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Nouvelles : Un amour oedipien (suite)
Publié par Salimbye le 20-08-2013 19:46:35 ( 777 lectures ) Articles du même auteur



Un amour Å“dipien ( suite et fin)


VI - Fier de sa conquête, mon grand père rapporta son trophée un soir d’automne.
Une grosse femme d’une cinquantaine d’années. Elle n’était pas belle : Visage rond, yeux exorbitants, nez plat, fesses volumineuses mais carrées, elle portait une robe assez usée et tenait toute sa dote entre ses bras : un coq rouge au plumage luisant.
Ma mère fut soulagée d’une bonne partie de ses soucis.
Mon grand père nous présenta l’étrangère :
« -Elle s’appelle Aouicha ».
Toujours sur ses gardes, ma mère paraissait toute petite devant elle. Un renard tournant autour d’une lionne qui se restaurait.
Après un diner commun que ma mère avait préparé à contre cœur, Aouicha sortit de sa coquille pour demander, d’une voix gutturale, où se trouvait sa chambre à coucher.
On l’informa que la maison n’était composée que de deux chambres, que la hutte servait de cuisine commune et que pour se soulager, il fallait se mettre entre les genets, près des cactus, à l’extérieur de la maison. Quant à la source d’eau, elle se trouvait à environs trois cents mètres au fond de la vallée.
On procéda au partage des biens ( ustensiles de cuisine, draps, chèvres, bois pour le chauffage et la cuisson…).
On traça une frontière imaginaire.
Aouicha mit ma mère en garde :
« Je ne veux pas que tes enfants débarquent à n’importe quel moment dans ma chambre. Chaque fois qu’ils voient mes chaussures devant la porte, ils doivent savoir que je me repose à côté de leur grand père. Alors un peu de décence ! ».
L’idée d’imaginer son cher papa isolé avec cette grosse femme étrangère, rendait ma mère bouillonnante. Son visage sombre et ses sourcils froncés attestaient clairement qu’elle pouvait éclater à n’importe quel moment
Comme la montagnarde se déplaçait tout le temps pieds nus, ses chaussures, comme des plaques de circulation, étaient toujours posées sur le seuil de la chambre pour nous rappeler le pacte de non ingérence entériné par les deux parties.

Je pressentis que la coexistence entre ces deux femmes allait être dure et commençai déjà à remettre en doute les avantages guerriers de ma mère.


VII - Chaque matin, mon grand père conduisait le troupeau de chèvres sur des collines arides parsemées de quelques arbustes d’arganiers. Aucun autre animal domestique ne pouvait survivre dans ces contrées éternellement brûlées par un soleil ardent. Seules les biques, extrêmement agiles, avaient le don d’escalader ces arbres pour se nourrir de branches tendres.
Profitant de la misère des habitants de la tribu, notre représentant parlementaire avait racheté toutes les bonnes terres de la vallée pour une bouchée de pain. Les ex-propriétaires furent obligés de renoncer à leur dignité et d’aller construire de petites maisons en terre battue sur les versants ensoleillés des collines.
Au milieu de ce musée de pierrailles et de toutes sortes de rochers, notre tribu devint l’illustration concrète d’une nature morte.
A la suite de son troisième mandat, l’élu avait découvert, avec la collaboration de certaines de ses relations, que la majeur partie de notre tribu n’avait pas voté pour lui, malgré l’argent qu’il lui avait distribué la veille du scrutin. Les représailles ne furent pas longues à tomber sur tous les habitants d’Ouled M’rah : ils ne reçurent pas de mouton pour la fête comme il leur fut promis. Ils achetèrent eux-mêmes les cartables et toutes les fournitures scolaires pour les quelques enfants qui fréquentaient l’école. Toutes les aides du gouvernement furent adroitement détournées vers les tribus dociles et obéissantes.


VIII- Ce matin là, ma mère était en train de faire la lessive. Ses gestes vifs et énergiques attestaient clairement qu’elle était sur le point de mettre à exécution son projet d’attaque, surtout que la montagnarde chantait à haute voix dans une langue que ma mère ne comprenait pas, mais qu’elle savait, par intuition, que certains refrains lui étaient destinés particulièrement.
Ma mère réagissait par des propos qui nous étaient adressés, mais qui, en toute évidence, visaient à provoquer son ennemie, à l’exciter :
« -Venez mes petits, venez donner un coup de main à votre chère maman. Vous êtes une bénédiction. Toute femme qui n’a pas d’enfants est damnée par Dieu, surtout si elle est étrangère à notre tribu ».

Plus ma mère nous prodiguait sa fausse morale, plus la montagnarde chantait à tue tête. Et c’est à ce moment là que le malheureux coq, cette sale bête qui nous réveillait au milieu de la nuit par ses chants stridents, eut la malencontreuse idée de s’approcher de ma mère pour picorer. Ce fut la goutte qui fit déborder ma mère, puisqu’elle asséna au roi de la basse-cour, un coup de pied sec mais fatal qui le propulsa au seuil de notre chambre à coucher. Il battit des ailes un instant avant de s’immobiliser.
Il était mort.
Furieuse, les yeux exorbitants, la montagnarde cessa de chanter et sauta sur ma mère. Cette dernière esquiva et la laissa tomber de tout son poids près du coq.
C’était le faux pas que Aouicha ne devait commettre en aucune manière. Profitant de ce déséquilibre, ma mère la saisit par les cheveux, la cloua par terre et commença à lui mordre les bras.
Visage au sol, la montagnarde se débattait en criant de toutes ses forces. Elle appelait au secours.
Les voisines qui rôdaient depuis plus d’une semaine autour de notre maison, prêtes à intervenir pour donner un coup de main à ma mère au cas où la bagarre prendrait une mauvaise tournure, envahirent notre maison. Lorsqu’elles virent que maman maitrisait parfaitement son sujet, elles se tinrent à l’écart, tels des arbitres impartiaux qui suivaient une partie de lutte romaine. Mais elles n’étaient pas si neutres qu’on le pensait. Le visage de la montagnarde plaqué au sol, les voisines n’hésitaient pas à faciliter la tâche à ma mère en assénant, de temps en temps, des coups douloureux à leur ennemie commune.


IX - Comment Aouicha échappa-t-elle à l’emprise meurtrière de ma mère ?
Personne ne le sut.
En un clin d’œil, elle se dégagea de son adversaire et prit la fuite, toujours en criant. Le visage et les habits barbouillés de boue, une main qui saignait à cause d’une morsure, la montagnarde se dirigea vers la brigade de la gendarmerie qui se trouvait à sept kilomètres de chez nous.
Une fois ma mère avait reprit ses esprits, elle commença à se pavaner devant son public, tel un champion qui venait de remporter une coupe.
J’étais fier de cette victoire. Je me sentais léger comme si on m’avait délesté d’un lourd fardeau. Je partis sur le champ chercher mon père pour lui annoncer la bonne nouvelle. Mais au lieu de laisser éclater sa joie, ,ce dernier paraissait désorienté.
En revenant à la maison, mon père fut surpris de voir les voisines chez nous. Elles tentèrent de lui expliquer ce qui s’était passé, mais comme elles parlaient toutes à la fois, mon père ne comprit absolument rien. Le coq qui était à l’origine de cette guerre et qui gisait devant la porte de notre chambre avait disparu : Une des voisines avait pris soin de le jeter dans un puits sec.
Remarquant la tristesse et la pâleur de mon père, ma mère se rendit compte des conséquences fâcheuses que pourrait engendrer le combat qu’elle venait de remporter brillamment. Elle continua à justifier son comportement, tout à fait légitime à ses yeux, jusqu’à l’arrivée des gendarmes.
Ayant remarqué que toutes les femmes avaient fui loin du champ de la bataille, ma mère comprit que les incitations des voisines, les encouragements, les aides et les félicitations ne lui seraient d’aucune utilité.

X - Ma mère et Aouicha passèrent trois longues nuits à la gendarmerie. Le jour où mon père paya la rançon, elles furent libérées vers deux heures de l’après midi.
Comme Aouicha savait que mon grand père n’allait pas lui pardonner ses exactions, telles qu’elles lui furent rapportées par les voisines, elle se dirigea directement vers la montagne où elle avait grandi.
Quant à mon grand père, il se mit à la recherche d’une nouvelle femme pour alléger sa solitude !
En apprenant la nouvelle de ce re-remariage, ma mère sombra dans la folie pendant six mois. Mon grand père ne voulut pas prendre de nouvelle femme, avant le rétablissement complet de sa fille unique. Mais chaque fois qu’il l’informa de son projet, elle faisait une rechute.
Peut être qu’elle n’était pas si folle qu’on le pensait !


M. LAABALI


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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
emma
Posté le: 29-08-2013 19:35  Mis à jour: 29-08-2013 19:35
Modérateur
Inscrit le: 02-02-2012
De: Paris
Contributions: 1494
 Re: Un amour oedipien (suite)
Tout à fait réussie, cette fin.

J'ai aimé le passage de la "fausse morale" qui sonne vraiment juste.

On voit bien le chantage affectif qui s'est installé entre le père et la fille qui fait la folle pour ne pas se voir affublée d'une nouvelle belle-mère.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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