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Nouvelles : L'erreur
Publié par kahina le 13-07-2014 07:10:00 ( 749 lectures ) Articles du même auteur



L’ERREUR
Je venais d’obtenir mon diplôme de médecin quand je l’ai commise. Ni vu ni connu, crime plus que parfait. Sans mobile. Sans intention. Immunité totale. Un faux pas vite effacé. La solidarité légendaire des blouses blanches y veille. On entre dans certains métiers les yeux fermés, le cœur zen. L’erreur est humaine, la science encore plus mais, « touche pas à mon pote ». Mon meilleur avocat est celui qui a affirmé que la médecine est un art qu’on exerce en attendant de le découvrir. Alors, pourquoi je me sens prisonnier de « ça » ? L’immonde bête à la Stephen King a noyauté toutes mes cellules. D’étranges nuages se sont greffés sur mon nerf optique sans rejet possible. Mon insomniaque conscience joue à l’oracle lance-pierres pressé de vider son sac. Je voulais explorer les mystères des fonds marins, effleurer les écailles des poissons fluorescents et découvrir les trésors de l’Atlantide mais, mon géniteur avait ficelé mon destin pour exaucer ses propres vœux. Entre la luminosité du monde aquatique et l’opacité du corps humain, flotte le cadavre purifié de mes rêves d’enfant.
Le village de Z où j’ai été affecté semblait perdu dans la tourmente du temps qui ne sait pas s’écouler. Pour préserver l’immémoriale sieste, on a saboté la fluidité du compteur en solidifiant son sable. Pour trouver des bâtisseurs, il fallait les chercher dans la mythologie grecque ou à l’intérieur d’une soucoupe volante. La frilosité climatique épousait la rage d’un séisme, le fondu d’un volcan. Les murs de guingois s’effritaient sous la patte d’un moineau. Un degré de trop au mercure et les toits éclataient en feux d’artifice, la fascination en moins. Un ciel larmoyant et voilà que le sol piqué par un génie malfaisant se muait en sables mouvants. Ce jour-là, le déluge sans arche de Noé revisita la Terre au grand désespoir des cultivateurs. Impuissants, ils regardèrent la boue momifier leurs tendres tiges. L’espace se remplissait de zombies. Piégée dans son impossible équation, l’inconnue x multipliait ses casse-têtes au royaume des simplets. Difficile de savoir si c’est la nature qui a contaminé l’homme ou l’inverse. Les deux ont fini par se rejoindre dans leurs excès.
L’atmosphère de la petite pièce badigeonnée à la chaux était d’une suavité à se laisser aller sans regret dans les bras de Morphée. La partie de cartes était bien engagée entre Slimane l’infirmier et moi. Un garçon bien sympathique mais, un peu collant et curieusement obsédé par mon célibat :
- Toubib, pas une mouche ne viendra se faire soigner avec ce sale temps. Pourquoi ne pas fermer la boutique et aller chez la vieille Fatima. Cette sorcière a préparé du couscous avec de la viande séchée et du beurre salé, hum, à dévorer ses doigts !
- Tu as peur de perdre, renard. Non, on continue.
- Doc, nous sommes des musulmans, il faut profiter de la baraka d’Allah. Je soupçonne la diablesse de vouloir t’offrir sa fille avec son poids en or. C’est un parti top, le vieux a …
- Si je t’écoutais, j’épouserais toutes les filles fortunées du village, non, le harem ce n’est pas mon truc. Je ne suis pas pressé pour mettre une corde à mon cou même tressée de diamants. Si un jour je me décidais, je choisirai une collègue c’est plus pratique.
- Ne me parle pas des filles instruites, toutes des traînées. Tu as vu la nouvelle infirmière ? Je l’ai surprise avec…
La porte explosa comme un crash de fusée. Khaled, le cafetier, trainant sa fille cadette par les cheveux, brandissait ses sabres sur nous :
- Je sais qu’elle est enceinte, je veux savoir de combien de mois !
Un masque de pierre sculptait son gros visage où brillait le regard en manque d’un tueur en série. Une pâleur tuberculeuse ravageait celui de la jeune fille, ses yeux striés de rouge me fixaient épouvantés.
- Bien sûr, elle est enceinte, de trois moins au moins. On le voit comme le nez au milieu du visage. Protège-nous du Malin, ô saint patron de mes aïeux ! De nos jours, dès le berceau, les filles lavent le visage de leur paternel avec de l’urine, fulmina Slimane en crachant sur le sol.
J’ai ausculté le corps de la fautive avec l’impression que des rayons bleus l’irradiaient en boucle. Sa petite main brune s’empara de mon bras avec l’entêtement d’un naufragé agrippant une bouée de sauvetage crevée. D’une voix à peine audible, je confirmai le diagnostic de mon infirmier. Enfin, la porte se referma derrière l’ouragan. Mon bras n’était plus que tremblements pseudo-parkinsonien. On l’aurait dit sectionné et branché à une prise haute tension. Deux plaques tectoniques prirent en tenaille mon crâne. Je me demandais hébété si les reptiles qui se multipliaient dans la division ont quelque chose d’humain. Slimane me fixa d’un air compatissant :
- Pas la peine de t’en faire, toubib, ce n’est pas toi le responsable. Viens t’asseoir. Pauvre cafetier, cette garce…Tu as une tête de mort, rassures-toi, il ne va pas la tuer. Ses fils ont fréquenté l’école, des sages qui connaissent la loi. Ils trouveront un vieux con ou un handicapé dans la famille pour la marier et sauver l’honneur. Quelle journée, cette pluie est vraiment anormale. Elle a déversé son mauvais augure sur tout le village, qu’Allah nous protège ! Viens, reprenons la partie.
Je n’étais pas vraiment convaincu. J’avais l’impression d’avoir commis une erreur. Laquelle ? Je devais faire quelque chose d’urgent. Quoi ? Sur le banc des accusés, l’ignorance est le meilleur atout de la défense. Qu’est-ce qui pouvait terroriser à ce point la fille si ce n’est la faute commise et le châtiment conséquent ? À ce moment-là, je pouvais jurer sur la tête de ma mère et celle d’Hippocrate que c’est bien la vie en gestation qui empestait la gandoura fleurie. Quoique dans ce domaine, mon expérience restait à faire, les futures mères préféraient s’en remettre à Malika, l’accoucheuse analphabète.
Une semaine plus tard, on découvrit son corps sauvagement poignardé dans le ravin dépotoir qui cerne les bois avoisinants. Le médecin légiste fit honnêtement son boulot. Pour sa malchance, la victime faisait partie des 31,32 % des femmes qui naissent avec un hymen épais non perforé. Il aurait suffi d’une lancette pour faire jaillir du ventre le sang accumulé des menstruations. Sans surprise, les villageois rejetèrent la version scientifique et m’adoptèrent en héros.
Quand j’étais petit, j’adorais écouter ma grand-mère raconter l’histoire des Premiers Parents qui sont nés sous terre. Ils ont eu 50 garçons et 50 filles. Un jour, les enfants découvrirent une clarté au-dessus de leur tête. Ils montèrent vers la percée émerveillés de découvrir le ciel. Moi, depuis ce jour-là, j’ai retrouvé d’instinct le chemin inverse des ancêtres. Je me suis laissé happer par les ténèbres souterraines. Je tâtonne à chaque pas. Dans ma fuite, je piétine sur place. Je décris inlassablement la circonférence du cercle qui par définition revendique sa vicieuse aberration. Rien ne résiste au temps sauf le fiasco de nos certitudes. Sans fil d’Ariane, j’ai réussi à pénétrer dans le labyrinthe sacré, direction la mosquée de l’imam Si el Bahi :
- Mon frère, qui te dit que l’erreur ne vient pas de ce médecin légiste qui profane les corps humains malgré l’interdiction divine ?


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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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