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Blaxploitation
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Publié par
Donaldo75
le
06-08-2014 17:16:47
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Blaxploitation
Des sirènes de pompiers, ou la police, trahissaient quelque chose de pas net dans cette rue d’habitude si tranquille. Malcolm se fondit au décor environnant ; son rendez-vous avec Martha supposait de la discrétion. Il contourna l’immeuble de brique rouge et se dirigea vers le portail du local pour les vélos ; il le crocheta rapidement et s’ouvrit l’entrée à tous les logements sociaux. Il arriva rapidement à destination et frappa trois coups secs à la porte. — Qui c’est ? demanda une voix de femme. — Ton cousin d’Amérique, répondit Malcolm. — J’arrive. Il entendit des pas sourds derrière la porte puis un bruit de clé ; l’appartement se dévoila dans la pénombre avec, en point d’orgue au crépuscule, une grande et sculpturale silhouette féminine. Malcolm entra ; il était inutile de s’embarrasser de présentations ou de formules de politesse dans son monde, aussi s’assit-il directement dans le canapé miteux situé au milieu de la pièce principale. Martha, car c’était elle, beauté nocturne, le toisa fièrement puis entama la conversation. — C’est quoi ce bordel dehors ? — Qu’est-ce que j’en sais, répondit Malcolm. Pas la peine d’aboyer, je ne suis pas de ton coin et on ne se connaît pas, alors revenons en à nos affaires. Il regarda de plus près l’insolente ; elle affichait un style résolument années soixante-dix, avec une coupe Afro, des vêtements colorés et un maquillage psychédélique. « Encore une de ses frappées d’Anglaises qui se fait un film sur Harlem et la Blaxploitation » se dit l’Américain. Il n’avait peut-être pas tort ; Martha semblait faire partie d’un groupe de nostalgiques de Tamla Motown et des films où les Noirs tenaient des premiers rôles tragiques, enfin de cette Amérique qui croyait encore en l’égalité des chances pour tous et avalait les couleuvres de Dick le tricheur. Ce qui faisait vraiment rire Malcolm, c’était que ladite Martha n’était même pas née à l’époque et n’avait certainement jamais quitté le sol de son Royaume-Uni natal.
Après ces considérations sociologiques, Malcolm se recentra sur la raison de sa visite ; il servait d’intermédiaire entre les riches clients de Martha et les siens. — Je ne vais pas te servir le discours commercial des vendeurs de soupe en boite, commença l’Américain. J’ai ce qu’il te faut, sois en sûre. Le tout est de savoir si ta clientèle a les moyens de lâcher beaucoup d’oseille ; il s’agit de premier choix et non de la camelote que n’importe quel abruti pourrait se fournir à Amsterdam ou ailleurs. — Mon chou, tu joues dans la cour des grands, répliqua la belle Noire. Mes clients sont des petits Blancs en rébellion avec Papa et Maman ; ils ont les dents propres et le portefeuille bien garni. Traiter avec des noirauds comme toi et moi les fait frémir ; ils ont l’impression de transgresser un million de codes, de rejeter leur éducation bourgeoise et de s’émanciper. Pourquoi crois-tu que je me sape comme ça ? — Ce n’est pas ta tenue habituelle ? — Heureusement que non, répondit Martha en riant. Tu m’as pris pour une dingo, c’est ça ? — Un peu, avoua piteusement Malcolm. — J’ai appris, il y a très longtemps, que pour vendre il fallait ressembler à ses clients, expliqua la jeune femme. Je n’allais pas m’habiller en haute couture française pour traiter avec ces attaqués du bulbe qui ne jurent que par Martin Luther King, Marvin Gaye et Richard Roundtree. — Ceci dit, tu es très séduisante dans ce déguisement, osa Malcolm. — Merci mon coco, répliqua Martha avec un grand sourire. On aura le temps pour la bagatelle après les affaires mais d’abord il faut que je juge du matériel ; et ne t’emballe pas, je ne parle pas de ce que tu as dans le pantalon et qui semble mobiliser un peu trop tes neurones à mon goût. Malcolm rougit sous l’allusion ; il devait reconnaître que Martha lui faisait de l’effet maintenant qu’il savait qu’elle était une affranchie et non une de ces fondues britanniques en mal de sensations.
Dehors, les sirènes continuaient leur concert ; les fenêtres rougeoyaient de mille feux et le mélange entre son et lumière prenait un air de fin du monde. Excédée par le vacarme, Martha décida de voir de quoi il en retournait ; elle ouvrit la fenêtre et se pencha. Malcolm en profita pour détailler son environnement immédiat, y compris l’anatomie de son hôtesse ; du côté de l’appartement, il conclut rapidement à une planque de passage, sorte de cage à poules impersonnelle et typique des cités londoniennes de la fin du vingtième siècle, quand le Premier Ministre travailliste enfumait les masses populaires avec de coûteux programmes de rénovation. Du côté de son intermédiaire, il procéda à une analyse plus détaillée et aboutit à une note générale de huit sur dix, avec une mention spéciale pour sa croupe ; il s’imaginait bien poursuivre l’étude plus tard, à l’horizontale sur le canapé. — Attends moi ici, je vais demander ce qui se passe, dit soudainement Martha. Malcolm passa du rêve à la réalité en une fraction de seconde ; il eut à peine le temps de voir l’objet de son désir franchir la porte et se précipiter dans le hall. Les minutes suivantes lui parurent des heures ; Martha mettait du temps à revenir et ça ne sentait pas bon. Il alluma une cigarette pour se donner un peu de courage. Enfin, la jeune femme daigna réapparaître ; elle affichait une mine renfrognée qui inquiéta l’Américain. — Putain de vieille, grogna-t-elle. Tout ce bordel pour une mémère dont le palpitant vient de lâcher ; on aurait cru que le fantôme de Ben Laden venait de faire surface dans ce quartier pourri. — Rien de grave alors, dit Malcolm. — Non, mon chou. On peut revenir à nos affaires. — Annonce la couleur ; que veulent exactement tes clients ? — C’est simple : ils recherchent des enregistrements pirates des sessions new-yorkaises d’Isaac Hayes pour le film ’Shaft’ . Tu as ça en stocks ? — Pas de problème, bébé, répondit Malcolm en sortant sa clé USB.
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Auteur |
Commentaire en débat |
couscous |
Posté le: 06-08-2014 20:04 Mis à jour: 06-08-2014 20:04 |
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
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Re: Blaxploitation
Drôle de deal ! Il y a un véritable décalage entre tout le sérieux des deux intervenants, leur "professionnalisme", leurs échanges et puis le final que j'ai relu 3 fois pour bien comprendre. Je ne sais pas ce que les jeunes vont en faire mais bon, chacun sa passion.
Merci Donald
Couscous
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Donaldo75 |
Posté le: 07-08-2014 08:31 Mis à jour: 07-08-2014 08:31 |
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
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Re: Blaxploitation
Merci Couscous, j'avais voulu entretenir l'ambiance de polar des seventies dans cette histoire courte.
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Loriane |
Posté le: 07-08-2014 10:01 Mis à jour: 07-08-2014 10:38 |
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9502
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Re: Blaxploitation
Quand j'ai vu le titre j'ai sauté dessus comme lorsque l'on retrouve sa photo de classe au fond d'une boîte. J'y étais tellement dans ce décor de la blaxploitation que je me suis demandée ce que Ben Laden faisait là , je l'ai trouvé bien en avance dans le temps, à cette époque nous n'avions jamais entendu son nom je retrouve toute une époque, passionnante et dérangeante en même temps. Et cette vague de films américains que je trouvais exécrables, car les bons sentiments ne font pas toujours de bons films et les stéréotypes nous tombaient dessus en pluie, les mêmes inexactitudes, les mêmes condamnations sociales, morales, haineuses souvent mais juste inversées et pas plus justes que les précédentes, j'appelais ces nouveautés américaines "dans le vent " pour consacrer aux expressions de l'époque, " la revanche", car ce n'était rien de plus. Mais c'était si outré, maladroit, si lourd, si américain en sorte !! Quand j'ai vu Shaft les nuits rouge de Harlem, j'étais aussi en rogne que je le fus devant le féministe quand il parlait de faire aux hommes les mêmes violences que celles qu'ils nous avaient faites. A ce moment là , y avait beaucoup de règlements de compte dans l'air : les femmes, les noirs, les parents, l'autorité, les enseignants, la politique, les colonies ...La violence était de sortie. Dans la décennie précédente les anglais avaient commencé à sortir les femmes de leur placards à balai (balai de sorcière s'entend) Cette époque vibrait comme un tremblement de terre, séisme si bien digéré que peu de personne se rappelle aujourd'hui que l'on pensa différemment. Je suis surprise de voir la route faite en si peu de temps en fait, surprise et ravie, voilà pourquoi je dis souvent que je suis née au moyen-âge. Le virage fut très brutal et beaucoup eurent du mal à s'accrocher, beaucoup se sont explosés dans le décor, certain sont partis dans le Larzac garder des moutons, d'autres sont partis à Katmandou en robes longues, des fleurs dans les cheveux pour goûter des malheurs différents. Ceux qui sont nés à cette époque ne savent pas qu'ils sont nés sur un volcan. Le récit est bien fait, l'ambiance bien rendue, c'est tout à fait ça, la vente de la drogue se faisait encore sous le manteau, elle n'était pas encore affichée dans la rue, elle n'avait pas encore revêtu la brutalité, la violence actuelle. Il y a beaucoup d'esthétique dans ton récit, tout comme on le ferait pour un scénario ( dit "scénar" par les amateurs de ce genre de film ) Mille mercis pour le partage. http://youtu.be/1F_0FsGeq7s
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arielleffe |
Posté le: 07-08-2014 10:07 Mis à jour: 07-08-2014 10:07 |
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
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Re: Blaxploitation
Pas mal le teasing, je croyais vraiment qu'il s'agissait de drogue. Voilà pourquoi elle est "déguisée" en "Mama Motown". Très amusant cette histoire, je me suis laissée prendre.
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Donaldo75 |
Posté le: 07-08-2014 15:11 Mis à jour: 07-08-2014 15:12 |
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
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Re: Blaxploitation
Ton commentaire me fait plaisir ma chère Loriane car même si je n'ai pas vécu directement cette époque car je suis né au milieu des années soixante, mes parents me l'ont raconté et particulièrement la version américaine, autant sur la Cote Ouest (ils étaient à Berkeley) que Est (ils ont travaillé à New York) et mon enfance a été bercée de la musique qu'ils ont rapporté de cette époque (entre Motown et les groupes à cheveux longs).
Le revival autour de cette période a réellement existé en Angleterre dans les années quatre-vingt dix auprès d'une minorité socialement privilégiée qui cherchait ses repères dans une société encore dominée par l'idéologie libérale de Maggy. Ce mouvement n'a pas eu la même ampleur que le revival jazz des années quatre-vingt (popularisé par le groupe Sade) car musicalement peu de groupes ont suivi (c'était l'époque de la pop sucrée de Blur, Pulp et autres rigolos) et j'ai voulu m'en moquer en le situant dix ans plus tard, dans un Royaume-Uni débarrassé de ses scories thatchériennes.
Enfin, l'ambiance deal de drogue permettait de donner un parfum de souffre; ce sujet est toujours un tabou et à ce titre il me fait bien marrer. Ceci dit, quand j'habitais Londres, dans la fin des années quatre-vingt et au début de la décennie suivante, ce type de plan était courant pour les étudiants de mon école de commerce et nous allions dans le quartier jamaicain nous faire peur avec des gars du genre de Malcolm.
A bientôt pour d'autres histoires un peu différentes.
Donald.
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