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Annonce : Vous en souviendrez-vous ?
Publié par Vadnirosta le 12-03-2023 16:34:52 ( 94 lectures ) Articles du même auteur



Vous en souviendrez-vous ?
(Projections?)

Lyon, le 14 avril 2036,

Chère Gilberte1,




« Tu es une Vénus », me dit-on à présent tandis que mes camarades gadje roumains me surnommaient « Esméralda » au lycée, lorsque l'on étudiait en classe « Notre-Dame de Paris ». « Une Vénus » aux cheveux bouclés et au teint de lait. Curieusement. Ainsi, j'ai toujours plu à de nombreux garçons mais je suis très timide et la gente masculine me fait très peur et je n'ose faire le premier pas. Moi je me sens vilaine avec ma dentition fort abîmée. Je n'ose pas sourire. Déjà, toute petite je rêvais d'être une Barbie-Princesse chez d'autres gadje, à Villeurbanne, vous en souvenez-vous, chère Gilberte ?
Je vous écris pour vous donner de mes nouvelles : sachez que j'ai été de retour en Roumanie pendant deux décennies. J'ai eu la chance de pouvoir faire des études aux Beaux-Arts de Bucarest où j'ai appris à parler couramment français et même à l'employer à l'écrit. Sachez en outre que mon appartement deux-pièces se trouvait alors à Tărgovişte, l'ancienne capitale de la Valachie. Je faisais le trajet en auto tous les jours sauf les week-end bien sûr où je faisais la fête avec les copines en discothèque sur les vieux manele surannés de Florin Salam et de Mr Juve.
Je vous écris ô Gilberte car je sais que vous êtes encore vivante et que vous militez encore pour notre cause dans le Grand Lyon. Aussi, je tenais à vous informer que je suis à nouveau au pays des Gones, non pour mendier comme autrefois mais pour trouver des mécènes intéressants. Je voulais savoir aussi si vous aviez des nouvelles de Yohann. J'aimerais beaucoup le retrouver car nous partagions naguère beaucoup de choses et nous étions comme les deux doigts de la main à l'époque.
Hier, j'ai été au musée Saint-Pierre pour la vingtième bougie consacrée à l'exposition sur les « Autoportraits » du printemps 2016, il y a pile vingt ans et j'ai ressenti de partout la présence planante du fantôme de Yohann à travers toutes ces œuvres...
Oui je suis entré dans ce lieu merveilleux et j'ai revu Yohann avec ses yeux proéminents et rougis,sans doute par l'Effort que devait représenter nos trouvailles de chaque mercredi. Je le revois depuis mes souvenirs remontants, évitant de poser ses yeux du bas de la vie, depuis « les bas quartiers de peine », une si belle chanson ô duo comme l'a si bien chanté un de vos meilleurs chanteurs contemporains et que je rafistole en quelque sorte... Dans le tableau de Flandrin, il m'est réapparu avec sa casquette qui m'épatait tant, à chaque fois qu'il la sortait aux Soirs des étés. Quant au tableau de Frédéric Villot, j'ai revu à travers lui sa posture que déjà je pressentais triste, surtout les fois où sa main demeurait porteuse de sa tête. Très petite, j'avais remarqué par ailleurs son sourire tordu. Je le revois à présent dans nos jeux de naguère : je savais qu'il dissimulait une grande part de lui-même, qu'il portait des masques sans arrêt. Il devait vouloir absolument retenir tout un carnaval mais son mal-être transpirait malgré tout et je sais maintenant que ses yeux globuleux endiablés me fixaient idiotement avec un amour paternel boiteux et cela je l'ai perçu au travers de l'œuvre de Corinth, forcément exécutée à la pierre NOIRE. Je lisais aussi l'épuisement psychique et physique dans chacun de ses tremblements de chaque instant. Il feignait l'Amour et la Tendresse non-parasités mais je savais au fond de mon petit corps de six ans qu'il émanait de lui un mal-être très profond semblable à Heckel et une étrangeté certaine. Aujourd'hui, j'en suis sûre, son cœur ne devait pas être un palace tant de guerres s'y trouvaient tapies jusque dans la plus reculée des fibres. Je pressentais aussi son strabisme psychologique démesuré sur son corps plutôt maigrichon qui devait bien peiner à tout soutenir. A l'époque, je ne disais rien : j'étais petite et je me méfiais de ses bizarreries comme me l'avait conseillé Denisa, laquelle se moquait de son être gauche durant sa crise d'adolescente, m'avait volé son beau chapeau melon gris à ruban et l'avait jeté dans un des « âtres » de Salengro... Son style anguleux à la Beckmann, je le ressentais déjà à l'époque avec ce portrait encadré de moi et de papa qui devait être, si je m'en souviens bien et compte tenu de ce que j'ai appris, à la mine de plomb avec des rehauts de craie blanche, ce portrait que toute ma famille avait perdu lors de l'expulsion du squat. Que de souvenirs mon Dieu ! Que de souvenirs ! Tout me revient en cascade avec tous ces personnages ! Son goût pour le monde de la Cour des Miracles avec ce mendiant ténébreux sur une motte de terre et cette Lapidation de Saint Étienne de Rembrandt prophétisant le martyr et puis cet autoportrait de Duncan Grant « à l'œil manquant » suggérant de grosses lunettes envahissant pour peu la totalité du visage du peintre. Je pressentais également chez lui une perspective d'avenir écrasée parce que trop présente dans le passé, puis-je dire à présent sans me tromper. Oui parfois il me faisait vaguement peur même si nous étions très complices à la fois. Si aujourd'hui, je devais le dessiner, je mettrais des traits de crayons dans tous les sens tant il devait s'éparpiller dans des malaises sordides aux quatre coins de son âme. Si je devais le dessiner, je ferais un visage uniforme dans un atelier chargé, sur des étagères, de masques primitifs. Yohann était comme vert, un peu comme nous. Oui, il venait tout droit d'une soucoupe volante même s'il m'offrait des tas de choses, me chatouillait par exemple avec un feutre entre les doigts de pieds et me faisait tourner dehors au dessus du sol comme une toupie. Ce tableau de Cécile Walton nommé Romance me fait aussi songer à lui tant ses yeux ténébreux étaient délavés par les pluies d'autrefois. A mon avis, chère Gilberte, il devait faire partie de ces figures grotesques raturées laborieusement à la pointe (sèche) et emplies d'un immense tourment intérieur. Quant à ces personnages, Les mangeurs de Ricotta, sortis tout droit de la Comedia dell' arte, il me semble à nouveau les reconnaître en fouillant ma souvenance tant le crâne dont la forme, prise par le fromage, m'est familier dans mon passé et puis ce squelette derrière lui, cette foutue Faucheuse...
Si seulement je savais ; si il est encore vivant à l'heure qu'il est, je m'occuperais bien de lui à mon tour et lui redonnerais tout cet amour perdu pour le sauver de ses démons éternels... Mais voici venue cette œuvre de Douglas Gordon, ce tirage en couleurs, ce monstre dans le miroir auquel je n'ajouterais aucune dimension sexuelle, non vraiment aucune, bref, ce cher Yohann, vomissant cauchemar sur cauchemar, me renvoie aux questions suivantes : qui était-il ? Qu'est-ce qu'être normal ? Était-il bon ou mauvais ? Qu-est ce qui opposait mon essence de petite fille à la sienne ? Était-il beau ou laid ? Ô Gilberte ! Regardez donc par-ici : Voici le tableau de Munch intitulé Autoportrait à la bouteille de vin. Ça c'était Yohann tout craché ! Une bouteille. Un verre de fine. Quelle mélalcoolie retranscrite ! A l'image d'Edward, Yohann était un véritable martyr moderne... Que lui était-il à venir sinon tout ce qui lui était advenu? Boit-il toujours comme on se le disait à Salengro à la vue de ses mains tremblantes ? En est-il mort ? Était-ce seulement vrai qu'il s'alcoolisait ? Et puis plus loin les der des der : les photographies de Helen Chadwick et de James Nasmyth. Un cerveau humain (bien entamé) et puis ce dos de la main aux mille rides et cette pomme desséchée par le poids d'un état civil en retard et d'un état psychique distordu et avancé...
Ô Gilberte ! On fête en ce moment chez vous à C.L.A.S.S.E.S vos cent ans et vous demeurez toujours et plus que jamais sur tous les terrains de l'Indignation. En cela vous êtes une sainte Femme et je vous en remercie. Tout en vous joignant ce bouquet de fleurs printanières, permettez-moi de vous solliciter afin de retrouver mon cher Yohann...



Rebeca Covaci
Lyon, le 17 avril 2036,

Chère Rebeca,



Je te remercie pour ta lettre qui m'a emplie de joie.
Je te félicite pour ta réussite : tu as dû bien travailler pour en arriver là. C'est génial que tu ai pu t'en sortir en Roumanie malgré la discrimination toujours présente. Je suis très fière de toi. Je pense que tu mesures à présent l'importance de l'école pour laquelle on dépensait tant d'énergie à C.L.A.S.S.S.E.S, lorsque tu étais petite tout comme encore aujourd'hui d'ailleurs.
Construis ta vie avec tout le bagage que tu as acquis et deviens une très grande artiste de l'Avant-Garde.
En ce qui concerne Yohann, j'ai hélas de très mauvaises nouvelles à t'apporter : en effet, il est décédé il y a tout juste dix neuf ans. Comme tu l'avais pressenti dans ta lettre, Yohann était effectivement très malade. Il étais bipolaire et prenait beaucoup de médicaments. C'est pour cela qu'il tremblait et fumait tant. L'association l'a perdu un an après ton départ pour la Roumanie. Certains disaient qu'il ne s'était jamais remis d'une relation amoureuse qui avait avorté mais on ignore l'identité de la femme. En fait on ne sait pas bien, on n'a jamais bien su. Il paraît qu'il a écrit juste avant de se suicider : « C'est aussi dur de perdre son enfance que de perdre son enfant... ». A l'époque, C.L.A.S.S.E.S a été extrêmement touchée par ce geste soudain.
Tâche quand même de ne pas t'abandonner à la tristesse. La Vie vaut le coup d'être vécue et tu as tout l'Avenir devant toi. Un jour, tu rencontreras un homme bon et tu seras heureuse dans ton atelier au milieu de toutes tes toiles...
Passe le bonjour à toute ta famille et redonne-moi des nouvelles de Iasmina et de ta maman Simona et puis de tous les autres que j'oublie à cause de mon âge...

Mes amitiés sincères.

Gilberte.














Fait le 14 avril 2016 à Vaugneray, Yohann GARDON.


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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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