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Nouvelles confirmées : Léo "Volontaire"
Publié par malhaire le 08-06-2015 17:40:40 ( 857 lectures ) Articles du même auteur



"Je me souviens de ma première nuit où je fus de garde, chez moi. Marc m’avait mille fois rassuré et pourtant, rien n’y faisait.
— Ne sois pas trop inquiet, m’avait-il dit, c’est une petite caserne, il ne se passe jamais grand-chose. Ton bip ne sonnera que très rarement, surtout en hiver. A part quelques feux de cheminées.
Je n’étais pas tranquille pour autant. Et si mon bip ne fonctionnait pas ? Dans un profond sommeil, était-il possible que je ne l’entende pas ? J’avais encore au moins dix-mille doutes.
Généralement, tous les autres pompiers ne souhaitaient qu’une seule chose, « décaler », c'est-à-dire, partir en intervention. Moi, un peu honteusement, je suppliais presque pour qu’il ne se passe rien. J’avais beaucoup de mal avec cette idée que l’on puisse attendre un drame ou un malheur pour vivre sa passion. A la limite, je crois que je pouvais comprendre que des hommes ou quelques femmes puissent aimer s’enivrer de fortes doses d’adrénaline, mais je trouvais assez immoral que certains pompiers ne fassent qu’aussi peu le lien entre leur passion et les épreuves que d’autres vies avaient à endurer. Déjà, je détonnais.
J’ai fini par m’endormir. Après tout Marc avait raison, il n’y avait en général qu’une intervention tous les dix ou quinze jours.
Pourtant, au cœur de la nuit calme, le bip, d’une ancienne génération, se mit à cracher de toute sa puissance ses sonorités stridentes et brutales. Pendant quelques fractions de seconde, je me suis demandé si mon cœur n’avait pas bondit hors de ma poitrine. Elle me semblait déchirée. Mais il était bien là, crispé et détraqué, battant comme un fou.
Tous mes membres tremblaient. Une heure quarante du matin. Premiers sommeils. L’horreur.
Interdiction de paniquer. Quelqu’un quelque part comptait sur moi, et plus encore, je l’espérais, sur les autres. J’avais à présent cinq minutes montre en main pour m’habiller et rejoindre la caserne en voiture. La nuit, cela était jouable. J’avais tout de même roulé trop vite et mes jambes chancelaient encore. Le long du trajet, une petite voix me soufflait : « Pas un feu, par pitié, pas un feu pour commencer ! »
Marc était le plus prêt de la caserne. Lorsque je suis arrivé, heureusement, il était déjà présent, stoïque. Le camion était sorti.
— Feu de voiture ! clama-t-il !
— Merde, m’étais-je murmuré à moi-même, pas un feu !
Vite, la cagoule, le casque pour les incendies, les gants, le cuir, la clé pour les tuyaux…et quoi d’autre ? Putain, quoi d’autre ? Rien.
En sueur, j’avais déjà trop chaud.
J’ai sauté dans le camion. Sur la route je tentais de me remémorer toutes les procédures. Brouillard complet. Rien, à nouveau. Seulement la peur d’être nul, inutile ou ridicule. A l’arrivée, sur place, au bout d’un petit chemin, nous n’avons trouvé qu’une carcasse de voiture volée, fumante. Il ne restait à peine que quelques petites flammes bien inoffensives.
Alors, dans l’action indolente, les procédures me sont toutes revenues.
Sans péril, j’avais réussi ma première intervention.

En définitive je n’ai jamais regretté mon aventure de presque cinq années chez les pompiers volontaires. J’en garde même de très bons souvenirs, même s’ils étaient souvent mélangés à de douloureux moments. Autant que je m’en souvienne, notre trinôme constitué de Marie-Hélène, de Marc et de moi-même, n’a jamais souffert de la moindre tension.
Malgré le temps qui a passé, une intervention reste plus particulièrement imprégnée dans ma mémoire.
Le billet de départ se résumait ainsi :
« Personne inconsciente en forêt. »
Peut-être était-il six heures du matin en ce dimanche apparemment calme et printanier ?
Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, nous avons rapidement compris que nous avions à faire à une rave party sauvage, au cœur de la forêt domaniale de Lyons, transformée pour l’occasion en une jungle, où les occupants s’étaient abandonnés toute la nuit à des mœurs dissolues.
A cause de l’étroitesse du chemin forestier, Marc ne put engager le camion pour parvenir jusqu’au site. C’est alors qu’avec Marie-Hélène, nous nous sommes résolus, munis de notre lourde valise servant à prodiguer les premiers soins, à partir en courant vers le cœur de la forêt, bien décidés à retrouver notre personne inconsciente.
En s’approchant de l’épicentre de la fête nous découvrîmes des voitures sur le bas côté du chemin. De jeunes gens y dormaient, serrés. Marie-Hélène entrepris de toquer doucement afin de ne pas faire sursauter les occupants. Personne ne réagit. Je décidai alors d’ouvrir une portière espérant enfin réveiller un passager. Une fois la portière ouverte, la personne s’effondra sur nous, de tout son poids.
Bonjour, savez-vous qui a appelé les pompiers, s’était aventuré Marie-Hélène ?
Le jeune homme ronchonna mais ne pu se réveiller. Nous tentâmes alors de le redresser afin de le repositionner sur son siège. Je fis alors le choix de m’adresser aux autres jeunes gens qui ne s’étaient toujours pas réveillés.
— Savez-vous s’il vous plaît où nous pourrions trouver quelqu’un d’inconscient dans les parages, avais-je presque crié ?
Personne ne bougea ou ne s’éveilla. J’ai regardé Marie-Hélène et nous ne pûmes nous empêcher d’échanger un large sourire. Ceux-là étaient bien trop inconscients pour avoir pu contacter les secours. L’histoire se répéta tout au long du chemin au gré des voitures échouées. Lorsque nous arrivâmes au niveau d’une clairière, qui probablement avait dû servir de piste de danse, nous découvrîmes un jeune homme qui seul, était encore en train de gesticuler dans tous les sens. Sans doute personne n’était venu le chercher ou ne lui avait dit que la musique s’était arrêtée…
Marie-Hélène ironisa.
— Evidemment, vous n’êtes pas la personne inconsciente que nous recherchons ?
Le jeune homme sourit alors démesurément comme s’il avait vu un ange.
— Ha ouais, délire, avait-il répondu d’un air complètement niais.
Nous touchions le fond.
Ici, tout le monde semblait être dans un état de conscience modifiée et ceux qui restaient debout paraissaient fabuleusement effleurer les cieux.
Un peu plus tard, par chance, trois individus apparurent devant nous. Le jeune homme qui soit disant était inconscient marchait droit, dans notre direction.
Parmi ses camarades, je crois qu’il était en fait l’un des plus lucides.
•••
Tout n’était malheureusement pas toujours si amusant.
Etre pompier volontaire, c’était aussi faire irruption de manière brutale dans la vie des gens. Je me suis souvent retrouvé face à des personnes aux conditions de vie effroyables, dans le dénuement le plus absolu. Derrières des fenêtres et des murs se cachaient parfois une misère insoupçonnée. Je me remémore encore de temps en temps cette très vielle dame, qui ne pesait sans doute pas plus de quarante kilos. Les ongles de ses orteils mesuraient plusieurs centimètres et l’écorchaient. L’odeur dans sa chambre installée au plus haut étage d’une maison bourgeoise, était pestilentielle.
Démente, elle était abandonnée de tous.
J’étais aussi très affecté lorsque nous intervenions surtout la nuit chez des couples de personnes âgées. Elles aussi semblaient bien seules, presque toujours abandonnées. Il était souvent question d’accidents vasculaires cérébraux. Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder les photos sur les murs ou les tables de nuit. Là se trouvaient les dernières onces d’une jeunesse, figeait, resplendissante, mais toujours absente. Les personnes sur les photos ne venaient probablement que très rarement, mais les vieux s’obstinaient quand même à les aimer démesurément.
— Souhaitez-vous que l’on appelle quelqu’un pour vous, proposions-nous prudemment ?
Les réponses étaient trop souvent les mêmes.
— Oh non, vous savez nos enfants sont partis, ils sont bien loin et puis on ne veut pas les déranger.
Moi qui n’en n’avais pas eu de véritables, je n’arrivais pas à comprendre que l’on puisse à ce point délaisser ses parents.
Les enfants souvent ingrats ou égoïstes, étaient bien trop occupés à brûler leur jeunesse. Ils avaient fui la sénescence et le déclin.
Pour ma part, je ne survenais pas à me détourner de toute la tristesse qui, probablement, dés le lendemain matin envahirait la maison.
Quelle grisaille que d’assister à la mort d’une personne âgée, quand une autre reste là, prêt de vous, totalement désespérée et hagarde.
Je ne connaissais bien évidemment pas ces personnes et pourtant je ne parvenais pas à me dire que cette douleur n’était pas la mienne.
Oui, j’étais un parfait inconnu et pourtant, quelquefois, c’était moi qui accueillais quand même les derniers souffles de ces vies.
Il m’est aussi arrivé, dans les derniers instants de tenir quelques mains et de regarder encore les photos, épinglées sur les murs. J’essayais d’être là, comme sans doute ils auraient espéré l’être.
Quelquefois même, des gens mouraient seuls.
Rien ne me semblait plus triste.
Etait-il possible de n’avoir vécu ou compté pour personne ?
Mon expérience de pompier volontaire me fit découvrir ce qu’était la raideur cadavérique. Même au sein de petits villages des êtres humains pouvaient mourir et donc disparaître pendant plusieurs jours ou semaines sans que personne ne s’en aperçoive.
J’étais horrifié par tant de solitude.
Certaines interventions m’ont occasionnées quelques nuits sans sommeil. Il m’est arrivé parfois d’entraîner dans mes rêves la sensation de chaleur fluide provoquée par l’écoulement incessant du sang que j’avais ressenti sur mes mains, même au travers de mes gants. Une autre fois, je n’étais pas parvenu à me défaire des images de cet enfant brûlé, dont la peau se soulevait sur les trois quart de son corps.
Je me souviens aussi parfaitement du jour où un médecin du S.A.M.U avait en pratiquant une intubation trachéale sur une très forte dame, déchirait un petit morceau de viande à l’intérieur de son gosier. Il me l’avait alors déposé au creux de la main afin que je le mette à la poubelle. J’étais presque soulagé quand j’ai compris un peu plus tard que la dame était en train de mourir. Je n’avais pas réussi non plus cette nuit-là à clore mes paupières.
Certaines interventions m’ont certainement beaucoup trop affectées. Je me disais que cela valait mieux. J’étais resté un être humain.
Je crois que j’avais compris que l’on ne pouvait pas être pompier, sans atteintes ou préjudices..."

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 13-06-2015 19:05  Mis à jour: 13-06-2015 19:05
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Léo "Volontaire"
Le partage de ton expérience de pompier exprime bien un mal de nos sociétés occidentales : la solitude des ainés.

C'est édifiant !

Merci
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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