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Accueil >> newbb >> Autodafé nazi du 10 mai 1933 (2 suite) [Les Forums - Histoire]

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Autodafé nazi du 10 mai 1933 (2 suite)
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Témoignages Erich Kaestner

Erich Kästner fut témoin de l'autodafé de ses propres livres sur la place de l'opéra de Berlin et entendit citer son nom dans la deuxième invocation devant le bûcher.
« Et en l'an 1933 mes livres furent brûlés en grande pompe funèbre sur la place de Berlin, près de l'opéra, par un certain Monsieur Goebbels. Le nom de vingt-quatre écrivains allemands, qui devaient être à jamais symboliquement effacés, furent par lui triomphalement proclamés. J'étais le seul des vingt-quatre qui me fus personnellement déplacé pour assister à cette mise en scène éhontée. Je me trouvais près de l'université, coincé entre des étudiants en uniforme de SA, la fleur de la nation et là je vis nos ouvrages s'envoler vers les flammes étincelantes et j'entendis les tirades prétentieuses du nabot hypocrite et menteur. Un temps d'enterrement régnait sur la ville. La tête d'un buste brisé de Magnus Hirschfeld avait été fichée sur une longue perche qui se balançait de droite et de gauche dans les airs au dessus de la foule muette. C'était écœurant. Soudain, une voix de femme retentit : "Mais c'est Kaestner ! Il est là !" C'était une jeune artiste de cabaret, qui en se faufilant dans la foule avec un collègue et en m'apercevant là n'avait pu retenir cette expression de surprise. Je me sentis extrêmement mal à l'aise ; mais il ne se passa rien et pourtant à cette époque, il s'en passait des choses. Les livres continuaient à voler vers les flammes. Les tirades du nabot hypocrite et menteur résonnaient toujours. Et les visages de la garde brune des étudiants, avec leur jugulaire sous le menton, ne s'étaient pas détournés, ils regardaient toujours en direction des flammes et du petit démon gesticulant et psalmodiant. Au cours des années suivantes, je ne vis plus mes livres en public que les rares fois où je me trouvai à l'étranger. À Copenhague, à Zurich, à Londres. C'est un sentiment extraordinaire que d'être un auteur interdit et de ne plus voir ses livres sur les étagères des bibliothèques et dans les vitrines des librairies. Dans aucune ville de mon pays natal. Pas même dans la ville où j'étais né. Pas même à Noël, lorsque les Allemands courent les rues enneigées à la recherche de cadeaux.

— Erich Kästner, Kennst du das Land, in dem die Kanonen blühen? Connais-tu le pays où fleurissent les canons ? – Auszug aus dem Vorwort „Bei Durchsicht meiner Bücher“
Oskar Maria Graf 1927

Avec un peu de retard Oskar Maria Graf réclama que l'on brûle ses livres lorsqu'il se rendit compte avec horreur que ceux-ci, loin d'être interdits, figuraient sur la liste blanche » des ouvrages recommandés par les nazis. Voici la déclaration qu'il fit paraître en 1933 dans le journal des travailleurs viennois Wiener Arbeiterzeitung :
Comme presque tous les intellectuels de gauche allemands résolument socialistes, j'ai eu l'occasion d'éprouver quelques-uns des bienfaits du nouveau régime : pendant une de mes absences imprévues de Munich, la police fit irruption à mon domicile pour venir m'arrêter. Ils s'emparèrent d'une foule de manuscrits irremplaçables, de notes de recherches réunies à grand peine, tous mes papiers professionnels et une grande partie de ma bibliothèque. Tout ceci attend vraisemblablement le bûcher. J'ai également dû quitter ma maison, mon travail et, pire, ma terre natale pour échapper aux camps de concentration. Mais le plus beau vient de m'être communiqué : d'après le Courrier de la bourse de Berlin, je figure sur la liste blanche des auteurs de la nouvelle Allemagne, et la lecture de tous mes ouvrages, à l'exception du principal, Wir sind Gefangene Nous sommes prisonniers, est recommandée. Je me vois invité à devenir un des thuriféraires du nouvel esprit allemand. En vain me demandé-je : en quoi ai-je mérité une telle infamie ? Le Troisième Reich a presque fini par vider l'ensemble de la littérature allemande de toute signification, a rompu avec la véritable poésie allemande, à contraint à l'exil la majorité des auteurs allemands importants et fait en sorte qu'il soit impossible de publier leurs livres en Allemagne.
Dans leur inconscience, quelques gratte-papiers prétentieux nés de la conjoncture et les détenteurs du pouvoir du moment, avec un vandalisme sans bornes, ont fait tout leur possible pour essayer d'extirper de notre poésie et de notre art tout ce qui avait un peu de valeur et de réduire le concept d'allemand à son acception nationaliste la plus étroite. Un nationalisme au nom duquel le moindre mouvement vers la liberté se voit opprimé, sous l'ordre duquel tous ces hommes intègres que sont mes amis socialistes sont pourchassés, incarcérés, torturés, assassinés ou poussés au désespoir et au suicide. Et les représentants de ce nationalisme barbare qui n'a rien, mais alors rien à voir avec le fait d'être allemand, qui n'a aucune raison d'être tout court, ouvrent le parapluie en faisant semblant de se réclamer de moi comme de l'un de leurs intellectuels et me mettent sur leur soi-disant liste blanche, liste qui devant la conscience internationale ne saurait être autre chose qu'une liste noire ! Je n'ai jamais mérité telle infamie ! Toute mon existence, tous mes écrits me donnent le droit de réclamer que mes livres soient jetés au bûcher et qu'ils ne se retrouvent jamais entre les mains tâchées de sang ou dans les cervelles détraquées des hordes brunes meurtrières. Réduisez en cendres les œuvres de l'esprit allemand ! Cela ne l'empêchera pas de vivre à jamais comme votre ignominie ! J'en appelle à tous les journaux honnêtes pour qu'ils publient ce texte de protestation.
— Oskar Maria Graf
Il faut signaler cependant que dans les villes universitaires parurent des listes d'ouvrages condamnés, par exemple dans le quotidien de Göttingen du 11 mai 1933, où figurait Oskar Maria Graf avec toutes ses œuvres, sauf Wunderbare Menschen Des Hommes admirables et Kalendergechichte Les contes du calendrier.
1948 Bertolt Brecht

Quand le régime ordonnait que les livres au contenu nuisible
Soient brûlés publiquement, et que de toutes parts
On obligeait les bœufs des charretées de livres
A traîner au bûcher, voilà qu'il découvrit
Ce poète pourchassé, un des meilleurs, la liste des
Victimes sous les yeux, horrifié, que ses
Livres avaient été oubliés. Il vola à son bureau
La colère lui donnait des ailes pour écrire aux hommes de pouvoir.
Brûlez-moi ! écrivit-il d'une plume aérienne, brûlez-moi !
Ne me faites pas cela ! Ne m'oubliez pas ! N'ai-je pas
Toujours rapporté la vérité dans mes livres ? Et pourtant
Vous me traitez comme un menteur ! Je vous l'ordonne, brûlez-moi !
Bertolt Brecht : L'autodafé de livres

Discours

Extrait du discours du Dr Joseph Goebbels, responsable de la propagande nazie et Gauleiter de Berlin le 10 mai 1933 sur la place de l'opéra de Berlin. Goebbels signale cette prestation dans son journal de bord du 11 mai :
Tard le soir discours place de l'opéra. Devant les bûchers de livres sales et honteux brûlés par les étudiants. Je suis en pleine forme. Rassemblement géant

— Joseph Goebbels, Journal de bord.
« Le siècle de l'intellectualisme juif poussé à l'extrême est révolu et la révolution allemande à rouvert la voie à l'être allemand. Cette révolution n'est pas venue d'en haut, mais de la base. Elle est donc dans le meilleur sens du terme l'accomplissement de la volonté populaire. … Au cours des 14 dernières années, au cours desquels vous, communauté étudiante, avez dû subir dans un silence honteux l'humiliation de la république de novembre, les bibliothèques se sont remplies des livres ignobles et sales des auteurs juifs de l'asphalte ... Les révolutions qui sont authentiques ne s'arrêtent nulle part. Aucun endroit ne doit être épargné. ...De même qu'elle révolutionne les hommes, elle révolutionne les choses. … C'est pourquoi vous faites bien de choisir cette heure du milieu de la nuit pour confier aux flammes l'anti-esprit du passé. Mais des ruines s'élèvera triomphant le phœnix d'un nouvel esprit, que nous portons en nous, que nous appelons de nos vœux, et auquel nous donnons le poids décisif. … L'ordre ancien gît dans les flammes, l'ordre nouveau s'élèvera des flammes de nos cœurs. Là où nous retrouvons ensemble, là ou nous allons ensemble, c'est là que nous nous engageons pour le Reich et son avenir. Puisque vous vous arrogez le droit, vous autres étudiants, de jeter au brasier ces scories de l'esprit, alors vous devez aussi assumer le devoir d'ouvrir la voie à un esprit allemand véritable qui remplacera ces ordures.
— Joseph Goebbels

Aussi brûle donc, Ô jeunesse universitaire de la nation allemande, aujourd'hui à cette douzième heure de la nuit dans toutes les universités de l'empire, brûle ce que tu n'as certes jamais adoré mais qui est susceptible de te fourvoyer et de te mettre en péril comme nous tous. Quand la nécessité fait loi et que le danger la suit, il faut agir sans trop réfléchir. Si un livre de trop tombe ce soir dans les flammes, c'est moins grave que s'il en manquait un. Tout ce qui est sain se régénère bientôt de soi-même … Nous voulons que notre action ait une portée symbolique. Ce feu est un symbole et doit continuer à agir et rayonner comme une incitation pour tous à faire la même chose. Son influence doit s'étendre du monde étudiant à la société civile. Nous secouons un joug étranger, nous levons un siège. Nous voulons libérer l'esprit allemand assiégé.
— Allocution du germaniste Hans Naumann le 10 mai 1933 sur la place du Marché à Bonn extrait
Les élèves du lycée Bismarck de Dortmund récitèrent en chœur ce discours dit de la torche écrit et mis en scène par leur professeur, Friedhelm Kaiser.
Avez vous reconnu l'ennemi ? Nettoyez la terre allemande ! Avancez avec la torche enflammée !
Reculez avec vos faux prophètes ! Que d'autres les adorent : nous voulons quant à nous les abattre!
Ce que les étrangers nous écrivent, ce que les étrangers nous chantent, ne doit jamais rester parmi nous, nous voulons aujourd'hui l'anéantir!
Ne nous laissons plus ensorceler par leur séduction subversive, ne laissons plus détruire les coutumes et la culture allemandes.
Travaillez, visez haut, restaurez notre bien, l'esprit allemand.
Que les flammes et le feu dévorent l'ancien et le condamnent - mettent au monde le nouveau et le bénissent ; Brûle, flamme, brûle.

Compte-rendus dans la presse

La presse ouvrit bien volontiers ses colonnes aux articles rédigés par les étudiants, et s'étendit avec complaisance sur les autodafés.
Neues Mannheimer Volksblatt La nouvelle gazette populaire de Mannheim du 20 mai 1933 à propos de l'incinération des livres du 19 mai 1933 :
Il fallut presque trois quarts d'heures au dernier arrivant de la marche au flambeaux pour atteindre la pelouse. Il y avait des milliers de gens qui participaient : les étudiants de l'école supérieure de commerce en compagnie des SA, l'école d'ingénieur, le syndicat des enseignants du supérieur et diverses autres associations nationales. Près de huit orchestres accompagnaient la marche. Elle était fermée par une voiture qui transportait les livres condamnés à la destruction et un grand drapeau noir-rouge-or, qui allait être livré aux flammes avec les livres. Dès que la tête du cortège fit son apparition, le feu fut mis à une pile de bois et en quelques instants il s'éleva jusqu'au ciel nocturne en jetant sur la place une lumière si vive qu'elle fit pâlir les petites étoiles qui regardaient vers la terre avec curiosité … Après qu'on eut chanté le Horst-Wessel-Lied, le bûcher flamba sous les livres et les détruisit, eux et l'esprit non allemand dont ils étaient remplis. On s'en retourna ensuite vers la ville au son des orchestres.

Le quotidien du matin de Pforzheim, la Pforzheimer Morgenblatt, datée du 19 juin 1933, évoque en ces termes un autodafé du 17 :
L'incinération des livres fut présentée par un chœur exécuté par un groupe de l'union des jeunes filles allemandes. Au son de la marche d'introduction le feu fut mis au tas de livres et les flammes claires s'élevèrent vers le ciel tandis que les jeunes filles récitaient un autre texte du bûcher. Livre après livre fut jeté dans les flammes, jusqu'à ce que le dernier eut été anéanti par le feu. Têtes nues, les spectateurs qui s'était accumulés au cours de l'événement jusqu'à atteindre plusieurs milliers, entonnèrent le chœur : Nur danket alle Gott. Remerciez simplement tous Dieu. La fête se termina avec Guten Kameraden Le Bon Camarade repris en chœur et un triple hourra pour le chancelier du Reich.

Le quotidien de Iéna Jenaische Zeitung du 28 août 1933 à propos d'un autodafé de livres survenu le 26 août :
À 17 h 30, un cortège formé de la NSBO et de la jeunesse hitlérienne déboucha sur la place du marché. Les drapeaux furent déposés autour de la Fontaine de Bismarck. Un énorme tas de drapeaux et d'ouvrages communistes y avait été dressé et bientôt une flamme immense s'éleva vers les cieux, annihilant les symboles et les productions intellectuelles des anciens maîtres marxistes. Impressionnée par le caractère symbolique de l'action, la foule regardait le spectacle sans un mot. Et lorsque le bûcher fut presque réduit en cendres, les bras se levèrent spontanément et l'hymne national retentit sur la place du marché.

Comme d'autres quotidiens, le Dortmunder General-Anzeiger du 31 mai 193319 reproduisit l'article Deutsch Allemand de Kurt Herwarth Ball, qui avait été le premier publié par le service de presse de la DSt :
Et maintenant nous devons mener à bien une autre entreprise, celle-là même qu'ont entamée les étudiants allemands : le combat contre la sous-humanité des étrangers par le sang. Si nous voulons raviver la flamme de l'esprit allemand et l'empêcher de s'éteindre, alors tendons nos mains avec confiance vers celles qui nous offrent les 12 thèses des étudiants. 12 fois elles répètent cette volonté intransigeante de la jeune génération : Allemand ! 12 fois, l'appel inébranlable, du sang et de la terre : Allemand ! Et cet appel nous vient des étudiants, de cette jeune génération qui a appris à connaître la dure nécessité en travaillant pour payer ses études pendant les années de disette, en prenant les armes pendant les années sans gloire. Resserrons les rangs des allemands, qui se battent là pour l'avenir sur les fronts politique, économique, scientifique et littéraire, dans l'art tout entier, soyons unis, nouveau front qui s'avancera sans faillir et dont le cri de guerre sera ce seul mot : Allemagne !

Le Vossische Zeitung reçut un article de Theodor Heuss qui ne fut pas publié :
Le premier président fédéral allemand, Theodor Heuss, rédigea un article non publié destiné au Vossische Zeitung, où il inscrivait l'autodafé dans la tradition de la fête de la Wartburg, le qualifiant de pas si tragique, sans doute parce que lui-même en avait été victime, trois de ses ouvrages ayant été mis à l'index et incinérés, notamment Hitlers Weg La Voie d'Hitler, publié en 1932. Heuss commentait le fait dans une lettre du 7 mai 1933 : Il se trouve sur cette liste quelques personnes avec lesquelles je ne se sens pas en mauvaise compagnie, mais également des littérateurs juifs déracinés contre lesquels je me suis battu depuis des années et cela me plaît nettement moins d'entrer dans l'Histoire à leurs côtés. Dans cet article, Heuss reliait les autodafés au boycott des juifs du 1er avril, considérant même que le peuple allemand se défendait contre la presse internationale : une campagne de presse rapportant des abominations allemandes et des progromes allemands avec des sacrifices de masse avait été manigancée par les « cercles juifs orientaux et communistes de Londres et de New York.

Réactions

Affiche publiée en 1943 à la demande du United States Office of War Information : Ten years ago, the Nazis burned these books… but free Americans can still read them Il y a dix ans, les nazis ont brûlé ces livres, mais les Américains libres peuvent toujours les lire : Ceci n'était qu'un prélude, là où l'on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes.
Cette phrase de Heinrich Heine, extraite de la tragédie Almansor 1821, devint une triste réalité en Allemagne à partir de 1933. La citation ne fait pas référence, comme on le croit trop souvent, à l'autodafé qui avait eu lieu quatre ans auparavant lors de la fête de la Wartbourg, en 1817, mais à l'incendie du Coran lors d'une insurrection des chevaliers chrétiens à Grenade.
L'autodafé nazi rencontra un vaste écho dans le pays et à l'étranger. En Allemagne, la plupart des journaux accueillirent l'événement avec enthousiasme. Il suscita néanmoins certaines critiques publiques et des actes de résistance isolés. La campagne agressive d'affichage des 12 thèses dans les universités provoqua des protestations ici et là. Le recteur de l'université Humboldt de Berlin, Eduard Kohlrausch, annonça qu'il démissionnerait si l'affiche n'était pas enlevée du hall d'entrée de l'université. L'écrivain Gerhard Schumann, chef régional de la ligue des étudiants nationaux-socialistes du Würtemberg, refusa de participer à l'action contre l'esprit non allemand, et s'en tint à cette position malgré les protestations isolées que des groupes d'étudiants adressèrent à Berlin ; il reçut le soutien du professeur Mergenthaler, chef du gouvernement et ministre de la culture du land. Le théologien Richard Rinke est l'auteur du brouillon d'un texte de protestation signé de son nom dont personne ne sait ce qu'il est devenu. Mais en général les protestations ouvertes et la résistance active restèrent très marginales.

Le 10 mai 1933, à Prague, la une de l’Arbeiter-Illustrierte-Zeitung Le journal illustré des travailleurs publiait le célèbre collage de John Heartfield montrant Joseph Goebbels, le doigt levé devant le palais du Reichstag en flammes, devant un bûcher où brûlaient des livres. La légende disait : Par la lumière aux ténèbres.
Les écrivains en exil et leurs amis se mobilisèrent à l'étranger dès 1933 contre ce qu'Alfred Kantorowicz nomma la date limite de la barbarie. Dès le 27 avril, des protestations se firent entendre aux États-Unis contre le projet d'autodafé. Helen Keller intervint en compagnie d'auteurs connus tels que Sherwood Anderson et Sinclair Lewis en adressant aux étudiants allemands une lettre qui resta sans effet. Le 10 mai eut lieu à New York une manifestation à laquelle participèrent des centaines de milliers de simples citoyens, d'élus, de représentants des communautés religieuses et des institutions. Le maire de New York prononça l'allocution principale. Aux Pays-Bas, le jour de l'autodafé, radio Hilversum diffusa des extraits des livres interdits.

En mai 1933, Ernst Tollner, autre réfugié, prit la parole lors du 11e congrès du PEN club à Dubrovnik pour critiquer l'attitude passive d'un grand nombre de ses membres envers le fascisme et le national-socialisme. Des millions d'hommes n'osent ni parler ni écrire librement dans l'Allemagne actuelle, et quand je prends la parole ici, c'est au nom de ces millions qui sont désormais privés de voix. Le PEN club refusa cependant de prendre une position claire contre les autodafés de livres en Allemagne. Bientôt les écrivains qui avaient été chassés et qui avaient fui l'Allemagne se retrouvèrent dans une nouvelle structure : la section du PEN club des auteurs allemands à l'étranger. Le groupe, formé par Lion Feuchtwanger, Ernst Toller, Rudolf Olden et Max Herrmann-Neiße, avait son siège à Londres et son premier président fut Heinrich Mann.
Des écrivains membres de la section autrichienne du PEN club s'élevèrent contre les persécutions dont étaient victimes leurs collègues allemands ; parmi eux figuraient de futurs exilés volontaires tels Raoul Auernheimer, Franz Theodor Csokor, Ernst Lothar et Friedrich Torberg. Csokor, comme beaucoup d'autres écrivains dépendants du marché allemand, analysait le dilemme en ces termes le 19 mai 1933 : Il suffit de trancher : faire de bonnes affaires ou garder une bonne conscience ? Je suis pour la seconde option ­ en raison des dangers, ne serait-ce que l'exil, qui nous menaceraient si jamais la diablerie brune venait à s'implanter chez nous. Les membres du PEN club viennois germanophiles et nazis claquèrent la porte de l'institution, notamment Max Mell, Richard Billinger, Bruno Brehm ou Josef Weinheber et allèrent fonder la Ligue des auteurs germanophones d'Autriche.
Par la suite, le 10 mai fut promu Journée des autodafés de livres et donna lieu à des rencontres annuelles d'auteurs en exil d'abord à Paris, mais aussi à Londres, Mexico, Moscou, New York et Prague. Le dixième anniversaire des autodafés fut célébré de façon particulièrement notable aux États-Unis. Une exposition de livres interdits fut inaugurée dès décembre 1942 dans la bibliothèque municipale de New York, des dizaines d'autres événements, commémorations, conférences et exposés contribuèrent à faire largement connaître les œuvres interdites par les nazis.
Dans une allocution radiodiffusée par la BBC, Thomas Mann notait que le dixième anniversaire du 10 mai avait donné lieu à des manifestations véritablement émouvantes » et « profondément humiliantes pour les Allemands en exil.
Peter Suhrkamp prit la parole en 1947 sur la place de l'opéra de Berlin : Les flammes qui crépitèrent d'abord sur les bûchers de livres se transformèrent en un orage de feu qui plus tard engloutit nos villes, les habitations et les hommes eux-mêmes. Ce n'est pas seulement le jour des autodafés qui doit survivre dans la mémoire, mais tout cet enchaînement qui mène du feu de joie sur cette place aux incendies des synagogues et enfin au feu du ciel descendu sur nos villes.

La République démocratique d'Allemagne décréta une journée du livre libre célébrée le 10 mai.

Monuments

Une plaque de verre fixée dans du plâtre sur la place Bebel, près de l'opéra de Berlin, évoque la mémoire du 10 mai 1933. Elle sert de fenêtre à travers laquelle on aperçoit le monument à la mémoire de l'autodafé, une bibliothèque aux étagères vides, œuvre de l'artiste israélien Micha Ullman. Deux plaques de bronze fixées au sol évoquent encore l'événement, citant l'extrait d'Almansor de Heinrich Heine, de façon malheureusement infidèle.
Dans plusieurs villes allemandes des plaques commémoratives évoquent l'autodafé : à Göttingen, une telle plaque se trouve dans la Albanikirchhof, anciennement place Adolphe-Hitler, et porte la citation de Heine ; sur la Römerberg, à Francfort, entre l'église Nikolai et la fontaine de la Justice, une autre plaque de bronze évoque la mémoire de l'autodafé. Dans le quartier de Eimsbüttel, à Hambourg, on rencontre un monument en plein air à la mémoire de l'autodafé près du canal Isebek, au coin du quai de l'Empereur-Frédéric et de la rue Heymann. À Landau, la plaque se trouve sur la place de la Mairie, à Essen sur la place Gerling. Brême, Düsseldorf, Erlangen et Cologne ont également leur plaque commémorative.
À Munich il n'existe encore aucun monument commémoratif de l’autodafé sur la place du Roi. Le plasticien Wolfram Kastner a plusieurs fois mis le feu à la pelouse pour dessiner un cercle de cendres noires à l'endroit où l'autodafé s'était déroulé. Il milite également pour la construction d'un centre de documentation sur le national-socialisme qui devrait se trouver sur la place Royale et où seraient recueillis les restes des ouvrages détruits. Kastner a mené d'autres actions commémoratives des autodafés dans diverses villes, telles que Salzbourg, Francfort, Cassel et Heidelberg, sous le titre La trace des livres.
Lors de la réfection de la place de la Résidence, à Salzbourg, on envisagea un moment de créer sur l'aire de stationnement un monument qui pérenniserait la mémoire du seul autodafé à s'être déroulé sur le sol autrichien. Le maire socialiste, Heinz Schaden, considérant lui qu'une plaque commémorative serait suffisante, on tomba d'accord sur un compromis en rajoutant le projet d'un monument dans le cahier des charges de l'appel d'offres. Le projet des architectes lauréats Rieder et Knittel prévoyait un monument mobile, qui devait se transformer la nuit en une sculpture de lumière animée par ordinateur. Le projet ne vit jamais le jour ; en 2009 il fut de nouveau réclamé par une initiative citoyenne.

La bibliothèque allemande de la liberté

Le 10 mai 1934, à l'occasion du premier anniversaire des autodafés, l'écrivain Alfred Kantorowicz et ses collègues de l'union de défense des auteurs allemands à Paris fondèrent une bibliothèque des livres brûlés qui fut inaugurée par Alfred Kerr et Egon Kisch. Tous les ouvrages mis à l'index et brûlés en Allemagne furent rassemblés à la Cité fleurie de Paris24 grâce aux contributions de réfugiés du monde entier. Dès le 10 mai 1934, la bibliothèque possédait plus de onze mille volumes. La collection fut détruite sous l'occupation allemande et il n'existe plus aujourd'hui de collection complète des ouvrages interdits .
À la fin de la guerre, Kantorowicz et Drews publièrent une anthologie à la mémoire de cette bibliothèque, anthologie intitulée Interdits et brûlés ; ils notaient dans la préface qu'il ne s'agissait pas d'actes spontanés commis par une foule ignorante, mais d'une entreprise mûrement réfléchie et soigneusement organisée au nom de la raison d'état national-socialiste. De même que l'incendie du Reichstag le 28 février 1933 allumait le phare de la terreur contre les opposants au fascisme, que le boycott des juifs le 1er avril 1933 constituait le premier acte des pogroms, que la dissolution et le pillage des syndicats le 2 mai 1933 sonnait la déclaration de l'oppression de la société, de même les autodafés du 10 mai 1933 furent-ils les prémisses visibles de l'aliénation et du retour à la barbarie de l'Allemagne, avec l'aide de l'administration et le recours à des méthodes terroristes.

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Posté le : 09/05/2015 15:21
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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