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Nouvelles confirmées : La soeur d'A.
Publié par EXEM le 08-05-2014 23:41:06 ( 976 lectures ) Articles du même auteur



«  UNE MAIN POUR TENIR LA TIENNE. »
Pierre SEGHERS, Le Coeur-Volant.


Lorsque j’aperçus la jeune fille qui me souriait, bien que je fusse persuadé de ne l’avoir jamais vue auparavant, quelque chose en moi me dit que c’était la soeur d’A., un ami que je venais justement de laisser chez lui un instant plus tôt. Or, rien ne m’autorisait à penser cela car je rendais souvent visite à ce cher garçon et, en dehors d’une vieille mère et d’un frère à moitié fou, je ne lui connaissais pas d’autre famille. Je ne sais donc pas pourquoi je demeurai sous l’impression qu’un lien devait exister entre ce dernier et la gamine qui m’invitait du regard à lui adresser la parole. Me laissant guider par cette trompeuse notion, je m’arrêtai et me mis à contempler l’étrange enfant qui, sans dire un mot, se tenait au coin de la rue étroite où j’habitais, devant la petite fontaine d’où coulait en permanence un mince filet d’eau fraîche. L’âge de cette fille était difficile à deviner et, bien que je lui eusse donné quinze ans, je n’aurais pas été surpris d’apprendre qu’elle en eût vingt-et-un. Son visage, un peu jaune, était agréable à regarder et ses yeux étaient rieurs mais tristes. Son large front qui soulignait la forme triangulaire de sa figure, me fit remarquer que sa tête – sur laquelle poussaient des cheveux courts et bouclés – était trop grosse et lui donnait l’air d’être mongolienne. Je ne me souviens pas des vêtements qu’elle portait mais me rappelle que, sous eux, son corps n’avait pas de formes séduisantes; en fait, il n’avait pas de formes, du tout. Si cette dernière observation me frappa, c’est pourtant la vue des mains de la jeune fille qui m’ébranla : elles étaient si menues qu’elles semblaient être dénuées de paumes, seulement formées de doigts boudinés, collés les uns aux autres par une extrémité. Ces doigts qui avaient tous la même taille, ne paraissaient avoir ni ongles, ni phalanges et leurs mouvements étaient d’une gaucherie insupportable. Me sentant pâlir, je tentai de limiter mon observation à celle du visage qui continuait de me sourire, mais, n’arrivai malheureusement pas à me libérer de la vision de ces mains hideuses qui, j’en devenais rapidement conscient, m’obligeaient à me tenir sur mes gardes comme si je craignais qu’elles ne me fissent courir un danger grave. J’aurais pu, évidemment, après avoir dévisagé la singulière créature, passer mon chemin mais cette regrettable intuition qui m’avait déjà poussé à lui imaginer un frère en la personne d’A., s’entêta, cette fois-ci, à vouloir que je la saluasse de la tête. Je dois avouer également – pour être tout à fait franc – qu’en plus de ma naïve et imprudente aperception, ce fut mon orgueil qui, ayant détecté en cette étrangère le désir refoulé de faire ma connaissance, m’encouragea à prolonger la rencontre. L’inconnue se mit à faire des signes que je ne comprenais pas et, de nouveau, ses mains apparurent dans mon champ visuel sans que je pusse rien faire pour les en empêcher. Impuissant spectateur, je dus suivre avec un haut-le-coeur, l’évolution maladroite de ces étoiles de chair, résultat probable d’une mutation millénaire. Dissimulant mon écoeurement, je m’appliquai néanmoins à parler.
« Je dois me dépêcher car je suis en retard. »
La jeune fille ne me répondit pas mais son sourire qui, jusqu’à présent, était resté figé, s’épanouit, et, en le voyant rayonner sur ses lèvres, j’aurais pu jurer avoir entendu sa voix qui disait :
« Je veux demeurer plus longtemps avec toi. Reste»
Pour autant que je me sentisse subitement coupable envers cette créature et que ses paroles me fissent penser qu’elle méritait un peu plus de commisération de ma part, je n’approuvais pas ces mots qui m’avaient mis mal à l’aise et ne comprenais, ni surtout n’appréciais la façon dont elle me les avait mystérieusement communiqués à travers la dualité de son sourire. Si je m’attardai donc avec elle ce fut dans le seul but de lui indiquer succintement mais le plus clairement du monde que je ne désirais plus rien entendre de quelques que fussent les sentiments qu’elle nourrissait à mon égard. La jeune fille parut amusée et, à la lumière de son visage éclairé, je remarquai de nouveau qu’elle était dotée d’une certaine joliesse. Cela stimula mon incurable vanité et m’engagea à continuer de lui parler. Mais ensuite, jugeant que ma présence risquait de l’encourager dans les intentions qu’elle m’avait laissé entrevoir, je décidai de prendre congé d’elle, une fois pour toutes. J’allai donc recommencer à m’excuser, prétextant mon retad, lorsque je me rendis compte que la jeune fille se rapprochait imperceptiblement de moi. Ses mouvements m’apparurent soudain malfaisants et je sentis pour la première fois percer en moi l’angoisse. Craigant de perdre le contrôle de la situation, je fis demi-tour et m’éloignai sans autre formalité. A peine eus-je fait quelques pas que je fus envahi par la sensation d’être suivi. Au lieu d’accélérer l’allure comme tout être sensé eût choisi de le faire, j’élus au contraire de ralentir et, m’arrêtant un peu plus loin pour vérifier si mes soupçons étaient fondés, je vis avec anxiété que ma poursuivante avait presque atteint mon niveau. Alors, avant même que j’eusse pu faire un geste ou protester contre sa conduite, cette mante « irréligieuse » m’avait saisi par les hanches et, si l’horreur de sentir sur moi les doigts difformes qui me répugnaient ne fût pas suffisante pour me faire hurler d’épouvante, le froid contact que je ressentis me glaça le sang. Les membres déjà engourdis, je me sentis incapable de bouger, résigné à me voir dévoré vivant. Je réussis toutefois à baisser les yeux et m’aperçus, sans bien comprendre comment elle s’y était prise, que cette diablesse avait enfoncé ses mains dans les poches de mon pantalon. Le fait que ces mains me fussent devenues invisibles m’était plus pénible à supporter que leur laideur. L’idée de les savoir cachées en moi ne fit qu’augmenter l’aversion qu’elles me causaient. Pétrifié par cette situation grotesque et douloureuse, je jetai un coup d’oeil au loin dans l’espoir d’y découvrir quelqu’un qui pût venir à mon aide. La rue était déserte. Je voulus crier mais ma gorge crispée était incapable d’émettre un seul son. Écrasé par la malchance, j’allais sombrer dans le désespoir, lorsque mes yeux tombèrent sur une énorme porte ouverte que je reconnus immédiatement, et, seulement en cet instant, réalisai-je que je me trouvais devant chez moi! Ranimé par cette découverte, je parvins enfin à réfléchir. Si j’arrivais, d’un saut, à pénétrer dans la maison et refermer derrière moi la lourde porte de chêne, j’avais peut-être une chance de filer entre les doigts qui me paralysaient. Je bondis.
En un éclair j’avais atterri dans le vestibule et en avait claqué la porte. J’étais haletant, suant, le coeur battant et mes jambes avaient perdu leur ressort. Ne pouvant plus faire un pas, j’en profitai pour reprendre haleine. Lorsque j’eus enfin retouvé mon souffle, j’avais perdu mon calme. Pourquoi étais-je donc incapable de récupérer mon sang-froid? Pourquoi n’arrivais-je pas à me sentir en sûreté? Pourquoi, bien que la porte fût close, m’était-il impossible de respirer librement? Pourquoi mon inquiétude persistait-elle? La réponse à toutes ces questions me cingla brusquement lorsqu’une morsure m’apprit que, sur ma chair encore vive, l’inconnue avait toujours une main posée Cela bafouait ma raison et me serrait le coeur. J’étais sûr d’avoir lâché ce démon dans la rue. Sûr, d’avoir poussé la porte de toutes mes forces. D’ailleurs, il m’était facile de m’en assurer. Je n’avais qu’à détourner la tête pour en obtenir la preuve. Hélas, l’impossibilité dans laquelle j’étais de me mouvoir me faisait m’enliser de plus en plus dans le doute. Et si l’inconnue se cramponnait toujours à moi? Si je n’avais pas réussi à lui fausser compagnie? Je ne me sentais plus le courage de lui faire face. Je n’avais plus la force de lutter. Il le fallait pourtant! Je devais en finir avec ce cauchemard! Cette main que je sentais encore sur moi, cette main qui avait maintenant jusqu’à l’audace de se réchauffer, cette maudite main ne m’offrait plus aucune alternative. Je me retournai lentement Pendant la durée de ce simple mouvement naturel, le doute dans lequel je venais de me débattre m’engloutit complètement et je souffris les tourments interminables de l’incertitude car, après avoir espéré me débarrasser de cette femme, je priais maintenant désespérément pour qu’elle m’apparût.
L’inconnue n’était pas là! Cette constatation lançait à ma raison un terrifiant défi. Comment pouvais-je, en effet, sentir sur moi, la main d’une femme sans que le reste de son corps ne me fût perceptible? Comment pouvais-je m’expliquer cet attouchement fantasmatique? Ces questions atteignirent rapidement une telle résonnance et me firent présager un si mauvais augure que bientôt le désir d’en savoir plus surpassa la douleur que me causait la tiédeur de la main nichée en moi. Dans un effort prodigieux, je redoublai de concentration. J’avais désormais plus besoin de comprendre que de survivre. Finalement, de quelque façon que je m’y prisse, j’arrivais à la même conclusion : il me fallait vérifier le contenu de ma poche. Je tremblai à l’idée d’avoir à m’acquitter d’une mission aussi périlleuse mais j’eus tôt fait de me convaincre que cette exploration m’était devenue vitale et je n’hésitai plus.
Je ne sais combien de temps je dus rester immobile, les yeux fermés, dans l’état de semi-inconscience où m’avait plongé la découverte que j’avais faite. Lorsque je rouvris les yeux, je me trouvais toujours là, debout dans l’entrée de la maison, tenant ce que j’avais retiré de ma poche : La main chaude de l’inconnue, encore jointe à un morceau d’avant bras. Je demeurai un long moment sans savoir que faire. Enfin, la main dans la main, je rejoignis ma chambre et m’y alitai.

Maintes années ont passé depuis le déroulement de ces événements. Durant ce temps-là j’ai vu s’enfuir ma jeunesse, mes rêves s’envoler, ma mémoire me trahir, ma raison menacer de m’abandonner, mais, durant ce temps-là, la main n’a jamais quitté la mienne.
Je n’ai jamais revu le reste de l’inconnue, n’ayant jamais eu, ni le courage, ni le désir d’ouvrir ma porte de nouveau



FIN



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Auteur Commentaire en débat
Donaldo75
Posté le: 09-05-2014 10:04  Mis à jour: 09-05-2014 10:04
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: La soeur d'A.
EXEM,

Ta nouvelle fait peur et est fort bien écrite même si le style est très très classique (le passé simple renforce cette impression); j'ai été happé par la narration et jusqu'au bout je me suis posé la question de qui était cette fille et qu'est-ce qu'elle lui voulait..

Ne rougis pas; je trouve qu'on est dans la lignée des histoires extraordinaires d'Edgar Poe.

Bravo !!!

Donald.
EXEM
Posté le: 09-05-2014 17:41  Mis à jour: 09-05-2014 17:41
Plume d'Or
Inscrit le: 23-10-2013
De:
Contributions: 1480
 Re: La soeur d'A.
Merci Donald pour ton commentaire. Tu es sympa.
maurizioB
Posté le: 11-05-2014 13:19  Mis à jour: 11-05-2014 13:19
Plume d'Argent
Inscrit le: 02-03-2014
De:
Contributions: 426
 Re: La soeur d'A.
Bien le bonjour EXEM, admirable, vraiment en te lisant j'ai passé un moment admirable, je n'ai pas un instant eu peur tellement c'était beau et d'une tendresse incroyable...
Pour moi c'était un mélange entre une passion jamais inassouvie ou inachevée , tu es peut être tombé sous le charme cruelle mais sensuelle de la belle méduse...
Où bien ce rêve que tu n'as jamais voulu effacer...
En tous cas, moi perso j'ai adoré, et pris un certain plaisir
Braaaaaviisssimo !!!
Amitiés, Maurizio
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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