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Nouvelles confirmées : Léo (extrait n°6)
Publié par malhaire le 11-01-2015 21:35:22 ( 896 lectures ) Articles du même auteur



"C’est ainsi que j’ai grandi à la campagne, le plus souvent les mains sales, solitaire et rêveur.
J’adorais par-dessus tout jouer dehors avec toutes sortes de petites bestioles. Je collectionnais les escargots que je chérissais et qu’à l’occasion, je pouvais embrasser sous les regards écœurés de tous les membres de ma famille.
Inlassablement, je classais des petites boîtes qui abritaient des colonies de Cloportes, d’Iules et de Scolopendres. J’étais envoûté par les yeux des Chrysopes et tout à fait séduit par la capacité des Gloméris à se mettre en boule pour se protéger.

Aussi, à mes heures perdues, je nourrissais de monstrueuses araignées nichées dans des amas de bois, avec des mouches capturées, désailées. J’étais à la fois fasciné et épouvanté par ces horribles bêtes, si cruelles, qui d’un coup venaient mordre leurs proies pour soudain les emporter sans remord dans des trous sourds et profonds. Les pauvres insectes ainsi livrés en pâture dans les toiles n’avaient vraiment aucune chance de survivre. J’étais partagé je crois, entre un plaisir sadique à posséder un droit de vie ou de mort, et l’espoir d’entrapercevoir ne serait-ce qu’une seule fois un élan d’empathie ou de renoncement chez l’un de ces arachnides. Pourtant, inexorablement, le sort était le même. La mouche terrifiée s’agitait sur la toile et provoquait de périlleux remous. A l’affût, l’araignée bondissait sur l’insecte, le mordait sans le tuer, pour le ronger plus tard, lentement, au gré de ses appétits. Ce summum de l’atrocité bestiale m’offrait un spectacle tout aussi effroyable que jouissif.

Une toute petite rue derrière notre maison, menait à la fois dans les bois, mais juste avant, à un petit point d’eau sauvage. C’était le refuge des Libellules, des Ragondins, des Salamandres et des Tritons, mais surtout des Têtards.
Je n’avais pas souvent le droit de sortir de la maison, mais quand les occasions se présentaient à moi, surtout en avril, mon bonheur se résumait bien souvent à un bocal empli de vase, grouillant de larves de batraciens, diverses et variées.

•••

Au dos de la photo, il est écrit « Novembre 1978, Léo et maman ».
Nous sommes à la piscine. Dans ce minuscule bassin, l’eau ne dépasse pas les vingt ou trente centimètres. Hélène n’est pas en maillot de bain. Les pieds dans l’eau, elle porte une jupe à carreaux noirs et blancs et un pull jaune. Elle a peur de l’eau et bien entendu, elle ne sait pas nager. Moi, je suis accroché à une planche verte et blanche, dont la matière ressemble à du polystyrène compact. Attachée à mon dos, on retrouve une ceinture agrémentée d’affreuses briques insubmersibles de couleur orange. Mon regard est blafard.

Au bord de la piscine, il y a un bateau en bois à la coque jaune, dominée par une très jolie voile rouge. J’adorais ce jouet.
Je me souviens qu’un jour, Kamel me le vola. Quelques années plus tard en effet, il expliqua à nos parents que ce bateau était le sien. Comme souvent, nous nous étions battus. Moi, je me souvenais parfaitement que le sien avait une coque rouge et une voile orange. C’était peine perdue.
Après quelques échanges, nos parents cédèrent mon bateau à Kamel qui sans doute s’était montré beaucoup plus persuasif que moi. Je dois vous avouer que je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais déchiré et me senti une fois de plus très mal aimé. Cet événement qui pouvait sembler tellement dérisoire et futile aux yeux des adultes, fut vécu pour moi comme une profonde blessure, une injustice insupportable. Si je n’étais pas devenu raisonnable ou sensé, je crois que je pourrais en souffrir encore aujourd’hui et toujours leur en vouloir à tous les trois. Malheureusement, j’ai depuis eu bien d’autres raisons pour les haïr plus encore.
Quand même, ce jour-là, j’aurai vraiment aimé retrouver cette maudite photo afin de pouvoir la brandir de tout mon être, sous le nez de mes parents.

L’apprentissage de la natation fut pour moi une épreuve incroyable. Non, je n’avais pas simplement peur de l’eau. Elle me terrifiait plus que tout.
C’est à la piscine que j’ai revu une douche pour la première fois depuis mon adoption. A la maison, nous avions une baignoire. Hélène fut totalement désemparée quant à ma réaction. Rien qu’en m’approchant de cette porte ouverte, un pan violent de mon passé me sauta soudainement au visage. De tout mon corps je me suis alors débattu, et de toute ma voix j’ai hurlé tout mon effroi.
Mon souvenir n’était pas inventé. Il gisait là au fond de moi.
L’évidence était là. Alors que je n’avais peut-être que deux ans, quelqu’un m’avait maintenu de force sous une douche bouillante. Voilà sans doute ce qui avait provoqué l’absence de cheveux sur la partie centrale de mon crâne et engendré ces affreuses cicatrices de brûlures.
Cette fois-ci, en rentrant à la maison, Hélène traumatisée par ma réaction, n’avait su garder le silence, et s’efforça de rapporter cette scène à Yves.
Il resta muet, froid et insensible.
Je n’ai jamais su lire sur son visage le moindre trait de compassion.

L’épreuve de l’apprentissage de la natation aurait très bien pu s’arrêter là. Pourtant, jamais Hélène ne renonça à me ramener chaque semaine à la piscine pour m’enseigner l’art de nager. Il me fallait apprendre, dépasser ma frayeur, devenir comme tous les autres garçons de mon âge, et surtout, saisir cette chance que personne jusque-là ne lui avait offerte.

Chaque séance fut une véritable torture. Je me souviens qu’une fois, le maître nageur m’avait isolé dans un bassin surnommé « la cuvette ». C’était un bassin rond, le plus profond, qui permettait de très grands plongeons lors de compétitions. Ainsi, je pouvais hurler tant que je le voulais, je ne gênais plus personne.
Cent fois, j’ai cru m’y noyer.
D’ailleurs, aujourd’hui encore, un cauchemar me poursuit.
Lentement, je m’enfonce sous l’eau et à mesure de cette lancinante descente, j’ouvre les yeux et me retrouve face à des corps putréfies d’enfants accrochés aux rebords. Leurs ongles s’accrochent et se crispent contre ce qui semble être des carreaux de faïence bleue, tandis que de longs cheveux, virevoltants dans l’eau, viennent effleurer mon visage. Plus je descends et plus les enfants, vivants malgré tout, sont dans un état de décomposition avancée. Leurs regards me supplient.
Une odeur nauséabonde emplit alors mon rêve et mes poumons.
En heurtant le sol de ce bassin, je sombre alors dans un amoncellement d’ossements, jusqu’à totalement m’y confondre et disparaître à tout jamais.

Par je ne sais quel miracle, ou par quelle incroyable force, je suis tout de même parvenu, avec un peu de temps, à devenir un bien piètre nageur.
Aussi, je n’ai plus peur de l’eau."

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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