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André Malraux 1
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Le 3 Novembre 1901 naît André Malraux écrivain, aventurier, homme politique

et intellectuel français. Homme politique, mémorialiste, historien de l'art, théoricien de la

littérature, essentiellement autodidacte et tenté par l'aventure Il meurt le 23 novembre 1976

à Créteil Val-de-Marne,


Entré au Panthéon en 1996, Malraux n'a jamais passé son baccalauréat, ni étudié l'archéologie ou les langues orientales, contrairement à la légende.
Homme politique, mémorialiste, historien de l'art, théoricien de la littérature, le dernier Malraux aura subverti et détourné chaque rôle, transformé chaque genre, inventé chaque fois une forme qui lui fût propre.
Aussi, de son vivant même, en est-il venu à un point extrême de solitude : on ne voit pas qu'il influence la littérature vivante à l'exception de Régis Debray et de Conrad Detrez ni la jeunesse. Peu de numéros spéciaux de revue, peu de colloques qui lui soient consacrés ; les intellectuels de gauche, qui lui doivent beaucoup, mais qu'il a dédaignés, l'entourent de silence ou lui vouent un ressentiment haineux, les pages de Simone de Beauvoir, dans Tout compte fait, sont particulièrement symptomatiques.
Peut-être Malraux s'éloigne-t-il, par sa grandeur même.
Mais, par un curieux retour des choses, lui qui a si souvent écarté le misérable petit tas de secrets que chaque homme cache, lui qui a tant brouillé les cartes pour empêcher toute enquête, se trouve au centre d'un réseau d'investigations et de témoignages.
Il a inspiré à Jean Lacouture le chef-d'œuvre du genre biographique, modèle de compréhension et de démythification.
Les Mémoires de Clara Malraux, sa première femme, comme la chronique de son second mariage, intitulée Le Cœur battant, révèlent l'homme privé dans sa vulnérabilité ; les témoignages des camarades de la guerre d'Espagne, des combattants de la brigade Alsace-Lorraine ou des compagnons du gaullisme se sont multipliés.
Le dernier livre d'Emmanuel Berl, Interrogatoire 1978, comme les Mémoires de Raymond Aron 1983 resituent Malraux dans la perspective d'une fraternité intellectuelle. On retiendra surtout les souvenirs d'Alain Malraux, son neveu, qui, dans Les Marronniers de Boulogne, a donné du Malraux des dernières années une image à la fois critique et chaleureuse. Le héros n'est nullement rabaissé par l'entreprise biographique : il s'humanise et se rapproche de nous.

En Bref

À 18 ans, il collabore au lancement d'une revue, la Connaissance, où paraît son premier article "Les origines de la poésie cubiste"1920.
Après divers textes, parus dans Action, il publie Lunes en papier en 1921.
Deux ans plus tard, ruiné par des placements boursiers, il part pour la forêt cambodgienne afin d'y retrouver un temple désaffecté, d'en ôter quelques bas-reliefs et de les revendre à des collectionneurs : arrêté à Phnom-Penh, il est condamné à trois ans de prison, avant d'obtenir un sursis et de rentrer en France en décembre 1924.
En février, il est de retour en Indochine : le temps passé à Saigon lui a révélé les abus du régime colonial et il est décidé à les combattre, d'abord par la fondation d'un journal qui défendra les intérêts des indigènes.
L'entreprise est de courte durée : victime des représailles économiques, Malraux repart en décembre 1925.
Le séjour, qui s'achève sur un échec, a néanmoins été capital dans la formation du jeune homme, qui a découvert l'Asie et a pris conscience de la réalité des problèmes sociaux.
Revenu à Paris, Malraux bénéficie d'une notoriété croissante, due au bruit persistant de sa participation très douteuse à la révolution chinoise. Il fréquente le cercle de la Nouvelle Revue française et se lie avec Gide, Groethuysen et Drieu La Rochelle
Malraux assiste à la faillite du rationalisme positiviste, qui échoue à penser la mutation considérable des conditions techniques de travail et des systèmes de représentation au début du XXe s.
En même temps s'amorce un changement radical du statut de l'artiste, de l'homme de lettres : il lui devient difficile de se penser hors la société, hors l'histoire, de ne pas être touché par les grands affrontements politiques et idéologiques, par le problème essentiel du XXe s. : capitalisme ou socialisme ?
Malraux, dilettante et amateur d'art, prend conscience de ce niveau de réalité politique en Indochine, face au problème de libération nationale.
Il y défend alors la cause des indigènes, injustement traités par une administration corrompue et possédant tous les pouvoirs, exploitant leur travail pour le profit de quelques-uns. C'est là, dans le journal qu'il publie, que Malraux développe des idées de communauté culturelle, définissant l'Indochine comme journal de rapprochement franco-anamite.
Mais il s'attaque ainsi à des effets sans en dénoncer la cause. Cette expérience historique comme les échos tout proches des mouvements révolutionnaires chinois rendent évidente l'impossibilité d'une vie sans inscription dans l'histoire, quelles que soient les amertumes de l'existence.
Qu'est-ce que la condition humaine ?

Sa vie

Georges André Malraux, né le 3 novembre 1901 à Paris 18e est le fils aîné de Fernand Georges Malraux, employé de commerce, originaire de Dunkerque, et de Berthe Félicie Lamy, originaire de la région parisienne.
Il a un frère cadet, Raymond-Fernand, mort à trois mois.
En 1905, les parents de Malraux se séparent, créant un choc dans sa vie. Son père aura d'un second mariage deux autres fils : Roland Malraux et Claude Malraux.
Il passe ainsi son enfance avec sa mère, sa grand-mère et une tante épicière au 16 rue de la Gare à Bondy dont il ne gardera pas de bons souvenirs.
Il a 8 ans lorsque son grand-père Emile-Alphonse dit Alphonse né le 14 juillet 1832 meurt, en 1909.
Contrairement à ce que Malraux laissera souvent entendre, il semble qu'il ne s'agit pas d'un suicide.
Dès l'enfance, André est atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, de tics, dont il souffrira toute sa vie.
À 14 ans le jeune Malraux, entre à l'école supérieure de la rue Turbigo, futur lycée Turgot, période durant laquelle il fréquente déjà assidûment les bouquinistes, les salles de cinéma, de théâtre, d'expositions, de concerts, etc.
Ainsi commence sa passion pour la littérature contemporaine.
En 1918, il n'est pas admis au lycée Condorcet et abandonne ses études secondaires, il n'obtiendra jamais son baccalauréat, ce qui ne l'éloignera pas de la littérature.
Il travaille en 1919, pour le libraire-éditeur René Louis Doyon, c'est ainsi qu'il fait la connaissance de Max Jacob.
Doyon fonde en 1920 sa revue : La Connaissance et ouvre ses colonnes à Malraux. Il fréquente les milieux artistiques de la capitale et publie ses premiers textes dès 1920 : petits essais de théorie littéraire, comptes rendus critiques et premières proses.
Les œuvres de cette époque appartiennent au genre farfelu - c'est Malraux qui ressuscite le terme -, proses poétiques influencées par l'expressionnisme allemand et la poésie cubiste d'Apollinaire ou de Max Jacob.
C'est aussi l'époque où il joue au Père Ubu et lit Alfred Jarry. Il s'en souviendra après 1948, en adhérant au Collège de Pataphysique.
Il se marie le 26 octobre 1921 à Clara Goldschmidt et divorce le 9 juillet 1947 ; puis se remarie à Riquewihr Haut Rhin le 13 mars 1948 avec Marie-Madeleine Lioux, est André Malraux gagne l'Indochine où il participe à un journal anticolonialiste et est emprisonné en 1923-1924 pour trafic d'antiquités khmères.
Revenu en France, il transpose cette aventure dans son roman La Voie royale publié en 1930 et gagne la célébrité avec la parution en 1933 de La Condition humaine, un roman d'aventure et d'engagement qui s'inspire des soubresauts révolutionnaires de la Chine et obtient le Prix Goncourt.
Militant antifasciste, André Malraux combat en 1936-1937 aux côtés des Républicains espagnols.
Son engagement le conduit à écrire son roman L'Espoir, publié en décembre 1937, et à en tourner une adaptation filmée Espoir, sierra de Teruel en 1938. Il rejoint la Résistance en mars 1944 et participe aux combats lors de la Libération de la France.
Après la guerre, il s’attache à la personne du général de Gaulle, joue un rôle politique au RPF, et devient, après le retour au pouvoir du général de Gaulle, ministre de la Culture de 1959 à 1969.
Il écrit alors de nombreux ouvrages sur l'art comme Le Musée imaginaire ou Les Voix du silence 1951 et prononce des oraisons funèbres mémorables comme lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964.

En 1996, pour le 20e anniversaire de sa mort survenue le 23 novembre 1976, ce sont les cendres de Malraux qui sont à leur tour transférées au Panthéon.

L'écrivain

Depuis sa mort, il n'est guère possible de traiter d'André Malraux sur le ton mesuré qui convient. Peu d'hommes auront été tour à tour aimés ou détestés avec tant de passion. L'heure de la synthèse posthume, de la dernière métamorphose n'est pas encore venue.
Pour une part, Malraux est entré dans ce purgatoire – dans ces limbes, aurait-il dit – qui guettent à leur mort les grands écrivains d'une génération pour laquelle rien n'était plus grand que le grand écrivain.
Comme Drieu la Rochelle, son quasi-jumeau, comme Montherlant, Aragon, Morand, ses illustres contemporains, Malraux s'éloigne peu à peu de l'actualité et de la modernité. Le silence et l'oubli n'épargnent pas celui qui tint pendant cinquante ans le devant de la scène, donnant au siècle sa légende.
Peut-être est-il trop tôt pour considérer seulement Malraux comme l'auteur de trois ensembles organisés de textes : les romans, tels qu'il les a choisis et limités pour la Bibliothèque de la Pléiade, tous écrits entre 1928 et 1937 ; l'ensemble des écrits sur l'art, que dominent Les Voix du silence 1951 et La Métamorphose des dieux 1957-1976 ; Le Miroir des limbes, réunissant les textes du mémorialiste, miroir d'une histoire et de l'Histoire. Restent toutes les traces d'une activité fébrile : préfaces, allocutions, écrits de circonstances, entretiens innombrables qui avaient le secret de donner du talent à l'interlocuteur. La postérité ne s'est pas souciée de les réunir pour donner à voir, pièces en main, l'itinéraire du plus fascinant personnage de la littérature contemporaine, au dire de Jean-Luc Godard 1958.

Une vie dans le siècle, selon le sous-titre de la meilleure biographie qui lui ait été consacrée, mais sans doute plus d'une : Jean Lacouture a esquissé les vies successives ou parallèles de Malraux ; il a aussi mesuré la part d'ombre que son héros oppose à l'enquête biographique.
On ne sait autant dire rien de l'enfance, des relations avec la famille, des choix amoureux, de la profondeur des amitiés, du secret des métamorphoses.
Or l'œuvre de Malraux, par un paradoxe qui lui est inhérent, tend toujours à imposer une image héroïque et historique de son auteur.
Le critique ne parvient guère à démêler le fictif et le biographique de cette image ; tantôt il crie à l'imposture et à la mythomanie, tantôt il reconnaît l'un des plus brillants hommes d'action de son temps, celui des engagements fiévreux, brefs, efficaces.

Le romancier d'avant guerre : un héros de son temps 1920-1939
Le Malraux d'avant guerre ne s'est pas trouvé d'emblée. Seuls les spécialistes de l'œuvre s'intéresseront aux Lunes en papier 1921, écrit dans la mouvance de Max Jacob, ou même au Royaume farfelu 1928, plus tardif, dont le titre indique ce qui sera une constante, mais mineure, dans le reste de l'œuvre.
Malraux va multiplier durant ces années de jeunesse des expériences assez diversifiées : animateur ou conseiller de revue d'art, technicien de l'édition, bibliophile averti, spéculateur malheureux.
Un premier séjour en Indochine, en 1923, au cours duquel il se croit habilité à découper des bas-reliefs du temple de Banteai-Srey, se termine par une condamnation à trois ans de prison ferme, peine réduite en appel, puis sans doute annulée en cassation.
Un second séjour, en 1925, le voit animer avec feu un journal, "L'Indochine" plus tard "L'Indochine enchaînée", qui proteste contre les injustices de l'empire français : cette aventure indochinoise met au premier plan un militant anticolonialiste qui tente d'organiser, en marge de son journal, le mouvement Jeune-Annam.
De retour d'Asie, il compose un essai à deux voix, La Tentation de l'Occident 1926, qui esquisse le dialogue de deux cultures, celle de la Chine qu'il substitue à l'Indochine et celle de la France : ce n'est pas encore le vrai Malraux qui écrit ici, mais déjà, avec de beaux accents, un émule de Barrès, Suarès et Claudel.
Le jeune écrivain s'intègre au groupe de la Nouvelle Revue française, qui exerce alors un pouvoir sans égal sur la vie intellectuelle. Jamais Malraux n'a tant brillé, fulguré, rayonné qu'à l'intérieur de ce groupe presque fabuleux, où il éblouit Valéry et Gide, ses aînés, séduit Drieu la Rochelle et Emmanuel Berl, impressionne Maurice Sachs, qui fera de lui dans Le Sabbat un portrait remarquable ; aux Décades de Pontigny, excroissance de la revue, les improvisations encyclopédiques de ce jeune intellectuel font sensation : on en trouvera les traces dans Les Cahiers de la petite dame, Mme Théo van Rysselberghe.
Avant même d'avoir donné ses chefs-d'œuvre, Malraux aura été l'étoile d'une revue qui connaît alors son âge d'or.
Durant les années trente, il restera un animateur de la N.R.F. pour les éditions d'art, la littérature anglo-saxonne et l'histoire littéraire.
Un certain culte de l'art, de la littérature et de l'intelligence critique ainsi qu'une grande compétence dans la fabrication de livres resteront chez lui les traits les plus profonds.

Avant tout écrivain, à partir du succès des Conquérants en 1928, Malraux saura se donner une stature spectaculaire de militant, par plusieurs interventions qui mêlent au savoir-faire le faire-savoir : avec André Gide, il va à Berlin réclamer la libération de Dimitrov, emprisonné par les nazis ; à Moscou, il s'adresse aux écrivains soviétiques ; à Paris, il anime déjà des groupes d'intellectuels antifascistes.
En 1935, il est le plus ardent des compagnons de route du Parti communiste, sans qu'on puisse trouver chez lui une véritable adhésion au marxisme, ni a fortiori une approbation du stalinisme. Mais voici que le tribun fébrile de la Mutualité devient en juillet 1936 un combattant et un chef militaire : il va pendant sept mois organiser l'escadrille España, participer aux combats aériens avec un courage incontesté, permettre aux républicains espagnols d'attendre l'arrivée des brigades internationales.
Le héros intellectuel est devenu homme de guerre, et il prolongera son effort pour les républicains espagnols par la propagande, les conférences, le cinéma.
La victoire finale de Franco n'ôte pas à l'intervention des volontaires français dans la guerre d'Espagne son caractère emblématique. Avant même que la guerre mondiale n'éclate, Malraux a su la vivre et la comprendre.

On peut dire que c'est la vie réelle de Malraux qui est venue, après coup, authentifier ses romans.
L'auteur des Conquérants donnait à croire qu'il avait eu un rôle considérable dans les événements de Canton, comme agent du Guomindang, à tel point qu'un homme aussi averti que Trotski lui reprochera plus tard d'avoir été l'un des "étrangleurs de la révolution chinoise" en 1925-1926.
Drieu la Rochelle, émerveillé par ces mêmes Conquérants, estime que les péripéties témoignent d'un "transfert direct de la réalité dans le récit".
Tous les contemporains ont cru à la réalité de l'expérience révolutionnaire chinoise de Malraux, que les biographes d'aujourd'hui excluent et dans laquelle on ne peut voir que la transposition ou la fabulation de l'expérience indochinoise, beaucoup plus limitée. Tentons de caractériser brièvement, dans leur succession, les romans de Malraux, non sans souligner qu'aucun de ces récits hormis le moins romanesque, L'Espoir n'a été sous-titré roman, jusqu'à la publication d'un volume de romans dans La Pléiade de 1947.

Les Conquérants décrivent la grève insurrectionnelle de 1925 à Canton, et la victoire provisoire du Guomindang et du Komintern, encore alliés, avec de nombreuses références à des personnages réels de la révolution chinoise.
Le récit est mené à la première personne par un narrateur anonyme, délégué du Guomindang, qui débarque en Indochine, puis en Chine : la forme du reportage est ainsi simulée, en même temps que le récit s'atomise en un montage de messages radio, de télégrammes, de rapports de police, d'interrogatoires.
Le lecteur est ainsi conduit à identifier Malraux en ce narrateur "homo-diégétique", dirait-on aujourd'hui, à prêter au protagoniste Garine, rival du bien réel Borodine, une existence tout aussi réelle, à lire au pied de la lettre ce récit aussi révolutionnaire dans son histoire que dans sa narration fragmentée.
À plus lointaine distance de la révolution, mais dans un contexte de guerre civile, La Voie royale 1930 présente une sorte de voyage au bout de la nuit dans la jungle du Cambodge : bien que le récit ait été inspiré par la modeste entreprise archéologique de Malraux lui-même, le merveilleux romanesque du roman d'aventure y est beaucoup plus sensible ; l'érotisme, l'exotisme et la cruauté relèvent d'une forme plus classique qui pourrait être issue de Joseph Conrad.
Ce récit paraît bien en retrait par rapport aux Conquérants, même si l'on retrouve le génie de l'ellipse, de l'allusion, de l'instantané, ainsi que les aveux les plus nets sur les relations du sexe et de la mort dans cet univers imaginaire. La veine révolutionnaire des Conquérants va, au contraire, resurgir dans La Condition humaine 1933, qui s'impose dans le roman français comme un sommet difficile à égaler Sartre et Camus s'y emploieront en vain dans les années quarante.

La Condition humaine, comme plus tard L'Espoir, illustre sans doute la ferveur révolutionnaire et littéraire des années trente qui l'ont vu naître.
Il s'agit cette fois non plus de l'intervention d'agitateurs européens à Canton, mais des héros, chinois pour la plupart, de l'insurrection de Shanghai en 1927. Cette insurrection est d'emblée vouée à la défaite, puisque les insurgés ont reçu l'ordre de leur comité central de se laisser désarmer par Tchiang Kaï-chek qui veut, quant à lui, se débarrasser une fois pour toutes des communistes, rompant l'alliance du Guomindang et du Komintern.
Abandonnant le recours facile à un narrateur européen homodiégétique, le découpage propose, dans leur diversité, les situations vécues des révolutionnaires et de leurs adversaires.
Loin d'utiliser la Chine comme un décor, Malraux opère une sorte de décentrement vers les lieux étrangers où se joue effectivement le destin du monde.
Le tour de force du romancier se marque dans le fait que ses héros chinois sonnent aujourd'hui plus vrai que ses hommes d'affaires français, et aussi dans la conviction qu'a le lecteur d'assister à un reportage qui serait en même temps un démontage de la révolution et de la répression.
Si Malraux prend ici nettement le parti des communistes chinois, il ne s'imprègne que très légèrement de marxisme : les valeurs de La Condition humaine sont celles de Pascal, Nietzsche, Dostoïevski ; l'esthétique, celle d'une tragédie multiple aux destins croisés ou parallèles, avec des ruptures constantes, une esthétique de la discontinuité, jouant sur les dialogues, la narration des actions, les descriptions figées en forme de tableaux chinois. Un style romanesque naît, qui semble inspiré du cinéma, mais qu'aucun cinéma existant ne saurait inspirer ; la figure du romancier, absente, est sans doute mise en abîme dans la figure de la mythomanie incarnée par Clappique.
Cependant, jamais Malraux n'a été plus proche de Pascal, ne serait-ce que dans le génie du fragment et du raccourci, dans le dessin des figures de la vision tragique : le terrorisme de Tchen, la contemplation opiomane de Gisors, le meurtre de compensation chez Hemmelrich, la communion du martyr chez Katow, l'intelligence de la fraternité chez Kyo, autant d'attitudes de "témoins qui se font égorger", surmontant une humiliation fondamentale dans la recherche d'un absolu.
Comme l'écrira plus tard Malraux :
"L'absolu est la dernière instance de l'homme tragique, la seule efficace parce qu'elle seule peut brûler – fût-ce avec l'homme tout entier – le plus profond sentiment de dépendance, le remords d'être soi-même."

Dans la narration polyphonique de l'événement révolutionnaire, Malraux n'a guère de prédécesseurs hormis le Vallès de L'Insurgé ; il n'aura pas non plus de successeur. En fait, réalisant un accord parfait entre tradition et modernité, il fait éclater le cadre du roman pour lui donner une triple dimension : politique, métaphysique, éthique non sans présenter le seul couple, déchiré, mais bouleversant, de son œuvre romanesque.
Le roman de la révolution concilie les vertus de la révolution avec les vertus classiques.
L'impression de lecture d'André Gide, en 1933, reste aujourd'hui la nôtre :
"[...] à le relire d'un trait, parfaitement clair, ordonné dans la confusion, d'une intelligence admirable, et, malgré cela, profondément enfoncé dans la vie, engagé et pantelant d'une angoisse parfois insoutenable ".
Le lecteur oublie ici jusqu'au statut fictif du roman, ce qui marque, en un autre sens, le triomphe du romancier.

Le Temps du mépris (1935) est qualifié par son auteur, dans la préface, de nouvelle et non point de roman ; mais un roman manqué n'a jamais fait une bonne nouvelle. Malgré des intentions exemplaires (il s'agit de dénoncer le système répressif du régime nazi) et des scènes fortes, malgré une préface qui exprime au mieux l'humanisme révolutionnaire, le récit pourrait être pris pour un pastiche de Malraux. Son auteur en a d'ailleurs interdit la réédition de son vivant, tout en en monnayant quelques pages dans ses Antimémoires. À ce livre, qu'il a qualifié de « navet », il a retiré jusqu'à l'existence. Ainsi a disparu le témoignage le plus net d'une solidarité fraternelle avec les militants communistes, quand ils figurent parmi les traqués.

D'un chef-d'œuvre à l'autre, au prix d'un faux-pas : s'il fallait choisir un seul roman de Malraux, L'Espoir 1937 rivaliserait avec La Condition humaine.
Ce n'est plus ici le triomphe de l'illusion biographique qui crédite l'auteur de ce qu'il narre, mais la conjonction miraculeuse d'une action guerrière et d'une relation presque immédiate.
Montherlant salue "ce livre qui, parmi tous les livres parus depuis vingt ans, est celui qu'on voudrait le plus avoir vécu et avoir écrit".
S'agit-il bien d'un roman ? À la différence des livres précédents le sous-titre figure ici, mais la composition, qui n'a pas la rigueur de celle de La Condition humaine, semble épouser les tumultes de la guerre d'Espagne dans ses commencements, comme si le récit sortait tout armé, tout sanglant des combats.
Les personnages innombrables sont, certes, tous fictifs, mais leur fiction se réduit peut-être à un prête-nom. Ils représentent des situations concrètes ou possibles vis-à-vis de la révolution et du fascisme : privés de toute biographie, de tout passé, face à la mort, ils retrouvent cette vie fondamentale qui obsède le récit : " [...] ce qu'il appelait idiotie ou animalité ; c'est-à-dire la vie fondamentale : douleur, amour, humiliation, innocence".
Dans un vaste tableau éclaté, dans un montage de scènes et de dialogues, c'est la naissance d'une armée révolutionnaire, depuis l'illusion lyrique à réfréner, le désir d'apocalypse à maîtriser, jusqu'au rassemblement animé par l'espoir, la volonté, la fraternité réfléchie. Rien de moins romantique que cette recherche obsessionnelle du sérieux, de l'efficacité, de la compétence technique.
L'auteur parle en organisateur d'une victoire – qui n'aura pas lieu – et non en peintre d'une défaite héroïque. Dans la narration des combats, marqués par les nouvelles technologies de la guerre, Malraux égale ou surpasse les meilleurs romanciers américains, tels Dashiell Hammett ou Ernest Hemingway ; quant aux dialogues de ces combattants anonymes, ils posent, dans des termes concis et vigoureux, l'essentiel du débat qui va être celui des années à venir. Malraux met en lumière à la fois la diversité des antifascismes et la nécessité de leur union : il s'est rapproché plus encore des communistes, n'évoque guère les trotskistes, traite d'un peu haut les anarchistes, les dissidents, les exclus.
À la différence des livres précédents, la perspective de l'ennemi – fasciste ou franquiste – n'est pour ainsi dire pas évoquée : cette littérature de guerre en temps de guerre ne s'autorise ni paix ni répit, à peine le passage furtif d'une femme en six cents pages de bruit et de fureur. Jamais Malraux n'a été plus tendu vers l'idée de victoire, dans ce livre que, lecteurs anachroniques, nous lisons comme l'épopée d'une défaite : « Manuel, sa branche de pin sous le nez, regardait les lignes brouillées de ceux d'Aranjuez et des hommes de Pepe, comme s'il eût vu avancer sa première victoire, encore gluante de boue, dans la pluie monotone et sans fin. »

L'Espoir allait devenir le livre emblématique du « sang de gauche », selon le titre d'une de ses parties. À l'inverse, le film Espoir, primitivement intitulé Sierra de Teruel, tourné dans des conditions épouvantables, en partie inachevé, jamais distribué de manière normale, interdit par la censure française en 1939, reste un grand film maudit.
Il est sans exemple qu'un écrivain ait trouvé d'emblée le sens du récit cinématographique et prodigué un génie plastique et dramatique aussi évident. Unique réalisation d'André Malraux au cinéma, Espoir devait lui inspirer son Esquisse de la psychologie du cinéma 1939, et suffit à faire de Malraux un grand cinéaste, à la manière de Jean Cocteau. Qu'il se serve d'un stylo ou d'une caméra, d'un tank ou d'un bombardier, le Malraux de ce temps, homme pressé, ignore la lenteur des apprentissages. Au sommet de son mythe, il est bien l'écrivain et l'artiste d'une gauche presque rassemblée.

Le Gaulliste, ministre, homme de l'art, mémorialiste 1939-1969

La biographie de Malraux n'est pas sans une part d'obscurité : on lui prêtait une campagne brillante dans les chars, en 1940, au vu du récit des Noyers de l'Altenburg 1943, repris dans les Antimémoires 1967 : le sort du soldat Malraux fut plus modeste et plus commun dans la débâcle générale. De 1940 à 1944, il se retire dans le midi de la France, et se consacre à des travaux littéraires qui ne verront pas tous le jour.
Il ne s'engagera dans la Résistance qu'en mars 1944, dans une organisation qui relève des services anglais... mais en quelques semaines le voici qui devient, sous le nom de colonel Berger, le fédérateur des maquis de Corrèze : arrêté par la Gestapo, libéré par les résistants, il organise et commande la brigade Alsace-Lorraine, qui se couvre de gloire militaire en 1944-1945. Cette fois, Berger-Malraux connaît enfin cette victoire que L'Espoir postulait vainement.

On ne sait précisément quand et comment s'opéra la rupture de l'auteur de L'Espoir avec les communistes : elle est déjà consommée quand il rencontre le général de Gaulle en 1945, devient son porte-parole, puis son ministre de l'Information : une sorte de pacte s'est noué entre le chef du gouvernement de la République et l'ancien révolutionnaire.
Il va quitter, en même temps que lui, le gouvernement en 1946, va fonder avec lui le R.P.F. dont il sera le délégué à la propagande et le tribun le plus inspiré, va faire comme lui sa traversée du désert.
La mutation politique de Malraux, pour prendre un signe parmi d'autres, lui fait confier à l'écrivain le plus opiniâtrement contre-révolutionnaire qu'on puisse rêver, Thierry Maulnier, l'adaptation théâtrale de La Condition humaine, que naguère Eisenstein avait voulu porter à l'écran.
Quand le général de Gaulle revient au pouvoir en 1958, Malraux figure au gouvernement comme ministre délégué et porte-parole. Il ne s'impose pas tout à fait dans cette fonction, et devient, dix ans durant, le ministre des Affaires culturelles, apportant sans doute au gouvernement son verbe et son inspiration, mais n'y trouvant pas la réalité du pouvoir politique dont il rêvait.
Ambassadeur itinérant du général de Gaulle auprès des grands de ce monde, il aura, lui aussi, à subir la révolte étudiante de 1968, dont il donnera d'ailleurs, à chaud, une analyse remarquable. En 1969 comme en 1946, il renonce à ses fonctions dès le départ du Général.
Si la carrière politique de Malraux manifeste une remarquable fidélité depuis 1945, elle reste celle d'un brillant, d'un éclatant second, dont on mesure mal toutefois l'influence sur le chef de l'État. Les fervents du premier Malraux ne l'ont guère suivi dans cette voie, tandis que les notables et militants gaullistes ont souvent été déconcertés par le style de leur grand chaman : mais le ministre de la Culture a sans doute illustré la part la plus généreuse de la Ve République du général de Gaulle.

À la continuité du choix politique correspond, durant cette période, une certaine hésitation dans l'évolution de l'écrivain.
En 1947, il publie dans la Bibliothèque de la Pléiade un volume de romans : il en écarte La Voie royale, qu'il repêchera vingt ans plus tard, Le Temps du mépris, et surtout Les Noyers de l'Altenburg en 1943.
Ce livre sera en 1948 réservé à la curiosité des bibliophiles par la volonté de son auteur, et n'a plus jamais été réédité. On est tenté de défendre ce dernier roman contre son auteur, qui l'a condamné à l'oubli pour des raisons peu claires.
Ce livre, certes hâtif et imparfait, invente une forme ouverte, intégrant le colloque intellectuel, le roman politique, le récit de guerre : c'est l'histoire, sur trois générations, d'une famille alsacienne, les Berger, où se jouent les drames du XXe siècle : indépendance de la Turquie avant 1914, expérimentation des gaz de combat dans la Grande Guerre sur la Vistule, campagne de 1940 dans les blindés. Le plus intellectuel des romans de Malraux cherche une donnée sur quoi puisse se fonder la notion d'homme, face à l'affirmation d'un grand ethnographe fictif :
"[...] l'homme est un hasard, et, pour l'essentiel, le monde est fait d'oubli".
Cette réponse est cherchée dans l'art médiéval, dans l'idée de métamorphose, dans le sentiment de la patrie. En même temps qu'il condamnait ce roman, Malraux renonçait au genre romanesque ; mais il réutilisera des passages entiers, pour ne pas dire la totalité, des Noyers de l'Altenburg, retouchés et dispersés, dans Le Miroir des limbes : ils en constituent les temps forts.

Au romancier semble pour vingt-cinq ans succéder l'auteur des écrits sur l'art, qui invente à la fois une nouvelle forme de livre d'art, et un nouveau type de discours sur l'art : coup sur coup paraissent La Psychologie de l'art 1947-1949, Saturne, essai sur Goya 1950, Les Voix du silence 1951, refonte du premier ouvrage, Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale 1952, La Métamorphose des dieux dont le premier volume est publié en 1957.
Ces œuvres doublement spectaculaires, par l'éclat incantatoire du style, et par la mise en scène de l'illustration, qui propose l'immense éventail des formes inventées, n'ont pas tout à fait séduit les spécialistes ni rallié la masse des lecteurs.
Le projet de Malraux était pourtant aussi ferme que son exécution : Ce livre, nous avertit l'auteur de La Métamorphose des dieux, n'a pour objet ni une histoire de l'art – bien que la nature de la création artistique m'y contraigne souvent à suivre l'histoire pas à pas – ni une esthétique : mais bien la signification que prend la présence d'une éternelle réponse à l'interrogation que pose à l'homme sa part d'éternité – lorsqu'elle surgit dans la première civilisation consciente d'ignorer la signification de l'homme.
Cette présence ne nous est accessible que par la reproduction photographique des œuvres d'art, qui a transformé la notion de musée : Un musée imaginaire s'est ouvert, qui va pousser à l'extrême l'incomplète confrontation imposée par les grands musées : répondant à l'appel de ceux-ci, les arts plastiques ont inventé leur imprimerie. Seule notre époque, écartant la notion de sacré comme le mirage du réalisme, peut prendre conscience du sens de l'art, qui crée un monde irréductible à celui du réel et devient « un anti-destin .
Cette méditation sur l'art recourt à un style sensiblement différent de celui des romans : une prose mélodique et souvent solennelle fait écho à celles de Michelet et de Chateaubriand.
L'écrivain de ces livres ambigus, discours sur l'art autant qu'œuvres d'art, est aussi un héritier du XIXe siècle.
De retour aux affaires, l'écrivain semblait avoir renoncé à ses chères études.
Aussi la publication des Antimémoires, en 1967, écrits à l'occasion d'un voyage et d'une convalescence, fut-elle un événement politico-littéraire. En fait ce livre sera considérablement remanié en 1972, à l'occasion de sa réédition, puis en 1976, pour l'édition de La Pléiade : ces remaniements font de la première version une esquisse très imparfaite. Le nouveau style de Malraux, sans perdre tout à fait le sens du raccourci et le ton de la gouaille, s'oriente vers des formes plus amples et plus oratoires. L'auteur des Antimémoires entend, par le choix de ce titre, éluder les questions que l'on pose aux auteurs de Mémoires : il ne nous parle ni de son enfance, qu'il déteste, ni de sa vie privée, ni du détail de sa vie politique.
"Que m'importe ce qui n'importe qu'à moi ?", écrit-il avec une certaine hauteur, ce qui n'exclut pas de pathétiques embellissements voisins de ceux de Chateaubriand, cet autre écrivain-ministre. Le livre ne se contente pas de bouleverser l'ordre chronologique, en évoquant surtout les vingt-cinq dernières années : il mêle aux souvenirs, sans les distinguer, les fictions : "le colloque de l'Altenburg" est textuellement repris ; Clappique resurgit de La Condition humaine pour exposer au narrateur le découpage d'un film narrant la vie d'un aventurier, David de Mayrena, et cette fiction au troisième degré aboutit à un curieux remake de La Voie royale. Enfin le livre s'organise autour de quelques grands dialogues avec des chefs d'État illustres: Nehru, de Gaulle, Mao Zedong, qui transposent et subliment les entretiens réels qui eurent lieu.
Si ces Antimémoires fournissent une sorte d'anthologie permanente de la prose française, s'ils n'évitent pas toujours la pompe, l'apparat, les fumées de l'encens, ils rencontrent souvent l'authenticité pure.
De ces dialogues, on retiendra, à l'usage de Nehru, un plaidoyer intéressant pour l'action du ministre de la Culture :
"Nos dieux sont morts et nos démons bien vivants. La culture ne peut évidemment pas remplacer les dieux, mais elle peut apporter l'héritage de la noblesse du monde."

Le renouveau de l'écrivain : l'homme précaire de 1969-1976

En 1969, quand Malraux abandonne le ministère des Affaires culturelles, qu'il avait occupé durant dix ans, et le rôle de conseiller du général de Gaulle, on peut avoir l'impression qu'un écrivain extraordinaire, le plus éclatant de l'avant-guerre, s'est effacé devant un ministre somme toute ordinaire, pourvu de peu de moyens financiers et politiques, et qui, s'il a représenté une politique avec éclat, ne l'a jamais orientée d'une manière décisive.
Selon la formule perfide de Mauriac – le seul autre écrivain de grand renom à avoir rallié le gaullisme –, un ministère aura-t-il été un os à ronger jeté par le destin à un désir de puissance insatisfait ?
De 1957 à 1969, l'écrivain Malraux s'est astreint au silence, un silence rompu seulement par la publication des Antimémoires 1967, ou plutôt de ce qui était présenté comme le premier volume d'une tétralogie posthume ; encore l'accueil de ce livre a-t-il été perturbé par la présence envahissante, sur les médias, du ministre d'État. Tenu à distance et en suspicion par la gauche, son ancien public, Malraux faisait alors figure, avec son ministère et ses Mémoires, d'un Chateaubriand qui se serait trompé de siècle. Il était loin, l'inventeur conquérant dont son ami Drieu écrivait en 1930 : "Malraux, homme nouveau, pose l'homme nouveau."
Mais, durant les sept années qui lui restent à vivre, Malraux va se jeter à corps perdu dans l'écriture et produire une œuvre, sinon plusieurs, qui suffirait à une vie entière. On n'a jamais vu une vieillesse aussi productive, comme si la mort qui n'est pas loin suscitait une espèce de résurrection.

Le dialogue avec de Gaulle

De la vie politique, Malraux se retire en même temps que le général de Gaulle. Il ne s'exprimera sur ce plan qu'à deux reprises, dans des circonstances bien différentes : en 1971, renouant avec son aventure indochinoise comme avec son épopée espagnole, il se déclare prêt à combattre pour le Bangladesh, engagement rendu inutile par la guerre entre l'Inde et le Pakistan.
En 1974, il intervient à la télévision d'une manière bien maladroite en faveur du candidat gaulliste aux élections présidentielles, Jacques Chaban-Delmas. Les deux interventions, dont la crédibilité n'est pas évidente, indiquent la coexistence d'un gauchiste et d'un gaulliste.
En fait, c'est après son départ des affaires que le gaullisme de Malraux prend sa vraie figure – tel qu'en lui-même enfin l'écriture le change. Charles de Gaulle, dans ses Mémoires d'espoir 1970, avait déjà légué à la postérité l'effigie d'un inspirateur suprême :
"À ma droite, j'ai et j'aurai toujours André Malraux. La présence à mes côtés de cet ami génial, fervent des hautes destinées, me donne l'impression que, par là, je suis couvert du terre à terre [...].
Je sais que dans le débat, quand le sujet est grave, son fulgurant jugement m'aidera à dissiper les ombres."
Après la mort du Général, Malraux publie, en guise d'hommage funèbre, Les Chênes qu'on abat... 1971, qui se présente comme le simple compte rendu d'une longue conversation avec Charles de Gaulle, à Colombey, le 11 décembre 1969 : en fait, ce dialogue, narré et transposé par un metteur en scène qui n'oublie pas son art de romancier, savamment placé dans la perspective de la mort imminente, devient le testament du gaullisme.
Les voix du saint-cyrien et de l'ancien révolutionnaire, tour à tour gouailleuses et prophétiques, se confondent jusqu'à devenir indiscernables.
Le gaullisme se trouve ici séparé de tous les successeurs du Général et rapproché de la France révolutionnaire du XIXe siècle, selon Michelet : ce qui le caractérise, c'est la décolonisation, l'impulsion donnée au Tiers Monde, l'indépendance nationale, la tradition jacobine, le sens de l'universel.
En même temps que Malraux suggère la cohérence de son propre engagement historique, de la révolte au pouvoir, il assure au gaullisme une métamorphose semblable à celle des œuvres d'art.
Ce mythe mais Malraux n'a-t-il pas dit du Général qu'il était égal à son mythe ?, reste énigmatique, comme en témoigne le final des Chênes qu'on abat..., dubitatif dans sa grandeur : "Maintenant, le dernier grand homme qu'ait hanté la France est seul avec elle : agonie, transfiguration ou chimère. La nuit tombe – la nuit qui ne connaît pas l'Histoire."
Malgré l'écho insistant de Chateaubriand, il faut reconnaître que le gaullisme a trouvé ici sa seule incarnation littéraire, et que cette pseudo-interview, détournée vers le dialogue socratique ou la tragédie grecque, lui confère un "romanesque historique" sans égal.

L'œuvre réorganisée

"Le plus grand écrivain vivant et à coup sûr le plus singulier", écrivait encore Mauriac en 1969 : singulier en effet en ce qu'il n'a cessé de transformer et de réécrire son œuvre passée, comme de modifier le projet de son œuvre à venir.
Mais l'ensemble de cette œuvre, in extremis, se trouvera extraordinairement achevée : quelques jours avant la mort de Malraux paraissait le troisième et dernier volume de La Métamorphose des dieux ; la même année est publiée La Corde et les souris 1976, qui complète et équilibre les Antimémoires.
Les deux ouvrages sont réunis dans Le Miroir des limbes en un seul volume.
Ainsi les écrits sur l'art, les Mémoires, les romans même prenaient leur forme et leur place définitives en même temps que disparaissait l'écrivain. Enfin, un livre posthume, L'Homme précaire et la littérature 1977, allait rassembler une réflexion sur la littérature, jusque-là dispersée dans diverses préfaces, et la relier à la réflexion sur l'art.
Si la mort transforme la vie en destin, celle-ci aura par surcroît apporté la clef de voûte d'une cathédrale littéraire.

Malraux, on le sait, a renoncé au roman depuis 1943, juste avant d'être le premier auteur vivant à entrer, comme romancier, dans la Bibliothèque de la Pléiade, avec Les Conquérants 1928, La Condition humaine 1933, L'Espoir 1937.
Les Noyers de l'Altenburg 1943 reste inaccessible au grand public.
Mais Malraux en réutilise la première partie, discrètement réécrite et condensée dans les Antimémoires ; repris aussi, l'épilogue des Noyers qui montre le narrateur participant en 1940 à des combats de blindés qui relèvent de la fiction et non de la biographie.
Plus tard, dans Lazare 1974, sera reproduite mais sans aucune confusion possible la scène la plus forte des Noyers, qui évoque le premier emploi des gaz de combat par l'armée allemande, en 1916, sur le front russe. Ainsi Les Noyers de l'Altenburg se sont-ils trouvés débités, puis réutilisés intégralement, sans perdre leur caractère de fiction, dans un ensemble de Mémoires, mais s'agit-il de vrais Mémoires ?.

Il ne s'agit pas d'une solution de facilité : un simple survol de la production de Malraux montre l'acharnement mis à réécrire ses textes jusqu'à la forme la plus satisfaisante. Les Antimémoires de 1967 se trouvent profondément modifiés, en 1972, à la seule occasion d'une réédition en format de poche ! Un dialogue fondamental y est ajouté : le soliloque, face à la mort, de Malraux avec son double désespéré, Méry, à Singapour ; inversement, la très longue scène qui, réintroduisant le Clappique de La Condition humaine, présentait une vertigineuse mise en abîme de la mythomanie, est réécrite et abrégée.
Le premier volume des Antimémoires devait être suivi de trois autres, posthumes ; or le titre collectif devient Le Miroir des limbes, les Antimémoires n'en désignant plus que le premier volume. Dans un second et dernier volume, nullement posthume, intitulé La Corde et les souris, Malraux réunit divers livres publiés séparément : Les Chênes qu'on abat, déjà évoqué ; Lazare 1974, qui retrace un séjour, non pas tout à fait au royaume des morts, mais dans un service de la Salpêtrière où la résurrection succède à l'agonie ; La Tête d'obsidienne 1974, longue méditation sur Picasso, coupée de dialogues remémorés ; enfin Hôtes de passage 1975, trois dialogues plus brefs, plus bigarrés, avec Léopold Senghor, Georges Salles, Max Torrès.
Réunis, les livres, qui ont perdu leurs titres et leurs préfaces, sont aussi réécrits : Les Chênes s'augmentent d'un épilogue plus serein ; La Tête d'obsidienne, non sans profit, se voit considérablement restreinte. Les divers dialogues sont reliés par un jeu subtil de transitions et d'anamnèses, distribués dans un ordre différent, qui donne toute sa puissance au final, Lazare, dialogue avec la mort Miroir des limbes, l'auteur en modifie encore la présentation, supprimant certains titres, introduisant une conclusion générale.

Pacte autobiographique et pacte romanesque

Comment apprécier ces Antimémoires, transformés en Miroir des limbes ? Nul mémorialiste et l'auteur des Antimémoires en fait bien figure ne s'est permis, comme le fait Malraux, de mêler la fiction, avouée ou non et le souvenir, l'imaginaire et l'historique. Hésitant entre un pacte autobiographique et un pacte romanesque, le lecteur, pris de vertige, finira par évoquer la formule de Clappique :
" [...] il entrait dans un monde où la vérité n'existait plus. Ce n'était ni vrai ni faux, mais vécu ".
Ainsi, le Berger des Noyers est un héros de roman, dont on se gardera d'imputer à l'auteur la généalogie alsacienne ou la dramatique campagne de 1940 ; mais comme Malraux a pris en 1944 le pseudonyme de colonel Berger, le même Berger devient un héros réel de la Résistance, dont on espère lire l'histoire tout à fait authentique ; enfin, dans la version de Lazare, le lieutenant Vincent Berger, père du narrateur des Noyers, devient le commandant Berger, comme pour favoriser une diabolique confusion entre le héros des Mémoires et le héros du roman. Certes, Malraux n'entend pas donner sa biographie : "Je ne m'intéresse guère".
Mais il s'intéresse fort à l'image qu'il donne de lui, et en somme à son mythe, prenant avec la réalité historique des libertés considérables, procédant moins par assertions que par allusion, suggestion, ellipse, blanc ou clair-obscur.
Il serait pourtant vain d'intenter un procès de mythomanie, même si la mythification inévitable (ce que Malraux appelle ailleurs "la métamorphose d'une biographie en vie légendaire" n'est pas toujours éloignée de la mystification.
En fait, les Antimémoires, dans leur titre même, indiquent qu'il n'y a pas de frontières entre ce qui a été vécu et ce qui a été imaginé, entre l'avenir rêvé et le souvenir retrouvé.
Le Malraux mémorialiste rejoint le Malraux romancier, à partir de points de départ différents, vers un effet analogue. Le romancier des Conquérants persuadait par induction ses lecteurs qu'il s'agissait d'une expérience vécue par l'auteur ; inversement, le narrateur de ces Mémoires, ou pseudo-Mémoires nous suggère une expérience, mais transposée, métamorphosée, compensée par l'imagination.
Malraux est peut-être le seul écrivain romancier-autobiographe qui ait mis en question aussi bien le genre romanesque que le genre autobiographique, et leur opposition communément admise. Le héros des Antimémoires, comme celui des Conquérants selon Drieu," ce n'est pas Malraux, c'est la figuration mythique de son moi" .

L'homme de parole

Le choix d'un nouveau titre, Le Miroir des limbes, marque la préférence donnée à l'énigmatique sur l'intelligible.
Ces limbes représentent sans doute l'espace de la mort, que Malraux-Lazare approche ou pénètre, mais aussi le crépuscule indécis qui sépare la mort d'une civilisation de sa métamorphose, et encore la seule forme de survie qu'un agnostique puisse concevoir, cette dérive arbitraire et irremplaçable comme celle des nuées.
Dans le second volume, La Corde et les souris, ce n'est plus la mémoire qui évoque et gouverne les dialogues ; ce sont les dialogues qui suscitent, comme par distraction, les souvenirs ; la mémoire, par analogie, juxtapose les images des périodes les plus diverses et des espaces les plus étrangers, réactualise les instants de la vie rêvée et de la vie vécue.
Par ces extases de la mémoire et de la vision, Malraux rivalise bien avec Proust, quoique l'usage de l'allusion, du raccourci et de la syncope fasse aussi penser à Saint-John Perse. Les dialogues eux-mêmes, à quelques exceptions près, sont des dialogues avec des morts illustres, sur la mort des cultures ou des héros, face à la mort. Pour y échapper, d'une manière d'ailleurs précaire, il n'y a guère que les hommes de l'histoire ou les inventeurs de formes – de Gaulle ou Picasso.
Dans l'univers limbaire de Malraux, la vie est toujours vue par un Orphée revenant du domaine de la mort.

La forme narrative des Antimémoires s'est donc détournée vers une forme dialoguée, rassemblant politique, aventure et art dans un même questionnement métaphysique sur le destin.
Il se peut que Malraux ait été essentiellement un génie du dialogue. D'ailleurs, à côté de ces dialogues transcrits ou réécrits par un Malraux « interviewer » des grands de ce monde, on peut trouver un intérêt égal aux entretiens de Malraux interviewé par tel écrivain ou tel journaliste.
Le don oral de l'improvisation, qui dans les années vingt époustouflait déjà Gide et Martin du Gard, s'y retrouve à tel point que certains, comme François Mitterrand, se sont demandé avec malignité "si Malraux n'appartient pas à cette lignée d'écrivains dont le génie s'exprime tout entier dans la conversation et se dissipe dans l'écriture".
Si la seconde partie de la formule est insoutenable, la première reste vraie : on peut préférer à certaines pages de La Corde et les souris les entretiens savamment montés et agencés par Claude Mauriac, ou scrupuleusement notés par Frédéric Grover, ou même les entretiens prodigués aux hebdomadaires : dans ce genre, Malraux a précédé, mais aussi surclassé ses contemporains.
Le pouvoir oral de Malraux ne s'est d'ailleurs pas dispersé sans retour dans l'éphémère des conversations ; il est passé à merveille dans les divers médias, en particulier à la radio, mais aussi à la télévision.
Sur ses écrans, malgré le handicap de l'âge qui touche sa voix et son physique, Malraux se révèle comme un prodigieux acteur-animateur, aussi à l'aise dans la galaxie Marconi que dans la galaxie Gutenberg.
On retiendra La Légende du siècle 1972, neuf heures d'émission dont la réussite exceptionnelle est sans doute due à ses réalisateurs, Claude Santelli et Françoise Verny, mais on retrouve les mêmes qualités, la même présence dans les Voyages imaginaires, dont le réalisateur est Jean-Marie Drot.
Malraux se trouve être le seul grand écrivain à avoir réussi son passage à la télévision, où il a pu jouer un rôle quasi hugolien, écho sonore du siècle, mage et magicien des nouveaux médias.
Dans ses derniers livres L'Intemporel, L'Homme précaire, il a poussé fort loin une réflexion sur les pouvoirs de l'audiovisuel et les mutations qu'il entraîne.
Pour la télévision, Malraux a inventà la fois une pratique et une théorie, comme il l'avait fait en son temps pour le cinéma avec Espoir 1939 et Esquisse d'une psychologie du cinéma 1946– comme il n'a jamais cessé de le faire depuis ses vingt ans pour le livre d'art illustré.

Å’uvre et art

Les écrits sur l'art ne peuvent pas être séparés du reste de son œuvre, et l'achèvement de La Métamorphose des dieux a hanté ses dernières années.
Après le premier volume paru en 1957 qui deviendra dans une nouvelle édition Le Surnaturel suivront, par-delà l'intermède gouvernemental, L'Irréel 1974 et L'Intemporel 1976 : ainsi sera édifié un triptyque colossal, montage du texte et de l'image conçu par un inventeur du livre d'art, qui nous mène du IIe millénaire avant Jésus-Christ au XXIe siècle, accomplissement de ce qu'était le projet initial.
L'Irréel, qui évoque l'évolution des formes depuis Florence jusqu'à la mort de Rembrandt, fait suite au spirituel, et se définit comme un divin dédivinisé.
C'est ainsi que Donatello émancipe de la cité divine l'image privilégiée de l'homme – en faisant de l'homme un personnage d'irréel, que les nus de Botticelli font découvrir le monde dans lequel l'art délivre de la condition humaine les figures féminines sans devoir leur délivrance au monde de Dieu, et que Rembrandt découvre un trouble pouvoir qui n'est ni le sacré ni la postérité.
Dans L'Intemporel, l'art trouve son autonomie ; la communauté de l'art découvre ses héros et ses martyrs ; le fait pictural se sépare de la représentation et de l'illusion ; l'art d'Extrême-Orient dialogue avec les arts d'Occident, comme les arts sans histoire avec les arts historiques. Aujourd'hui, dans l'ère de ce que Malraux nomme l'aléatoire,
"[...] toutes les contestations, toutes les résurrections vont rencontrer l'audiovisuel [...]. Avant longtemps, l'audiovisuel découvrira le pouvoir qui le sépare profondément des musées et même du musée imaginaire : celui de ressusciter l'unité perdue."
Et l'art,"étroit et intarissable ruisseau de métamorphose", subira sans doute une imprévisible mutation.

Le couronnement de l'entreprise de Malraux n'a pas triomphé de la grande réserve, plus ou moins respectueuse, du public et des critiques. Les historiens de l'art restent pantois devant les télescopages planétaires et les synthèses époustouflantes, même s'ils saluent, de loin, « l'intrusion de l'histoire de l'art dans la tragédie grecque ». Les fidèles de Malraux ne le suivent pas toujours dans le grand jeu de la reproduction photographique des œuvres d'art. Quant au grand public, il est tenu à distance de cette fastueuse trilogie, ne serait-ce que par son prix qui la réserve à des amateurs fortunés. Il faut aussi admettre que cette symphonie héroïque de l'art, conçue dès les années vingt, a pris une allure anachronique avec ses accents qui rappellent les maîtres de la jeunesse de Malraux : Maurice Barrès, Romain Rolland, Élie Faure. Nulle part, Malraux ne fait plus figure de chasseur solitaire qu'en cette partie de son œuvre.

Mais une fois admis cet anachronisme, une fois accepté le style initiatique et oraculaire de Malraux, il faut reconnaître qu'à l'éventail des formes d'art évoquées correspond un registre d'écriture insurpassable, avec ses périodes et ses raccourcis fascinateurs, ses tâtonnements et ses éclairs, sa rhétorique de l'illustration et sa dramaturgie spirituelle.
Le discours sur l'art universel est parcouru par une fièvre communicative qui le transforme en longue traque ou en chevauchée fantastique.
Il ne tombe jamais dans la religion de l'art, ni dans aucune autre religion, puisqu'il met toujours en scène, dans une perspective agnostique, une interrogation ou une énigme. Toute cette recherche dont les obsessions et les ressassements ne sont pas niables est plus moderne qu'on ne l'a cru, car elle porte essentiellement sur les moyens de communication de la reproduction photographique à la séquence audiovisuelle, et surtout elle prend le point de vue, non de la création, mais de la réception de l'art.
André Malraux ne dialogue pas avec les créateurs, mais avec la communauté de l'art, c'est-à-dire avec tous les hommes, créateurs ou non, à qui un art est nécessaire. Mais il est possible que ce dialogue, qui se superpose à tant d'autres dans les écrits sur l'art, ne parvienne pas toujours à dominer un monologue presque somnambulique.

Du musée imaginaire à la bibliothèque

À cette recherche se rattache L'Homme précaire et la littérature 1977, parce que l'esthéticien y reprend toutes ses notions fondamentales, substituant seulement la bibliothèque au musée imaginaire, et parce qu'il esquisse, autant qu'une histoire de la littérature européenne, une histoire de l'imaginaire : dans le kaléidoscope se succèdent l'imaginaire-de-vérité, l'imaginaire-de-fiction, l'imaginaire oral de l'écriture, pour le roman, l'imaginaire-de-métamorphose pour notre temps, un temps du précaire et de l'aléatoire.
En fait, pour la littérature, passablement démythifiée, le grand jeu des métamorphoses et des résurrections opère mal, et la bibliothèque reste privée de la magie propre au musée imaginaire.
La littérature s'adresse à une secte, mais à une secte moins fervente, moins large que la communauté de l'art, car la bibliothèque ne ressuscite pas ses primitifs et n'annexe pas ses sauvages.
Malraux analyse admirablement le roman du XIXe siècle ou celui de Flaubert, mais les formules qu'ils lui inspirent frappent par leur amertume désenchantée. Il définit le premier comme un surprenant carambolage métaphysique, car jamais on n'avait tenté de saisir l'homme du dedans et du dehors à la fois, au second, après quelques pages remarquables, il concède : La bibliothèque est sauvée, non victorieuse : au mieux, le piège où se prendra, peut-être, la bêtise.
L'avocat passionné de l'art moderne se montre ici peu attentif au roman moderne et annonce, ou plutôt constate déjà, la mort de l'imaginaire-de-roman face à l'imaginaire des images.
Malraux semble aussi loin du credo littéraire de sa jeunesse, qu'on songe aux admirables préfaces à Laclos, Faulkner, D. H. Lawrence que Sartre du sien quand il écrit Les Mots.
Cet essai lucide et froid sur la fin du roman est aussi la justification d'un renoncement ancien au roman. Comme l'a écrit Jacques Bersani :
"[...] c'est bien là l'étonnante surprise que le grand chaman nous réservait pour son dernier livre [...]. L'Homme précaire, ce n'est pas le tombeau du roman, c'est le tombeau du romancier."

Homme politique, mémorialiste, historien de l'art, théoricien de la littérature, le dernier Malraux aura subverti et détourné chaque rôle, transformé chaque genre, inventé chaque fois une forme qui lui fût propre.
Aussi, de son vivant même, en est-il venu à un point extrême de solitude : on ne voit pas qu'il influence la littérature vivante à l'exception de Régis Debray et de Conrad Detrez ni la jeunesse. Peu de numéros spéciaux de revue, peu de colloques qui lui soient consacrés ; les intellectuels de gauche, qui lui doivent beaucoup, mais qu'il a dédaignés, l'entourent de silence ou lui vouent un ressentiment haineux, les pages de Simone de Beauvoir, dans Tout compte fait, sont particulièrement symptomatiques.
Peut-être Malraux s'éloigne-t-il, par sa grandeur même.
Mais, par un curieux retour des choses, lui qui a si souvent écarté le misérable petit tas de secrets que chaque homme cache, lui qui a tant brouillé les cartes pour empêcher toute enquête, se trouve au centre d'un réseau d'investigations et de témoignages.
Il a inspiré à Jean Lacouture le chef-d'œuvre du genre biographique, modèle de compréhension et de démythification.
Les Mémoires de Clara Malraux, sa première femme, comme la chronique de son second mariage, intitulée Le Cœur battant, révèlent l'homme privé dans sa vulnérabilité ; les témoignages des camarades de la guerre d'Espagne, des combattants de la brigade Alsace-Lorraine ou des compagnons du gaullisme se sont multipliés.
Le dernier livre d'Emmanuel Berl, Interrogatoire 1978, comme les Mémoires de Raymond Aron 1983 resituent Malraux dans la perspective d'une fraternité intellectuelle. On retiendra surtout les souvenirs d'Alain Malraux, son neveu, qui, dans Les Marronniers de Boulogne, a donné du Malraux des dernières années une image à la fois critique et chaleureuse. Le héros n'est nullement rabaissé par l'entreprise biographique : il s'humanise et se rapproche de nous.

Le mythomane

Personne ne nie que Malraux fut un grand mythomane.
Il a ainsi rédigé lui-même son dossier militaire, s'attribuant des blessures fictives.
Il a prétendu être entré dans la Résistance dès 1940, ce qui est faux, comme l'ont relevé Olivier Todd et d'autres auteurs avant lui : Guy Penaud, René Coustellier.
Clara Malraux, comme Olivier Todd le rappelle, prétendait que Malraux était en permanence un escroc génial.
Paul Nothomb affirmait que Malraux n'était jamais dupe de ses propres fabulations.
Dans plusieurs textes, d'ailleurs, Malraux se plaît à relativiser la valeur de la véracité. Par exemple, à propos du faux en bibliophilie (qu'il pratiqua), il fait dire à un personnage en qui il semble bien mettre un peu de lui : "La mystification est éminemment créatrice."
Dans La Voie royale, l'auteur dit en son propre nom :" tout aventurier est né d'un mythomane."
Olivier Todd estime essentielle à la compréhension de Malraux une idée exprimée dans La Condition humaine : "Ce n'était ni vrai ni faux, c'était vécu". Pendant la Seconde Guerre mondiale, Malraux aurait dit : "Je fabule, mais le monde commence à ressembler à mes fables".

Détail des fonctions gouvernementales

Ministre de l'Information du gouvernement Charles de Gaulle (2) du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946
Ministre sans portefeuille du gouvernement Charles de Gaulle (3) (du 1er juin 1958 au 3 juin 1958)
Ministre délégué à la Présidence du Conseil du gouvernement Charles de Gaulle (3) (du 3 juin 1958 au 8 janvier 1959)
Ministre chargé de la Radio, de la Télévision et de la Presse du gouvernement Charles de Gaulle (3) (du 12 juin 1958 au 7 juillet 1958)
Ministre d'État du gouvernement Michel Debré (du 8 janvier 1959 au 22 juillet 1959)
Ministre d'État, chargé des Affaires culturelles du gouvernement Michel Debré (du 22 juillet 1959 au 14 avril 1962)
Ministre d'État, chargé des Affaires culturelles du gouvernement Georges Pompidou (1), (2), (3) et (4) (du 14 avril 1962 au 12 juillet 1968)
Ministre d'État, chargé des Affaires culturelles du gouvernement Maurice Couve de Murville (du 12 juillet 1968 au 20 juin 1969).

Discours célèbres et conférences Liste non exhaustive

1934 - L'art est une conquête, discours prononcé en août au Congrès des écrivains en URSS.
1934 - L'Attitude de l'artiste, discours à la Mutualité en 1934, compte-rendu du Congrès des écrivains soviètiques à Moscou.
1935 - L'Œuvre d'art, discours au Congrès International des écrivains pour la défense de la culture (21-25-juin 1935)
1935 - Réponse aux 64, discours aux assises de l'Association Internationale des écrivains pour la défense de la culture 4 novembre 1935.
1936 - L'Héritage culturel le 21 juin 1936 à Londres au secrétariat général de l'Association des écrivains pour la diffusion de la culture.
1946 - L'Homme et la culture, conférence à la Sorbonne, le 4 novembre 1946, pour la naissance de l'UNESCO
1947 - Discours de propagande pour le RPF dont il est le délégué à la propagande le 2 juillet 1947, au Vélodrome d'hiver de Paris.
1948 - Appel aux intellectuels en mars, à la salle Pleyel, qui deviendra la postface des Conquérants.
1956 - Discours au congrès d'art et archéologie à New York et plusieurs autres aux États-Unis.
1956 - Rembrandt et nous , discours à Stockholm pour le 350e anniversaire de la naissance du peintre.1956.
1958 - juillet (Fête Nationale) - août (Anniversaire de la Libération de Paris) - septembre (Référendum sur la Constitution)
1959 - Hommage à la Grèce discours à Athènes pour la première illumination de l'Acropole
1960 - Discours à l'occasion de l'indépendance des Colonies d'Afrique noire.
1960 - Discours à l'UNESCO pour le sauvetage des monuments de Nubie.
1963 - La Joconde, discours à Washington, en janvier pour l'exposition de la Joconde à la National Gallery, devant le président Kennedy
1963 - Oraison funèbre de Georges Braque, en septembre.
1964 - Transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon (19 décembre 1964), repris dans Oraisons funèbres.
1965 - Oraison funèbre de Le Corbusier dans la Cour carrée du Louvre.
1969 - Oui, discours pour le oui au référendum.
1971 - Oraisons funèbres, repris dans Le Miroir des Limbes, en 1976.
1973 - Inauguration du Monument de la Résistance (2 septembre 1973), repris dans Oraisons funèbres :
"Entre ici, Jean Moulin..."
1975 - Discours à la cathédrale de Chartres pour le 30e anniversaire de la libération des camps de concentration.

Å’uvres

La suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3756#forumpost3756

Posté le : 02/11/2013 21:32
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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