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Nouvelles : Brûle Babylone brûle
Publié par Donaldo75 le 08-10-2014 09:36:30 ( 1004 lectures ) Articles du même auteur



Brûle Babylone brûle


Londres brûlait ; des cohortes de jeunes venus de tous les quartiers pauvres envahissaient les principales artères de la capitale britannique. Noire, rouge ou verte, la foule dévastait chaque symbole de la richesse des grandes rues commerçantes ; à coups de hache, de barre métallique ou de batte de cricket, les insurgés se défoulaient sans se soucier des passants affolés ou de la police débordée. Il ne faisait pas bon traîner dans les parages devant la furie d’une jeunesse trop longtemps négligée ; la violence devenait aveugle même si elle se limitait à des biens matériels, à l’exception de quelques infortunés représentants de l’ordre.

Chuck ne pouvait pas rater un tel événement ; ancien correspondant de guerre, il en avait vu suffisamment pour entrer dans la catégorie des journalistes blasés, de ceux qui savaient à quel point l’être humain se transformait en bête quand on le poussait à bout. Ce à quoi il assistait représentait exactement le cas classique d’une révolte urbaine ; des individus s’étaient regroupés, certainement manipulés par des organisations politiques souterraines, à plusieurs endroits de la ville et avaient décidé de donner une bonne leçon au gouvernement, au maire, aux parlementaires, enfin à tous les privilégiés de la société anglaise.
Chuck avait déjà vécu pareille situation ; dans son pays natal, la glorieuse Amérique, les Noirs avaient réagi de la même manière, dans les émeutes sanglantes de Watts au sein de l’emblématique Cité des Anges. A l’époque, au milieu des années soixante et de l’opulence américaine, les tensions raciales entre la communauté noire et la police atteignaient leur maximum ; le président de l’époque, un bon gros démocrate du Texas élu grâce au mythe de John Kennedy et des promesses faites aux oubliés du système, minimisait la colère de ceux qui l’avaient porté au pouvoir. Plutôt que de se concentrer sur l’injustice sociale et le racisme endémique, il stigmatisait un supposé ennemi intérieur appelé hippie dont le seul tort consistait à vouloir arrêter les frais de la guerre au Viet-Nam. La suite avait donné raison aux émeutiers, au prix de centaines de vie humaine sur les deux côtes et dans les mégalopoles du Nord ; l’assassinat du leader afro-américain Malcolm X était encore frais dans les mémoires et celui du chantre de la non-violence, le pasteur Martin Luther King, avait retardé la résolution du conflit.

Chuck ne comparait cependant pas la situation britannique des années quatre-vingt à l’époque de la lutte pour les droits civiques ; au Royaume-Uni, il ne s’agissait pas de l’aveuglement des gouvernants face à l’Histoire mais d’une volonté réelle du Premier Ministre de briser l’opposition et de cantonner la jeunesse au simple rang de toutou. La Dame de Fer, comme elle aimait qu’on l’appelle, avait déjà gagné la guerre contre l’Argentine pour un bout de terre perdu aux antipodes puis s’était débarrassée des syndicats en brisant le plus fort d’entre-eux ; il ne lui restait plus qu’à mater les jeunes à cheveux bleus, les fumeurs d’herbe et les profiteurs de l’aide sociale pour ramener la Grande Bretagne à son rang dans le concert des nations fortes.

En bon Américain, reporter d’un quotidien de gauche, Chuck comparait le Royaume-Uni à la mythique Babylone ; un ancien empire, haut lieu de la pensée et du commerce mondial, condamné à la disparition par la perte de ses forces vives. Dans le cas de la Grande Bretagne, le cancer qui la rongeait se matérialisait par des mesures protectionnistes, la peur de l’étranger et du jeune, le tout enrobé dans une philosophie politique axée sur la grandeur passée de la belle Britannia. Les nantis et les classes moyennes buvaient une boisson chaude à cinq heures pile mais se saoulaient à la bière et au whisky à vingt et une heures ; ils reprochaient à leurs enfants de remplacer les feuilles de thé par des extraits de chanvre indien, de vomir sur les murs des pubs et d’écouter en boucle des groupes de musique qui parlaient soit d’un dieu appelé Jah prônant l’amour libre et la fumette, soit d’un futur noir et sans issue. « L’Angleterre ne pouvait qu’exploser par sa base, composée de jeunes et de pauvres » ne cessait d’annoncer Chuck à ses collègues outre-Atlantique pour qui l’habit rouge restait une créature étrange et dénuée de logique.

Une clameur inonda la rue ; la police avait décidé de s’adjoindre les services d’unités militarisées et leurs premiers bataillons ne tarderaient pas à faire tonner le canon. Oxford Street n’était plus qu’une plaie dans le Londres des cartes postales ; des centaines d’insurgés se regroupèrent en factions, comme dans une guérilla urbaine, prêtes à en découdre avec l’ennemi juré.
Chuck n’avait pas peur ; il bénéficiait de nombreux contacts dans la mouvance alternative et le gang des ’Rude Boys’ qui le protégeaient d’éventuelles retombées propres à une émeute massive. Il redoutait plus les exactions policières ; sa carte de presse estampillée par le ’Washington Post’ ne le protégerait pas des matraques et encore moins des projectiles létaux utilisés par les forces de l’ordre.
Par dessus tout, il en avait assez de se réfugier derrière son éducation bourgeoise qui lui commandait de ne pas intervenir et de seulement relater les faits ; ce principe de base du journalisme n’empêchait pas ses cauchemars, ceux où il revoyait les militants du ’Black Power’ traînés sur le bitume par des policiers américains surarmés et fiers de leur position dominante.
Il ne pouvait plus accepter un monde, une civilisation où chaque individu portait une étiquette ; les Blancs, les Noirs, les Punks, la Droite, les Patriotes, tous ces termes puaient le stalag et la logique fasciste.
Chuck se dirigea vers l’un des groupes d’insurgés, salua son leader et proposa de fabriquer des cocktails Molotov comme lui avait jadis appris un révolutionnaire argentin ; « Burn Babylon Burn ! » cria-t-il à ses nouveaux camarades en levant le poing au ciel.

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Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 10-10-2014 06:30  Mis à jour: 10-10-2014 06:30
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Brûle Babylone brûle
Je ne connaissais pas le contexte politique britannique de l'époque. Je me suis instruite à tes cotés. Il y a derrière ce texte toute. Une reflexion sur les libertés que les politiciens laissent ou non au peuple. Tant qu'il y aura des combattants pour celle-ci, nous sommes sauvés.

Merci Donald

Couscous
Abu-issa
Posté le: 11-10-2014 09:48  Mis à jour: 11-10-2014 09:48
Régulier
Inscrit le: 24-05-2014
De: Maroc
Contributions: 63
 Re: Brûle Babylone brûle
Donaldo , tu signe à mon avis un de tes plus beau texte , tous ce que j' aime. Tu relates les faits sans porter de jugement en laissant le lecteur participait à sa propre analyse . Un texte qui raisonné et d' actualité .chapeau bas .merci du partage .
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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