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Nouvelles confirmées : Jésus est noir
Publié par arielleffe le 24-09-2015 17:13:19 ( 1092 lectures ) Articles du même auteur




- Mes premiers livres pour enfants ont vraiment eu beaucoup de succès, les petits adorent avoir peur et les parents ont besoin d’aide pour remettre de l’ordre après des années d’éducation laxiste. Le châtiment que je réserve aux désobéissants est toujours proportionnel à la bêtise imaginée, petite bêtise, petite punition, mais grande bêtise…

Un sourire s’esquisse sur la bouche parfaitement maquillée de Clothilde. Elle se rappelle du petit Martin dans son premier livre, il avait mis de l’eau partout en sortant du bain, et bien il avait failli se noyer dans la mare du jardin, quant à Camille, elle avait péri brûlée vive parce qu’elle s’amusait à laisser griller le pain jusqu’à ce qu’il devienne tout noir. Elle avait même complètement fait fondre le toaster, cette idiote ! Clothilde n’est pas avare de descriptions sordides, c’est ce qui plait aux lecteurs, elle en est persuadée.
Le grand bureau est installé près de la fenêtre qui donne sur le jardin côté rue. Quand Clothilde cherche l’inspiration, elle peut regarder les fleurs, les oiseaux, mais aussi ses voisins de la maison d’en face. Enfin, elle pouvait les regarder, ils sont morts, empoisonnés par des champignons qu’ils étaient allés ramasser, les imbéciles. Chaque automne ils partaient avec leur petit panier et leurs bottes en caoutchouc, ils revenaient avec une cargaison de cèpes, de girolles et autres bolets. Clothilde n’y voyait pas d’inconvénient, mais elle ne supportait plus leur jardin mal tenu, les containers à poubelle oubliés sur le trottoir et l’absence de travaux effectués dans la maison. Les fenêtres n’avaient pas été peintes depuis des lustres, et les volets pendaient lamentablement, grinçants à chaque fois qu’un peu de vent se mettait à souffler. Ça ne pouvait plus durer, Clothilde avait glissé quelques champignons personnels dans leur panier ridicule, et les trompettes de la mort avaient sonné pour eux.


Aujourd’hui, il y a du remue-ménage, une famille arrive dans la maison d’en face. Les camions déchargent des lits, un frigo, des cartons, mais combien sont-ils ? Il va y avoir des enfants, c’est sûr, ils vont faire du bruit, zut, encore des problèmes en perspective. Les déménageurs sont noirs, ce sont sans doute des gens qui viennent des colonies, ils ont amené leurs boys, ils ont de l’argent dis donc. Le lendemain, les marteaux et les perceuses sont à l’œuvre. Ils ont intérêt à surveiller leurs ouvriers, ils leur font drôlement confiance, ces sauvages vont tout installer de travers, ils sont comme les enfants, toujours prêts à faire n’importe quoi. Les ouvriers semblent passer vraiment beaucoup de temps dans la maison, pas étonnant avec tout ce qui avait été laissé à l’abandon.
Après plusieurs jours, Clothilde se rend compte, que parmi les travailleurs, il y a deux femmes. Avec leurs cheveux courts et crépus, on les confond avec des hommes ! Quelle allure vraiment.

Un matin, un des hommes sort de la maison vêtu d’un costume, avec un attaché case à la main. Ils habitent là ma parole ! Ce sont eux les nouveaux propriétaires !
C’est incroyable, ils ont eu assez d’argent pour acheter une maison pareille ? Le quartier n’est plus ce qu’il était, le prix de l’immobilier va chuter, il ne manque plus qu’une famille de réfugiés et le tableau sera complet !

Un matin, Clothilde se réveille avec un mal de tête terrible, elle a des courbatures et peine à se lever. Elle appelle le médecin de garde, un dimanche, ça va être compliqué pour se faire soigner. Une demi-heure plus tard on sonne à sa porte. Un immense noir avec un sourire étincelant se tient dans l’encadrement de la porte. Clothilde a un mouvement de recul, qu’est-ce qu’il fait là ? Elle le reconnaît, c’est son voisin !

- Bonjour Madame. Docteur Sall, vous avez appelé les urgences me semble-t-il.

Docteur ? Docteur ! Il est docteur ! On aura tout vu ! Il a dû apprendre son métier dans la brousse, il va la soigner avec des potions de sorcier. Heureusement, il ne lui demande pas de se déshabiller, elle n’aurait pas supporté le contact de ses mains noires sur sa peau blanche et délicate. Ils ont de la peau d’éléphant ces gens-là, le contact doit être vraiment désagréable.

- C’est une mauvaise grippe. Je vais vous donner de l’aspirine pour faire baisser la fièvre. Restez au chaud, ça devrait passer d’ici quelques jours. J’ai bien peur que vous soyez malade encore une petite quinzaine, c’est le temps moyen pour guérir complètement. Je vous prescris aussi des vitamines, votre organisme va être fatigué, il ne faut pas que vous attrapiez d’autres virus.

Ces babines se retroussent dans un sourire. Ses narines sont si grandes que Clothilde a l’impression de voir à l’intérieur de son nez. Il a l’air efficace, il a peut-être fait ses études en France.

- N’hésitez pas à m’appeler si vous ne vous sentez pas bien, nous sommes voisins, j’habite juste en face. Ma femme est dentiste.

Clothilde n’a pas envie de faire ami-ami avec lui.

- Oui en effet.

- Les gens sont amusants ici, le monsieur qui vit en bas de la rue, m’a dit : « vous écrivez bien dites-moi ! » Après sept ans d’études de médecine se serait dommage !
Le Docteur Sall laisse l’ordonnance sur la table et tend la main à Clothilde qui répond machinalement. Sa peau est douce finalement, ce doit être les années passées en France qui l’ont civilisé ce guerrier Massaï. Clothilde le regarde s’éloigner en se cachant derrière le rideau de sa chambre. Il est très distingué, de dos il ne paraît pas noir du tout.
Le temps passe, la maison d’en face retrouve des couleurs, c’est une des plus jolies demeures des alentours. Quand un jour le curé est retrouvé mort dans sa sacristie. Après enquête, on découvre qu’il a été empoisonné, il aurait bu un café qui lui aurait été fatal. Avec qui l’a-t-il bu ? La police essaie de le découvrir.
Clothilde repose le journal et finit son expresso. Elle sourit en repensant au curé qui avait préféré un lungo, cet idiot avait décidé d’abandonner la messe en latin et d’introduire des chansons populaires pendant les offices ! Inacceptable pour une catholique fervente et traditionaliste. Il n’avait pas voulu entendre raison, tant pis pour lui.
Un mois plus tard, déménagement chez les Sall. Mamadou frappe à la porte de sa voisine.

- Bonjour madame, je suis désolé de vous annoncer que nous devons déménager, on nous soupçonne d’avoir tué le curé !

- Vous ? Mais pourquoi donc ?

- Figurez-vous que nous sommes musulmans et cela semble être une raison suffisante pour la police de cette ville à l’esprit étroit.

- Musulman ? Mais je ne le savais pas. Je ne vous est jamais vu prier dehors en djellabah.

Le docteur Sall rit poliment.

- Ça n’est pas dans nos habitudes effectivement. Il y a autre chose, nous avons adopté un chien, et ça semble être une circonstance aggravante.

- Un chien mais quel rapport ?

- Et bien il est noir.

- Comme vous.

Mamadou Sall sourit poliment,
- Oui, comme nous.

Clothilde ne voit toujours pas où est le problème, il peut être rouquin, tacheté ou gris souris, le problème des chiens c’est qu’ils fourrent leur nez partout et qu’ils font des saletés, elle en a déjà empoisonné quelques-uns notre Clothilde.

- Et bien, il nous a été donné par une famille mexicaine que j’avais soignée il y a quelques temps, et ils l’avaient appelé Jésus. Le curé a pensé que c’était un acte anticatholique, d’après lui nous sommes des provocateurs. Nous nous étions disputé à ce sujet, il était venu chez moi, et voulait que je change son nom. L’animal est habitué et répond quand on l’appelle Jésus, en plus, mes enfants n’étaient pas du tout d’accord. Pour la police nous sommes une famille d’intégristes musulmans, des terroristes prêts à tout. Nous préférons partir avant que la situation ne dégénère. Cette ville n’est pas assez tranquille pour nous.
Après le départ des Sall rien n’a plus été pareil, un alcoolique complètement dégénéré est venu s’installer dans la jolie maison. Clothilde a adopté le Labrador noir et elle prend un malin plaisir à passer devant le commissariat et à crier :
- Jésus ! Aux pieds !
Jésus lève aussi régulièrement la patte sur les biens des gens que la brave dame ne porte pas dans son cœur. La voiture de Madame Chapotte qui est toujours mal garée, le scooter du fils Michu qui fait un bruit infernal et le beau mur blanc de la famille Dubonnet qui a été construit sans autorisation. A ceux qui se plaignent elle rétorque :
- Jésus est noir c’est ça qui vous gêne ?
Ces imbéciles essaient de se justifier et ils oublient de râler, ils finissent même par lui tapoter la tête en disant :

- Brave chienchien.

En rentrant chez elle, Clothilde passe devant l’ancienne maison des Sall, l’ivrogne chante à tue-tête, il est encore saoul. Elle s’arrête devant sa porte et déchiffre Jésus Domingos. Voilà un autre Jésus complètement noir, il va falloir qu’elle s’occupe de lui. Elle sourit en traversant la rue. De retour chez elle, elle déballe ce qu’elle a acheté à la brocante, ça vient du Sénégal, le pays de Mamadou, il y a des catholiques là-bas aussi. Ces idiots ne voulaient pas de ses amis médecins. Clothilde ne supporte pas l’injustice. Ils vont payer leur ignorance, ils vont trouver des Jésus à tous les coins de rue. Elle accroche un énorme crucifix sur la façade de sa maison.
Et oui, il vient d’Afrique Jésus, il est noir !

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Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 27-09-2015 20:37  Mis à jour: 27-09-2015 20:37
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Jésus est noir
Tu denonces avec malice ce que beaucoup de gens pensent. Il n'est pas toujours facile de se faire accepter en étant different.

belle morale. J'ai été très heureuse de retrouver l'amie Clothilde.

Merci Arielle.

Couscous
emma
Posté le: 27-09-2015 22:01  Mis à jour: 27-09-2015 22:01
Modérateur
Inscrit le: 02-02-2012
De: Paris
Contributions: 1494
 Re: Jésus est noir
ah ! ah ! Que d'humour noir !
J'ai aimé la façon que tu avais de prendre le contrepied de sujets d'actualité brulant !

Merci pour cette ambiance polar qui fait froid dans le dos !
arielleffe
Posté le: 01-10-2015 19:57  Mis à jour: 01-10-2015 19:57
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
 Re: Jésus est noir
Merci Emma et Delphine ! Je suis heureuse que ce texte vous ait plût.
Loriane
Posté le: 02-10-2015 20:02  Mis à jour: 02-10-2015 20:02
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Jésus est noir
J'ai bien ri, tu me rappelles un bouquin dont le titre m'avait intriguée : " Hitler t'a mère t'appelle ".
A lire croustillant.
En fait c'est l'histoire d'un petit immigré juif entre les deux guerres, 1033-1935, à Paris, il était insupportable comme tous les mouflets de 10/11 ans et sa mère l'avait surnommé " Hitler " Et tout le quartier criait parfois le soir ; " Hitler ta mère t'appelle "?
Belle lecture
Merci
arielleffe
Posté le: 04-10-2015 13:47  Mis à jour: 04-10-2015 13:47
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
 Re: Jésus est noir
Merci Loriane, ça doit être amusant en effet. J essaierai de le lire. Il est toujours bon de rire de ce qui peut aussi être tragique, ça fait toujours réfléchir.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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