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Nouvelles confirmées : Le silence
Publié par Donaldo75 le 17-06-2015 08:47:45 ( 1051 lectures ) Articles du même auteur



Le silence


K. rentra dans le caisson hyperbare. L’infirmière lui prodigua ses derniers conseils, presque des sacrements, avant de sceller le tube médical pour une durée de vingt-quatre heures. Le reste était géré par un programme éprouvé dans le traitement des fous en tous genres.

K. sentit les dernières effluves de sa sédation. Paranoïaque à tendance psychotique selon les experts, il rentrait dans la catégorie des patients à bourrer de calmants, à surveiller de près tellement ils étaient dangereux pour les autres et parfois pour eux-mêmes. Dans son cas, il s’agissait de faits extrêmement graves, d’atteintes aux biens de l’Etat, de coups de canif au sacro-saint principe de la propriété privée. Communiste devant l’Eternel, il n’avait cessé de revendiquer le partage des richesses, la fin des privilèges et la justice pour tous. Militant de la première heure, il avait joint l’acte aux paroles, brisant des vitrines, bousculant des agents de la force publique et brûlant l’effigie des puissants devant les caméras du monde entier. Activiste passionné, il avait contourné les interdictions, déjoué les pièges de la police politique, enrôlé des purs et des durs dans une partition souterraine entre guérilla numérique et partie de cache-cache.

K. regarda les parois de sa cellule de verre. Les contours profilés donnaient l’impression de volume dans le but d’éviter les accidents cardiaques propres aux malades claustrophobes. Pour sa part, la peur des espaces confinés et de l'enfermement ne faisait pas partie de l’attirail génétique de ses nombreuses tares, du moins celles officiellement déclarées par son médecin traitant. Emprisonné à plusieurs reprises sous des motifs divers et variés, allant de l’indiscipline civique au délit de sale gueule, il avait eu le temps de s’habituer au cachot et à l’isolement. Cependant, c’était la première fois de sa longue carrière qu’il avait droit à de la technologie de pointe pour essayer de le redresser, de le remettre dans le droit chemin, celui de la consommation de masse et des classes sociales, de l’injustice et du pouvoir des nantis sur les gueux.

K. pensa à ses parents. Il leur devait probablement cette faveur, au lieu de se retrouver dans un trou au fin fond d’une ile perdue dans les Caraïbes avec des barbus en guise de compagnons de chaîne. Le système ne supportait pas la rébellion, encore moins quand elle venait d’un fils de très bonne famille, d’un membre de l’élite. Les puissants détestaient admettre la défection d’un de leurs enfants, un rejeton élevé dans les meilleures écoles, éduqué à l’aune des grands penseurs de la Grèce Antique, bardé de diplômes et prêt à diriger des hordes de travailleurs asservis.

— Pourquoi veux-tu consacrer tout ton temps à ces pauvres malheureux ?
— Parce qu’ils n’ont pas eu la chance de naître avec mes privilèges, Mère.
— Si ton père t’entendait, il te couperait les vivres, Fils.
— A quoi sert le cerveau humain si ce n’est pour s’élever tous ensemble ?
— Il y aura toujours des dominants et des dominés. C’est la nature humaine.
— Non, Mère. C’est de la prédation.

K. se souvint de ses premières révoltes. Son père n’avait pas vraiment apprécié son raisonnement altruiste, sa propension au partage et sa générosité. Pourtant, le fils prodigue avait poursuivi ses études dans la droite ligne des puissants, se mêlant ainsi aux autres successeurs de fortunes acquises sur des générations par de grandes dynasties familiales. Seulement, il avait caché ses activités militantes, son engagement au sein d’associations caritatives et ses fréquentations populaires. Une telle double vie ne pouvait pas durer éternellement, surtout dans une société surveillée par des citoyens modèles, des voisins délateurs ou des ambitieux chroniques.

— Que signifient ces soirées de gauchistes, Fils ?
— Vous exagérez, Père. Je contribue seulement à la collecte de vêtements pour des familles sans le sou.
— Tu es naïf de croire ça. Tes compagnons sont des socialistes convaincus, des fauteurs de troubles, des révolutionnaires patentés. La police les connait tous.
— Suis-je fiché ?
— Oui, comme nous tous. Une civilisation ne survit pas sans information individuelle au service d’un collectif. L’essentiel est de ne pas tomber dans la mauvaise case, le répertoire des bannis.
— Es-tu venu me prévenir d’une menace imminente ?
— Non. Tu es assez grand pour te sortir d’un mauvais pas. Je t’avertis seulement.
— De quoi ?
— Tu es seul désormais. Ta famille ne te couvrira plus. Ta mère, tes frères et tes sœurs, tes cousins et tous les autres ne peuvent pâtir de tes choix politiques. Suicide-toi pour des va-nu-pieds si tu veux mais n’emporte pas notre nom dans ta chute.

K. se surprit à sourire. Perdre son patronyme, sa particule et ses titres de noblesse ne l’avait pas troublé d’un iota. Passer du camp des privilégiés à celui des exploités l’avait au contraire légitimé auprès des autres activistes, un peu dubitatifs devant les efforts déployés par ce fils à papa contre les injustices sociales. La suite était alors facile à prévoir : plus d’engagement, des manifestations musclées en face d’un pouvoir policier, jusqu’à l’entrée progressive dans la clandestinité. Le bruit avait cédé le pas à la fureur. La rage avait battu la raison. La loi était devenue une contrainte, un mur entre la démocratie et le peuple, le moyen trouvé par les politiques pour contraindre les protestataires.

K. ferma les yeux. Il n’était ni psychotique ni paranoïaque, juste en dehors de clous placés sur la route des bien-pensants pour s’assurer un semblant de quiétude. Le fou sur la colline ne viendrait pas déranger les bourgeois, effrayer les enfants, en braillant des vérités premières perdues depuis longtemps par des gens aux dents blanches et des consommateurs de dentifrice. Le silence avalerait K. et ses rêves de justice, dans une débauche de pharmacologie officielle et de rapports en trois exemplaires.

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
EXEM
Posté le: 17-06-2015 16:11  Mis à jour: 17-06-2015 16:11
Plume d'Or
Inscrit le: 23-10-2013
De:
Contributions: 1480
 Re: Le silence
Un silence politique. Ce silence est beaucoup plus bruyant qu'on ne le pense. Mais il image bien le proverbe : le silence et dors.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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