Je naquis des belles vaches de Bourgogne Et très tôt, je peux vous l’affirmer sans vergogne, Brillat-Savarin me fit le roi des fromages. Et cela en devint même un célèbre adage! Devant tous les autres fromages respectables, Les gourmets m’ont préféré sur toutes leurs tables.
Mais aujourd’hui, il me faut bien lever le voile : Dans le ciel constellé, je ne suis qu’une étoile! Mais pourquoi donc on ne m’aime plus comme avant Mes saveurs uniques, mes arômes typés Sont restés, à présent, tout aussi captivants. Autres temps, autres moeurs dont je suis dépité! Devant tant et tant de fromages industriels Mon destin sera-t-il singulier ou pluriel?
J’aimerais vraiment retrouver ma digne place, Entouré d’égards et ainsi sauver la face. Je veux encore que mes bouquets soient humés Par des nez de gourmets à jamais affamés! Et je désire que l’on dise : ah, ce fromage fondant et crémeux, est digne de grands hommages! Je veux être aimé pour moi-même, à toute fin, Acceptant la compagnie d’un quelconque vin.
Après ces mots dits, j’entends un grand grognement, Et jaillit devant moi un Bacchus virulent. Tudieu, que ne dis-tu là , un quelconque vin, Tu te crois le meilleur et tu omets les vins. Dois-je te rappeler à ta bonne mémoire Que tu fus associé à des grands vins à boire, Au congrès de Vienne où tu ne fus que deuxième! Si parmi les tiens tu veux rester un enblème, Associe toi à des grands vins dans nos orgies, Et que les fins gourmets aient la mine rougie, A te savourer en si charmante escorte, couplant nos bouquets dans une jouissance forte. Que dis-tu de cette belle proposition? Peux-tu vraiment m’assurer, sans hésitation, Que je recouvrerai une première place? Je te l’assure, lui répond Bacchus, pugnace. Mais quels sont ces vins que tu offres à mon destin? On pourrait te servir avec un chambertin Sa robe vive de rubis et ses arômes fruités font la félicité des gastronomes. Un Puligny-Montrachet blanc pourrait te plaire Sa robe d’or et brillante ferait l’affaire. Ses bons arômes lactiques et si minéraux conduisent les gourmets à des délices oraux. Et d’un mariage avec un chablis grand cru, Le plaisir de tes amateurs serait accru. Que dirais-tu enfin d’un grand Vouvray moelleux, Qui enroberait ta puissance jusqu’aux cieux?
Tu m’as convaincu, lui répondis-je affiné. Rejoins l’Olympe me dit Bacchus, gratifié. Alors, ami gourmet, si tu veux rendre grâce A ma déité et m’éviter toute angoisse Et vraiment si tu ne veux pas avoir la poisse, Alors, comme fromage, choisis donc l’Epoisses.
Jacques Hosotte
|