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Nouvelles confirmées : Sur la lande
Publié par Loriane le 26-08-2019 20:00:00 ( 1482 lectures ) Articles du même auteur
Nouvelles confirmées



Elle avançait en soufflant. La fatigue pesait sur ses pas.
La lande était sombre et se couvrait de longs filaments de nuages brumeux qui parfois la couvrait toute entière et la dissimulait aux regards.
La brume roulait en ombres lourdes, qui soudain s'évaporaient pour laisser quelques lueurs éclairer les étendues de bruyères, d'herbes froides et mouillées qui descendaient en pentes douces jusqu'aux flots noirs gonflés par la houle et qui hurlaient en bas en jouant avec les vents de mer.
Pesamment, elle poussait sur ses pieds fatigués, ses mauvaises chaussures s'enfonçaient dans les tourbières où les sphaignes les aspiraient et les retenaient.
Elle du faire un effort pour les soulever plus encore, provoquant à chaque pas, le chuintement râleur du sol trempé, furieux de lâcher sa prise.
Elle allait péniblement entre terre et ciel dans cette étendue vide et grise que chaque caprice du vent transformait. L'air salé brûlait ses lèvres et elle sentait sa jolie coiffe de dentelle s'affaisser tristement.
Ses yeux fixaient le lieu où se trouvait la maison et la cherchaient.
Un instant le vent poussa soudainement la brume et découvrit la grosse bâtisse grise, solitaire dans ce désert vert.
Elle regarda le lourd bâtiment carré avec son étage, les murs plats étaient faits de pierres épaisses à peine dégrossies, le toit légèrement pentu était sans grâce et les fenêtres faisaient de sinistres trous vides dans la façade.
Devant la porte, une barque de bois sans couleur, aussi rudimentaire que la demeure, attendait sa mise à l'eau dans la anse proche, en contre -bas.
On voyait sa trace dans la terre creusée par son passage quotidien, longue traînée qui se transformait en rigole d'eau boueuse.
La cheminée fumait embaumant les alentours de l'odeur des feux de tourbes.
Après, près d'une heure de marche, elle poussa la porte de vieux bois rongé par l'air marin, la grande salle était si sombre qu'elle dut attendre que ses yeux s'accoutumassent à la pénombre que rien n'éclairait.
Elle avançait lourdement, lentement et s'approcha de la silhouette de la mère assise à la grande table, elle déposa les bocaux de saindoux et de rognons que la cuisinière du manoir lui avait remis en supplément de ses gages de la semaine, gages que l'intendant avait comme à l'accoutumé, disposés à l'office, dans le grand vaisselier de la cuisine du personnel.
Dans un coin de la pièce sombre, la silhouette trapue du père était immobile, debout dans l'angle, il fumait adossé au mur, il la fixait sans parler.
Mais pourquoi l'aurait -il fait ?
Que les paroles franchissent ou non les lèvres chacun savait ce qui bougeait dans les têtes de ceux qui vivaient là.
Le feu crépitait doucement et éclairait faiblement les murs nus.
Dans le silence, un cri de colère raisonna soudain, le père hurla une insulte au chien qui se grattait furieusement, et qui dans sa frénésie faisait un bruit de tambour régulier en cognant sa patte sur le plancher creux.
Ce cri la fit sursauter et c'est alors que, là debout face au père, qui la fixait, elle sentit un glissement dans son ventre, un mouvement lent et doux qui se dessina nettement sous son tablier blanc de service.
Sa mère la regarda, son père oublia le chien qui reprit son bruit de marteau, et fixa sur elle son regard.
Les visages étaient vides, immobiles, fermés, les yeux même étaient silencieux.
" Va prier " la voix du père était dure,
"Et vous aussi" dit-il fortement à la mère et à la jeune soeur, accroupie devant la timide flamme.
il se leva lentement, très lentement, il marchait avec calme, il sortit.
Les trois femmes priaient, à genoux côte à côte, leurs voix pleuraient des supplications adressées avec foi.
Leurs prières finies elles attendaient en silence, quand la lueur grise du jour finissant entra avec la porte qui s'ouvrait.
Le père était courbé, ses cheveux trempés dégoulinaient sur sa vareuse. Cet élégant suroît de prix, c'était elle qui l'avait rapporté du manoir.
A cette époque Monsieur le comte avait été souffrant et il l'avait fait venir auprès de lui pour le veiller nuit et jour, afin que Madame la comtesse ne soit pas dérangée par ses ennuis de santé.
Durant ces longs jours, elle avait peu dormi, peu mangé, mais elle s'était si bien accommodée de sa tâche que Monsieur guérit enfin, et qu'il lui offrit en récompense de son dévouement, ce beau, ce luxueux vêtement qui avait appartenu à son fils, Monsieur le comte troisième du nom.
Elle frissonna, son fils, Monsieur le comte, qui vivait à Londres maintenant et qui avait était si gentil avec elle pendant qu'elle veillait son père, Il n'avait jamais donné autant de visites à sa famille, et il était fidèlement resté auprès d'elle, si présent, chaque jour, si présent, si attentif à sa fatigue.
Elle voyait nettement ce visage merveilleux, ses mains soignées d'homme élégant, ses mains si belles et si tendres, ses bras, ses manières enveloppantes sans brutalité, sa voix lorsqu'il lui avait donné pour la première fois son petit nom.
En l'entendant la nommer par son prénom elle avait ressenti une si troublante émotion, qu'elle en tremblait encore à l'évocation de cet instant.
Elle l'avait tout à fait oublié ce nom de baptême.
Dans sa famille, on se parlait si peu, "Eh fille, viens" , "eh fille va tirer la barque", "fille ferme la porte", "fille monte la lampe", était l'habitude.
Aux cuisines du manoir, pendant sa charge, elle était pour tous "O'Leary" , l'usage du patronyme était coutumier pour désigner une personne, qu'elle soit femme ou homme n'importait pas.
Elle était "fille" ou "O'Leary"
Mais lui, lui avait parlé d'une voix calme, il l'avait regardé dans les yeux, il lui avait donné son nom, celui qui n'est qu'à elle.
Oh ! tout le reste, elle le savait, elle n'était pas innocente, non, mais elle avait été vivante, unique, importante durant des semaines.
Sa vie elle l'avait vécue, sa vie était dans son ventre.
Elle vit le père marcher lentement, il alla vers la cheminée, il décrocha le fusil, il le chargea.
"Viens" Lui dit-il
La porte refermée, elle avançait à ses côtés, ses pieds faisaient la route seuls, la nuit était venue, et le trou que son père venait de creuser près de la roche qui longe le sable, était à peine visible.
"fille, à genoux, prie !"
Son corps sauta en l'air, elle n'entendit pas la détonation, elle s'était illuminée comme un feu d'artifice, une partie de sa tête était partie, son esprit était sur la lande, son corps se débattait inutilement, il luttait sottement, il ne laissait pas partir ses deux vies, alors elle sentit sur sa gorge, les mains de son père qui accrochait la mort pour la faire venir en elle, pour l’entraîner vers le trou qui était là, à l'attendre.
Son ventre partit le dernier.
Maintenant, elle flottait dans les brumes, sur l'océan elle le vit, il voltigeait perdu, son esprit trop jeune avait été surpris, tendrement elle le pris en elle, le porta encore et lui souffla ce qu'elle avait toujours su, elle lui souffla l'amour qui l'avait conçu.

Loriane Lydia Maleville

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.

Auteur Commentaire en débat
Manof80s
Posté le: 28-09-2019 09:56  Mis à jour: 28-09-2019 09:56
Semi pro
Inscrit le: 04-05-2014
De: Sury le comtal
Contributions: 114
 Re: Sur la lande
l'horreur magnifiquement écrite, la fleur au fusil en bouquet de plomb
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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