Regards









Le regard est le miroir sincère de l’âme, nous dit-on. S’y reflètent mécaniquement comme sur l’eau d’un étang nos sentiments, nos émotions les plus subtiles.
Pour ma part, ce sont les belles années de pluie et le pas douloureux et cependant élégant du crucifié qui assiègent sans relâche le berceau de ma vue.
Ma pauvre âme sait la douleur magnifique qu’engendre la solitude, sentiment que je cultive et maudis à la fois.
Savez-vous que l’artiste solitaire se bâtit un monde où cohabitent à foison le jade précieux d’un masque mexicain et la boue immonde où s’aventure le chercheur d’or.
Les yeux du peintre, du poëte portent inéluctablement l’éclat altéré d’une souffrance qu’il s’agit de sublimer, de magnifier. Si son âme aspire à la solitude ou si la solitude aspire à s’emparer de son âme, alors son regard tend à fuir, incapable de se poser plus d’une seconde sur le visage lumineux d’autrui.
J’ai l’œil insaisissable et insondable d’un vieux sorcier d’Afrique noire.
Magicien superbement désargenté, je manie à merveille les instruments divins et sommaires de mon art. Moitié dieu et moitié rien du tout, je règne en maître insignifiant sur le village des hommes, oscillant sans cesse entre onirisme fervent et chutes profondes à n’en plus finir.
Qui me regarde dans les yeux sera la proie de mes sortilèges, de ma mandragore.
Du haut du bas de mes soixante dix ans, j’inspire respect et crainte…