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Nouvelles confirmées : Une vie si courte.
Publié par Bacchus le 07-06-2012 17:35:40 ( 1055 lectures ) Articles du même auteur



Maman, en robe à fleurs, avec des boutons et son petit col suzette, en dessous de son manteau en simili astrakan, n'était pas crédible. Mais alors, pas du tout !
Les rares fois où elle se sentait obligée de se ' déguiser ' , nous déclenchaient des fous-rires qu'elle partageait de bon coeur. D'autant plus qu'elle se sentait obligée de parachever le tout avec deux traits de rouge à lêvres qu'elle se traçait avec un air grave qu'on ne lui connaissait que dans ces rares moments.
Seul un évênement important pouvait l'obliger à se travestir contre son gré: La remise des prix de fin d'année, quand elle devait monter sur le podium , à la fin de l'année scolaire, un mariage, voire même, mais très rarement, un petit voyage.
Papa, à l'occasion d'une biture, dans sa phase ' attendrissement ', avait décidé que son épouse devait ressembler à une dame et maman, émue de l'intention, s'était laissée convaincre. Alors ils était partis en ville et les éclats de rire, de l'arrêt de bus jusqu'à la maison, nous avaient informé de leur retour.
Papa se rengorgeait de fierté, et maman s'est mise à rire avec ses enfants, un peu gênée.
Non. Soyons sérieux. Notre maman , en temps normal, portait une blouse grise à fleurs blanches et un tablier noir par dessus. Eté comme hiver, elle avait la gorge dénudée. Je ne me souviens pas de l'avoir vu porter un cache-nez : on en aurait ri également. Si quelqu'un d'important, selon ses critères, venait lui rendre visite, elle otait prestement son tablier et hop ! elle était en tenue de réception..
Toujours pour les mêmes raisons de confort, elle investissait son budget ' toilettes ' dans de fréquents achats de chaussons, seul type de chaussures qu'elle pouvait supporter, compte tenu qu'elle était debout de quatre heures du matin à vingt heures le soir. Sa journée se déroulait en une course effrénée contre le temps.
Maman état un tourbillon de préoccupations, surmonté d'un sourire ravi, du matin au soir.
A quatre heure, elle se levait en chantonnant à voix basse, puis on l'entendait faire sa toilette, devant l'évier de la cuisine, à l'eau glacée, quand le seau d'eau n'avait pas besoin d'être dégelé, en hiver. Parfois, il arrivait qu'au petit matin, le seau ne soit qu'un bloc de glace. C'était les nuits que nous devions passer, recouverts de toutes les couvertures et manteaux dont nous disposions. Maman disait toujours: " Mais non ! y fait pas froid ! vous z'avez qu'à bouger,ça vous réchauffera . "
Après sa toilette, maman fonçait à la cantine scolaire,où elle était cuisinière. Elle allait allumer ses fourneaux et mettre à chauffer de l'eau dans d'énormes marmites norvégiennes qu'elle arrachait du sol en poussant de puissants 'han !' et ce, malgré les hernies que cela lui avait déjà couté.
Et puis elle continuait à se dépêcher, jusqu'au soir.
Elle traversait le camp au petit trot, jusqu'à la devanture du bar-tabac où les journaux avaient été déposés par la camionnette venant du Havre. Si le patron du bar n'était pas dehors, en train de les rentrer, maman prélevait un journal dans la pile et se dépêchait de le porter à mon père qui venait de se lever et avait branché la tsf pour écouter la première émission : le journal des paysans. Il est vrai qu'à cette heure matinale, on ne pouvait capter que des émissions étrangères. Parfois, j'entendais : ' aqui, radio-Andorra ' qui émettait en français. ça nous changeait.
Mais continuons à suivre le tourbillon effréné de maman qui était déjà en retard ( ? ) et qui s'en plaignait. Elle préparait le bol de café de papa qui s'impatientait en lisant son jounal, la casquette déjà installée sur l'arrière de son crâne.
Son café du matin, papa l'appelait son vomitif. Dés qu'il l'avait bu, il fonçait vite le vomir. Je pense que cela le délivrait des litres de vin rouge de la veille.Mon papa à moi, il ne buvait pas le vin du postillon mais du ' montagnard '. Létiquette était bien plus jolie.
Et puis il prenait sa musette que maman lui avait préparé la veille . Ce qu'il préférait, pour son repas du midi, c'était un gros crouton de pain de quatre livres, évidé et rempli du ragoût de la veille. Papa était très difficile, pour la nourriture, et ce qu'il aimait manger était toujours étonnant.Par exemple, bien qu'il n'ait jamais été gourmand, il salivait d'avance en se préparant des quarts de poire qu'il beurrait copieusement.
Donc il prenait sa musette, son vélo, dans le couloir, et partait pour un chemin de quinze kilomètres, par tous les temps, vers son boulot, sur un chantier de chaudronnerie, près du port. Ses conditions de retour, le soir, étaient hypothétiques. A quelle heure ? Dans quel état ? avec quel caractère ? Nous avions la journée pour nous y préparer.
C'était pas le tout mais maman avait du boulot, elle ! notre petit déjeuner. Honnètement, je ne me souviens pas avoir pris un petit déjeuner à table: maman nous l'apportait toujours au lit, à moi et à mes deux soeurs ainées, avant qu'on se lève.
Pendant que mes soeurs se préparaient, en se chamaillant ( des filles ! ), maman m'habillait, me débarbouillait et me prenait la main pour m'emmener avec elle à la cantine. Elle avait gardé cette habitude, à la porte, avant de sortir, de me regarder une dernière fois, l'oeil critique, de sortir son mouchoir de la grande poche, devant son tablier, d'en mouiller un coin avec un peu de salive et de me frotter énergiquement le coin des yeux et les commissures des lêvres. Son ' na ! ' était rassurant : j'étais présentable. Présentable à qui de toutes façons ? Nous ne rencontrions que des ouvriers taciturnes qui poussaient leur vélo jusqu'à la Nationale.
Arrivée à la cantine, là, maman avait fort à faire. Les femmes de services n'arrivant que vers 7h30, elle commençait à éplucher des oignons, lançait l'éplucheuse à patates, préparait ses sauces, faisait des voyages vers le local à charbon. Elle me lançait fréquemment un sourire pendant que je ' l'avançais ' en mettant les assiettes et les couverts sur les tables.
En fait, elle se démenait comme une diablesse de fàçon à ce que les femmes de services trouvent leurs tâches pratiquement finies quand elles arrivaient. Maman a toujours considéré qu'elle se devait de faire le travail des autres.

Vers 15h30, lorsque sa cantine et sa cuisine étaient bien propres, bien rangées, elle remontait la route, vers la maison, avec un large sourire radieux. Il fallait qu'elle reparte, contente de son travail. Sinon, elle ne partait pas avant d'en être contente, c'était très simple.
Sur son chemin , elle s'arrêtait souvent chez la charcutière ou la bouchère qui, les pauvres, étaient débordées, et maman leur faisait une petite heure de ménage, récompensée par une bonne tranche de paté ou d'un beau morceau de viande. Qu'elle s'empressait de cuisiner en rentrant, parce que, c'est pas l'tout, mais fallait qu'elle prépare son manger pour le soir.!


Quand, d'aventure, maman rentrait directement à la maison, après la cantine, elle en était très heureuse ! cela lui permettait de faire ' son travail en retard ', à savoir : ses cuivres; d'abord ceux de sa cuisinière à charbon qui avait sa barre, ses poignées, le robinet du bain-marie tout en cuivres. Et puis sa lampe à pétrole, ses pots à vases et quelques menus bibelots qui représentaient le summum de la réussite de la ménagère, pour maman. Mais cela, c'était sa récréation, sa détente, une petite fàçon de paresser sans en être honteuse.
Par contre, la plupart du temps, elle regardait son plancher, l'air soucieux, ce qui n'était pas courant chez elle, qui ne voyait que des choses à faire et à finir.
Si j'étais là, pendant qu'elle me donnait mon quatre heures, je pouvais l'entendre murmurer : " ben faudrait p'ête que j'cire mon parquet, moi ! "
Là, j'avais compris et je prenais mes tartines pour me débiner en courant, parce que maman, dans dix minutes, sera entourée de ses boites de cire, de ses chiffons ,de ses balais et personne, quel qu'il soit, n'avait droit d'accés à la maison avant qu'elle donne le feu vert. Même papa, les très rares fois où il pouvait se trouver présent,pendant des congés, par exemple, se tenait à carreau, assis sous la tonnelle, mais de préférence au bistrot..
Du dehors, on pouvait apercevoir maman, à genoux, les bras tendus vers le sol, activant son lainage d'astiquage en poussant de grands ' han ' d' effort.

Je ne peux pas oublier cette fois où, alors que je jouais dehors, sous la pluie et dans la boue, l'envie de me moucher m' a pris. Maman venait de finir de cirer son parquet et se trouvait à l'entrée, près de la porte ouverte, parachevant son travail en disposant des patins sur le seuil.
Elle a vu débouler son gamin qui, en courant, a remonté le couloir, traversé la salle à manger, s'est engouffré dans la chambre des parents pour y ouvrir en grand les deux portes de l'armoire, prendre un mouchoir en faisant tomber la pile et repartir en courant pour retourner jouer.
Toutefois, j'ai eu le temps de voir ma mère, au même endroit que je l'avais vue en entrant, un patin à la main, la bouche entr'ouverte, qui fixait, les yeus dilatés, les énormes traces de boue qui marquaient mon passage.
Peu après, je sillonnais toutes les allées du camp, à toute vitesse, une tigresse éructant sur mes talons. Je savais que ma mère pouvait courir vite, mais elle ne m'a pas rattrapé. Enfin ...pas tout de suite. Le soir, je crois bien que j'ai bénéficié de ma dernière séance de martinet. Emue,dès le lendemain, ma soeur Ginette le jeta dans le feu. Ma mère, qui ne s'en servait uniquement que parce que ça se faisait, ne l'a jamais cherché.Ses gifles faisaient amplement l'affaire.

Maman, en tant que cantinière d'école, bénéficiait de ses jeudis pour se reposer. Cela l'arrangeait bien ! elle en profitait pour faire sa lessive !


Ce jour-là, elle se levait encore plus bonne heure que d'habitude, envisageant, après sa lessive, un ménage à fond dans sa maison.
Pour changer, ces matins-là, elle allait allumer le feu sous sa lessiveuse, à la buanderie du camp. Elle retournait à la maison pour les rituels café-petits déjeuners- jounal, et puis elle prenait son gros ballot sur l'épaule et partait en chantonnant vers la buanderie. Mais elle considérait qu'elle avait des obligations envers toutes les femmes enceintes des environs. Aussi s'arrêtait-elle devant telle ou telle maison, interpellait à voix forte la femme qu'elle voulait voir : " dites donc, madame-heu...j'vais laver mon linge. Vous avez quelque chose que je pourrais laver? " et elle repartait avec un ballot supplémentaire sur l' épaule.
Durant mes jeux, quand j'allais la voir, je l'entendais, de loin, chanter ses émouvantes chansons de Berthe Silva, dans lesquelles les mamans mouraient en laissant leur petit enfant tout seul au monde, ou des petits enfants imprudents qui s'en allaient sur la barque lègère.
Ce jour-là, je gâtais maman: je lui préparais des frites pour le midi. Beaucoup. J'adore les frites !

Maman n' a jamais eu l'air de souffrir de son sort. je ne crois pas, d'ailleurs, qu'elle ait jamais envisagé en avoir connu un autre. Aussi loin que sa mémoire pouvait remonter, le travail était le seul destin qui se soit présenté à elle.
Elle avait été placée, à douze ans, dans un restaurant-pension d'ouvriers, sur le port du Havre, en qualité de grouillot de souillarde. Sa mère faisait une descente par semaine, non pour voir sa fille, mais pour rafler les quelques sous qu'elle avait gagné.
Le samedi soir, dès son dernier plat essuyé et rangé, elle avait le droit de rentrer chez elle, en traversant la ville à pieds. Elle était attendue pour s'occuper de ses petits et grands frères et soeurs, faire du ménage et la lessive. Cela lui occupait son dimanche jusqu'au lundi matin, au moment de partir de bonne heure vers son travail, toujours à pieds.
Mariée à quinze ans et demi avec mon père qui en avait dix huit, elle a eu sept enfants. Elle avait seize ans quand ils ont perdu leur premier enfant, et cela est resté un chagrin profond pour eux, bien qu'ils n'en parlaient que rarement. Leur troisième garçon est mort à douze ans, écrasé par un camion. J'étais le dernier né. Toute ma vie, j'ai été un enfant turbulent qui lui a donné beaucoup de soucis, préoccupée qu'elle était de ne pas en perdre un de plus.
Je crois pouvoir dire qu'elle n'est jamais restée un seul moment de sa vie sans emploi, mais sans que jamais, au grand jamais, nous ayons eu l'impression qu'elle n'était pas près de nous pour veiller sur nous.
Chaque soir, quand elle se couchait, j'entendais maman murmurer ses prières, discrètement. La religion n'était jamais un sujet de discussion chez nous, et chacun était libre de choisir l'idole qui lui convenait Maman était profondémént croyante mais ne nous a jamais encombré l'esprit avec ce sujet. Mon père, lui, ayant du fréquenter les curés dans sa prime jeunesse, gardait à leur encontre une profonde rancune qu'il justifiait par les nombreuses taloches qu'un curé lui avait donné.Communiste, comme tout le monde, il se proclamait anarchiste et libre penseur.

Quand j'ai quitté la Normandie, maman souffrait des multiples maux mal soignés qu'elle avait négligés toute sa vie:Elle n' avait pas eu le temps de se soigner sérieusement. En quelques mois, j'avais vu sa chevelure noire devenir toute blanche.
Elle était à la fenêtre pour me regarder partir et elle m'a fait un dernier signe de la main. Je ne savais pas que c'était la dernière fois que je la voyais.
J' ai reçu un jour un télégramme me disant ; " venir vite - maman mourante. " Le temps de prendre mes dispositions ( ma femme allait accoucher de notre premier enfant ) , j'arrivais à la maison peu après que tout le monde soit reparti du cimetière.

Maman s'était éteinte d'épuisement, de la vieillesse d'un corps trop usé.
Elle n'avait pas encore soixante ans.





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Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 08-06-2012 16:54  Mis à jour: 08-06-2012 16:54
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Une vie si courte.
Je suis très émue par ce récit, par ce magnifique portrait de femmes, celles qui n'ont jamais pensé si elle étaient heureuse, ou non, elles avaient la sagesse de trouver leur bonheur dans les petits quotidiens. Elles donnaient, donnaient et c'est elles qui ont inspiré Jean Ferrat :

ON NE VOIT PAS LE TEMPS PASSER
Jean Ferrat (France)


On se marie tôt à vingt ans
Et l'on n'attend pas des années
Pour faire trois ou quatre enfants
Qui vous occupent vos journées
Entre les courses la vaisselle
Entre ménage et déjeuner
Le monde peut battre de l'aile
On n'a pas le temps d'y penser

Faut-il pleurer, faut-il en rire
Fait-elle envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer

Une odeur de café qui fume
Et voilà tout son univers
Les enfants jouent, le mari fume
Les jours s'écoulent à l'envers
A peine voit-on ses enfants naître
Qu'il faut déjà les embrasser
Et l'on n'étend plus aux fenêtres
Qu'une jeunesse à repasser

Faut-il pleurer, faut-il en rire
Fait-elle envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer

Elle n'a vu dans les dimanches
Qu'un costume frais repassé
Quelques fleurs ou bien quelques branches
Décorant la salle à manger
Quand toute une vie se résume
En millions de pas dérisoires
Prise comme marteau et enclume
Entre une table et une armoire

Faut-il pleurer, faut-il en rire
Fait-elle envie ou bien pitié
Je n'ai pas le coeur à le dire
On ne voit pas le temps passer

Ma mère n'était pas ce genre de femme, mais elle souhaitait que je le devienne. Mon père à moi, il buvait du "postillon" et du "claire fontaine"
L'horreur !

Merci pour ce superbe texte dans lequel l'émotion passe très fort.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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