Quand ma pauvre vieille carcasse
Ne sera bonne qu'à la casse,
Que voulez-vous que ça me fasse
Que l'on vienne la désosser,
Sitôt que j'aurai trépassé.
Mais... je ne suis pas trop pressé.

Pour être en règle avec ma rigide conscience,
Je fais don, comme on dit, de mon corps à la science,
Mais lorsque vous viendrez, Messieurs, me charcuter,
Je veux que ce soit fait comme je l'ai souhaité.
Je ne me soucie pas du mode opératoire,
Si mon corps est donné selon mon bon vouloir,
En rejetant tout net les firmes charlatanes
Dont les profits juteux viennent des dons d'organes.
Avec le gros colon, le coude et l’astragale,
Faites comme il vous plaît, cela m’est bien égal,
Mais quand vous trancherez dans mes chairs, attention !
Il faudra, point par point, suivre mes instructions :

Je veux, sachez-le bien, que mon oreille échoit
A un grand musicien, mélomane de choix,
Mes mains aux doigts câlins, mes mains si caressantes,
A des amants fougueux ou de douces amantes.
Ma bouche je la donne à tous les amoureux,
Au peintre, au non-voyant, je fais don de mes yeux,
Et mon faible cerveau à l'idiot du village,
Qui, grâce à lui, peut-être, un jour deviendra sage.
Mes deux bras, si tu veux, bien que très maigrichons,
Te reviennent de droit, mon ami bûcheron,
Et si j'ai pu sauver trois ou quatre cheveux,
Ils seront pour Mathieu qui n’en qu’un ou deux.

Mes poumons enfumés iront au vieux marin
Qui les purifiera à l’air frais des embruns,
Mon nez si délicat à qui aime la rose,
Et mes zygomatiques égaieront le morose.
Mon fessier bien dodu, je l'offre au pauvre hère
Qui été comme hiver dort sur la rude pierre,
Quant au fier militaire et ses rêves de guerre,
Je lui lègue un pied pour se botter le derrière.
Mais les organes qui faisaient de moi un homme,
Je vous prie, vous ordonne, et même je vous somme
De ne les greffer qu'à mon vieil ami Charlie
Que ma femme rejoint si souvent dans son lit.