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Nouvelles confirmées : Requête
Publié par couscous le 12-04-2014 15:48:51 ( 1244 lectures ) Articles du même auteur



Votre Majesté,

Par la présente, je m’adresse à vous car il me faut témoigner de ce qui se passe dans votre pays. Certains de vos citoyens sont bannis, floués, privés de leurs droits fondamentaux et vous semblez l’ignorer. Mais cela est peut-être normal après tout.
Je m’appelle Cécile et j’ai fait partie des invisibles.
Pourtant, j’ai bien commencé ma vie d’adulte. À dix-huit ans, je me suis installée en ménage avec Eric. Il était jeune avocat dans un cabinet réputé et notre avenir semblait radieux. Nous avions échafaudé de nombreux projets d’avenir en termes de voyages à réaliser et d’enfants à élever, jusqu’au jour où tout a basculé. Tout a commencé par une odeur de parfum sur sa chemise, un parfum féminin qui n’était pas le mien. Puis un désintéressement progressif à mon égard, pour terminer par un aveu froid et implacable : « Tout en fini entre nous ! Va-t-en ! ». Ma lourde valise dans les mains, je l’ai croisée dans la cage d’escalier, celle qui venait prendre ma place encore chaude dans le grand lit.
Les quelques amis que j’avais n’étaient en fait que ceux d’Eric et ils m’ont tous fermé leur porte. Ma famille ne se composant plus que de mon père veuf et malade, je décidais de ne pas le solliciter et de chercher seule une solution de repli. Le problème était que je n’avais aucun moyen de subsistance et donc aucune possibilité de trouver un logement. Alors, le ciel étoilé m’a servi de toit plusieurs nuits. J’ai été réduite à quémander aux coins des rues pour survivre mais lorsqu’on est assis à même le sol, notre corps s’efface peu à peu et les autres ne remarquent même plus notre présence. Même les miroirs des toilettes publiques, dans lesquelles je me lavais de façon très succincte, ne me renvoyaient même plus mon reflet. J’étais devenue une invisible. J’avais entendu parler de ce phénomène mais qui aurait cru que j’en serais un jour accablée ?
Affamée et sale, j’ai marché jusqu’à la limite de la ville où j’avais entendu parler de groupes de personnes dans la même situation que moi. Je les ai trouvés derrière une ouverture dans une vieille palissade en bois vermoulu, au-dessus de laquelle étaient gravés au canif les mots « Bienvenue aux invisibles ». Là, j’ai été accueillie par un jeune garçon qui m’a souri. Cela faisait de longs mois que je n’avais plus eu droit à cette marque d’attention. L’enfant m’a amenée, sans dire un mot, jusqu’à une cabane faite de déchets de récupération en tous genres et dont les morceaux semblaient tenir par magie ensemble. À l’intérieur, une odeur de putréfaction régnait et un homme aux mains noires de crasse m’a invitée à m’asseoir.
Nous avons longuement parlé et je lui ai expliqué mon parcours. Il me déclara qu’il me trouverait un lit et que je pouvais partager la pitance commune. Ensuite, nous sommes sortis et il m’a fait visiter les lieux. C’était une sorte de ghetto où s’entassaient des cahutes de tailles variables entre des monticules de déchets. Au milieu d’une sorte de place, des braseros étaient alignés sous un préau de fortune et semblaient servir de lieu pour cuisiner. On me proposa de m’installer dans une cabane habitée par trois autres jeunes femmes. Je pus déposer ma valise, devenue légère au fil des mois, au pied d’un vieux matelas fait d’un couvre-lit troué et rempli de paille pour ne pas sentir la dureté du sol terreux.
Les règles de cette communauté étaient simples : solidarité et partage. Peu à peu, je m’y suis créé une seconde famille. Mais la vie y était rude. On ne mangeait que ce que les visibles délaissaient : les conserves périmées, le pain, rassis, les emballages arrachés, les fruits et légumes gâtés. Nous allions glaner notre nourriture sans que personne ne nous remarque, seul privilège d’être un invisible. Pour les vêtements, c’était la même chose : de la récupération de linge sali, abîmé. Notre camp possédait un seul puits d’où sortait une eau malodorante et brunâtre. Il n’était pas rare de voir l’un d’entre nous emporté par la maladie.
Je commençais à me contenter de cette vie médiocre car c’était la seule à laquelle je pouvais prétendre désormais. Lorsqu’un jour, au détour d’une ruelle étroite dans laquelle je venais de trouver un pain de la veille encore tendre, j’ai heurté un homme. Cela m’était déjà arrivé. Généralement, je me retrouvais par terre, en raison de la force habituelle des visibles, bien mieux nourris que moi et mes semblables, et l’indélicat reprenait son chemin comme s’il avait glissé sur une vulgaire peau de banane ou s’était pris un réverbère fantôme. Mais cette fois-là, l’homme me fixa du regard. Comment pouvait-il capter ma présence ? Il me tendit même la main. Etonnée de ce geste, je la pris et il me hissa debout. Sans lâcher prise, il me dit : « Montrez-vous ! ». Je ne comprenais pas, je ne contrôlais rien. Il ajouta doucement : « Dites votre nom. ». En déclinant mon identité, je sentis une chaleur m’envahir peu à peu. L’homme me sourit en me répondant : « Bonjour Cécile. Je peux vous aider si vous le désirez.».
Il m’a conduite dans un centre qui aidait les invisibles. J’y ai croisé d’autres comme moi. On nous y coiffait, nous rhabillait, nous soignait et nous nourrissait correctement. De grands miroirs ornaient la salle commune. Nous pouvions y constater notre guérison progressive. Peu à peu, on voyait apparaître notre silhouette floue, puis de plus en plus précise en commençant par le visage et ses détails, puis le corps qui reprenait forme. Lorsque nous étions guéris, on nous aidait à trouver un emploi puis un logement. En échange, on s’engageait à tendre la main à notre tour à au moins deux invisibles car nous conservons la possibilité de les voir.
Ma mission est déjà remplie pour ma part. Mais la vôtre est cruciale maintenant. Je vous prie d’aider mes frères et sœurs invisibles. Personne ne souhaite ce statut dégradant et Vous avez le pouvoir de leur tendre la main à tous. Ouvrez les yeux ! Faites le premier pas.
Dans l’espoir que la présente ne reste pas lettre morte en Vos mains, Majesté, je vous prie et vous supplie de croire en l’Avenir des Invisibles.
Visiblement vôtre.

Cécile

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
maurizioB
Posté le: 13-04-2014 10:13  Mis à jour: 13-04-2014 10:13
Plume d'Argent
Inscrit le: 02-03-2014
De:
Contributions: 426
 Re: Requête
Un seul mot, magnifique, cet un bel hommage à tous ces gens et nombreux bénévoles qui prennent sur leur temps pour aider leur prochain, et je te dis cela sincèrement et en toute humilité , car j'ai moi même œuvré pour les restos du cœurs, pendant quelques années
Encore bravo et merci
Amitiés, Maurizio
arielleffe
Posté le: 13-04-2014 11:39  Mis à jour: 13-04-2014 11:39
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
 Re: Requête
Très triste histoire. Votre Majesté, entendez Coucous !!!!
couscous
Posté le: 13-04-2014 15:17  Mis à jour: 13-04-2014 15:17
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Requête
Merci à tous les deux. Dans l'espoir que la voix des invisibles se fasse entendre !

Amitiés

Couscous
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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