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Nouvelles : Les dix huit derniers mètres.
Publié par Bacchus le 23-05-2012 01:52:55 ( 1375 lectures ) Articles du même auteur



Les dix huit derniers mètres.

Le vieil ami de pension, que j'avais retrouvé après près de cinquante ans de séparation, semblait n'avoir pas grand chose à me raconter de sa vie. Toutes ces années semblaient s'être écoulées sans à-coups.
Par contre, il se montrait très étonné quand je lui racontais, page après page, toutes les aventures qui avaient émaillé mon existence.
Je lui ai dit que nous avions tous une quantité d'anecdotes qui nous étaient arrivées mais que les souvenirs qu'il nous en reste dépendent de la mémoire de chacun.
Mes narrations ont dû l'intéresser car, à l'occasion de la première visite qu'il m'a faite, il m'a remis un gros dossier relié contenant mes aventures, mes joies et mes déboires.
Bonnes ou mauvaises, ces histoires sont des moments de mon existence et je n'ai nul besoin de les édulcorer ni les enjoliver pour les rendre meilleures : elles me suffisent telles quelles et sont maintenant assez éloignées dans le temps pour que je puisse en faire mention .

J'étais à Marseille depuis une quinzaine de jours, à jouer au touriste, et puis je me suis dit que le temps était venu de me remettre au travail. A cette époque, j'étais monteur en ascenseur et j'arrivais du Havre.
Le travail ne manquait pas, dans ce domaine, et je trouvais de suite une entreprise qui m' a embauché.
Je me retrouvais de nouveau sur un chantier, dans la banlieue Marseillaise.
Bizarrement, je trouvais une ambiance différente de celle des chantiers que j'avais connu au Havre. Par exemple, les corps de métiers n'avaient pas, ici, les petites différences dans l'échelle professionnelle qu'elles avaient en Normandie, les salaires étaient nettement inférieurs et, surtout, les mesures de sécurité étaient totalement négligées. J'ajouterai qu'ici, le plâtre me semblait avoir une odeur parfumée.
Dés le commencement du travail, j' ai été choqué par les risques qu'il fallait prendre pour monter les glissières dans la trémie.Pas de manœuvre pour les petits travaux auxiliaires, absence totale du matériel de sécurité, obligation d'aller, comme tout le monde, 'emprunter' une échelle qu'on nous repiquait dès qu'on avait le dos tourné.Mais j'étais à Marseille, je devais vivre comme les Marseillais.
J' étais en train de sceller les porteurs de rails dans la trémie. Pour cela, j'avais piqué une échelle à pieds caoutchoutés que j' avais installée au travers de la trémie. Je me trouvais au cinquième niveau et, a cet étage, malheureusement, les maçons n'avaient pas encore monté l'encadrement de porte de l'ascenseur. Ce qui fit que je fus obligé de placer mon échelle sans l'assurer par un madrier aux pieds.
J' étais donc à 18m du fond de trémie, sur mon échelle, n'assurant ma stabilité qu'à l'aide de mes genoux appuyés contre un barreau.
C'est cela, le plus grand risque, dans ce métier: l'habitude vous fait perdre la notion de danger. Il m'arrivait souvent , pour éviter de descendre un étage ou deux, de me jeter sur un rail et de me laisser glisser jusqu'au palier souhaité. Toutefois, sur le toit d'un immeuble, j'avais peine à me pencher pour regarder en bas !
J'étais donc en train de faire des scellements. Elie, un autre monteur, est venu me voir pour discuter un peu. Je parlais donc tout en continuant mon travail.
Je vais devoir être très précis, maintenant, car tout ce qui suivit se passa en quelques secondes ou une éternité, ce que j'ai cru connaître.
D'abord, une surprise qui me figea ; les pieds de mon échelle se mirent à faire des petits bonds, très légers, pour commencer. Je crois que ma première idée a été que cela allait s' arrêter tout de suite. Les bonds ont été plus marqués brusquement et l'échelle dérapait contre le mur sur lequel elle était appuyée. Ce que j'eus l'instinct de faire fait beaucoup rire, dans les dessins animés: j' ai escaladé les barreaux !
Je me souviens encore de l'instant précis où l'échelle, ne reposant plus sur rien, a basculé dans le vide.
On peut penser que moi aussi, j' ai basculé dans le vide.
C'est là que tout devient étrange. Je n' ai jamais eu la sensation de chuter. Ce dont je me souviens, c'est d'un instant d'éternité durant lequel j'étais immobile dans l'espace, dans un silence absolu.
En un instant sans mesure, je me suis trouvé dans un esprit de résignation totale. Je me souviens parfaitement m'être dit : ' Voilà...c'est fini...' Je n' ai pas eu d'images qui ont défilé dans mon esprit, ni de peur. .
Cette sensation , cette tristesse de tout quitter........suivie de cette pensée : ' mais qu'est-ce que je fais là ? '
J'étais en train de réaliser que je me trouvais en fond de trèmie et je ne savais pas pourquoi.
Les premiers mots que j' ai entendu sont, avec l'accent : '- oh putain le mec ! il doit être en bouillie ! '
Je ne savais pas si j'étais en bouillie mais ce qui venait de m'arriver m'est revenu et alors ! et alors !
J'ai été envahi par une gigantesque bouffée de joie que j'exprimais de telle façon que tout le monde a cru que j'étais tombé sur la tête.
Dans la foule qui s'était agglutinée autour du fond de trémie, j'étais bien le seul à être heureux.
Petite anecdote annexe : Dans le car de police-secours, j'ai bien cru que j'allais me faire passer à tabac par un flic qui voulait que je lui dise que les sécurités n'étaient pas assurées sur ce chantier. Ses copains l'ont arraché à moi. J' ai ensuite compris que ce flic avait un compte à régler avec le chef de chantier à cause d'accidents étant survenus les jours d'avant.
A la Timone, aux urgences, j' ai du attendre plusieurs heures, après des radios faites dès mon arrivée, dans le couloir, sur ma civière. C'est alors que j' ai vu une infirmière se pencher sur moi pour me dire, l'air très intrigué ;'- C'est bien de quatorze mètres que vous étes tombé?' L' imbécile ! comme si j'avais pris le temps de mesurer pendant ma chute.
On a repris ma civière et je suis reparti repasser des radios . Je n'avais pas un seul os de cassé ! uniquement une blessure jusqu'à l'os, au bras droit et une paralysie générale très douloureuse durant une bonne semaine.
J' ai appris plus tard que, le même après midi, un ouvrier s'était brisé la colonne vertébrale en chutant de trois mètres d'une échelle.
Pendant ma convalescence, je suis retourné sur le chantier où j' ai été accueilli tel un ressuscité. J' ai profité de ma visite pou mesurer ma chute: 18m, à hauteur de ma tête.
J'ai cessé d'exercer le métier d'ascensoriste.



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Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 23-05-2012 22:27  Mis à jour: 23-05-2012 22:27
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Les dix huit derniers mètres.
Le conteur de L'OR nous fait vivre des moments miraculeux.
Dis moi, le bon Dieu, si il est, ne t'attend pas tout de suite il me semble.
Toi au moins tu sais résister à la loi de la pesanteur.
Quand c'est pas l'heure, c'est pas l'heure !
J'ai déjà lu des histoires extraordinaires de personnes, bien peu nombreuses, dont la chute semblait un vol.
Merci pour le nouveau mot, que je range dans ma collection : "trémie"
Merci Bacchus
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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