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Nouvelles confirmées : Nevada
Publié par Donaldo75 le 11-11-2015 12:27:50 ( 898 lectures ) Articles du même auteur



Nevada


Des cactus à l’infini, de la terre rouge sous mes pieds, le soleil haut dans le ciel, j’ai l’impression de marcher dans les Enfers en version mexicaine. Il ne manque plus qu’un démon en forme de crotale pour parfaire le tableau. « Qu’est-ce que je fais dans le désert du Nevada ? » demande ma moitié cartésienne au reste de mon corps. La réalité est simple, presque triviale : je n’en sais rien.

J’essaie de me souvenir. Ma mémoire pédale dans le chaos de mes neurones. Des bribes parviennent à mon esprit fatigué. Je revois Sharon et Kim, deux superbes plantes vénéneuses, en train de danser sur les tables d’un bar, à Las Vegas, sous les sifflets de touristes ébahis par le spectacle improvisé. Apparemment, je suis assis en face d’elle et je les connais bien.
— Tu aimes ça, Don, avoue-le, me chantonne Kim, la plus petite des deux, une blonde platine aux formes attirantes.
— On peut s’embrasser pour pimenter le strip-tease, si tu veux, ajoute Sharon, une grande et sculpturale rousse aux yeux verts.

Bizarrement, devant une proposition aussi prometteuse, je ne bronche pas. Je ne peux même pas dire si les deux beautés me font de l’effet ou pas, si je suis déjà parti dans un éther alcoolisé ou si je pense à autre chose. Je les laisse simplement danser, remuer leur généreuse poitrine devant une tripotée de mâles excités, au risque de provoquer une émeute. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je suis dans ce bar en particulier, comment j’ai rencontré Kim et Sharon et même où j’habite. Je me lève en direction des toilettes, histoire de satisfaire un besoin naturel. Apparemment, je ne zigzague pas, signe que je ne suis pas encore à jeter aux orties. Personne ne me porte d’attention. Je comprends. Kim et Sharon assurent le show.

Je suis dans les toilettes, avec un vieux barbu. Je me regarde dans le miroir, juste avant d’aller pisser.
— Vous avez une sale tête, Don, me jette mon compagnon de pissotière.
— A ce point ?
— On dirait une vieille tortilla.
— Je vais lâcher quelques millilitres et ça ira mieux.
— A mon avis, vous ne passerez pas le contrôle antidopage, aujourd’hui.
— Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir exagéré.
— Vous vous souvenez de quelque chose, au moins ?

Le vieux a raison. Qu’est-ce que je sais de ma santé, vu que je ne me rappelle de rien. Mon proche passé, à commencer par Kim et Sharon, m’échappe malgré mes nombreuses tentatives de recoller les morceaux. Que j’ai bu du thé ou de la vodka, mangé des fraises ou du peyotl, levé les deux beautés fatales dans un autre bar ou payé leurs services pour une raison obscure, toutes ces hypothèses se valent dans mon esprit. Ma mémoire affiche le zéro absolu, le néant.

Je détaille le barbu. On dirait Saint Pierre en version rustique, du genre échappé du Paradis pour élever des moutons et planter des arpents de maïs. Ma langue se tord dans ma bouche sans tourner les sept fois indiquées dans le règlement.
— Vous êtes descendu du Ciel, c’est ça ?
— J’en ai bien peur, mon garçon.
— C’est si ennuyeux là-haut ?
— Ecouter des anges jouer de la lyre du matin au soir, ce n’est pas ma vision du Nirvana.
— Il y a tromperie sur la marchandise, alors, non ?
— Pas forcément. Il faut seulement bien lire les petites lignes en bas du contrat.

Je n’hallucine même pas de discuter avec Saint Pierre revenu sur Terre. Plus rien ne m’étonne dans ce monde où Dieu est un Américain comme les autres, perclus de dettes auprès des grandes banques, cumulant trois boulots en même temps pour continuer à consommer du soda trop sucré et des hamburgers à la chaine. Cela me parait presque normal.

Je retourne à ma table, une fois ma vessie soulagée. Kim et Sharon sont désormais à moitié nues au milieu d’une foule déchainée de pachydermes humains. Elles tordent de la fesse, sourient à leurs admirateurs et enfilent les verres de mescal. Je commence à me lasser de ce Sodome et Gomorrhe moderne. Une serveuse s’approche de moi, grande brune aux yeux noirs et au parfum de soufre.
— Un petit remontant ? Vous m’avez l’air épuisé, Don, me lance-t-elle.
— Vous êtes la deuxième personne à me dire ça. Je vais finir par croire que je suis malade, à la fin.
— Il doit y avoir un peu de vrai, alors.
— Apportez-moi un café et une aspirine, mon chou.
— Vous ne préférez pas un truc plus fort ?
— Ce ne serait pas raisonnable.
— Qui parle de raison, Don ? La vie est trop courte pour se gaver de boissons chaudes et de bulles pharmaceutiques.

Je détaille la brune. Elle parait plus authentique que Kim et Sharon, moins américaine, avec un petit air européen de l’est, entre Carpates et Transylvanie.
— Quel est votre nom, déjà ?
— Angelica.
— Vous êtes de Las Vegas, Angelica ?
— Pas vraiment.
— Européenne ?
— C’est si évident ?
— Une intuition.
— Et vous, Don ? Vous ne ressemblez pas vraiment à un gars du coin. Même votre accent est indéfinissable.
— C’est une longue histoire. Je vous la raconterai quand nous nous connaitrons mieux.
— Je finis mon service dans une heure, Don.

Mes souvenirs prennent une autre tournure. Je me vois dans les rues surpeuplées de la ville des jeux en tous genres, au bras de la belle Angelica. Kim et Sharon sont sorties du paysage. Les passants ne nous voient même pas, tellement ils sont absorbés par les illusions parées de strass, les copies de monuments historiques et les rêves de fortune à huit chiffres. Angelica est entièrement vêtue de noir. Elle me fait penser à Lilith, reine déchue du royaume d’en bas. Cette seule pensée me donne le frisson. Les symboles religieux s’accumulent dangereusement dans mon esprit.

Angelica me prend la main. Je ressens une chaleur intense dans ce contact inopiné, un feu intérieur.
— Allons chez moi, Don. Je n’aime pas la foule.
— Ce doit être gênant pour une serveuse.
— Je vis avec.
— C’est moins grave qu’être bègue, je suppose.
— Vous parlez toujours autant pour ne rien dire, Don ?

Je sens la langue d’Angelica dans ma bouche. L’impression est étrange mais pas désagréable. Mes yeux sont fermés, je ne sais plus où je suis, si je suis habillé ou dans le plus simple appareil. Angelica me caresse les cheveux tandis que je lui pétris le dos. Bizarrement, je ne suis pas excité, du moins physiquement. Intrigué est le juste mot. Mon cerveau mouline à cent mille tours par minute, tel un réacteur déchainé. Il affiche des instantanés, sortes de polaroïds d’un autre temps, quand j’étais encore un jeune homme plein de bonne volonté, un défenseur de la veuve et de l’orphelin, avant de découvrir que Caïn avait plongé la tête de son frère Abel dans la cuvette des toilettes et tiré la chasse sur mes belles intentions.

Un prêtre apparait à l’écran. On dirait l’acteur suédois Max Von Sydow. Il me sourit.
— Ce n’est pas facile, Don, me lance-t-il.
— Rien n’est facile, mon père, surtout quand on ne sait pas ce qu’on fait ici-bas.
— La tentation est grande de laisser le pire arriver, de tenter seulement de survivre, au risque d’ouvrir la porte au grand n’importe quoi.
— Je lutte tous les jours mais des fois je me sens un peu seul contre des éléments trop violents pour un simple être humain.
— Rome ne s’est pas construite en un jour.
— Rome est tombée, mon père. Les barbares en ont mangé les restes. Il ne subsiste que de vieux cailloux financés par des borgnes parmi les aveugles, des nostalgiques d’une splendeur passée.
— Non, Don, Rome a resurgi, ailleurs, à Londres, Paris, New York ou Sydney. Quelques voyants ont sacrifié leur existence, dépensé de l’énergie, convaincu des borgnes et accompagné des aveugles pour reconstruire une meilleure Rome.
— Amen !

Maintenant, j’avance sans but dans un désert brûlant, au milieu de cactus muets et de cailloux informes. Je commence à regretter les danses torrides de Kim et Sharon, la langue parfumée d’Angelica, Saint Pierre perdu dans les toilettes d’un bar de las Vegas, et même le sosie de Max Von Sydow. « Quand la musique est terminée, éteignons les lumières » chantait un poète américain, un fils d’amiral, mort dans des toilettes parisiennes sans rencontrer un quelconque Saint Pierre en goguette. Tout ceci me parait à des millions d’années d’aujourd’hui, quand les crotales régnaient sur la Terre, jouaient à cache-cache avec les coyotes, buvaient dans des cactus et mangeaient des champignons mexicains. Je dois trouver l’interrupteur, éteindre le soleil et la lune, revenir à la nuit initiale, fermer les yeux et connaître enfin la paix.

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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