Journal de Celine Britten, deuxième du nom :

9 heures 51 : alors que le désembourbage de notre Beaver ne progresse guère, Pique, Dosoe, Rhode et Labonté, partis en reconnaissance depuis une heure, reviennent au pas de course en annonçant qu’ils ont aperçu une petite bande de Tupikwara qui semble venir vers nous. Le lieutenant Marion, son éternelle pipe en corne de bœuf à la bouche, réclame des détails :

- Est-ce qu’ils sont armés ? Combien sont-ils exactement ?

- Ils étaient à environ cent mètres de nous, mon lieutenant, répond Pique. A cet endroit-là, la forêt fait un véritable tunnel au-dessus de la piste. S’ils n’étaient pas passés sous une trouée du feuillage, on ne les aurait vus que beaucoup plus tard.

Marion insiste, en lâchant de grosses bouffées de fumée âcre d’un air contrarié :

- Voyons, au moment où ils étaient en plein soleil, les canons de leurs armes ont dû faire des reflets…

- Pas sûr, intervient Erbès, fier de faire étalage de sa science toute neuve acquise à l’école de sous-officiers, les rebelles ont pu leur apprendre à enduire leurs armes de cette graisse qui les empêche de luire au soleil.

- Soit, approuve Marion en mordillant nerveusement le tuyau de sa pipe, alors combien sont-ils, à votre avis ?

Les quatre camarades se dandinent en prenant un air gêné. Labonté regarde les autres, qui évitent son regard, lève les yeux au ciel, et finit par prononcer du bout des lèvres :

- Vous comprenez, mon lieutenant, quand on les a vus, on a tout de suite fait demi-tour…

- Et la radio ? tonne le lieutenant Carly en surgissant soudain. Pourquoi ne pas nous avoir alertés par radio ?

- On a oublié d’en emporter une, murmure Dosoe en baissant la tête.

Marion et Carly échangent un regard. Marion hausse les épaules. Carly est rouge de colère.

- Armée d’opérette ! rage-t-elle d’un air dégoûté. Soldats pour rire ! Préparez-vous à creuser d’autres tombes !

- Comme si on n’avait pas déjà compris qu’on va tous crever dans cette forêt de merde, ricane Rhode pendant que Carly remonte dans son Beaver et claque la porte à toute volée.


A suivre...