| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Accueil >> xnews >> Tous les nuages pleurent - Nouvelles - Textes
Nouvelles : Tous les nuages pleurent
Publié par Donaldo75 le 16-10-2014 09:19:02 ( 1409 lectures ) Articles du même auteur



Tous les nuages pleurent


Bobby nageait au milieu d'un lac entouré de gigantesques arbres noirs. L'eau reflétait de rares rayons de soleil et les ondes s'élargissaient en cercles infinis. Nul autre baigneur n'apparaissait dans l'étendue liquide et aucun rivage ne semblait border l'univers aquatique.
Bobby ne portait ni tenue de bain ni vêtement approprié à la baignade. Il ne se souvenait pas comment il était arrivé ici mais il se sentait bien, en sécurité. L'eau réchauffait son corps et nager ne le fatiguait pas outre-mesure ; il visitait ces lieux vides de toute présence humaine et même animale, comme un invité surprise arrivé après la fête.

« Bobby, tu ne me trouveras pas, je suis bien cachée » lui dit une voix de petite fille. Le jeune homme connaissait cette intonation, celle de sa sœur quand elle le taquinait pendant d'interminables parties de cache-cache ; elle gagnait toujours, trouvant des fissures dans les murs ou des trous dans la terre, enfin n'importe quel endroit de la maison et du jardin où se dissimuler.
« Pas cette fois-ci, Maddy, pas dans l'eau » cria Bobby, sûr de son fait. Il commença à accélérer le mouvement en direction de la voix. La seule réponse qu'il obtint fut une série de rires saccadés et railleurs ; Maddy avait toujours cultivé le don d'énerver son monde en riant de la sorte et une fois de plus elle parvenait à ses fins. Bobby plongea pour s'assurer qu'elle n'était pas sous la surface ; il garda les yeux ouverts et sonda les profondeurs à la recherche de la mutine et cachottière enfant.

« Bobby, réveille toi, tu es en train de faire un cauchemar ! » Hurla une femme, loin de lui, au-delà des arbres géants. Le jeune homme l'entendit clairement, comme si le son se diffusait parfaitement dans le volume liquide. Ses oreilles distinguaient chaque mot mais n'identifiaient pas pour autant leur source.
Bobby décida de faire l'impasse sur cette nouvelle énigme et continua à chercher Maddy dans les entrailles du lac ; il s'enfonça plus profondément dans l'univers aquatique et inspecta chaque algue, caillou ou dépôt de vase. Les rires continuaient à le narguer mais il ne perdit pas patience ; il comptait bien attraper Maddy et lui montrer qu'elle ne pourrait plus jamais disparaître sans qu'il ne la retrouve. Ses efforts finirent par porter leurs fruits ; il aperçut une forme allongée se déplaçant en sens opposé du sien. Bobby se mit à la poursuite de ce qui lui semblait être sa sœur, une sorte de sirène blanche sans queue de poisson ni tête blonde.

« Bobby, rejoins-moi, je te laisserais gagner » dit la voix de petite fille partout autour de lui. Bobby fut surpris d'entendre ces mots dans un écho réverbéré en trois dimensions ; c'était comme si le lac lui parlait et non Maddy. Il voulut répondre mais aucun son ne sortit de sa bouche, juste des bulles d'air ; il ne s'affola pas et vérifia que la sirène sans tête ne gagnait pas du terrain sur lui dans leur poursuite aquatique. Non seulement elle ne s'éloignait pas mais elle semblait même l'attendre ; le jeune homme s'approcha à quelques brasses de la forme allongée.
« Tu dois plonger si tu veux me trouver » lui indiqua la voix. Bobby ne comprit pas immédiatement ce que signifiait cet ordre ; il regarda en face de lui et constata qu'il avait poursuivi une sorte de linge vivant et pas sa sœur. Il tendit le bras dans une vaine tentative d'accrocher un bout de tissu ; il n'obtint qu'une salve de rires sarcastiques en guise de résultat et la forme plongea dans les profondeurs du lac. Il continua la poursuite en s'enfonçant à son tour dans les ténèbres aquatiques.

« Maddy n'est plus là, elle est morte il y a longtemps. Tu délires Bobby » répéta la femme au loin. Le jeune homme se retourna, intrigué par cette voix qui se mêlait aux rires insistants de sa sœur ; au-dessus de sa tête il n'y avait rien que de l'eau noire comme de l'encre et il ne chercha pas à percer ce mystère supplémentaire. Il ne souhaitait plus qu'une chose : rattraper le linge vivant qui lui échappait et semblait tant vouloir le narguer. Peut-être que ce n'était pas Maddy mais un des habitants de l'univers étrange où il s'était aventuré sans raison ; pour le savoir, il devait poursuivre sa plongée à n'importe quel prix.
« Je suis avec toi maintenant » dit la voix qu'il connaissait si bien. Bobby écarquilla les yeux et stoppa le nuage de bulles qui sortait de sa bouche ; il ne saisissait toujours pas le sens de ces mots. Il scruta à droite, à gauche, en haut, en bas et ne vit qu'une étendue liquide et apaisante. Alors il comprit : Maddy ne s'était pas cachée dans un trou au fond de la vase comme au temps de leur enfance. Tout s'expliquait désormais ; les rires diffusés en trois dimensions dans un effet panoramique, la forme allongée sans tête ni queue de poisson et le message sibyllin de sa sœur ne représentaient que des variations d'une seule et unique réalité : Maddy était le lac.

« Il a ouvert les yeux, c'est bon signe » annonça une voix masculine. Bobby sourit intérieurement et pensa à la partie de cache-cache qu'il venait de gagner ; c'était à son tour de se dissimuler dans un endroit où Maddy aurait du mal à le trouver. Il réfléchit longuement ; puisque sa sœur était devenue une étendue d'eau entourée d'arbres gigantesques, il devait pouvoir lui aussi se transformer en une autre réalité, s'affranchir de son enveloppe corporelle et se camoufler des regards. Bobby remonta à la surface.
La nuit avait pris le pas sur le jour et la lune affichait sa mine grisâtre dans une voûte céleste pauvre en étoiles ; les alentours du lac restaient déserts, sans signes de vie humaine ou animale. Le jeune homme leva la tête et se demanda si Maddy pourrait le reconnaître parmi les nombreux nuages alignés dans le ciel. Il s'éleva dans un ultime effort.
« A ton tour de me chercher petite sœur » lança-t-il dans un rire de pluie, celle des larmes retenues pendant ces longues années de deuil.

Article précédent Article suivant Imprimer Transmettre cet article à un(e) ami(e) Générer un PDF à partir de cet article
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Marco
Posté le: 16-10-2014 11:09  Mis à jour: 16-10-2014 11:09
Plume d'Or
Inscrit le: 17-05-2014
De: 24
Contributions: 725
 Re: Tous les nuages pleurent

Ah ! Donald tu es fort, très fort (mais je te l'ai déjà dit).


C'est simple comme peut l'être une partie de cache-cache, c'est à la fois léger et tendre,
c'est profond comme le lac qui attire à lui un rire de pluie, fait des larmes d'un deuil enfin accepté.

Accepté au point de quitter Maddy (lac) et de jouer avec les souvenirs (cache-cache).
N'est-ce plutôt pas un rêve qu'un cauchemar, le poids du deuil étant partit dans un rire de larmes ;
le cotonneux est la suite du jeu.

Grand merci pour cette baignade d'amour.

Amitiés
Marco
Titi
Posté le: 16-10-2014 16:21  Mis à jour: 16-10-2014 16:21
Administrateur
Inscrit le: 30-05-2013
De:
Contributions: 1622
 Re: Tous les nuages pleurent
Rêve ou cauchemar, il en est ainsi quand un être cher disparaît: une sorte d'hallucination, qui vous emmène vers un simulacre de retrouvailles, ou l'espoir dépasser le songe.

‘’ Prenez garde à la façon dont vous vous tournez vers les morts. Ne songez pas à ce qui pourrit. Regardez fixement. Vous apercevrez la lueur vivante de votre mort bien-aimé au fond du ciel’’
disait Hugo dans les misérables.


Thon récit cher Donaldo, est le reflet de cette recommandation de ce bon Victor, et qui sait, le souhait de ceux qui nous ont quitté ??


Merci et bravo pour cette nouvelle si bien contée.
couscous
Posté le: 16-10-2014 20:31  Mis à jour: 16-10-2014 20:31
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Tous les nuages pleurent
Donald,

Te voilà dans un style que je ne te connaissais et dans lequel tu excel les également. Cette histoire m'a réellement touchée, d'autant plus que j'ai assisté ce jour aux funérailles d'une enfant de 16 ans.

On part d'abord dans une sorte de rêve enfantin pour découvrir la part de la réalité comme une couverture que l'on soulève juste un peu.

Merci mon ami. Tu es surprenant.

Couscous
Donaldo75
Posté le: 16-10-2014 20:40  Mis à jour: 17-10-2014 23:48
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Tous les nuages pleurent
Merci à toutes et à tous pour ces commentaires élogieux.
@Couscous: ravi de te surprendre. Ce type de texte correspond au type de musique que j'écoute, si je devais faire un parallèle. Il représente donc ce que j'aime lire mais pas forcément écrire parce que ça me déprime moi-même.
@Marco: j'aime bien ta lecture de cette histoire. Elle est très poétique je trouve.
@Kjtiti: Oui, je pense que Maddy voulait que Bobby la laisse partir et fasse enfin son deuil.
arielleffe
Posté le: 20-10-2014 10:10  Mis à jour: 20-10-2014 10:10
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
 Re: Tous les nuages pleurent
Très joli texte, très émouvant. J'ai adoré. L'angoisse est présente d'un bout à l'autre, mêlé au soulagement de Bobby de retrouver sa soeur. Si il choisit de continuer à jouer avec elle, il meurt. Le choix est difficile. Très beau récit sur le deuil. Bravo !
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
39 Personne(s) en ligne (11 Personne(s) connectée(s) sur Textes)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 39

Plus ...