Depuis plus d’un an il y a, scotché à la porte de ma chambre, un morceau de papier sur lequel il est écrit « Seule l’intelligence permet la paix ». Aujourd’hui enfin, j’ai l’autorisation de le retirer.
Je repousse mes couvertures et me lève sans entrain. Je m’approche de la porte, saisis la feuille et l’arrache violemment. Sans lui accorder un ultime regard, je la déchire en d’innombrables morceaux que je jette ensuite par la fenêtre de ma chambre.
Je reste là un moment, appréciant la brise fraîche du matin, avant d’affronter la dure journée qui m’attend.
Je descends les escaliers mollement, en prenant soin de m’arrêter sur chaque marche. A mon arrivée dans la cuisine, ma mère s’affaire à préparer le petit déjeuné. Je m’assieds avec nonchalance sur une chaise et m’étale sur la table. Maman ne m’accorde aucune attention et dépose une assiette remplie de crêpes face à moi. Je les dévore en quelques bouchées et adresse un sourire nerveux à ma petite sœur qui vient d’entrer.
- Pas trop stressée ? me demande-t-elle.
Je me mords la lèvre pour seule réponse. Evidemment, je suis terrorisée à l’idée de découvrir ce que va être ma vie après cette journée.
Tous les étudiants âgés de 16 ans sont soumis à l’Examen. C’est une évaluation énorme composée de questions de tous niveau scolaire, ça passe du calcul de deux plus deux à l’explication des éruptions volcaniques. Les résultats de ce test nous guident alors vers le Secteur qui correspond à notre degré d’intelligence et ainsi à un métier à la hauteur de nos capacités.
Depuis cinq générations, ma famille fait partie du Secteur Deux et a prouvé sa valeur en tant que médecins. Je n’ai donc pas droit à l’erreur, les seuls secteurs que ma famille tolère sont le Deux et le Un. Ce serait couvrir de honte la lignée des Van Horne que d’être envoyée dans un Secteur inférieur. C’est pourquoi le jour de l’Examen est toujours considéré comme un jour grave pour ma famille. Même si mon grand frère a passé ses tests avec brio et travail depuis en tant que chirurgien, on n’est jamais à l’abri d’une catastrophe.
Je remonte dans ma chambre pour m’habiller. J’enfile ce qu’il y a de plus simple au monde, un pull gris et un pantalon noir. Je m’arrête devant le miroir pour attacher mes cheveux en une haute queue de cheval. Je déteste que mes cheveux se frottent contre mes joues lorsque je travaille. Sans vraiment m’en rendre compte, je vois mes lèvres réciter les dates clés de la Seconde Guerre mondiale. Je secoue la tête. Je connais toutes mes leçons par cœur, inutile d’angoisser. Pourtant je continue de raconter à voix haute comment les Français ont résisté lors de l’occupation.
Cette époque est lointaine maintenant. Presque plus personne ne s’en souci, à part les Examinateurs. Depuis la Guerre Nucléaire de 2080, notre pays classe ses habitants en fonction de leurs résultats à l’Examen. Cela fait plus de deux cents ans que ça dure, et jusqu’alors aucune guerre n’a éclaté. C’est que cette façon de faire, bien qu’un peu stricte, permet réellement la paix.
Pourtant au fond je suis presque sûre qu’on nous cache quelque chose. Que cette paix n’est pas vraiment réelle. Finalement, où qu’on regarde dans l’Histoire, jamais le monde n’a été entièrement en paix, et je suis convaincue que notre beau pays réprime des opposants au système. Je le sens.
En jetant un coup d’œil à l’horloge, je décide de m’allonger sur mon lit pour les dix minutes qu’il me reste avant de partir. Des tonnes d’informations se bousculent dans ma tête et mon cœur s’emballe. Et si je mélangeais tout une fois que je serai face à ma copie ? Et si je ne me souvenais plus de rien au moment propice ? Tous ces doutes sont balayés lorsque l’on frappe à ma porte. Ma petite sœur Dune entre en sautillant et s’approche de moi. Elle se jette sur mon lit et rigole un grand coup. J’esquisse un sourire avant de m’esclaffer à mon tour. Je sais qu’elle est au courant de mon angoisse et que cette manœuvre consiste à me changer les idées.
C’est une fille adorable, Dune. Elle est petite et frêle, physiquement nous sommes diamétralement opposées. Ses cheveux blonds brillent de milles feux et ses yeux bleus sont si clairs qu’ils ressemblent à un ciel sans nuage. A côté d’elle, je ressemble à un thon. Mes cheveux sont trop clairs pour être bruns, mais trop foncés pour être blonds. Mes yeux sont bruns comme du chocolat et mon corps est musclé. Malgré tout, je suis aussi petite qu’elle.
Je lui donne une tape amicale sur l’épaule en songeant que l’an prochain, ce sera son tour de survivre à l’Examen. Je pense alors que, si je devais être envoyée dans un Secteur inférieur, je serai la risée de tous. Jamais on n’a vu d’étudiants du Secteur Deux être envoyé plus bas. Finalement, la plupart des étudiants restent dans leur Secteur d’origine, il ne reste plus qu’à prier pour qu’il en soit de même pour moi.
Dune se détache de moi et m’adresse un grand sourire.
- Ne t’inquiète pas, je suis sûre que tout va bien se passer, me rassure-t-elle. Tu es très intelligente, il n’y a pas de raison que tu échoues.
C’est ce que je ne cesse de me répéter depuis des semaines déjà , mais je n’arrive pas à m’en convaincre.
Dune s’éclipse de ma chambre et me laisse songeuse. Je tente de me calmer en pensant que ce ne serait pas si mal de découvrir un nouveau mode de vie, bien que moins confortable que celui du Secteur Deux, la vie au Secteur Trois n’est peut-être pas si terrible que ça ?
Je descends et remarque que maman m’attend devant la porte. Elle m’adresse un signe de tête et me prend dans ses bras.
- Tu sais ce que tu as à faire, tout va bien se passer, me chuchote-t-elle.
Je la repousse doucement et acquiesce en me mordant la lèvre inférieure. Je ne suis pas beaucoup plus rassurée.
Je sors et commence mon voyage jusqu’au Centre, le lieu où se déroule l’Examen. Sur le chemin je me mets à chanter – trop fort peut-être – pour éviter de repenser encore une fois à mes leçons.
***
J’arrive au Centre avec quinze minutes d’avance. Le stress m’aurait-il fait marcher plus vite ? Je balaie le hall du regard et remarque Tanya, ma voisine, recroquevillé sur une chaise. Je m’approche d’elle, heureuse d’avoir trouvé quelqu’un avec qui attendre le début des épreuves. Son visage est fermé et elle semble tellement concentrée que je n’ose pas lui dire bonjour.
Elle lève les yeux vers moi et esquisse un micro-sourire. Je m’assieds à côté d’elle et saisis sa main pour la rassurer – ou pour me rassurer moi. Elle a les mains moites et tremblote. Elle serait capable de me faire paniquer encore plus.
Le hall se remplit rapidement. Je vois de nombreux visages anxieux. Difficile de ne pas l’être dans une telle situation.
Un petit groupe dans le fond de la salle attire mon attention. Il y a plusieurs gamins de mon âge, mais leurs visages pâles et indifférents m’intriguent. Ils viennent sûrement du secteur six (un secteur composé uniquement de soldats – des machines de guerre tout au plus). Ils n’ont pas l’air plus stressés que ça à jouer leur vie sur un examen. De toute façon, peu importe le résultat qu’ils obtiendront, il ne peut pas être pire que ce qu’ils ont vécu jusque là . Je dois les fixer depuis un moment car l’un d’entre eux pose un regard lourd de menace sur moi. Je baisse la tête en faisant mine de parler avec Tanya lorsque je le vois s’approcher de nous à grandes enjambées. Lorsqu’il est tout près de nous, Tanya se détourne et se triturant les doigts. Je n’ose pas bouger, mais je n’ose pas pour autant le regarder. Il est grand et baraqué, il doit bien faire deux fois mon poids. Ses cheveux blonds sont coupés en brosse et son visage montre une petite cicatrice près de son œil gauche. Il se penche vers moi et me dévisage.
- Salut, lance-t-il dans un sifflement.
Je me raidis. J’ignore ce qu’il me veut et sa présence me perturbe.
- Laisse-moi deviner, t’es du Secteur Deux toi, non ? Comment tu t’appelles ? Je hoche la tête péniblement.
- April, murmurais-je.
Ses lèvres s’étirent en un sourire amusé. Il m’effraie ! Mais sa présence à réussit à apaiser mon stress de l’Examen pour le remplacer par la peur d’avoir des ennuis. Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment mieux.
Il s’apprête à dire autre chose mais un homme vêtu d’une chemise blanche immaculée et d’un pantalon noir centre sort d’une pièce à côté du bureau d’accueil. Le garçon du Six se tourne vers lui et après que l’homme ait balayé la salle du regard d’un air dur, il semble m’avoir totalement oubliée. Un silence pesant s’installe et l’homme ne cesse de nous fixer l’un après l’autre. Il prend une grande inspiration et lance:
- Tous les étudiants, suivez-moi. L’épreuve écrite va commencer.
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