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Nouvelles confirmées : Necropolis
Publié par Donaldo75 le 06-12-2014 11:56:17 ( 998 lectures ) Articles du même auteur



Necropolis


Gare centrale d'Amsterdam, dix heures du matin. Les quais sont bondés.
Des réfugiés, venus de tout le pays et même de Belgique ou de France, sortent de trains surpeuplés. Les agents de la compagnie des chemins de fer sont débordés tandis que la police fait de son mieux pour contenir le flot des migrants.
J'essaie de m'extraire de la foule puis me dirige vers le chef de gare, un grand chauve visiblement dépassé par les événements.
— Je dois vous parler d'urgence, lui dis-je en lui plantant mon badge devant les naseaux.
— Vous ne voyez pas à quel point c'est la merde ici, répond le fonctionnaire.
— Si, je suis au courant. C'est même pour ça que je suis venu, au lieu de tranquillement me dorer la pilule avec Kim Kardashian sur les côtes californiennes. J'ai les pleins pouvoirs de la part de votre gouvernement. Amenez-vous ou je demande aux policiers de vous mettre les bracelets !

Je n'ai vraiment pas de temps à perdre avec un gratte-papier payé à compter les trains et paniqué à la première petite crise.
Il doit m'ouvrir l'accès au système de contrôle ferroviaire, un point c'est tout. Je ne lui demande pas de bombarder les Pays-Bas ou d'interdire les coffee-shops, du moins pas encore. Ce genre de mesure extrême, ça reste du ressort des politiques. Moi je suis un pragmatique, un homme de terrain, Américain de surcroît et payé pour résoudre les problèmes des gros bonnets du monde occidental.
— Que voulez-vous ?
— Accéder à la salle de commandes, là où vous décidez des entrées et sorties sur le réseau ferré.
— Pourquoi faire ?
— Isoler la ville. Plus personne n'arrive et ne repart. La police a bloqué les routes et l'aéroport est pris en main par la sécurité intérieure. Aucun vol n’atterrit à Schiphol.
— Et pourquoi pas instaurer la loi martiale ?
— La Reine va parler à ses sujets et votre Premier Ministre va annoncer cette mesure, valable dans toutes les grandes villes. Amsterdam, Haarlem, Alkmaar, La Haye, Rotterdam, Utrecht, Eindhoven et Groningen sont les premières visées. Les autres suivront dans la foulée. L'armée néerlandaise se déploie, des contingents britanniques et américains arrivent, ainsi que des prestataires privés.
— C'est la guerre ?
— Quand une partie de la population devient maboule et qu'elle attaque ses voisins, je n'appelle pas ça une légère perturbation atmosphérique ou un simple mouvement d'humeur. L'Allemagne a déjà fermé ses frontières avec les quatre pays concernés. Si ça arrivait aux États-Unis, vous, les Français, les Belges et les Luxembourgeois seriez déjà en train de connaître l'enfer nucléaire. Croyez-moi, c'est sérieux !
— Et que faites-vous des innocents, de ceux qui se font attaquer par les infectés ?
— Il n'y a pas de contamination entre humains. Ce n'est pas un film de zombies où de pauvres gars grisâtres mordent des citoyens tout roses pour répandre l'épidémie. En plus, les attaques ne sont en général pas mortelles, juste des actes de folie de la part des zinzins. Nous laissons la police locale régler ces problèmes là où la densité est faible, où il y a plus de tulipes que d'humains, à la campagne et dans les petites bourgades. Dans les grandes villes, c'est plus difficile à contrôler. On peut rapidement arriver à une guérilla urbaine. Est-ce votre souhait ?

Le chauve a pâli puis m'a laissé les clés du trafic ferroviaire.
Maintenant, quiconque voudra rejoindre Amsterdam devra passer à travers les champs, les terrains vagues et les canalisations pour parvenir à ses fins. J'ai renvoyé le fonctionnaire à ses quais, à jouer au sémaphore avec les policiers, les usagers et les militaires, pour regrouper les arrivants dans des colonnes à destination des centres de quarantaine.
Ce n'est pas mon travail de séparer le grain de l'ivraie. De toutes manières on ne sait pas si les gens sains aujourd'hui ne tourneront pas dingos dans les prochains jours. Personne ne maîtrise rien.
Les théories les plus folles germent dans les cerveaux fatigués : selon les Britanniques, un pollen extra-terrestre aurait fertilisé les humains les plus fragiles mentalement, alors que mes ex-collègues de l'Agence invoquent une attaque terroriste contre le réseau de distribution d'eau du Nord de l'Europe. Les Martiens ou les Barbus, question de sensibilité idéologique.

Je rejoins mon bureau de fortune à l’Hôtel Marriott de Leidseplein.
Il se fait tard. Je dois débriefer avec mon commanditaire, en dehors des circuits officiels. Je le rejoins dans sa suite princière, sécurisée pour l'occasion et dénudée des micros habituellement réservés aux hôtes de marque, en particulier les chefs d'entreprises européennes.
Inutile de faire profiter des oreilles américaines de nos conversations privées : on est entre serviteurs de l'Oncle Sam.
— Don, ça craint gravement ici, me jette mon agent de liaison, un gras du bide prénommé Barry.
— Je m'en doute. On a déjà bien quadrillé Amsterdam. Même Spiderman aurait du mal à mettre les bouts sans se prendre une rafale.
— Tu as parfaitement assuré, Don. Comme toujours. Je pense que les Européens ne comprennent rien à la situation. Pour changer.
— Nous non plus, rassure moi ?
— Exact ! Mais nous, on est propre. Pas de maboul sur notre territoire. Notre belle Amérique est devenue un sanctuaire. Les Canadiens et les Mexicains n'osent plus chier sans nous informer, tellement ils ont peur de la menace actuelle.
— Et les Russes ? Les Chinois ? Les Japonais ?
— Ils ont fait comme nous. Seuls les Européens de l'Ouest sont assez cons pour décider des bonnes mesures après un concile à Bruxelles, un referendum dans chaque pays et une tournée d'hosties pour tous. Résultat des courses : les Pays-Bas, la Belgique, la France et le Luxembourg sont atteints par le fléau et leurs voisins flippent comme des malades.
— On ne sait toujours pas ce que c'est ?
— Non ! Je m'en fous comme de ma première santiag. On ferme les frontières, on dégomme les zinzins et on autopsie leurs corps pour se donner bonne conscience. Tout ce qui ressemble à du maboul passe par les armes. Aussi simple que ça. Les Chinois ont déjà commencé. Ils n'ont pas fait dans la dentelle. Les Russes vont bientôt jouer avec le napalm à leur tour.
— Mais on ne recensait aucun cas dans ces deux pays !
— Ils en ont inventé pour se débarrasser des minorités qui les gênaient.
— Le Département d’État n'a rien dit ?
— Si ! Un seul mot : Bravo !
— Tu m'as donné soif avec tes histoires de génocide. Je prendrais bien un triple sec.
— C'est ma tournée ! Je vais sonner la Ingrid locale pour qu'elle nous amène la bouteille du mois.

Le reste de la soirée s'est déroulé entre la mise en place des derniers détails d'une opération maintes fois répétée au tableau noir et les claquements de verres à whisky.
Barry et ses sbires ont un passé commun avec moi : l'Agence.
Je ne parle pas de celle en trois lettres dont radotent les écrivains en mal de sensations. Celle-la, sa mission consiste à nous préparer le terrain, à débarrasser les lieux de quelques gêneurs. Des balayeurs munis d'un permis de tuer les cafards poilus à tête rouge.
Je ne parle pas non plus de l'officine censée protéger le territoire américain des fans du Coran, des malades du Capital et des nostalgiques du Petit Livre Rouge. Ces cow-boys ne savent pas différencier un virus d'une bactérie, un atome d'une molécule ou un pope d'un imam. Ils nous servent de paravent : quand on a besoin de gars avec des gros sabots pour polluer la scène de crime, on les appelle, on leur chante le Patriot Act et ils débarquent le regard clair, la main sur le Colt, des paroles de la Bible plein la bouche. Des éléphants dans un magasin de porcelaine.
Nous, on n'a pas de nom officiel mais le Président, le Vice-Président et les Secrétaires d’État tremblent à la seule pensée qu'on existe. Notre budget est une ligne noircie au feutre dans la comptabilité fédérale. Les journalistes experts de nos faits d'armes attribuent notre paternité à George le Texan et à ses potes faucons. De vrais abrutis, ça c'est sûr ! Mais je n'en dis pas plus, sinon je devrai me mettre une balle dans la tête et faire ensuite disparaître les preuves. Un comble !
Je vais aller me coucher, après l'aspirine réglementaire et le massage thaïlandais de notre attachée culturelle, une belle plante de Sacramento. Demain, nous avons une longue journée.
« Dans les larmes et la fureur de l'Histoire » aurait dit un grand homme.

Déjà trois jours que je suis à Amsterdam.
Mon commanditaire tergiverse pour de mauvaises raisons. Certes, les intérêts américains dans la région sont sécurisés et les seuls personnels restant sur place ne sont pas nés dans un des états de la bannière étoilée.
Ils toucheront une prime doublée ; ça leur paiera des obsèques en or massif.
Nos ambassades et nos représentations à Paris, Bruxelles et au Luxembourg son déjà vides. Celles des Pays-Bas sont en cours d'évacuation. Kim, ma masseuse diplômée de Berkeley est déjà partie. Je ne la reverrai sans doute jamais.
Je suis un des derniers sur place : le privilège des prestataires externes.

La situation a dégénéré, comme je l'avais écrit dans mon dernier mémo.
Les infectés ont continué à casser des rotules, à piller des fermes et à brûler des poubelles mais ils n'ont pas réussi à rentrer dans les villes soumises à la loi martiale. Au début, tout le monde voyait dans ce statu-quo une victoire de la stratégie de l'autruche sur la contamination. Sauf moi.
Heureusement, mon commanditaire a joué sur les deux tableaux : d'un côté, il a donné des gages scientifiques aux gouvernements concernés, tandis qu'en douce il acheminait du matériel de pointe pour un éventuel lancement du plan B.

Je dois encore me soumettre au briefing, ensuite je pourrai grimper dans un hélicoptère pour quitter ce continent.
— Don, nous avons armés les dispositifs de résonance, selon vos prescriptions techniques.
— Quel est leur rayon d'action ?
— De Dublin à Varsovie, de Helsinki à Lisbonne.
— Combien de morts ?
— Une première estimation donne cinquante six millions de pertes collatérales. Un réglage moins fin, si besoin était, amènerait à cent millions d'individus.
— C'est le prix à payer pour conserver les infrastructures européennes en état de marche. Je suppose que les gouvernants des pays concernés sauront délivrer le bon message aux survivants.
— On les a briefé.
— Parfait ! Je viens de lire vos dernières notes. J'avais raison !
— Oui, Don. La quarantaine n'a servi à rien. Des cas se sont avérés positifs dans des zones confinées. Ils se sont multipliés dans les heures suivantes.
— L'impulsion va les remettre d'équerre. Je vous le dis.
— Espérons le, Don.
— C'est tout vu ! Bon, finis les papotages, il faut que je me calte. J'ai des congés en retard et en plus mon carnet de bal se remplit. Le gouvernement australien aurait besoin de mes services.

Je suis tranquillement assis dans un hélicoptère de l'armée américaine, au dessus de la Mer du Nord. Dans une heure, je serai à bord de l'USS Sarah Palin à siroter un bon vieux bourbon avec l'amiral Morris.
Pendant que je soignerai mon foie, nos dispositifs, conçus par mon laboratoire au temps lointain où je travaillais à l'Agence, balanceront leur impulsion électromagnétique sur une vingtaine de nations du Vieux Monde.
Des millions de boites crâniennes verront leurs petites cellules grises grimper aux rideaux. Du désordre actuel naîtra enfin l'ordre nouveau, libéré des pénibles scories d'une maladie inconnue mais facile à soigner par la bonne vieille technique de l'électrochoc.
Les survivants nous remercieront, je n'en doute pas un instant.

« Dieu ne joue pas aux dés ! » disait le maître Albert dans une conférence du vingtième siècle.
Il avait raison le bougre. C'était pour ça qu'il nous avait doté, nous les Américains, de la technologie, d'une grosse paire de couilles et de peu d'empathie envers nos voisins. Il avait inventé l'Oncle Sam et l'Agence pour réparer ses conneries, pour balayer dans les coins et pour donner un petit coup de neuf à la maison, après chacune de ses crises ou de ses bitures dantesques.

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Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 06-12-2014 18:23  Mis à jour: 06-12-2014 18:23
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Necropolis
Une nouvelle maîtrisée du début à la fin. Un scénario de fin du monde qui me rappelle certains block busters américains. Espérons que tu ne sois pas un visionnaire ! Dans l'affirmative, je sais que je devrai m'exiler au pays de l'Oncle Sam.

Merci Don !

Couscous
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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