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Nouvelles : Centre d'appel
Publié par Abu-issa le 10-10-2014 10:33:05 ( 932 lectures ) Articles du même auteur



Centre d’appels !




Voilà près de six mois que je suis assis devant mon écran dans un bureau box ouvert, muni de mon micro-casque. Mon numéro d’identification est le 75083. Pas de temps à perdre, le logiciel compose directement les numéros de téléphone des prospects. Plus tu as de contacts argumentés, plus tu as de la chance de vendre ces foutus abonnements.

Le client, pour qui nous travaillons, est un grand opérateur téléphonique français. Il contrôle très souvent la qualité de nos appels. Nous représentons la firme et nous devons faire bonne figure. Nous sommes censés lui vendre ces fameuses boites à tout faire, les « multi box ». La révolution numérique, le tout en un : télévision numérique avec un large bouquet de chaines à n’en plus finir, connexion internet à haut débit, téléphone en illimité, sans oublier les petits avantages pour inciter ce prospect coûte que coûte à nous laisser son relevé d’identité bancaire pour qu’il prenne au moins deux ans fermes.
Un abonnement où il sera prélevé sur son compte chaque mois. « Telecoma Maroc » a élaboré un argumentaire d’une dizaine de pages pour contourner toutes les objections et permettre de faire saigner le client au téléphone, le prendre à la gorge avec consentement.

Chaque « bureau box » est personnalisé par les télévendeurs. Certains mettent des photos de leurs enfants ou de leurs chiens, d’autres des drapeaux de leurs équipes de foot favorites, des gris-gris pour les superstitieux, en somme tout ce qui peut mettre le télévendeur à son aise afin qu’il puisse rendre la journée plus agréable et surtout, faire des ventes.

Nous sommes une équipe de cinquante personnes dans cet immense « open space ». Chacun a créé sa petite bande de collègues avec ses affinités et ses centres d’intérêts. Toutes ces voix, mélangées en même temps, créent une densité sonore foudroyante. Le soir à la maison, je ne peux plus supporter les cris de ma dernière et les requêtes de mon fils. Je suis épuisé, mes oreilles bourdonnent et mon sommeil n’est plus le même.

Les quatre superviseurs du plateau, munis de leurs casques sans fil, gesticulent dans les rangées et scrutent nos appels. Celle qui me coache est une femme, la trentaine, une française d’origine kabyle, d’Algérie. Petite de taille, chaussée d’interminables talons et maquillée d’un rouge à lèvre qui déborde toujours. Je ne sais pas comment elle fait chaque matin pour rater son maquillage grossier, elle en fait des tonnes. Une vraie poupée de cire.

Nélia prend son travail à cœur, une pile électrique avec une sono à la place de la bouche. Elle n’arrête pas, tout le temps en train de remonter ses troupes. Plus on fait de ventes et plus sa prime sera grande.

Voilà comment ça marche, on travaille avec le système de l’âne et la carotte. Cette entreprise fonctionne de façon pyramidale. Chacun doit rendre des comptes à son supérieur et chacun est rémunéré par rapport aux statistiques de ses télévendeurs. Ils sont le carburant de la société.
Le responsable du plateau est un homme de grande taille, très discret. Un ancien joueur de basket, toujours habillé en costume avec la particularité de porter des tennis aux pieds, à l’américaine.
Assis dans son bureau à baie vitrée au bout de la salle, il sort rarement de sa tour d’ivoire, mais quand un télévendeur y est convoqué, c’est rarement pour une partie de plaisir.
Plusieurs déjà, sont rentrés et dès le lendemain leur box était vide. La dernière personne en date est la pauvre Samira : notre doyenne. Il a réussi, malgré son âge et son expérience, à lui faire quitter le plateau en pleurs. Elle n’est pas parvenue ces deux derniers mois à concrétiser ses objectifs.
Il est surnommé « Terminator », reflétant parfaitement sa grande taille et le peu de mots qu’il utilise. J’ai rarement rencontré d’homme aussi impassible et glacial. On a la chair de poule quand il passe dans les couloirs. Un jour, il peut vous saluer et un autre non. C’est comme ça avec « Terminator ».

Petit à petit, toutes les couleurs de « telecoma » disparaissaient à mes yeux, je voyais la firme en noir et blanc.
Un goût amer, une sorte d’entourloupe, une certaine tension dégageait du plateau. Comme si on perdait notre personnalité consciente. Tels des automates hypnotisés, nous renouvelions inlassablement notre argumentaire pour faire des ventes. Une contagion mentale, où la répétition prenait le pas sur la réflexion. Ce que je redoutais le plus arriva : c’était effectivement un travail à la chaine avec obligation de résultat.
On devait conclure chaque jour quatre ventes coûte que coûte, sinon on prenait du retard et nous perdions notre prime. Et de ce fait, on se retrouvait avec un salaire minable.
A la semaine d’intégration, on nous chantait les éloges des bonnes conditions de travail, et qu’il n’était pas question de créer l’once d’une pression. « Telecoma » incarnerait une seconde famille. L’entreprise nous accompagnerait dans notre parcours professionnel, à l’écoute de nos appréhensions et serait là pour nous faire monter en compétence.

Sans nul doute, on travaillait dans un confort matériel et des locaux de haut standing. Mais dans le fond, on ressentait une peur Hitchcockienne. La panique de perdre son emploi, l’angoisse de ne pas être à la hauteur ! l’effroi d’une baisse d’estime de soi !
Rares sont les fois où « Telecoma » envoyait des lettres de licenciement. Ils faisaient toujours en sorte que les téléopérateurs craquent en premiers. Garder une bonne image de marque était vital pour l’entreprise.
Au début de cette aventure j’avais confiance en moi, je trouvais que je m’exprimais mieux que quiconque ici, mais pas du tout. Pour vendre ces satanés abonnements, nous devions sortir les crocs, avoir la rage, conquérir son prospect et surtout ne pas avoir d’empathie. C’est ce que me reprochait ma superviseuse Nélia, la petite en talon.
« Tu n’es pas une assistante sociale Adil, ne perd pas de temps, va droit au but. Je veux des ventes ! » Répétait-elle avec sa voix stridente en passant derrière mon dos.

J’arrivais avec beaucoup de peine à faire mes ventes, je les arrachais souvent au compte-gouttes. J’entendais toutefois des argumentaires remplis de mensonges, avec des ventes en forcing ! De la part d’âmes sans gène, des prédateurs !
Il y avait aussi la gente féminine qui usait de ses voix sensuelles pour engager des hommes souvent célibataires.

La majorité d’entre nous ne sont pas en mesure de se passer de cet emploi. Le loyer frappe à notre porte tous les mois et certains se sont jetés, tête plongeante dans des crédits immobiliers et des crédits à la consommation, après avoir obtenu leur C.D.I. Bref impossible de faire machine arrière, surtout que les emplois ne courent plus les rues.

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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