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Nouvelles confirmées : Descente à Saint-Julien
Publié par Donaldo75 le 31-01-2016 20:45:01 ( 783 lectures ) Articles du même auteur



Descente à Saint-Julien


Ogr-Deux s’enfila une dernière pinte, rota en signe de satisfaction puis posa les mains sur la table. Il s’ennuyait ferme et devait le signifier à ses compagnons de repas.
— Depuis notre arrivée sur cette planète, il ne se passe rien d’amusant. Je commence vraiment à regretter ma douce Barbarara, commença-t-il.
— Tu exagères, répliqua Urk-O. Nous n’avons pas chômé avec les indigènes. Dois-je te rappeler combien de villes sont en cendres, comment nous avons mis à genoux ces faibles d’humains ? C’est ce que j’appelle de la conquête rondement menée. Casser des têtes, briser des rotules, écarteler des ventrus, ça nous a bien fait rire, il me semble.
— J’ai adoré leurs femmes, si roses, si douces, si fragiles, ajouta Onch-Onch. En plus, elles ont bon goût, surtout avec des petites patates.

Ogr-Deux regarda ses deux compères, souffla de dépit et décida de couper court à leurs arguments.
— Vous êtes des psychopathes, comme ils disent ici, lança-t-il. Nous sommes venus ici pour conquérir un système solaire habité par une civilisation supposée avancée. C’est notre travail et rien d’autre. Travailler ne me fait pas rire. Je m’ennuie maintenant.
— Tu lis trop, Ogr-Deux, remarqua Urk-O. Tu vas finir par devenir comme ces nabots de Terriens, un pauvre parfumé qui rêve de fleurs, du ciel et des petits oiseaux.
— Chacun son truc, ajouta Onch-Onch. Urk-O aime la violence, le sang et les tripes éclatées au soleil. Moi, j’aime faire crier les femelles, écarteler leurs mâles légitimes et montrer ma puissance à coups de massue. Toi, tu te perds, depuis ton mariage avec Barbarara. Avant, tu ne rechignais pas à fracasser quelques occiputs, à élargir des anus vierges, à brûler des villages entiers.
— Vous ne comprenez décidément rien, conclut Ogr-Deux en se levant. Je vous laisse à vos plaisirs puérils.

Le ciel affichait une voute étoilée. La Lune éclairait le spectacle, telle une reine blanche venue de nulle part. Ogr-Deux pensa à Barbarara, sa dulcinée, laissée seule avec une armée de valets et de soubrettes à gérer un domaine où les gueux s’empilaient comme des cafards gluants. Il chercha son monde natal, une planète géante réchauffé par une naine brune, quelque part à des années-lumière de la Terre, trop loin pour ses yeux fatigués par des heures de repas et des litres de vin.

Ogr-Deux jugea son spleen encombrant. « Peut-être que les deux autres abrutis ont raison » pensa-t-il. Voyager à travers l’espace infini, conquérir et dépouiller, envahir et batailler, c’était devenu à la longue une routine, très éloignée de la promesse initiale en aventure et en souvenirs impérissables. Il décida de prendre l’air, d’aller voir ailleurs, là où l’herbe serait plus verte, le seul endroit qu’ils n’avaient pas encore annexé, un territoire trop étrange même pour un conquérant de son expérience.

Ogr-Deux entra dans son vaisseau de poche, procéda aux manœuvres d’usage puis démarra le protocole d’instruction avec son ordinateur de bord, l’ineffable BBQ-10, le nec plus ultra des intelligences artificielles, un concentré de puissance mathématique de de sagesse au cube.
— Où allons nous, commandant ?
— Saint-Julien-Molin-Molette, si possible là où ça bouge.
— Définissez le terme « bouger ».
— Rire, chanter, danser, bref vivre dans la joie et la bonne humeur.
— Je cherche dans ma base de connaissances.
— Cela ne devrait pas être difficile à trouver. Les humains aiment bien ça.
— Ils ont un peu moins le goût aux rires et aux chants depuis votre arrivée.

Ogr-Deux soupira. Il ne comprenait pas pourquoi les Terriens le prenaient aussi mal. C’était dans l’ordre des choses de voir les dominants terrasser les faibles, les ramener à leur condition de dominés. Des civilisations entières avaient été bâties sur ce principe, même sur Terre. Les Egyptiens, les Grecs, les Romains ou les Anglais avaient décliné ce principe en religion, rasées des régions pour en asservir les peuples, convertis de pauvres paysans à des valeurs qu’ils ne connaissaient pas, imposé des chants guerriers à la place du gazouillis des oiseaux. Lui, Ogr-Deux, commandant en chef d’une puissance supérieure, avait suivi leurs traces, explosé la fière Amérique, mis à genoux la belliqueuse Russie et écrasé les autres nations, parce que c’était eux les dominés et lui le dominant. La boucle était bouclée et les vaches bien gardées, comme disait sa grand-mère quand il était encore un jeune et naïf soldat.

Le vaisseau vola une dizaine de minutes avant d’atterrir au milieu d’une place, dans Saint-Julien-Molin-Molette, une bourgade française épargnée par les troupes d’envahisseurs, pour une raison connue du seul Commandement Général, au-delà de la Voie Lactée. Ogr-Deux posa les indispensables questions de sécurité à son ordinateur de bord.
— Quels sont les risques pour mon intégrité physique ?
— Pratiquement nuls, tant que vous n’abusez pas de la nourriture locale.
— Les indigènes ne sont pas armés ?
— Pas en ville. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, ici. Les seules armes servent à la chasse à la gallinette cendrée, une sorte d’oiseau. En plus, c’est règlementé et nous sommes hors saison.
— Ils ne sont pas agressifs ?
— Non. Ils ne s’intéressent pas aux arts guerriers ou à la conquête.
— Je ne suis pas l’ennemi, pour eux ? Je comprendrais.
— Vous verrez bien.

Ogr-Deux jugea la réponse satisfaisante. Après tout, il avait bravé des dangers plus effroyables sur Aldébaran, rencontré des peuplades hostiles dans les tréfonds de Sirius, survécu à des attaques de poulpes homéostatiques dans le système d’Orion. Du haut de ses deux mètres dix, avec sa combinaison ultrarésistante et son armement miniaturisé, il ne risquait pas grand-chose au milieu de ces chasseurs de gallinette cendrée.

La place, baptisée Général de Gaulle en souvenir d’un monarque au grand nez, ressemblait à nombre de lieux de rassemblement populaire en vogue dans les civilisations récemment mécanisées. Des véhicules cubiques, de couleurs disparates, étaient parqués de manière illogique sur des trottoirs en bitume, le long de voies pas très larges. Les autochtones marchaient en discutant, certains entraient et sortaient de boutiques aux larges vitrines, d’autres regardaient avec gourmandise les articles exposés, le plus souvent des pièces de viande ou des bouteilles de vin. Personne ne semblait embarrassé par la présence d’un géant au physique déroutant, tout vêtu de noir. Ogr-Deux apprécia son soudain anonymat.

Après un tour complet de la place, il s’engagea dans une ruelle fort fréquentée où beaucoup des locaux allaient et venaient comme si c’était le lieu à la mode. Au passage, il croisa quelques individus débraillés, à l’haleine empreinte d’une sorte d’éthanol, à la démarche hésitante, aux rires saccadés. Cette singularité le perturba un instant. Il prit l’initiative d’en saisir un par le col, de le soulever trente centimètres au-dessus du sol et de le soumettre à la question, sans mettre sa vie en danger.
— Qu’il y-a-t-il de si joyeux dans cette rue ?

Son interlocuteur malgré-lui faillit s’étouffer. Il réprima un hoquet, roula des yeux et tenta d’extraire de sa bouche un semblant de phrase intelligible.
— Des bars et des restaurants, monsieur. Juste ça.
— En quoi c’est joyeux ?
— C’est le lieu où nous buvons, mangeons, partageons nos vies. Vous n’avez pas ça, chez vous ?
— Je ne mélange pas aux gueux, en général.
— Vous devriez essayer.
— Pourquoi pas, puisque vous me le proposez, répondit Ogr-Deux en reposant l’homme. Où allons-nous ?
— Chez Dédé, c’est le meilleur rade du centre.

En route vers la taverne de Dédé, Ogr-Deux apprit que son invité surprise se nommait Tiburce Dugommeau, instituteur de son métier, célibataire endurci pour des raisons incompréhensibles de tous et surtout de lui-même, amateur de bonne chère et fêtard au-delà du raisonnable. Il ne jugea pas utile de se présenter et ce n’était pas dans l’étiquette que de déclarer sa condition à une caste inférieure, encore moins sur une planète récemment asservie.

Le duo entra dans l’établissement, sans provoquer l’habituelle curiosité provoquée par la présence d’Ogr-Deux. En réalité, l’ambiance était festive, l’atmosphère enfumée et l’air fortement pollué de vapeurs d’éthanol. Le système d’alarme intégré à la combinaison émit une légère impulsion électromagnétique, signe de son adaptation à un environnement chimique différent du précédent. Ogr-Deux sourit à cette attention règlementaire mais un peu disproportionnée.

Tiburce Dugommeau lui proposa une table, déjà occupée par des individus aux gestes désordonnés, à la voix forte et aux paroles saccadées. Ogr-Deux les toisa puis accepta de se poser sur une sorte de chaise en bois.
— Messieurs, je vous présente mon nouvel ami, commença Tiburce Dugommeau. Je ne connais pas son nom mais je peux vous dire une chose : c’est pas un rigolo, alors modérez vos propos.
— Salut l’étranger, dit le plus vieux, qu’est-ce que tu bois ?
— Vous avez de l’hydromel ? J’ai gouté ce nectar il y a peu, à Stockholm, et j’ai bien aimé.
— Ici, on laisse le miel pour les enfants, répliqua un petit homme aux longs cheveux. Goûte plutôt à notre fondant, un alcool maison, du genre à nettoyer la tuyauterie, si tu vois ce que je veux dire.
— Non, je ne vois pas mais j’accepte volontiers votre alcool.
— Annette, envoie-nous une tournée de fondant, et pas la version fillettes, hurla le vieux à la serveuse.

Le petit homme fit les présentations. Il s’appelait Georges Caussade et remplissait les fonctions d’épicier, d’adjoint au maire en charge de l’économie communale, et accessoirement d’écrivain public. Le vieux répondait au doux nom d’Hubert Boulon de la Visse. Il venait d’une ancienne grande famille d’aristocrates exilés dans cette partie rurale de la France. Propriétaire de la moitié du village, il passait son temps à gérer ses loyers, ses locataires et ses finances. Le troisième, pas très loquace, se nommait Albert Albert, une curiosité qui lui avait valu les railleries de ces camarades de classe dès sa plus tendre enfance. De ce fait, il s’était enfermé sur lui-même et utilisait peu ses cordes vocales, à part pour commander des tournées chez Dédé. Son métier se résumait à réparer les affaires des autres.

Ogr-Deux n’échappa pas à l’exercice. Il raconta en synthèse son parcours, de sa naissance dans une grande famille de combattants jusqu’à son mariage avec la belle Barbarara, le tout entre deux rasades de fondant.
— Si je comprends bien, récapitula Hubert, tu es le gars qui a mis une branlée aux cow-boys, ridiculisé les cosaques et renvoyé les bridés dans leurs rizières.
— En résumé, oui.
— C’est pas rien, faut l’avouer, remarqua Tiburce.
— Vous n’êtes pas fâchés, j’espère, demanda Ogr-Deux.
— Tu sais, ici, à Saint-Julien, on s’en fout un peu de la géopolitique, précisa Georges.
— J’ai pourtant asservi l’essentiel de la population terrienne, fit observer Ogr-Deux.
— Tant que tu ne te barres pas avec Annette sous le bras, on reste potes, répondit Tiburce.
— C’est vrai qu’elle est gironde, la Annette, ajouta Georges. Et pas difficile, en plus.

Les trois camarades de comptoir commencèrent alors à vanter les mérites de la serveuse, entre les racontars propres aux villages, les fantasmes mal assumés et la médisance. Ogr-Deux se demanda pourquoi le Commandement Général épargnait ce coin perdu, au lieu de l’atomiser sans autre forme de procès. Il s’ennuyait de nouveau, en venant presque à regretter l’absence d’Urk-O et Onch-Onch.
— Je ne voudrais pas vous sembler impoli mais vos histoires de sexe sont assez peu intéressantes, objecta-t-il.
— Tu veux qu’on parle de philosophie existentielle, je suppose, répliqua Hubert.
— Pas vraiment. En fait, je croyais l’endroit joyeux, comme me l’avait dit Tiburce. En fait, je me rends compte que vous n’avez rien à dire, que vous vous ennuyez autant que moi, répondit Ogr-Deux tout en activant discrètement sa balise de géolocalisation.
— On n’a pas assez bu, tenta Tiburce. Je crois qu’un autre pichet de fondant s’impose.
— Banco, cria Georges.
— Je ne suis pas d’accord, siffla Hubert. Monsieur l’envahisseur nous traite de manants, de va-nu-pieds justes bons à cueillir des champignons. Ce n’est pas correct quand on débarque seul en pays inconnu, que les habitants du cru se montrent hospitaliers et paient des tournées.

Ogr-Deux sourit à cette dernière remarque. Il sentit une chaleur remonter dans son corps, des pieds à la tête, signe annonciateur d’une fièvre oubliée depuis trop longtemps. Hubert lui remémorait pourquoi il avait choisi cette voie, celle du sang et des batailles. Il profita alors de l’occasion pour aiguillonner la fierté mal placée d’Hubert Boulon de la Visse, un nobliau local un peu trop sûr de son pouvoir, un borgne au royaume des aveugles.
— Je l’admets, j’ai été un peu abrupt, dit-il à l’assemblée. Je ne suis pas vraiment habitué à gloser avec les castes inférieures. Voyez-vous, là d’où je viens, les personnes de mon rang donnent le bâton aux gueux de votre espèce. Partager le boire et le manger avec votre engeance est fort nouveau pour moi.

Hubert s’étrangla dans son verre de fondant, Tiburce leva les yeux au ciel, Georges tourna la tête vers le bar et Albert se leva. Ogr-Deux lança le code rouge en direction d’Urk-O, signe d’une prochaine bataille avec du sang sur les murs et des nuques écrasées à coup de massue. La suite ne devint pas mémorable. Albert mangea ses dents, Hubert ravala sa langue, Tiburce se cacha dans les toilettes et Georges plongea sous la table. Urk-O arriva dix minutes après le début des hostilités, accompagné d’un Onch-Onch rigolard. « Voilà une manière originale de chasser son ennui ! » ironisa ce dernier tandis que les deux autres brisaient les crânes des rares survivants. Ogr-Deux ne répondit même pas à cette pique, trop heureux d’avoir retrouvé ses joutes d’antan, de quand il était encore célibataire et abonné aux plaisirs simples de la vie.

FIN

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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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