution conservatrice sous la République de Weimar. Il fréquente aussi bien Otto Strasser qu'Erich Mühsam et devient proche d'Ernst Niekisch, principal idéologue allemand du National-bolchévisme. Il devient une figure dans le milieu intellectuel nationaliste. Il publie en 1930 l'essai historico-politique intitulé La Mobilisation totale, et, en 1932, Le Travailleur, couronnement des réflexions politiques de l'auteur selon Louis Dupeux. Dans ces deux publications, le néo-nationalisme de Jünger s'exprime largement, dans une célébration de l'État, de la technique, comme force mobilisatrice, et du vitalisme. Walter Benjamin, très critique à l'égard de ses prises de position, voit en Jünger le fidèle exécutant fasciste de la guerre des classes. Pour Éric Michaud de l'EHESS, c'est certainement lorsqu'il s'emploie à dessiner les traits de la figure rédemptrice du Travailleur que Jünger est au plus près du national-socialisme en lui fournissant les aliments de sa croissance et de son développement.

Troisième Reich et Deuxième Guerre mondiale

Approché par le parti nazi du fait de son passé d'ancien combattant et de ses écrits patriotiques, il refuse toute participation et démissionne même de son club d'anciens du régiment en apprenant l'exclusion des membres juifs. Dès avril 1933, la Gestapo perquisitionne sa maison et il est surveillé en permanence par le régime. Il refuse le 18 novembre de la même année de siéger à l'Académie allemande de littérature où il a été élu le 9 juin. Il quitte Berlin pour Goslar. En 1936, il se retire à la campagne, à Überlingen tout d'abord, puis à Kirchhorst. Il entreprend dans les années qui suivent des voyages plus ou moins lointains, Norvège, Brésil, France, Rhodes.
En 1939, paraît ce que beaucoup de critiques considèrent comme son chef-d'œuvre, Sur les falaises de marbre, un roman allégorique souvent vu comme une dénonciation de la barbarie nazie. Cette allégorie dépasse la simple contestation du totalitarisme triomphant alors en Allemagne. Il s'agit d'une illustration subtile des forces à l'œuvre dans l'établissement d'un régime dictatorial. Le monde intemporel qui y est décrit dépasse le cadre factuel de son époque et fait ressentir l'enfermement intérieur sous le poids du monde extérieur. Cette publication irrite dans le camp nazi et le Reichsleiter Philipp Bouhler intervient auprès de Hitler, mais Jünger échappe à toute sanction du fait de la sympathie qu'éprouve le Führer pour le héros de la Première Guerre mondiale, titulaire de la croix Pour le mérite et ses récits de guerre.
Jünger est mobilisé le 30 août 1939 dans la Wehrmacht avec le grade de capitaine. Il participe à la campagne de France puis, après la victoire des Allemands, Hans Speidel lui fait intégrer l'état-major parisien. Il dispose d'un bureau à l'hôtel Majestic. Ce poste le met au cœur des intrigues et des tensions qui opposent le commandement militaire aux différentes unités du parti.Il peut consacrer son temps libre à rédiger son Journal de guerre ainsi qu'un essai intitulé La Paix, appel à la jeunesse d'Europe et à la jeunesse du monde qu'il commence à rédiger dès l'automne 1941 et qui anticipe la nécessaire réconciliation des nations et l'indispensable construction européenne, essai très imprégné de valeurs chrétiennes.
Son journal, dont le premier volume Jardins et routes sort dès 1942 en allemand et en français, est un mélange d'observations de la nature, de comptes rendus de ses fréquentations littéraires dans les salons parisiens, dont celui de Florence Gould, et enfin de remarques d'une lucidité désabusée sur sa position d'officier en temps de guerre, par lesquelles il souligne la nécessité d'un certain retrait dans son monde intérieur : Paris, 30 juillet 1944. Une ondée me fait passer quelques instants au musée Rodin, que d'habitude je n'aime guère. … Les archéologues d'âges futurs retrouveront peut-être ces statues juste sous la couche des tanks et des torpilles aériennes. On se demandera comment de tels objets peuvent être si rapprochés, et on échafaudera des hypothèses subtiles.
On retrouve également dans ses journaux son horreur de ce qui s'est emparé de l'Allemagne, sa haine de Hitler qu'il ne désigne que sous le nom de Kniebolo et de ses partisans, qu'il désigne du nom de lémures et sa honte devant les étoiles jaunes qu'il croise dans les rues : Je suis alors pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j'ai tant aimé l'éclat.

Il fait partie de l'entourage de Rommel qui a demandé à lire son essai La Paix. Il ne participe pas au complot à l'origine de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler, mais est dans le secret de sa préparation. Je ne me consolerai jamais d'avoir brûlé après le 20 juillet le journal que je tenais à cette époque-là écrit-il le 25 mai 1988. Il est démobilisé et rentre en Allemagne au cours de l'été 1944. Il se retrouve à la tête d'un groupe local du Volkssturm et, à l'arrivée des troupes anglaises et américaines, début avril 1945, il demande à ses hommes de ne pas résister. Il avait appris le 11 janvier 1945 que, le 29 novembre 1944, son premier fils âgé de 18 ans était tombé sous les balles des partisans dans les montagnes de Carrare en Italie centrale. Depuis l'enfance, il s'appliquait à suivre son père. Et voici que, du premier coup, il fait mieux que lui, le dépasse infiniment.

Après-guerre : l'arnarque centenaire

Après la capitulation, il est interdit de publication pendant quatre années à cause de son refus de se soumettre aux procédures de dénazification des alliés. Dans l'Allemagne de l'après-guerre il devient plus que jamais une figure controversée. La polémique concerne essentiellement ses articles publiés dans des revues nationalistes de l'entre-deux-guerres, et l'influence qu'il aurait pu exercer sur l'intelligentsia nazie, notamment avec la publication en 1932 de son essai Le Travailleur.
De 1950 jusqu'à sa mort, il vit dans un petit village de Souabe, Wilflingen, et il voyage à travers le monde pour assouvir sa passion de l'entomologie, passion qui a fait l'objet du livre Chasses subtiles. À Wilflingen, il emménage dans une vaste maison que lui loue un cousin du comte Stauffenberg impliqué dans l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Maison qu'avait occupée quelques années plus tôt Pierre Laval alors que le gouvernement de Vichy en exil s'était replié à Sigmaringen. Comme le remarque Elliot Neaman : Que Jünger ait élu domicile dans la maison du grand forestier où le principal collaborateur français Laval avait vécu est un exemple des nombreuses interactions ironiques entre la vie et la littérature générées par la guerre. Que le fils de Jünger ait été tué dans les carrières de marbre de Carrare en est une autre.
Lui qui avait été jusqu'en 1933 une figure de la droite nationaliste défend après 1945 un individualisme anarchisant, radicalement hostile à l'État-Léviathan, avec ses essais Passage sur la ligne 1950 et Traité du rebelle 1951, puis son roman Eumeswill 1977. Dans ce roman, Jünger forge la figure de l'anarque, qui prolonge celle du rebelle Waldgänger décrite deux décennies plus tôt. Comme l'explique Patrick Louis : L'Anarque a renoncé au combat, il a choisi l'émigration intérieure. Il se replie sur lui-même … Son souci est son intimité, et parce qu'il ne s'engage pas, il pense préserver son intégrité. Jünger a été en la matière influencé par la pensée de Max Stirner.
L'œuvre de Jünger semble devoir être considérée sous l'éclairage des expériences vécues par l'homme dans sa vie intime. Il est en particulier un des rares écrivains à avoir consacré une œuvre à l'ivresse au sens large, celle donnée par les drogues les plus diverses éther, haschich, opium, cocaïne, LSD… et les boissons traditionnelles bière, vin, thé. L'auteur entend le mot ivresse au sens de modification de la perception des sens et du rapport au temps. Son expérience personnelle de ces substances est relatée dans l'essai Approches, drogues et ivresses 1970 qui n'est pas sans rappeler Du vin et du haschisch de Charles Baudelaire ou surtout Les portes de la perception d'Aldous Huxley.
En 1982, l'attribution à Jünger du prix Goethe déclenche de violentes protestations en Allemagne et une polémique nourrie pendant plusieurs mois. Ces protestations émanent en majorité de la gauche en général et des Verts en particulier. Ces voix — qui se font entendre jusque devant les marches de l'église Saint-Paul de Francfort où a lieu la cérémonie de remise du prix le 28 août — n'acceptent pas que le prix allemand le plus prestigieux soit remis à une personne qui incarne à leurs yeux un passé militariste et anti-démocratique. Mais, contrastant avec cette manifestation nationale de rejet, son centième anniversaire, en 1995, est l'occasion de plusieurs célébrations officielles et il est invité à déjeuner au Palais de l'Élysée par le président François Mitterrand qui éprouve une grande admiration pour lui. Il s'est également lié après guerre avec Julien Gracq, qui a souvent exprimé l'admiration qu'il éprouve pour l'œuvre de Jünger et notamment pour Sur les falaises de marbre. Il est le deuxième grand écrivain européen à devenir centenaire après le français Fontenelle au XVIIIe siècle.
Le 26 septembre 1996, il se convertit au catholicisme. Après avoir été actif jusque dans les derniers jours de sa vie, il meurt dans son sommeil à l'aube du 17 février 1998 à l'hôpital de Riedlingen.

Le rêveur éveillé

Considéré par le philosophe marxiste Lukács comme un représentant typique de l'irrationalisme allemand et de l'impérialisme militaire prussien, Jünger n'appréhende pas la vie de l'esprit comme simple épiphénomène qui se développerait sur des bases économiques. Sans contact direct avec le groupe surréaliste – bien que Julien Gracq ait salué en lui un grand romancier emblématique –, il puise lui aussi aux sources du romantisme allemand et du symbolisme français, cherchant comme André Breton ce « point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire cessent d'être perçus contradictoirement ». Son premier ouvrage à se dégager de l'expérience immédiate du front, Le Cœur aventureux 1929, accorde une large place aux récits de rêves que l'on rencontrera dans toutes ses œuvres, soit sous forme directe, soit comme cellule initiale du développement romanesque. L'idée première de l'univers intemporel de Sur les falaises de marbre lui apparaît dans un rêve, et la charge onirique puissante des dernières séquences du livre le combat contre les forces démoniaques du Grand Forestier, la lutte entre les chiens et les vipères, l'incendie final doit au rêve sa cohérence et sa justification. Plus ou moins mêlé d'éléments de science-fiction, ce trait persiste dans ses autres utopies romanesques Abeilles de verre, Héliopolis, Eumeswil, à côté de récits où domine l'élément autobiographique Jeux africains, Trois chemins d'écolier combiné à la tradition narrative allemande Le Lance-pierres. Jünger n'hésite pas à recourir à la drogue pour briser l'illusion des apparences ainsi dans l'essai Approches ou pour en tirer la matière même du récit Visite à Godenholm. Pourtant, si selon sa propre expression il s'embarque sur des vaisseaux cosmiques pour traverser les empires du rêve, c'est toujours muni d'un matériel que la science a produit.

Le monde hiéroglyphique

Quant à l'art perfectionniste de Jünger, il est aux antipodes de l'écriture automatique. Dans cet âge où il lit le retrait de Dieu – même s'il fait, à la fin de sa vie, les démarches nécessaires en Allemagne pour se déclarer catholique –, la langue reste pour lui l'un des rares moyens d'accéder au sacré : l'univers apparaît comme un miroir, lui aussi fait de signes, de hiéroglyphes à déchiffrer. La foi absolue en une harmonie cachée dont les fragments nous sont livrés sous forme d'une mosaïque éparpillée se traduit par une application minutieuse à la description de l'objet, une vision distanciée mais précise comme celle que procure le microscope ou la longue-vue. Chez ce grand chasseur d'insectes, l'écriture prend parfois un aspect brillant et glacé comme un instrument d'entomologiste, lorsqu'elle n'atteint pas à la précision visionnaire de l'hallucination. Julien Hervier

Å’uvre

Du vivant de l'auteur, ont été publiées successivement deux éditions générales de ses œuvres : la première en dix volumes de 1960 à 1965 chez Ernst Klett titre original : Gesammelte Werke, la seconde en dix-huit volumes de 1978 à 1983 chez Klett-Cotta titre original : Sämtliche Werke. Il ne s'agit pas d'œuvres véritablement complètes dans la mesure où aucun de ses nombreux articles politiques publiés dans des journaux entre 1920 et 1933 n'y figure. Ils ont fait l'objet d'une édition en 2002 par S. O. Berggötz sous le titre Politische Publizistik également chez Klett-Cotta. Ses journaux de guerre en deux tomes – tome I 1914-1918 et tome II 1939-1948 – ont été publiés en février 2008 dans la Bibliothèque de la Pléiade.

Récits et romans

Couverture de l'édition originale de Sur les falaises de marbre 1939.
Orages d'acier In Stahlgewittern - 1920
Le Combat comme expérience intérieure (Der Kampf als inneres Erlebnis - 1922
Lieutenant Sturm Sturm -1923 Postface d'Olivier Aubertin
Le Boqueteau 125, Chronique des combats de tranchée 1918 Das Wäldchen 125, eine Chronik aus den Grabenkämpfen, 1918 -1925
Feu et sang - Bref épisode d'une grande bataille Feuer und Blut. Ein kleiner Ausschnitt aus einer grossen Schlacht -1925
Le CÅ“ur aventureux Das abenteuerliche Herz - 1929
Jeux africains Afrikanische Spiele - 1936
Sur les falaises de marbre Auf den Marmorklippen - 1939
Voyage atlantique Atlantische Fahrt - 1947
Héliopolis Heliopolis - 1949
Visite à Godenholm Besuch auf Godenholm - 1952
Abeilles de verre Gläserne Bienen - 1957
San Pietro 1957
Serpentara 1957
Le Lance-pierres Die Zwille - 1973
Eumeswil Eumeswil - 1977
Le Problème d'Aladin Aladins Problem - 1983
Une dangereuse rencontre Eine gefährliche Begegnung 1985
Trois chemins d'écolier - Tardive vengeance Sp. R. - Drei Schulwege - 2003 — posthume

Essais

Couverture de l'édition originale de Le Combat comme expérience intérieure 1922.
Le Travailleur Der Arbeiter - 1931
Feu et mouvement- 1934
La Paix Der Friede - 1946
Le traité du Rebelle ou le recours aux forêts Der Waldgänger - 1951
Le NÅ“ud Gordien Der Gordische Knoten - 1953
Traité du Sablier Das Sanduhrbuch - 1954
Mantrana Mantrana, Einladung zu einem Spiel - 1958
Le Mur du temps An der Zeitmauer - 1959
L'État universel Der Weltstaat - 1960
Chasses subtiles Subtile Jagden - 1967
Approches, drogues et ivresse Annäherungen, Drogen und Rausch - 1970
Rivarol et autres essais 1974
Le contemplateur solitaire 1975
L'Auteur et l'Écriture Autor und Autorschaft - 1982
Les ciseaux Die Schere - 1990

Journaux

Jardins et routes - pages de journal 1939-1940 trad. fr. Plon 1942
Journal de guerre Strahlungen 1949, trad. fr. René Julliard 1951 et 1953
Sous le signe de Halley, Paris, Gallimard, coll. Du monde entier, 1989.
Soixante-dix s'efface Siebzig verweht 1977
Soixante-dix s’efface, I – Journal 1965-1970 Siebzig verweht
Soixante-dix s’efface, II – Journal 1971-1980 Siebzig verweht II
Soixante-dix s’efface, III – Journal 1981-1985 Siebzig verweht III
Soixante-dix s’efface, IV – Journal 1986-1990 Siebzig verweht IV
Soixante-dix s’efface, V – Journal 1991-1996 Siebzig verweht V - 1997

Correspondance

Ernst Jünger & Martin Heidegger, Correspondance 1949-1975, Christian Bourgois, 2010.

Postérité

Un taxon végétal et une vingtaine de taxons animaux ont été dédiés à Jünger.
Le prix Ernst-Jünger décerné par le land de Bade-Wurtemberg récompense des travaux de recherche en entomologie.
La bourse d'étude Ernst-Jünger destinée aux chercheurs en sciences humaines est octroyée par le land de Bade-Wurtemberg.
Jünger est un des personnages principaux du roman Nocturne du Chili 2002 de l'écrivain hispanophone Roberto Bolaño et figure également dans Les Bienveillantes 2006 de Jonathan Littell.


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Posté le : 28/03/2015 19:39
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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