Aujourd'hui Salamai est heureux comme un roi.
Il revient du marché où il a fait emplette
D'un morceau de bidoche. Un ami de surcroît,
Le patron d'un café, lui donna la recette
D'un plat digne vraiment du palais d'un seigneur.
Notre bon Salamai, déjà l'eau à la bouche,
Retourne donc chez lui, volant dans ses babouches.
Au tournant d'un chemin, voilà que par malheur,
Un corbeau très hostile envers la race humaine,
Oiseau noir, affamé, en costume de deuil,
Sur le morceau de bœuf, vient de jeter un œil.
Cet oiseau noir de peine, cet oiseau noir de haine,
N'hésite un seul instant devant une rapine.
Il fond sur le vieillard, la bidoche, lui vole,
L'insulte d'un grand cri et puissamment s'envole.
Dépossédé, moqué, avili, fou de rage,
Salamai tente bien, en dépit de son âge,
De lapider l'oiseau qui s'échappe de terre,
Mais la distance est grande, entre plumes et pierre.
Le voleur demeurant à portée de sa voix,
Sa proie lève la tête, et de loin lui aboie :
« Tu ne pourras pas jouir de ton vol, sale bête,
Car si tu as la viande, moi je tiens la recette ! »