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Nouvelles confirmées : Petite poupée fatiguée
Publié par Donaldo75 le 30-09-2015 18:12:06 ( 1043 lectures ) Articles du même auteur



Inspirée par la chanson "little trouble girl" du groupe américain Sonic Youth.

Petite poupée fatiguée


Non, je ne le ferai pas, Mère. Je ne jouerai pas à la petite poupée sage, celle de vos rêves, quand nous vivions avec Père, au temps d’avant.

Je me rappelle. Nous étions si proches. Vous me brossiez les cheveux, en me chantant des airs de votre enfance, me racontant votre jeunesse, les concerts de Joan Baez, les manifestations pacifistes et l’Amour en chacun de nous. Je ne comprenais pas tout mais je les trouvais belles, vos chansons, avec des mots et des images en couleurs. Je vous appelais alors Maman, en courant dans vos jambes, du soir au matin, au milieu des fleurs du jardin. Père rentrait tard le soir, avec de nouveaux copains aux longs cheveux et des copines aux yeux brillants.

Un jour, Père est parti. J’ai crié aux policiers, « Non, Papa, ne pars pas ! », en pleurant, en m’accrochant à leurs jambes. Vous n’avez rien fait pour les empêcher de l’emmener. Vous avez juste appelé un homme en costume gris pour s’occuper de vos affaires.

Nous avons déménagé. De la Cote Ouest à la région des Grands Lacs puis vers New-York, j’ai connu une dizaine d’appartements et des centaines de camarades de classe dans des écoles différentes. Vous avez continué à dessiner des affiches et à marcher dans la rue avec un mégaphone, au milieu de centaines de personnes aux habits bariolés.

Je ne comprenais rien. J’étais la fille sans papa, avec une maman jamais là. Mes maîtresses me regardaient en pestiférée, les autres écoliers me traitaient en souffre-douleurs. Je pleurais le soir, après le dîner préparée par la voisine, une douce Noire appelée Martha. Je me réfugiais auprès de mes doudous, les seuls compagnons capables de m’expliquer pourquoi le monde avait cessé de tourner rond.
— Ta Maman est une personne très très occupée, me disait toujours le doudou hippopotame, avec son sourire béat et ses grosses narines.
— On dirait Martha et ses histoires à dormir debout, celles avec le Christ sur sa croix, répondais-je. Je ne suis plus un bébé. Tu peux me dire la vérité.
— Ton papa ne reviendra pas. Il est en prison pour la vie, parce qu’il a tué des gens.
— Ce n’est pas vrai. Papa est gentil. Jamais il n’aurait fait du mal à quelqu’un. Tu mens !
— J’ai entendu ta Maman le dire au téléphone.
— C’est de sa faute ! Elle n’a rien fait pour l’aider.

Après, tout a dérapé. J’ai rencontré Danny au collège. Il m’a appris à invoquer les esprits, à danser sur les tombes et à sécher les cours sans me faire prendre. J’ai jeté mes doudous, repeint ma chambre en noir et transformé mon lit en cathédrale. Vous n’avez pas remarqué ma première grossesse, Mère, tellement vous étiez occupée à organiser une manifestation pour les droits civiques ou je ne sais quelle cause perdue d’avance. Danny a assuré. Il m’a accompagné à la clinique et glissé des billets pour les papiers. Je vous en ai voulu de ne pas être présente ce jour-là, quand je prenais ma première décision de femme. Vous êtes alors devenue Mère, trop loin pour rester une maman, pas assez attentive pour devenir une confidente.

Nous sommes partis dans le mur, Danny et moi. J’ai commencé par des arnaques au lycée puis, après avoir obtenu mon diplômé, je vous ai extorqué de l’argent à votre tour, sous le prétexte de m’inscrire à l’Université. Ensuite, je me suis installé avec Danny dans un bouge au fin fond de Brooklyn, financé par votre naïveté et celle de ses parents. Jamais vous n’êtes venue nous voir, au contraire de la famille de Danny. J’ai joué mon rôle de pseudo-étudiante, auprès de ces petits bourgeois trop heureux de voir leur rejeton en ménage avec une fille inscrite en droit à Columbia.

Vous êtes alors sortie de mes pensées, Mère. Danny a monté des coups foireux pour se remplir les poches sans trop se fatiguer puis a changé de division. Nous avons écumé les magasins de New York, à détrousser les Indiens et les Coréens, à racketter les Iraniens et les Africains, à éviter les embrouilles avec les maffieux italiens ou russes. J’ai parfois pris du bon temps et souvent frôlé la catastrophe, jusqu’au jour où les bleus m’ont serrée pour une obscure affaire de cartes volées. C’est là que j’ai compris où était la limite entre mon amour pour Danny et ma propre liberté. J’ai livré mon amant et accepté un boulot d’indicateur pour un vieil inspecteur du vingt-cinquième district.

Je dois vous décevoir, Mère. Pourtant, j’ai fini par ressembler à mon père. Je me souviens bien de ce soir, dans un hôtel borgne de Harlem, avec mon policier abhorré.
— C’est de la merde, tes informations, ma poulette. Je veux du lourd. Tu bosses avec de gros dealers de Brooklyn. Mets-moi sur un coup !
— Je risque ma vie tous les jours à vous filer des tuyaux.
— Tu assures bien, côté couverture. En plus, Danny ne pourra pas te balancer.
— Je sais. Il est mort pendant son transfert à Rikers.
— Tu peux me dire merci.
— Comment ça ?
— Tu le fais exprès ou quoi ?

Ce porc avait éliminé Danny. Pas pour me protéger d’un éventuel bavard, non, juste pour mieux me contrôler. J’étais pour lui un banal investissement, utile en fin de carrière pour décrocher une médaille sur une dernière belle arrestation. C’est à ce moment que j’ai compris mon destin, Mère. Père et vous m’aviez laissé seule dans la jungle urbaine, avec vos gênes de révolutionnaires à deux cents, pensant que les enfants apprenaient mieux sans avoir constamment leurs parents sur le dos. Je n’ai pas chanté la Révolution ou les conneries des hippies. Je n’ai pas perdu mon temps à manifester avec des barbus dopés à la fumette. J’ai volé mon prochain, harcelé des commerçants, piqué dans le sac des vieilles et défoncé des junkies.

Il me fallait revenir dans le droit chemin familial. Père était enfermé dans une prison fédérale, pour complot anti-américain. Je devais faire au moins aussi fort, contre l’autorité, les bourgeois et une société injuste. J’ai refroidi ce cochon de flic, en le regardant droit dans les yeux, tandis qu’il se vidait de son sang. Depuis, je fuis, seule, avec mes souvenirs.

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Auteur Commentaire en débat
Marco
Posté le: 02-10-2015 12:21  Mis à jour: 02-10-2015 12:21
Plume d'Or
Inscrit le: 17-05-2014
De: 24
Contributions: 725
 Re: Petite poupée fatiguée


Pas de temps mort - seules meurent l'amour de la vie et l'avenir - on bascule
très vite dans le sordide ; impossible, pour elle, de faire face,
ça fait trop longtemps qu'elle vit que pour l'instant, que pour l'adrénaline de l'instantané.
Plus de loi, plus de raison place l'impulsivité.

Ça fait mal, ça gifle, ça accable, ça dénonce, ça t'insulte,
ça te crache à la gueule toutes les vérités que l'on dénie.

Après avoir lu " Petite poupée fatiguée", on ne sent pas très bien.

Donald, cet écrit décapant remet en cause l'ordre des priorités et les obligations
que l'on a, envers ces poupées… innocentes.

Donald, je n'ai qu'un mot "fabuleux" !

Bises

Marco
couscous
Posté le: 02-10-2015 20:16  Mis à jour: 02-10-2015 20:16
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Petite poupée fatiguée
Cette fille est comme un poupée de chiffon, victime des aléas de la vie de polochon qu'on lui a imposée.

C'est un récit triste, réaliste et sombre.Je ne connaissais pas cette veine de ta plume.

Une belle découverte.

Merci mon canard

Couscous
Istenozot
Posté le: 04-10-2015 20:43  Mis à jour: 04-10-2015 20:43
Plume d'Or
Inscrit le: 18-02-2015
De: Dijon
Contributions: 2303
 Re: Petite poupée fatiguée
Cher Donaldo,

Ta nouvelle prend les trippes. Elle m'a fait descendre dans les caves, dans les catacombes de l''âme où s'entrechoquent la mimétique du mal et l'espérance de devenir un être humain, digne de ce nom, un être humain humaniste.

J'ai aimé dans ton texte le contraste des mots : Père et papa, Mère et maman, l'un avec une majuscule et l'autre pas.
La jeune femme abandonne ses doudous. Dis voir, tu es dans la continuité littéraire avec les doudous. Cela me rappelle ta nouvelle "Doudoustein" que j'avais bien aimé comme toutes tes nouvelles. Je ne te le dis pas assez!
Cette nouvelle est différente, certes, mais je trouve qu'elle s'inscrit dans la continuité de quelques uns de tes textes antérieurs.

Ah la reproduction des comportements entre un enfant et ses parents. Le pouvoir de la mimétique est intense et pour s'en sortir, il faut mener une guerre contre soi d'abord avant de la mener conrte les autres.

Merci pour cette très belle nouvelle que j'ai dévorée et qui me laisse dans une grande tristesse. Cette tristesse est source d'inspiration.

Porte toi bien.

Amitiés de Dijon.

Jacques
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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