| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Accueil >> xnews >> Mirage - Nouvelles - Textes
Nouvelles : Mirage
Publié par Abu-issa le 13-08-2014 16:36:38 ( 1219 lectures ) Articles du même auteur





Il passa un dernier coup de brosse sur ses chaussures devenues « nickel », se leva et réajusta pour une énième fois sa mèche de cheveux. Il embrassa sa mère sur le front et sortit. Younes avait le regard vissé au sol, et prenait toutes les précautions nécessaires pour que la terre poussiéreuse ne rencontre pas le dessus de ses chaussures cirées. Il quitta son gourbi, pour embarquer dans un taxi d’infortune bondé, et prit le soin de se caler contre la porte, afin d’éviter à tout prix de froisser sa veste rouge sang. Les passagers, assis à l’arrière, voyaient en lui une certaine suffisance.
Younes avait l’allure d’un prince arabe, du temps où l’Andalousie illuminait l’Europe fatiguée. La gente féminine le trouvait d’une beauté sans égale, et son sourire, radieux, allait jusqu’à faire de l’ombre au soleil. Le taco le déposa dans la banlieue d’Inezgane. Le prince se dirigea vers un second taxi bleu et prit le soin, cette fois-ci, de s’assoir à l’avant du véhicule, pour avoir plus d’espace. Ce trajet l’emmena à la ville touristique d’Agadir, près de la côte, pour qu’il puisse enfin rejoindre son lieu de travail.
Le ravissant jeune homme exerçait, depuis peu, dans le restaurant le plus en vogue du quartier touristique : le Jardin des rêves. D’une beauté ensorcelante, l’établissement, à l’architecture atypique, possédait, à l’intérieur, un jardin d’où l’on pouvait voir s’échapper des bougainvilliers aux couleurs rose et orange, qui recouvraient le béton avec désinvolture, et à son centre, à la manière des riads, un petit bassin, entouré de statuettes représentant l’illustre reine de Saba.
Le patron, Mustapha, était un français qui avait tout plaqué pour revenir dans le pays d’origine de ses parents. Sa femme avait craqué pour l’endroit, qui était au bord de la faillite à l’époque. Ils l’avaient acquis pour une bouchée de pain, et après quelques travaux et des idées ingénieuses, le restaurant, tel un phœnix, renaissait de ses cendres pour accueillir la crème de la clientèle d’Agadir. Travailler au jardin des rêves était une référence et une réussite en soi, pour tous les jeunes des bas quartiers.
« - Le client doit vivre une expérience, donnons-lui les moyens de s’oublier ! »
Voici le slogan que le patron répétait à longueur de journée à sa troupe. Younes occupait le poste tant convoité du rabatteur de charme. Il se plaçait devant l’entrée, distribuait des tracts, et s’évertuait à convaincre les passants de venir s’attabler.
Mais la pièce maîtresse de Mustapha était son animation, plus précisément son chanteur vedette. Il avait été le premier au Maroc à importer le concept d’un chanteur dans un restaurant pour envouter les clients en passant par les tables. Il avait piqué cette idée, lors de ses vacances de jeunesse en Côte d’Azur, et depuis, tous les restaurants l’avait copié. Mais le boss détenait le meilleur ! Il le débaucha dans un des cabarets miteux de Paris. Il avait le don de placer les bonnes personnes aux bons endroits, pour que la caisse enregistreuse puisse déborder en clôture de soirée.
Le ciel sommait au soleil de se coucher et il tirait sa révérence majestueusement, pour laisser place aux mensonges de la nuit. Le prince plaçait soigneusement ses V.I.P aux tables stratégiques. La tactique conçue par Mustapha donnait ses fruits. Le monde appelait le monde et le restaurant se remplissait par vagues successives. Le patron avait investi une petite fortune sur la lumière du restaurant : il fallait créer une ambiance tamisée, pour mettre en valeur les touristes et leur bronzage durement acquis dans la fournaise de la journée. Quand enfin, le décor et ses acteurs étaient mis en place, la machine à rêves s’enclenchait : l’artiste, vêtu de son smoking et muni de son micro sans fil, pouvait rentrer en scène et enchanter la galerie. Le boss, quant à lui, veillait à ce que la magie opère chaque soir avec une rigueur d’horloger.
Younes regagnait son gourbi à l’aube. Il lui arrivait fréquemment de croiser son père, vêtu de sa djellaba ocre, qui s’acheminait avec peine à la mosquée, pour accomplir ses prières. Le jeune homme embrassait la main de son paternel et poursuivait sa route jusqu’à son lit. Leurs relations s’appuyaient sur des rituels de forme sans fond. Etant le petit dernier, c’étaient ses frères et sœurs qui l’avaient, pour ainsi dire, éduqué. À présent, Le Hajj apparaissait usé par son diabète et sa vie n’était plus que cadencée par les prières et le silence.
Avec son salaire, Younes pourvoyait aux dépenses de la famille. Il glissait quelques billets chaque semaine à sa mère sans que son père ne soit mis dans la confidence. Après quelques mois, le jeune homme s’était constitué une garde-robe digne de sa majesté et un nom dans le quartier touristique. Tous les concurrents voulaient le débaucher, mais Younes était éduqué et ne dérogeait pas à ses principes. Il ne trahirait pour rien au monde son patron qui avait cru à son potentiel avant tout le monde.
Un soir d’été, alors que le jardin des rêves prenait en otage ses clients par envoutement, et que Younes ne cessait de remplir le restaurant, une femme à l’allure distinguée, accompagnée de sa fille éblouissante, occupa la dernière table libre. Younes croisa du regard la jeune magnifique et son cœur se mit à palpiter comme jamais ! Il en perdit l’équilibre. Pour la première fois de sa vie, le prince de la ville semblait intimidé. Sandra, impériale et homérique, jouait sa partition à merveille. Elle se maintenait le buste droit, à la façon des aristocrates, et assénait quelques coups d’œil en coin pour s’assurer qu’elle et sa mère étaient les vedettes de l’établissement. Le prince était persuadé d’avoir trouvé sa princesse. Chimérique dans l’âme, il aspirait à une grande histoire d’amour pour aboutir à un mariage et une ouverture vers l’occident.
La magie opéra près des toilettes, après les échanges des numéros de téléphone, s’en suivit une pluie de messages, pour aboutir à un rendez-vous sur la plage.
Ça pouvait paraître invraisemblable, mais c’était la première fois que Younes allait avoir un rencard. Derrière son allure de Don juan, se cachait un jeune homme, qui avait été protégé, jusqu’à ce jour, des tourbillons des émotions. Avec son métier lié au monde de la nuit et les traditions religieuses en opposition avec le libertinage, il masquait sa pureté pour rester le prince aux présumées mille conquêtes.
Les derniers clients quittèrent le jardin des rêves, et Younes se refit une beauté dans les vestiaires. En se coiffant, il remarqua que sa main tremblait. Il appréhendait la rencontre.
Il reçut un message de Sandra et devait la récupérer dans un hôtel en bordure de mer. Elle se tenait prête et splendide. La magnifique portait une tunique très aérée, d’un bleu turquoise assorti à ses yeux. Ils marchèrent le long de la promenade et échangèrent peu de mots.
Le fait que Sandra soit bien plus jeune que Younes le rassurait, mais la demoiselle avait l’air d’être un tant soit peu pressée. Elle lui prit la main et l’emmena sur le sable. La mer semblait sommeiller, à tel point, que le calme régnait au bord. Sandra s’avérait prête à vivre une nouvelle expérience, elle s’approcha de Younes hébété. Le reflet de la lune sur le rivage rendait l’instant électrique. Elle remarqua assez rapidement que Younes manquait d’assurance. Très joueuse, elle prit parti de le bousculer. En dépit de ses dix-sept ans et de son visage angélique, se cachait une nature « Carpe diem » qui consumait la vie à toute allure.
Déterminée, elle se dirigea vers la mer. Younes, dérouté, était face à son destin. Il hésita, mais la maligne sut avec quelques mots piquer son orgueil. A son tour, il la rejoignit pour sa première fois.
Le jeune homme raccompagna Sandra à son Hôtel et se traina, la tête lourde, à l’arrêt des taxis.
Le lendemain matin, avec un certain sentiment, Younes regagna Agadir bien en avance sur son emploi du temps. Le brave décida de faire la surprise à Sandra à son hôtel, pour passer un petit moment, avant de pointer au resto. Sur le chemin, il lui envoya un sms sans réponse ! Elle était surement en train de profiter de la piscine. Il demanda après elle à la réception. On appela sa chambre : de nouveau, sans réponse ! Son cœur s’accéléra. Il décida de faire un tour sur le bord de la mer au cas où il la croiserait. Ces nouvelles émotions s’exprimèrent par une respiration saccadée et une transpiration prononcée. Angoissé, Younes rentrait en contact avec la passion. Le jeune homme était sur un petit nuage qui s’embrouillait.
Il reprit son travail avec peine. Il n’était pas aussi étincelant qu’à son habitude. Son front perlait, par cette chaleur accablante. Younes se contentait de distribuer les tracts sans conviction. Il demanda une aspirine au bar, son état fébrile annonça une future grippe. Il avait soigneusement posé sur un coin, à l’ombre, une bouteille d’eau fraîche et un gant de toilette, qu’il passait sur son visage tous les quarts d’heure. Il espérait que Sandra et sa mère puissent passer pour prendre un pot, mais il n’en était rien. La miss ne répondit plus à ses messages, son cœur se déchira et ses jambes rampèrent : l’homme était malade.
Les jours passèrent et se ressemblèrent : aucune nouvelle de la magnifique. Il s’était renseigné auprès du réceptionniste : dimanche elle décollerait pour Strasbourg.
Samedi soir, Younes, fidèle à son poste et remit de sa grippe, travaillait sans relâche. Le restaurant était bondé, et contre toute attente, Sandra et sa mère se trouvaient assises au jardin des rêves. Le jeune homme ne les avait même pas remarquées, jusqu’à ce que le chanteur rentre en scène. Il était dans tous ses états. Une nouvelle angoisse lui serra la respiration, mais il n’était pas question d’en rester là : il devait agir. Il lui fit un signe pour marquer sa présence, qu’elle lui renvoya avec un léger décalage. A l’instant où Younes se décida d’un pas ferme de les rejoindre, deux hommes ténébreux atterrissaient à leur table. Stoïque ! Younes allait perdre pied, mais une dignité surgit des profondeurs de son âme qui lui permettait de tenir le coup, et de retrouver son poste à la porte d’entrée du jardin des rêves pour vivre son cauchemar, en tant que spectateur de sa tragédie.
L’un des deux, et probablement le plus jeune, tenait la main de sa mère. Une complicité dérangeante les unissait. Sandra, toujours le buste haut, se laissait séduire par l’autre. Younes perdait pendant cet acte son innocence, le jeune homme mutait. La belle s’extasiait de la situation, héroïne de sa propre pièce. Elle se leva pour aller se refaire une beauté aux toilettes. Souveraine, elle traversa le bassin aux poissons par le petit pont, et se retourna fièrement pour surprendre Younes, la suivre du regard. Ce n’était pas le cas, le trompé avait disparu, en réalité il s’enferma dans les vestiaires pour verser des larmes de haine. Plus jamais il ne revit la briseuse de cœurs.
Dans le taxi, pour rentrer dans son village, Younes n’était plus que l’ombre de lui-même. Il souffrait le martyr. Il se posait de multiples questions, sa tête était en ébullition.
« - Comment pouvait-on être aussi machiavélique à cet âge ? Et pourquoi lui ai-je offert ce que j’avais de plus cher ! »
Pour lui, Sandra ne pouvait incarner la cruauté. Ses traits étaient synonymes de pureté et sa beauté s’apparentait plus à celle de l’ange qu’au serpent. Il a été victime d’une hallucination, d’un faux semblant. Il comprit, à ses dépens, que les apparences pouvaient être trompeuses.
A l’aube, à quelques mètres de sa bicoque, il salua son père fatigué qui se dirigeait comme un noctambule vers la mosquée. Younes lui posa la main sur son épaule pour l’accompagner.
Le prince déchu avait besoin de retrouver ses repères, après cette tornade qui lui était tombée dessus. Il fit ses ablutions pour extirper toute ces ondes négatives et pénétra dans le lieu de culte. L’imam, vêtu d’une djellaba blanche impeccable, mena la prière.
Sur le retour, le père et le fils marchèrent. L’instinct du père sentit que Younes semblait préoccupé et se résolut à débiter quelques mots timides :
«- Dis-moi mon fils, tout va bien ? »
« - Disons que ça pourrait aller mieux. »
« - Dieu nous a créé faibles. C’est la nature de l’homme. Se préoccuper du passé est une perte du présent, relève-toi et avance dans la bonne direction, fils. »
L’air était pur, et le soleil n’allait pas tarder à s’épanouir. Younes, sonné, mesurait les recommandations brèves de son père, qui avait, pour une fois, sut trouver le ton et les mots justes.
Après coup, il admit à son tour, que lui aussi, avait berné Sandra par son apparence et son allure de séducteur.
Les options choisies pour nos vies sont parfois sournoises et les conséquences peuvent être vénéneuses : Younes et Sandra ont été, tous deux, victimes de leurs images, victime d’un mirage croisé.











Article précédent Article suivant Imprimer Transmettre cet article à un(e) ami(e) Générer un PDF à partir de cet article
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
EXEM
Posté le: 14-08-2014 04:37  Mis à jour: 14-08-2014 04:37
Plume d'Or
Inscrit le: 23-10-2013
De:
Contributions: 1480
 Re: Mirage
Texte très bien écrit et très intéressant. J'ai eu l'impression de lire un conte des mille et une nuits. Le fond de l'histoire est bien traité et la morale universelle. J'ai trouvé la fin un peu trop rapide comme si tu avais envie de vite terminer cette histoire qui mérite un peu plus de forme à la fin. La morale semble se détacher du texte pour n'appartenir qu'à l'auteur qui parle directment au lecteur. C'est une façon comme une autre de conclure, mais pas la meilleure. En résumé, Abou-Issa, tu es un très bon narrateur et ton texte est excellent. Je l'ai lu avec grand plaisir. Merci et Bravoaalik.
Abu-issa
Posté le: 14-08-2014 05:37  Mis à jour: 14-08-2014 05:37
Régulier
Inscrit le: 24-05-2014
De: Maroc
Contributions: 63
 Re: Mirage
Merci encore Exem pour ta fidélité et tes critiques constructives.
Loriane
Posté le: 14-08-2014 18:48  Mis à jour: 14-08-2014 18:48
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Mirage
Devons nous toujours vivre nos désirs avec autant de passion ?
Le jeu de la séduction est bien fatiguant, bien désolant et source de souffrance, et on sent derrière toute une culture qui pèse sur les coeurs et les esprits pour rendre les choses plus compliquées encore. Si les hommes ne confondaient pas toujours désir avec amour. Il ne s'agit pas toujours de la même chose, et si les hommes et les femmes n'étaient jamais ennemis ?
Le récit rend bien ce poids de l'éducation et tout ce falbala que l'on invente et qui nous sépare jusqu'à ce que l'autre ne soit plus un humain mais un rêve.
Citation :
Et pourquoi lui ai-je offert ce que j’avais de plus cher !


Cette manière de sublimer l'acte sexuel et source de désillusion mais aussi d'orgueil. Je pensais que seules les femmes étaient invitées traditionnellement à dire ce genre de bêtise.

Fofote
Citation :
Le taco

Le tacot

Citation :
Le ciel sommait au soleil

Le ciel sommait le soleil ...
Verbe transitif direct.
Belle lecture
Merci
Abu-issa
Posté le: 14-08-2014 19:05  Mis à jour: 15-08-2014 01:01
Régulier
Inscrit le: 24-05-2014
De: Maroc
Contributions: 63
 Re: Mirage
Merci beaucoup Loriane pour vos corrections et critiques.je sens q'avec votre expérience , je peux progresser. ps: en islam :les rapports intimes hors mariages sont prohibés pour l 'homme et la femme . Merci encore.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
42 Personne(s) en ligne (19 Personne(s) connectée(s) sur Textes)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 42

Plus ...